En ce moment se déroule un psychodrame autour du renouvèlement de l'autorisation de mise sur le marché du glyphosate, un des herbicides les plus utilisés au monde. Le débat se concentre sur la dangerosité du glyphosate et plus précisément son éventuelle tendance à provoquer des cancers. Pour évaluer ce type d'effets, les agences d'évaluation des risques sont mandatées. Dans le cas du glyphosate, c'est l'agence allemande qui a été chargée du rapport.
Les conclusions du BfR — et donc de l’EFSA — sont que le glyphosate n’est probablement pas cancérogène. Mais le CIRC a classé au début 2015 le glyphosate comme probablement cancérogène, sa catégorie 2A. Comme la Commission Européenne doit renouveler l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate d’ici au 30 juin pour qu’il continue à être vendu, il s’en suit une bataille autour de ce produit dans l’arène publique. Cela donne des articles où certains points de vue sont clairement avantagés par rapport à d’autres.
À titre personnel, je retrouve beaucoup d’aspects liés au dévoiement du principe de précaution dont on parlé autrefois sur ce blog. Si la décision d’autorisation du glyphosate (ou son absence) ne relèvent pas nécessairement du principe de précaution, on retrouve grosso modo les 3 éléments que sont la demande du dommage zéro, la construction de scénario apocalyptiques et la disqualification des adversaires.
Le dommage zéro
La demande de Dommage Zéro se retrouve simplement dans cette histoire : il s’agit de dire que, puisque le glyphosate est un cancérogène probable, il doit être interdit. Or, il se trouve que cet argument est insuffisant. En effet, les évaluations des agences de sécurité portent aussi sur le nombre absolu de victimes potentielles !
Il se trouve aussi que les autorisations ne dépendent pas que de la dangerosité d’un produit. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un tour dans un hypermarché :
- On y trouve des couteaux, qui sont indéniablement dangereux. Une centaine de meurtres par an sont commis à l’aide d’armes tranchantes (source: CépiDc, catégorie X99)
- On y trouve des produits d’entretien, comme l’eau de Javel, des bases (débouche évier «Destop») dont les modes d’emploi préconisent d’appeler des centres anti-poison dans diverses circonstances
- Pour ce qui est des aliments, on y trouve des boissons alcoolisées, qui sont cancérigènes de classe 1, c’est-à-dire de façon certaine. On estime que l’alcool est à l’origine d’environ 200 maladies et qu’il provoque quelques 49000 morts par an en France.
- Les salaisons (par exemple, le saucisson) sont cancérigènes de classe 1, la viande rouge de classe 2A — la même que le glyphosate —, la viande grillée est connue pour contenir divers composés cancérigènes
- Le sel est connu pour faciliter des maladies comme l’hypertension. Une méta-étude a montré qu'il favorise les infections de la bactérie qui provoque le cancer de l’estomac. Le sel de table sera donc peut-être lui aussi classé cancérigène un jour !
- Si on se limite à la toxicité pour les animaux, le chocolat est toxique pour les chiens et les chats à cause de la théobromine. La caféine a des effets similaires sur nos amis à 4 pattes.
- Enfin on peut remarquer que des aliments anodins comme l’eau peuvent être mortels en cas d’excès. Pour l’eau on appelle cela la noyade.
Les exemples ci dessus peuvent parfois sembler incongrus ou déplacés. Cela dit, ils montrent qu’il suffit de forcer suffisamment la dose pour rendre quelque chose nocif. Même quand un aliment est absolument nécessaire à la vie comme dans le cas de l’eau ou du sel, on arrive toujours à trouver une dose nocive. Dans la réalité, on ne peut donc pas demander qu’il y ait zéro risque ou absolument zéro dommage : c’est impossible.
Pour les agences de sécurité, il s’agit donc plutôt d’établir une balance entre les risques et les bénéfices. Bien entendu, on voit alors qu’il faut prendre en compte les usages ainsi que les alternatives. Il faut donc se demander qui est concerné par les risques, dans quelles conditions et essayer de déterminer ce qui va se passer en cas d’interdiction ou de libéralisation.
De l’autre côté, demander le Dommage Zéro est pratique de par son utilisation polémique. En effet, cette demande ne peut s’appliquer qu’arbitrairement, puisque tout est potentiellement nocif. Demander et arriver à obtenir que le Dommage Zéro soit la norme est un outil qui permet de cadrer avantageusement le débat sur une interdiction d’un produit qu’on a choisi en amont.
Les scénarios apocalyptiques
Bien cadrer le débat ne suffit pas ; il faut que la conviction d’une grande dangerosité s’installe pour qu’un produit soit interdit, particulièrement s’il est déjà utilisé depuis longtemps, comme le glyphosate.
Le lien avec le cancer participe de cette stratégie, la maladie a une image aujourd’hui probablement pire que les maladies infectieuses. On peut aussi donner dans les associations rapides, par exemple, en analysant des mèches de cheveux. L'association est claire: le poison est omniprésent. Sauf que rien ne montre que, puisqu’on peut détecter une substance, elle soit en quantité dangereuse. Dans la même logique, on peut commander un reportage bienveillant. Ce reportage propage des idées infondées et se trompe largement, mais peu importe : rien que grâce à sa diffusion, la «cause» a avancé et des gens sont convaincus qu’on nous empoisonne !
Si on regarde posément l’ensemble des informations disponibles, la conclusion qui se dégage est que le glyphosate n’est probablement pas un danger pressant. Tout d’abord, le CIRC se prononce sur le degré de certitude de la relation entre une cause et des cancers, sans que ce soit nécessairement lié à une quantification de l’impact. Le degré de preuve nécessaire pour entrer en catégorie 2B est par ailleurs très faible comme en témoigne cet article sur la classification des ondes radio-fréquences dont est extraite l’image ci dessous. En français clair, il n’y a qu’un seul article scientifique qui pointait vers un lien, il est infirmé par les études a posteriori et on ne connaît aucun mécanisme biologique qui permettrait d’expliquer l’apparition de cancers, mais on a quand même classé en « cancérigène possible » malgré tout.
Même quand le lien est clairement établi, ça ne veut pas dire qu’on doit arrêter la commercialisation toutes affaires cessantes : le lien peut n’être établi qu’à partir d’une certaine dose, l’effet être faible et il peut aussi y avoir des effets bénéfiques plus généraux. C’est ce qu’on constate avec les salaisons dont on a déjà parlé plus haut : on continue d’en vendre en France et pour cause ! On estime que manger 50g de salaisons tous les jours augmente le risque de cancer du côlon de 18 % (OMS, point 13). Il faut dire que la publication du CIRC avait été accompagnée d’explications sur les sites internet (au moins anglo-saxons) et que, par ailleurs, manger des salaisons peut très bien s’intégrer dans une alimentation équilibrée et a donc des bénéfices.
Pour ce qui est du glyphosate, il faut d’abord se rappeler que les éventuelles conséquences pour le grand public n’ont jamais fait doute. L’OMS et la FAO l’ont rappelé : il n’y a aucun danger par voie alimentaire aux doses qu’on trouve sur les aliments. D’ailleurs, ce n’est pas une surprise: déjà au début des années 90, un papier signalait que 99.99 % des résidus de pesticides que nous ingérons sont fabriqués par les plantes elles-mêmes et que la moitié de ces substances avaient déjà montré un effet cancérogène chez les rongeurs, pour d’autres on avait montré qu’ils étaient mutagènes ou endommageaient l’ADN. Le problème du glyphosate n’a jamais concerné que les utilisateurs professionnels (c’est à dire essentiellement les agriculteurs).
Et pour utilisateurs professionnels, on constate que :
- il y a désaccord entre le CIRC et les agences de sûreté ce qui amène à penser que le caractère probant des éléments à charge n’est pas évident en partie à cause du point suivant
- les conséquences de santé publique, en termes absolus, seraient de toute façon faibles ; ce à quoi on pouvait s’attendre s’il faut 40 ans pour s’apercevoir que l’herbicide le plus utilisé au monde a un caractère dangereux pour les utilisateurs
La disqualification des contradicteurs
Comme le scénario apocalyptique rencontre des contradicteurs, on peut envisager de les disqualifier. C’est clairement transparent dans l’article de S. Foucart exposant la controverse : il est clairement fait allusion à de possibles conflits d’intérêts, façon contemporaine et permettant d’éviter les prétoires de dire que certaines personnes sont corrompues. De la même façon, le reportage de Cash Investigation montre l’industrie en plein lobbying, alors que les opposants aux pesticides se présentent comme ignorés du pouvoir. De fait, il s’agit de propager l’idée que ceux qui défendent les pesticides le font pour protéger leur bifteck, pour des raisons inavouables, ou parce que ce sont des idiots utiles.
De façon plus générale, on se doit de constater que le manque de relais dans la presse de l’EFSA contraint ses dirigeants à réagir, parfois dans des forums clairement hostiles, plutôt qu’à exposer ses conclusions directement. De fait, on voit beaucoup l’EFSA se faire taper dessus, nettement moins l’EFSA tenter d’expliquer dans la presse pourquoi et comment elle est arrivée à ses propres conclusions.
Dans le débat public, il me paraît clair que sur cette question du moins, l’organisme qui devait apporter l’avis scientifique et technique le plus complet a été totalement marginalisé, par manque de compétence médiatique et aussi suite au travail de sape sur plusieurs années des opposants.
Quelques conclusions
Comme les agences de sécurité et leurs employés ne sont pas du tout préparés à se défendre sur un terrain politique et qu’il n’y a en fait pas de force politique véritablement organisée pour soutenir leurs conclusions, le «débat» est à sens unique et un point de vue est avantagé dans les médias, sans forcément qu’il soit le plus proche de la vérité.
Au fond, tout ceci n’est guère étonnant : comme avec les OGMs, on se trouve ici face à un conflit entre un avis scientifique et un but politique avoué — la fin des pesticides (enfin, pas tous : la bouillie bordelaise n’est jamais visée par ces associations). Plus généralement, il s’agit en fait de s’opposer à l’agriculture industrielle, un des fondements de l’idéologie écologiste, alors que l’agriculture industrielle est ce qui permet de nourrir des milliards d’hommes. La tactique est bien rôdée : celle d’arriver à imposer petit à petit des revendications incroyables par un grignotage progressif. Avec l’interdiction du glyphosate, ils se rapprocheraient d’un de leurs buts affirmés : que l’agriculture soit entièrement « bio », quelque puissent en être les conséquences.
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