20 août 2013

À propos de l'éolien à 60€/MWh

Le rapport de la Cour des Comptes sur les énergies renouvelables contient un chiffre qui a vocation a être abondamment repris à propos des coûts de l'éolien en France. Le coût minimal mentionné par la Cour est de 60€/MWh. Évidemment, il s'agit d'un minimum, dans le calcul duquel les hypothèses prennent une grande part. On peut donc s'attendre à ce que ce chiffre soit abondamment repris, sans la mention des hypothèses.

La Cour écrit dans son rapport la chose suivante:

La Cour a pu examiner des calculs de rentabilité de parcs éoliens terrestres français réalisés par un exploitant dont les éoliennes bénéficient d'implantations géographiques favorables. L'ordre de grandeur des coûts de production calculés par le Cour se situe entre 60€/MWh avec un taux d'actualisation réel de 5% et 68€/MWh pour un taux d'actualisation réel de 7%.

Comme j'ai réalisé en début d'année quelques calculs pour me rendre compte des coûts d'investissements qu'impliquaient les tarifs de rachat des énergies renouvelables, cette donnée a attiré mon attention et m'a permis d'essayer de reproduire les conditions pour arriver à de tels coûts. Il faut rappeler avant toute chose que les calculs effectués par la Cour des Comptes sont des calculs de valeur actuelle nette. Les principaux paramètres qui ont un impact sur le calcul sont les suivants:

  1. Le coût d'exploitation: pour une éolienne, il s'agit de payer l'entretien de la machine, le comptable, les impôts et tout ce qui peut être nécessaire au fonctionnement d'une entreprise.
  2. Le montant investi dans la machine: on construit généralement un équipement de ce genre pour gagner de l'argent et bien sûr plus on paie cher la machine, plus il faut vendre cher pour rentrer dans ses frais
  3. Le taux d'actualisation qui représente la rémunération du capital investi. Une nouvelle fois, il ne s'agit pas d'une entreprise philanthropique, les investisseurs s'attendent à gagner de l'argent. Il en existe 2 types: les créanciers obligataires et les actionnaires. Les actionnaires ne se voient promettre par contrat aucune rémunération, ils prennent le plus de risques et exigent donc une rémunération supérieure aux créanciers obligataires (comprendre: les banques) qui se voient, eux, promettre un certain rendement à l'avance.
  4. La durée d'amortissement. Plus on amortit sur une longue durée, moins les coûts sont élevés. Toutefois à partir d'une certaine durée — qui dépend du taux d'actualisation — on ne gagne presque plus rien à allonger la durée d'amortissement. Cette durée est aussi liée à la durée de vie de la machine.
  5. La quantité de courant produite. Dans le cas qui nous occupe, la Cour précise que les éoliennes bénéficient d'implantations géographiques favorables, dont on peut retirer que la production de ces éoliennes est notablement supérieure à la moyenne française.

On voit qu'il faut faire quelques hypothèses pour pouvoir commencer à faire un calcul, car tout n'est pas dit dans le rapport de la Cour des Comptes. J'ai donc fait l'hypothèse que les coûts d'exploitation étaient de 15€/MWh, que la durée de vie était de 20 ans. J'ai aussi pris un facteur de charge — le ratio de la production réelle à la production maximale théorique si l'éolienne tournait toujours à fond — de 27%, supérieur aux 23% pris habituellement par RTE comme la moyenne française. Pour obtenir un coût de 60€/MWh pour une actualisation à 5% et 68€/MWh pour une actualisation à 7%, j'arrive à un coût d'installation de 1330€/kW, qui correspond grosso modo à ce qu'on peut attendre d'une éolienne. Si on prend ce même coût d'installation mais qu'on estime que le facteur de charge descend à 23% — la moyenne française, donc — et qu'on prend un taux d'actualisation de 8% — conforme à ce qui a été pris dans le rapport sur le nucléaire —, on trouve un coût de 82€/MWh, le tarif de rachat actuellement en vigueur. Inversement, si on applique un taux d'actualisation de 5% à l'EPR de Flamanville, on trouve que le coût du courant est d'environ 68€/MWh, en prenant en compte les coûts annoncés en décembre dernier par EDF. On peut retrouver ces calculs dans une feuille Google docs.

Qu'en conclure? Tout d'abord, bien sûr, que les hypothèses prises pour faire ces calculs sont d'une importance primordiale. Un taux d'actualisation bas va forcément diminuer drastiquement les coûts, d'autant plus que la durée de vie de l'équipement est longue. C'est pourquoi les coûts de l'EPR de Flamanville ont tendance à plus baisser que ceux des éoliennes … Comme rappelé plus haut, la production d'énergie n'est pas une entreprise philanthropique, ce qui signifie que les investisseurs doivent espérer une certaine rémunération avant de se lancer. EDF peut emprunter à un taux nominal de 4%/an, sans doute le taux minimal que peut espérer une entreprise du secteur. EDF a aussi à peu près autant de capitaux propres — qui reviennent aux actionnaires — que de dettes. Dans ce contexte, un rendement réel de 5% revient à une rémunération du capital de 10%/an, ce qui est considéré comme faible … Pour mémoire, la Cour des Comptes a calculé le coût du programme nucléaire sur la base d'un taux réel de près de 8% soit un rendement du capital de presque 16% pour EDF.

Par ailleurs, la quantité de courant produite joue aussi un rôle primordial. Pour calculer des coûts représentatifs, il vaut mieux se baser sur la production moyenne des installations. Ceux qui ont une implantation géographique favorable auront une production plus élevée, sans pour autant avoir des coûts augmentés d'autant, ils seront donc plus rentables. Même si on compte s'installer d'abord sur ces sites, l'installation d'un grand nombre d’éoliennes obligera à s'installer aussi sur des sites moins favorables.

Enfin, le rapport de la Cour signale que les promoteurs d'éoliennes rencontrent des difficultés à obtenir des permis de construire. Presque 40% sont retoqués à bon droit par l'administration, un tiers des permis délivrés sont ensuite contestés par des particuliers. Cela signale une grande difficulté pour les promoteurs à pouvoir véritablement s'installer sur ces fameux sites favorables. De plus, plus il y aura d'éoliennes, plus on peut craindre que le nombre de recours par des particuliers augmente. Ce genre de difficultés n'est pas forcément pris en compte dans les coûts chiffrés, il n'en est pas moins qu'il renchérit sans doute significativement les coûts réels. Pour preuve, depuis quelques années, le rythme d'installation des éoliennes a baissé, ce qui pointe soit vers des difficultés de financement, soit vers difficultés pour trouver des sites où on peut effectivement construire. A contrario, cela montre que le tarif de rachat de 82€/MWh pour les nouvelles installations n'est pas éloigné de la réalité des coûts comme le suggère une lecture hâtive du rapport de la Cour des Comptes.

19 août 2013

Inventaire de cadavres dans les placards

Jeudi 25 juillet, la Cour des Comptes a publié un rapport sur la politique de développement des énergies renouvelables qui complètent les rapports sur les biocarburants ou la CSPE. Le rapport sur les biocarburants dressait un état des lieux sans concessions de cette politique et invitait à revoir ce système d'aides. Sur la CSPE, pour faire face à la hausse prévisible des sommes prélevées, la Cour recommandait d'élargir l'assiette aux autres énergies que la seule électricité. Ce rapport-ci est plus semblable par son amplitude à celui sur les biocarburants, c'est naturellement que ces derniers sont exclus du périmètre et que les recommandations de la Cour sur la CSPE viennent s'y intégrer. Comme dans tout rapport de ce genre, la Cour fait un certain inventaire des cadavres qui trainent et fait un certain nombre de recommandations pour qu'ils soient dûment inhumés et qu'on ne les revoie plus.

Avant de s'aventurer plus avant, j'ai déjà évoqué à quelques reprises le douloureux problème des subventions aux énergies renouvelables électriques (un exemple) et ma position jusqu'à présent est que le coût des nouvelles installations — généralement élevé — n'est pas justifié par leurs bénéfices dans le contexte français — notamment en termes de baisses d'émissions de CO₂.

Les diverses avanies des différentes énergies renouvelables électriques

Commençons par ce qui pourrait sembler anecdotique: la géothermie dans la production d'électricité (p68). La Cour nous signale qu'un important retard a été pris, notamment dans les DOM-TOM. Il n'aura échappé à personne que nombre de territoires d'outre-mer sont des îles volcaniques, dont certaines comptent toujours un volcan en activité (Réunion, Martinique, Guadeloupe). Pour l'instant, les seules usines en service sont celles de Bouillante en Guadeloupe et celle de Soultz-les-Forêts en Alsace. Elles ne sont pas gérées par un industriel, ce sont des projets de recherche. La Cour note que les coûts ne lui ont pas été communiqués, ce qui n'augure rien de bon. On apprend aussi incidemment que le potentiel de la Réunion est grandement obéré par le classement du volcan au patrimoine mondial.

En ce qui concerne l'hydro-électricité, la Cour remarque simplement une certaine évaporation du potentiel nouvellement installable ces 10 dernières années. En 2006, le potentiel était évalué à presque 30TWh supplémentaires, un peu plus de 5% de la production actuelle d'électricité en France. En 2013, il est redescendu à environ 2TWh. La Cour signale aussi qu'en raison de nouvelles règlementations sur l'eau, la production est désormais attendue en baisse avec les ouvrages actuels (p82).

Sur l'éolien terrestre, la Cour s'en prend surtout à la réglementation. La complexité du droit français freinerait l'installation des éoliennes. Il est par exemple pratiquement impossible de construire un éolienne dans les zones côtières, protégées par la loi littoral. Mais on s'aperçoit surtout qu'elles rencontrent une opposition certaine. Elle provient dans un premier temps des administrations locales: 47% des permis de construire sont refusés par les préfets, dont la décision est invalidée dans un refus sur 5 (p61), ce qui fait qu'au total, il y a un refus définitif dans 2 cas sur 5. C'est aussi le fait de particuliers: 31% des permis de construire sont attaqués, pour un taux de succès faible d'environ 1 sur 5 (p62), mais cette action de contestation suffit à ralentir fortement les constructions … ce qui renchérit les installations.

Quant à l'éolien en mer, la Cour traite cette technique de pari industriel coûteux. Il faut dire que les appels d'offres avaient débouché sur un prix de 228€/MWh. La Cour dénonce d'ailleurs cette procédure d'appel d'offres: l'état a accordé un lot à un consortium se basant sur une turbine d'Areva alors qu'il était plus cher que le concurrent pour permettre l'installation d'une usine au Havre (p66). De plus, le prix maximum cible a été dépassé dans 3 des 4 lots accordés — ce qui fait que la note sur le critère prix a été de 0 dans ce cas (p52). On comprend aussi que la concurrence a été très réduite, car les entreprises n'ont pas eu le temps de réaliser les études nécessaires, sauf une: EDF (réponse de la CRE p221). En creux, on lit aussi une explication du prix: assurer une sécurité financière aux usines à construire et qui seront en fait destinées à alimenter le marché anglais — sans aucune assurance sur son existence réelle (p103). À lui tout seul, cet appel d'offres demandera des subventions annuelles estimées à 1.1G€ une fois les champs mis en service. La cour cite aussi un coût de l'électricité produite compris entre 105 et 164€/MWh avec un faible taux d'actualisation réel de 5%. Les coûts sont donc intrinsèquement élevés.

La biomasse retient aussi l'attention de la Cour. Elle constate encore que les appels d'offres ont été particulièrement peu sélectifs, puisque l'état a parfois retenu l'ensemble des offres (p66). Cela peut s'expliquer par un faible taux de réalisation réel, puisque la CRE l'a estimé à 30% pour les appels d'offres précédents (p52 et p224). La Cour note que les projets de biomasse projettent de recourir significativement aux importations: cela représenterait un quart du total, avec des pointes à 77%. Tout ceci trouve une excellente illustration dans un encadré p67 à propos du projet de centrale biomasse d'E.On France. Ce projet était classé bon dernier par la CRE, mais a quand même été sélectionné par le gouvernement; il importera environ la moitié de son combustible.

L'énergie solaire a droit pour sa part à une volée de bois vert. Tout y est réuni: appels d'offres très peu sélectifs qui trouvent un prix plancher dans l'existence de tarifs de rachat, mauvais suivi du marché des panneaux solaires, prix intrinsèquement élevé. À tel point que, cette année, il est prévue que le solaire photovoltaïque absorbe les 2/3 de la CSPE destinées aux énergies renouvelables électriques. Pour une production 3 fois inférieure à l'éolien, il absorbe presque 4 fois plus de subventions. De plus, la Cour note à la suite de la CRE l'existence d'une fraude massive: dans la réponse de la CRE (p228), on apprend qu'en 2010, 99.7% des installations ont été déclarées comme intégrées au bâti, leur donnant droit à une prime. Comme noté dans cette réponse, les résultats des premiers contrôles aléatoires (...) entraînent de fortes suspicions sur la conformité de ce chiffre avec la réalité. On signale aussi des sous-déclarations de puissance — utiles pour bénéficier là encore d'un meilleur prix — de déclarations à la découpe, etc. Par ailleurs, dans le domaine de la production de chaleur, le solaire thermique emporterait une subvention superlative de plus de 10k€/tep produite soit quelques 20 fois plus que le soutien accordé au bois dans le même contexte (p88).

Que faire?

Les recommandations de la Cour se basent sur les avanies rencontrées par les différentes énergies et les divers processus utilisés. Il est clair qu'il y a des problèmes de méthode qui amènent à renchérir les coûts pour le contribuable. C'est donc naturellement que la Cour recommande qu'il faille choisir entre appels d'offres et tarifs de rachat fixes (p84), que les avis de la CRE soient plus systématiquement suivis, de se limiter aux filières les moins chères, à savoir l'éolien pour l'électricité et la biomasse dans la production de chaleur. La Cour recommande aussi de procéder à plus de contrôles dans les filières comme le photovoltaïque et de mettre fin à la prime d'intégration au bâti. La Cour montre aussi un certain penchant pour un système de primes de marché (p111) et elle recommande aussi de faire porter la CSPE sur l'ensemble des énergies et pas la seule électricité.

Un trait marquant des technologies dont le système d'aide est donné pour défaillant par la Cour est que l'État a voulu faire de la politique industrielle. Si le projet d'E.On a été retenu, c'est sans doute parce que des considérations d'emplois étaient en jeu. E.On a pour projet de fermer la plupart des centrales au charbon construites en leur temps par Charbonnages de France, on se doute qu'un projet de transformation permet d'éviter d'éventuels problèmes sociaux. Le prix élevé de l'éolien en mer est expliqué par la volonté de se placer sur un éventuel marché européen et par la nécessité de construire des moyens de production surdimensionnés par rapport aux besoins français qui en découle. La prime d'intégration au bâti dans le solaire photovoltaïque a été édicté pour favoriser l'industrie locale, censée être positionnée sur des produits à plus forte valeur ajoutée, mais semble avoir été principalement exploitée pour des fraudes ou des hangars agricoles. La sensibilité de l'état à des considérations autres que le rapport coût/bénéfice semblent donc être à l'origine des dérapages les plus voyants; c'est d'ailleurs un problème fort classique des politiques publiques dans tous les domaines.

La Cour dénonce aussi cet état de fait en comparant les diverses technologies. Le système d'aide est d'abord basé sur les coûts de chaque technologie: un prix d'achat est déterminé pour chaque technologie, pas pour la contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou la production pure. Cette façon de faire pose problème lorsque des baisses de prix se produisent, ce qui est espéré, particulièrement pour les moyens de production les plus chers. Évidemment, le solaire photovoltaïque a vu ses coûts plonger depuis des niveaux stratosphériques et a surpris tous les gouvernements européens ou presque. Des bulles basées sur de hauts niveaux de subvention se sont formées entre 2008 et 2012, par exemple, en Espagne, en France, en Allemagne et en Italie. Le solaire photovoltaïque est responsable de l'explosion de la taxe «renouvelables» en Allemagne et pose de graves difficultés au gouvernement espagnol. La Cour remarque aussi que ce type de système est fondamentalement vicié, puisqu'il aboutit à soutenir une filière quelqu'en soit le coût (p115). Elle propose donc logiquement de soutenir d'abord les filières les moins chères, l'éolien pour l'électricité, le bois pour la chaleur. Dans le même cadre, elle propose aussi de passer sur un système de prime de marché (p111), de limiter sévèrement le recours aux appels d'offres qui n'ont pas franchement fait la preuve de leur efficacité dans ce domaine et de se baser sur une valeur dite tutélaire de la tonne de CO₂ évitée — c'est dire une valeur déterminée par décret — pour évaluer les bénéfices. C'est une position proche de celle que j'avais exprimée jadis. La Cour approuve aussi l'idée sous-jacente au système de soutien au solaire photovoltaïque rénové: il s'agit en gros de prévoir des baisses de prix à chaque fois que des seuils de capacité installée sont atteints, ce qui revient à prévoir à l'avance combien on veut dépenser sur une technologie.

Il n'aura pas échappé aux habitués de ce blog que j'approuve globalement les conclusions de la Cour en ce qui concerne les problèmes de la politique de soutien aux énergies renouvelables. Le problème majeur est que les prix payés sont déterminés par technologie et en fonction d'impératifs qui n'ont en fait rien à voir avec l'objectif officiellement proclamé, qu'il s'agisse de la proportion d'énergies renouvelables ou de la réduction des émissions de CO₂. Toutefois, il faut bien remarquer que ce type de politique qui ne tient pas compte des coûts est un classique dans le domaine des politiques publiques, mais que cet aspect est renforcé par l'ambition des objectifs à atteindre ainsi que par la difficulté de l'évaluation des bénéfices.

12 juin 2013

Les subventions à l'éolien et au solaire sont parties pour durer

C'est un leitmotiv de ce blog que de s'intéresser aux politiques menées en faveur de l'éolien et du solaire photovoltaïque. J'ai signalé à au moins deux reprises au fait que ces subventions faisaient baisser les prix sur les marchés. La cause immédiate est simplement que les obligations d'achat fournissent une partie de l'électricité, ce qui reste à produire par les autres moyens est plus faible, ce qui fait qu'on a moins besoin de faire appel aux moyens de production les plus chers.

Mais cette situation va en fait perdurer. L'éolien et le photovoltaïque ont pour caractéristique commune d'avoir un coût marginal nul: autrement dit, produire un kWh supplémentaire ne coûte rien de plus au propriétaire que les sommes qu'il a déjà engagées. Il a payé le constructeur de l'éolienne, il paye pour l'entretien de sa machine, qu'elle produise ou non. Sur le marché de l'électricité, le prix est déterminé par les lois de l'offre et la demande qui conduisent grossièrement à faire payer le coût marginal augmenté d'une prime qui dépend du pouvoir de marché des différents intervenants (plus d'explications ici). Cette prime due au pouvoir de marché n'est pas à disposition des producteurs d'énergie solaire ou éolienne, puisqu'ils sont très nombreux et que leur production est avant tout déterminée par les caprices de la météo. Cela les transforme en preneur de prix: ils acceptent tout prix positif, voire même un prix négatif s'ils ne peuvent se déconnecter du réseau.

En conséquence, on peut s'attendre à ce que l'éolien dont la production s'effectue grosso modo au hasard reçoive des revenus inférieurs au prix moyen du marché dit aussi prix de base — le prix obtenu en faisant la moyenne non pondérée de tous les prix horaires. Pour le solaire photovoltaïque, la situation est un peu différente: la consommation est supérieure le jour à ce qu'elle est à 4h du matin. Le prix est donc en général plus élevé le jour que la nuit. Mais si la capacité installée de solaire photovoltaïque est suffisamment grande — plus grande en tout cas que la différence de consommation entre le jour et la nuit —, on peut assister au même phénomène. Qualitativement, c'est lié au fait que le prix marginal est nul et aussi que la production est aléatoire … elle a donc une moindre valeur qu'une production prévisible à l'avance.

Reste toutefois à démontrer cela dans la réalité. C'est possible puisqu'on dispose pour la France et l'Allemagne d'un marché spot dont les prix peuvent être relevés par un script. En France, RTE permet de récupérer en milieu de mois, la production horaire du mois précédent via son programme éco₂mix, collaté tous les mois par Sauvons le Climat. En Allemagne, on ne dispose pas de données aussi détaillées qu'en France, mais on dispose des productions éoliennes et solaires, collatées sur le site de Paul-Frederik Bach. Les données pour 2012 ont été rassemblées dans ce tableur OpenOffice, celles pour le premier trimestre 2013 dans celui-ci.

Durant l'année 2012, en Allemagne, aux prix de marché, l'éolien aurait été rémunéré environ 37.5€/MWh en moyenne, le solaire photovoltaïque 44€/MWh contre un prix de base d'un peu moins de 43€/MWh. de_market_prices_2012.jpg

Pour le premier trimestre 2013, en Allemagne, le prix moyen du photovoltaïque tombe lui aussi en dessous du prix de base. Les prix du solaire est un peu inférieur à 40€/MWh contre un prix de base d'un peu plus de 42€/MWh. Pour la première fois, des prix négatifs ont été notés en journée, le dimanche 24 mars. L'éolien vaut 35€/MWh. de_market_prices_2013.jpg

En France, les données un plus complètes permettent de comparer nombre de sources de production d'électricité. En 2012, on ne dispose pas de données spécifiques pour le solaire qui est classé dans la catégorie «Autre» avec des installation de cogénération, des générateurs au gaz et au fioul situés dans les îles, etc. On constate quand même que l'éolien se verrait rémunéré aux prix de marché un peu moins de 45€/MWh contre un prix de base d'un peu plus de 47€/MWh. Le nucléaire emporte 48.5€/MWh. Le prix moyen pondéré par la consommation est de 50.5€/MWh. Le prix très élevé du fioul s'explique par la vague de froid de février 2012, où on a fait beaucoup appel à ce moyen de production. fr_market_prices_2012.jpg

Au premier trimestre 2013, on dispose de la production solaire. Les centrales à cogénération ont été intégrées pour la plupart dans la catégorie «Gaz», les générateurs au fioul installés sur les îles ont rejoint la catégorie idoine, la catégorie «Autre» ne contient plus que les centrales à biomasse, l'usine de la Rance, etc. Pour éliminer la production de fond crée par les générateurs des îles et les contrats de cogénération, j'ai créé une catégorie «gaz hors fond» et «fioul hors fond» pour tenter de rendre compte des centrales commerciales. L'éolien aurait été rémunéré 52.5€/MWh contre 54.5€/MWh pour la base. Le solaire emporte un peu plus de 57€/MWh. fr_market_prices_2013.jpg

À la fin de 2012, il y avait environ 31GW d'éolien en Allemagne et 7.5GW en France. Les différences d'impacts sont du même ordre de grandeur. Pour le solaire photovoltaïque, il y avait en fin d'année 2012 plus de 32GW installés en Allemagne contre 3.5GW en France. Les effets sont là sans commune mesure.

Cette pression à la baisse sur les prix pose problème pour le futur de ces moyens de production. En effet, les subventions ont été mises en place pour permettre aux renouvelables de devenir compétitives vis-à-vis des autres moyens de production et de pouvoir à terme se passer de ce soutien. Mais comme on le voit, arriver au niveau du prix moyen sur le marché ne suffira pas, il faut que l'éolien et le solaire photovoltaïque deviennent encore moins chères pour être véritablement rentables. Le différentiel de prix en défaveur de l'éolien et du solaire s'agrandit au fur et à mesure que les capacités installées augmentent, ce qui est très problématique si on veut que ces sources de production fournissent une partie importante de l'électricité produite. En 2012, l'éolien a fourni 7.4% de la production allemande et l'effet est déjà notable.

Il semble qu'on s'achemine vers un système où les productions d'électricité d'origine éolienne ou solaire reçoivent des rémunérations décidées à l'avance par les gouvernements et où les moyens de production adaptables à la demande reçoivent une rémunération pour leur véritable intérêt: celui de pouvoir être disponibles quand on a besoin d'eux, sans forcément avoir à produire. Cela revient quelque part à payer deux fois pour la même chose.

5 juin 2013

Delphine Batho raconte n'importe quoi

Alors que le débat organisé par le gouvernement sur l'énergie tire à sa fin et que la CRE publie un rapport qui suggère d'augmenter fortement les tarifs de l'électricité, Delphine Batho donne une interview au Figaro, intitulée Consommer moins d'énergie fabriquera de la croissance. On ne peut que regretter qu'elle y dise en grande partie n'importe quoi.

Elle nous déclare donc, dès la première question, que la nouveauté, c'est que l'investissement dans la réduction de la consommation d'énergie fabriquera de la croissance. Il y a deux façons de comprendre cette phrase, qui mène à deux impasses différentes. La première, c'est que les investissements dans les économies d'énergie permettent de diminuer la quantité d'énergie nécessaire pour créer un 1€ de PIB. En d'autres termes, il s'agit de gains de productivité, qui n'ont absolument rien de nouveau. En 1851, Jevons avait déjà constaté qu'en fait la consommation totale d'énergie augmentait de ce fait dans son livre The Coal Question. La deuxième, c'est que grâce à ces investissements, on aura à la fois croissance et baisse de la consommation d'énergie. Il y a de fortes raisons d'en douter: la croissance économique s'est historiquement toujours accompagnée d'une croissance de la consommation d'énergie (comme on peut le constater là). Il faudrait pour cela que les gains de productivité soient supérieurs à l'effet de rebond, ce qui suppose entre autres une nette accélération des gains de productivité ou que les nouvelles activités dépensent très peu d'énergie, ce qui est très peu probable, toute activité économique se basant sur une transformation de l'existant. Bref, soit D. Batho a découvert un des faits les plus anciennement connus en économie, soit elle tient des propos dont la réalisation est très peu probable.

La donnée du chiffre de 43% d'économie d'énergie dans l'appareil de production en France en est l'exemple parfait: une telle économie d'énergie est peut-être techniquement réalisable, mais elle peut être économiquement néfaste. Pour qu'elle soit bénéfique, il faut que l'investissement nécessaire coûte moins que les dépenses d'énergie évitées. Or c'est là toute la question des économies d'énergie: dans des secteurs concurrentiels, les entreprises ont intérêt à minimiser leurs coûts, ne serait-ce que pour survivre. C'est ainsi qu'on a vu les dépenses énergétiques pour produire une tonne d'aluminium ou d'acier se réduire. Mais si ces investissements ne se font pas, c'est bien souvent qu'ils ne sont pas rentables. Et ils le sont d'autant moins que l'énergie est bon marché, vanter ces possibilités d'économies est donc contradictoire avec le fait de se plaindre de la hausse structurelle du coût de l'énergie. Les mêmes remarques valent aussi pour les particuliers: les investissement pour réduire la consommation du chauffage ne sont rentable qu'à partir d'un certain niveau de prix, lorsque les remboursements d'emprunts sont moins lourds que les dépenses évitées. En fait cela signifie que le pouvoir d'achat est sans nul doute inférieur à celui qui prévalait avant la hausse des prix de l'énergie qui s'est produite depuis 2005.

La ministre nous gratifie ensuite d'un magnifique mensonge. Elle affirme qu'en Allemagne, le kilowattheure y est 87 % plus cher qu'en France, mais grâce aux économies d'énergie sous toutes leurs formes, la facture du consommateur est en moyenne moins élevée. On peut déjà tracer l'origine de ce mensonge: j'en ai déjà parlé au moment où un sénateur Vert a remis le rapport de sa commission d'enquête. Tout part d'une enquête statistique réalisée en 2005 — nous sommes en 2013 — dans tous les pays européens via un suivi de ménages. Cette enquête rapporte des résultats surprenants quant à l'énergie. Tellement que ces résultats ne collent absolument pas avec les résultats qu'on peut tirer des comptes nationaux, et que Global Chance, pas vraiment connue pour ses positions favorables à la politique énergétique française, reconnaît que la facture des Allemands est supérieure à celle des français. J'avais à l'époque tiré le graphe ci-dessous des données de comptes nationaux tels qu'on pouvait les extraire d'Eurostat: Dépenses énergies pour les logements en 2010 On y voit clairement que les dépenses par habitant sont plus faibles en France qu'en Allemagne, que ce soit globalement en incluant toutes les sources d'énergie, qu'en prenant en compte la seule électricité. Comme je ne peux imaginer que D. Batho n'ait pas été correctement briefée sur la question par son administration, il ne reste que l'hypothèse du mensonge.

L'interview se poursuit avec l'inévitable question de Fessenheim, où la ministre se propose de diminuer autoritairement le PIB de la France en fermant une usine rentable. Elle justifie la fermeture de Fessenheim par l'ouverture de la centrale de Flamanville. Mais la construction de l'EPR de Flamanville a été lancée pour faire face à l'augmentation de la demande en électricité. À cause de la crise, la croissance de la demande a été plus faible que prévu, car la chute de la consommation des industries a masqué la hausse continue de la consommation de la part des particuliers et des petites entreprises de services. Mais si la chute de l'industrie s'arrête, la hausse de la demande d'électricité reprendra. À tel point que RTE prévoit un manque de capacité pour les pointes extrêmes de consommation à partir de 2016. L'autre justification est la dépendance au nucléaire et au parc standardisé français. Le problème est alors qu'on ne voit pas bien la différence entre produire 50% et 75%: en cas de défaillance généralisée, la pénurie d'électricité serait extrêmement grave. La seule solution est alors descendre encore plus bas! Elle affirme enfin que nous n'avons pas vocation à faire moins de nucléaire pour faire plus de CO₂. Or il s'avère que les simulations sérieuses montrent qu'en fait une baisse du nucléaire se traduira forcément par une hausse des émissions de CO₂.

Sur la question du gaz de schiste, D. Batho traite le gaz d'énergie du XIXᵉ siècle, alors que l'expansion du gaz date de la deuxième moitié du 20ᵉ siècle, entre 1965 et 2011, la consommation a été multipliée par plus de 5; la consommation a augmenté de presque 50% ces 15 dernières années. gaz_conso_1965-2011.jpg À la question suivante, pourtant, cette énergie datée trouve grâce à ses yeux, puisqu'elle va empêcher les centrales au gaz de fermer! Elle annonce aussi un statut spécial pour les gros consommateurs industriels et des mesures de compétitivité pour eux. On pardonnera les faibles mortels qui ont du mal à comprendre comment les deux déclarations sont conciliables. L'interview se termine sur la reprise du leitmotiv comme quoi le diesel est un problème de santé publique: comme il fallait s'y attendre, la hausse des taxes à venir sera justifiée par des raisons de santé publique inexistantes et non par les véritables raisons, qu'il n'existe aucune raison à cet avantage et qu'une hausse des taxes est une excellente façon de faire baisser les consommations de carburants.

Pour conclure, ce n'est pas cette interview qui va me faire changer d'avis sur la politique du gouvernement en matière d'énergie ni sur Delphine Batho. Il faut dire que la ministre est confrontée à des demandes contradictoires, au milieu desquelles il est difficile de surnager. Vouloir limiter la hausse des prix de l'énergie, grandement déterminés sur des marchés mondiaux, est impossible, surtout quand en plus, on subventionne les énergies renouvelables comme le solaire et l'éolien, plus chère que le parc de production existant. De même, réduire la part du nucléaire s'accompagnera selon toute probabilité d'une hausse des émissions de CO₂ dans la production d'électricité. Elle se retrouve à condamner le gaz à une question avant de lui trouver de nombreuses vertus à la suivante. Tout ceci montre bien que le fameux débat n'a rien éclairci, comme prévu, et que la politique de ce gouvernement est minée par des cadeaux idiots aux Verts et des promesses intenables sur les prix de l'énergie. Les mensonges et les demi-vérités sont alors la seule issue de la communication politique.

16 avril 2013

L'électricité, l'avenir du chauffage (2e épisode)

Après avoir regardé la situation présente du chauffage électrique en France, qui n'a rien d'une horreur écologique, au contraire, je vais me tourner vers la question de l'avenir. En effet, si la situation présente est bonne, c'est largement dû aux politiques menées par le passé, parfois très lointain comme quand il s'est agi de construire des barrages. La question de savoir si ajouter encore du chauffage électrique est la chose à faire, notamment en ce qui concerne les émissions de CO₂.

Quid du futur?

Si pour l'eau chaude sanitaire, il reste sans doute de la place la nuit pour que le bilan carbone soit largement positif, pour le chauffage électrique la situation est différente puisque tout le potentiel nucléaire et hydraulique installés sont utilisés en hiver. On a pu aussi constater que la construction de centrales nucléaires n'est plus tout à fait une spécialité locale. Pour arriver à faire un bilan des émissions probables en cas de hausse de consommation via le chauffage électrique, il faut faire quelques hypothèses sur les moyens de production qui vont servir pour la couvrir.

Une autre étude de l'ADEME s'est essayée à cet exercice, pour conclure à un contenu marginal en CO₂ de 500 à 600g/kWh. Cependant, cette étude faisait l'hypothèse que l'électricité circule sans contrainte sur tout le réseau européen, hypothèse qui est grossièrement fausse. Si c'était vraiment le cas, EDF aurait tout intérêt à augmenter la disponibilité de son parc nucléaire de façon importante en été. EDF n'aurait aussi aucune raison d'arrêter ses centrales nucléaires pendant les vacances de Noël lorsque le vent souffle. C'est pourtant ce qu'on a constaté pas plus tard que pour les congés de fin 2012. Comme la construction de lignes THT prend énormément de temps et fait partie des projets d'infrastructures les plus impopulaires, il est en fait plus réaliste de faire l'hypothèse que toute consommation supplémentaire sera couverte par de nouveaux moyens construits en France.

Il semble que la situation sur d'éventuels moyens de production supplémentaires soit la suivante:

  • L'éolien et le photovoltaïque sont subventionnés et la puissance installée augmente de ce fait. Pour d'évidentes raisons, le photovoltaïque ne sert à rien pour le chauffage.
  • Pas de centrale nucléaire nouvelle à l'horizon. Le charbon et le fioul semblent, en France, se diriger vers la sortie suite à des directives européennes.
  • Le gaz est le moyen de production fossile de choix, appelé pour couvrir ce qu'on ne veut pas ou ne peut pas couvrir avec le reste.

Pour les besoins de cette estimation, je fais l'hypothèse que le surcroît de production serait couvert par entre un tiers et un quart d'éolien et le reste de gaz. L'éolien ne peut pas tout couvrir du fait de son intermittence. Cela conduit à des émissions pour tout kWh de chauffage supplémentaire comprises entre 240g et 270g: le gaz est compté comme émettant 360g/kWh. Pour être équivalent à un chauffage au gaz en termes d'émissions de CO₂, il faudrait alors que la consommation finale d'électricité pour le chauffage soit limitée entre 75 et 80% de celle d'un logement au gaz. Comme en France, il existe un rapport moyen de 2.58 entre l'énergie primaire et finale pour l'électricité, cela correspond à une limite en énergie primaire quasiment 2 fois plus élevée pour l'électricité.

C'était en gros la logique qui prévalait avant le changement de réglementation thermique de 2012. Par exemple, la réglementation de 2005 prévoyait les limites suivantes: rt2005.jpg Il s'avère que la RT2005 s'est révélée très favorable au chauffage électrique puisqu'entre 2006 et 2008 plus de 70% des logements construits étaient dotés d'un chauffage électrique (cf Bilan prévisionnel 2012 de RTE, p9). La situation s'est depuis inversée avec la RT2012 qui prévoit une limite uniforme en énergie primaire quelque soit le type d'énergie mais variable selon les zones géographiques. RT2012.jpg

L'expérience de la période 2006-2008 semble donc montrer qu'il est possible que l'électricité soit économiquement compétitive même si on veut qu'elle n'émette pas plus de CO₂ au m² que le gaz. Le coût modique des radiateurs permet de dépenser plus en isolation. Le problème principal est en fait d'éviter le charbon dans la production d'électricité, or il n'est plus question de construire de nouvelles centrales au charbon en France, mais bien de fermer les plus vieilles, construites dans les années 60 et 70.

Le miracle de la pompe à chaleur

Comme mentionné plus haut, la RT2012 a mis fin à la domination du chauffage électrique dans le neuf, pour le moment du moins. Avec le ratio primaire/final de 2.58 pour l'électricité, il suffirait à une centrale au gaz d'avoir un rendement d'environ 45% pour que le chauffage électrique par effet joule soit plus efficace en termes d'émissions de CO₂ qu'un chauffage utilisant une chaudière murale. Or, il s'avère que les centrales au gaz peuvent atteindre des rendements de 60%, le coefficient d'émissions de RTE suppose d'ailleurs un rendement de l'ordre de 55%. Le problème c'est qu'au bout d'un moment, il devient plus rentable d'installer une chaudière murale et le circuit d'eau chaude qui va avec que d'isoler encore plus, à supposer que ce soit encore possible.

Une autre question qui peut se poser est peut-on émettre moins de CO₂ en se chauffant uniquement à l'électricité, à isolation comparable à un chauffage au gaz, mais en brûlant uniquement du gaz pour produire d'électricité? Encore une fois, la réponse est oui, en utilisant une pompe à chaleur. On s'aperçoit bien qu'avec les conditions données dans la question, il est impossible d'y arriver en dissipant l'énergie électrique dans un radiateur par effet joule: le second principe de la thermodynamique et les réalités de construction imposent au rendement d'une centrale au gaz d'être bien inférieur à 100%. Mais ce même principe n'empêche pas la réalisation d'une machine thermique qui permettrait de prendre de la chaleur dans un milieu «froid» pour la mettre dans un milieu «chaud».

C'est l'idée de base de la pompe à chaleur, dont tout le monde ou presque possède un exemplaire sous la forme d'un réfrigérateur. Le principe est en général le suivant:

  1. on fait s'évaporer un liquide, le fluide calorifique, dans un milieu «froid», ce qui a pour effet de transférer de la chaleur de ce milieu froid vers le liquide puisqu'il faut fournir de l'énergie pour vaporiser un liquide.
  2. on compresse le gaz obtenu, ce qui le chauffe aussi. C'est le moment où on a besoin d'énergie mécanique, apportée en général par l'électricité. Ce compresseur permet aussi de faire circuler le fluide calorifique dans le système, sans quoi il ne se passerait rapidement plus rien.
  3. au contact du milieu «chaud», le gaz se condense. C'est possible car même si la température du milieu chaud qui entoure le gaz (le tuyau qui le contient en fait) est plus élevée que celle du milieu froid, la pression est maintenant plus élevée. Cette fois-ci, le gaz transfère de l'énergie au milieu environnant.
  4. le liquide va ensuite dans un détendeur, ce qui a pour effet de refroidir le liquide en même temps que sa pression chute. Le cycle peut recommencer.

La pompe à chaleur doit disposer de fluides calorifiques pour fonctionner de façon pratique, avec des changements d'états judicieusement placés en température et en pression. L'avantage principal de la pompe est qu'on peut extraire de l'énergie d'un milieu déjà froid — ce qui permet la réfrigération — pour la mettre dans un milieu déjà chaud — ce qui permet un effet de levier pour le chauffage. Cet effet de levier est appelé le coefficient de performance ou COP pour reprendre l'acronyme anglais.

Une chaudière murale à condensation a un rendement d'environ 110% PCI — GDF n'oublie pas ce fait et facture en conséquence des kWh PCS qui incluent en sus la chaleur de condensation de l'eau créée par la combustion du gaz! —, ce qui veut dire qu'un système centrale gaz plus pompe à chaleur devient plus performant en termes d'émissions de CO₂ qu'une chaudière si le COP est supérieur à 2 en moyenne sur l'année.

L'office fédéral de l'énergie suisse a publié une note de questions-réponses en collaboration avec le lobby des pompes à chaleur local. En Suisse, les pompes à chaleur sont devenues populaires ces dernières années, si on en croit les statistiques sur le sujet: la part de marché atteint presque 10%. Il ressort notamment du document de l'OFEN le tableau suivant (p7): copa_suisse.jpg On voit que le COP de 2 est dépassé de façon large pour les nouvelles constructions dans tous les cas et de façon un peu moins nette pour les rénovations. On note aussi que des COP de 4 sont dans l'ordre des choses avec des pompes à chaleur basés sur un système géothermique, où on récupère la chaleur du sol via une circulation d'eau. Le système centrale à gaz et pompe à chaleur est alors 2 fois meilleur en termes d'émissions de CO₂ — et donc de consommation de gaz — que la chaudière murale.

Des esprits chagrins me rappelleraient sans nul doute qu'on peut aussi faire tourner une pompe à chaleur avec du gaz. Mais on s'aperçoit vite que plus on produit d'énergie dite mécanique, plus le système est efficace car c'est là que la pompe à chaleur fournit le plus d'énergie. Or, les moteurs classiques on un rendement de l'ordre de 30%, la moitié du rendement d'une bonne centrale au gaz. Lorsque le COP atteint 4, une production d'électricité seule suffit alors à garder l'avantage — sachant qu'on peut aussi faire de la cogénération.

Évidemment, le gaz n'est pas le seul moyen de produire de l'électricité. Si on y ajoute de l'éolien — à la mode en ce moment —, du nucléaire — nettement moins à la mode — et de l'hydraulique, mais qu'on exclut le charbon, le tableau devient totalement en faveur de l'électricité. Les petits calculs ci-dessus s'appliquent d'ailleurs très bien au biogaz qui est avant tout … du méthane, comme le gaz naturel. Bref, les pompes à chaleur sont sans conteste le meilleur moyen de limiter les émissions de CO₂. Ce n'est pas pour rien que dans un scénario allemand 100% renouvelable, pour compléter des éoliennes au facteur de charge surgonflé, le chauffage des habitations ne s'effectue uniquement à l'aide de pompes à chaleur et que rien ne provient de chaudières murales (p23).

Le problème de genre de système réside dans les coûts d'investissement et de fonctionnement. Contrairement à une chaudière murale reliée au réseau de gaz, les coûts d'investissements dans une pompe à chaleur et le réseau électrique sont nettement plus élevés. Et il faut en plus payer les salariés qui s'occupent de faire fonctionner la centrale. Pour répondre à une demande très saisonnière, une installation qui ne demande que peu d'entretien et fonctionne «toute seule» présente des avantages économiques certains.

Conclusion

Il semble donc bien que, contrairement à ce qu'assènent souvent les écologistes, le chauffage à l'électricité soit celui qui préserve le plus notre environnement. En France, la politique passée a fait qu'il existe un parc nucléaire important, doublé d'un parc hydro-électrique. Cela a rendu le chauffage électrique à simples radiateurs efficace sur le plan des émissions de CO₂ grâce à une combinaison avec une isolation renforcée. Les dernières réglementations thermiques interdisent de fait cet arbitrage en plaçant la barre trop haut: il devient financièrement plus intéressant d'utiliser une chaudière à gaz. Cela montre l'inanité d'une réglementation qui se base uniquement sur l'énergie primaire: en voulant minimiser les consommation d'énergie primaire, on n'atteint pas forcément le minimum d'émissions de CO₂. C'est logique: si on veut minimiser les émissions de CO₂, il faut libeller les normes en termes d'émissions de gaz à effet de serre.

C'est d'autant plus dommage que les pompes à chaleur — qui fonctionnent principalement à l'électricité — sont de fait le mode de chauffage qui est le plus prometteur. Cependant, il est à craindre que des réglementations se basant uniquement sur les consommations d'énergie primaire ne permettent pas leur développement. Des calculs d'ordre de grandeur se basant sur les technologies actuelles montrent pourtant qu'en combinant les pompes à chaleur avec les modes de génération de l'électricité qu'on peut raisonnablement envisager de construire en France, le nucléaire, le gaz et l'éolien, on obtient ce qui est sans doute une façon de se chauffer qu'on peut à la fois déployer à grande échelle et compter parmi les plus bénignes pour le climat. On ne peut que se demander pourquoi la réglementation n'encourage pas plus ce qui est d'ores et déjà la 4e source d'énergie renouvelable en France.

15 avril 2013

L'électricité, l'avenir du chauffage (1er épisode)

Chacun a sans doute déjà entendu dire que le chauffage électrique était un scandale et qu'il a été un succès en France grâce à une alliance inattendue entre technocrates partisans du nucléaire et pubards de génie. Une réponse à leurs arguments a déjà été formulée, mais elle est basée sur de vieilles données.

Les opposants au chauffage électrique avancent principalement 3 arguments contre le chauffage électrique: qu'il est inefficace sur le plan énergétique, qu'il émet plus de CO₂ que les autres formes de chauffage et enfin qu'il met en danger la sécurité d'approvisionnement en électricité en créant des pics de consommation très importants. Si ce dernier argument est vrai, le deuxième est faux et le premier n'a en fait pas vraiment d'importance.

Le faux-semblant du gaspillage dû à l'électricité

Pour arriver à dire que le chauffage électrique gaspille de l'énergie, les opposants prennent en compte le processus de fabrication de l'électricité. En effet, avant de nous vendre des produits énergétiques finis qui servent aux particuliers, les industriels partent de matières brutes et perdent une partie du contenu énergétique utilisable dans cette transformation. La plupart des centrales électriques sont des machines thermiques, ce qui fait que leur rendement est sévèrement limité par le second principe de la thermodynamique. Ce rendement change aussi suivant les technologies utilisées et l'âge de la centrale. C'est ainsi que les centrales nucléaires françaises ont un rendement d'un tiers, alors que les centrales à gaz dernier cri peuvent atteindre les 60%.

Pour compter l'énergie techniquement récupérable au départ dans la matière première, on parle d'énergie primaire; pour compter l'énergie effectivement livrée aux clients finals, on parle d'énergie finale. L'énergie finale ne dit pas forcément quelle est la forme la plus utile d'énergie, elle signale juste qu'on est arrivé en bout de chaîne commerciale et que quelqu'un a donc payé pour cette énergie. L'énergie primaire, elle, ne convoie pas du tout le même concept, elle sert surtout à savoir qu'elles sont les matières premières utilisées. Les contempteurs du chauffage électrique comptent bien sûr en énergie primaire quand ils affirment qu'il est inefficace.

Or, la comptabilité en énergie primaire ne dit rien de la difficulté à mettre cette énergie à notre service, ni des autres inconvénients qui s'y rattachent, qui sont les vraies questions qui se posent à une société humaine. En effet, l'énergie est abondante dans l'univers et sur terre — on entend d'ailleurs souvent les contempteurs du chauffage électrique déclarer qu'il faudrait couvrir de panneaux solaires une petite partie de la surface terrestre pour assouvir l'ensemble des besoins de l'humanité —, le problème est de pouvoir en disposer quand et où nous en avons besoin. Cette difficulté à en disposer est généralement traduite dans le prix de vente de l'énergie finale, qui regroupe les salaires et les rentes qu'il a fallu verser pour se la procurer. Parfois, quand il existe une taxe sur la pollution, le prix rend compte de certains inconvénients. Dans le cas de l'électricité, on peut constater que son prix est environ 2 fois plus élevé que celui du gaz, par exemple. Et que c'était pire dans le passé. prix_energies.jpg

Si le chauffage électrique a rencontré un certain succès ces 30 dernières années, c'est donc qu'il permettait de consommer … moins. Le prix supérieur de l'électricité est partiellement compensé par une consommation facturée moindre, état de fait acté par les différentes normes de constructions de bâtiments qui se sont succédées depuis le choc pétrolier et qui obligent les logements chauffés à l'électricité nouvellement construits à consommer moins d'énergie finale que leurs homologues utilisant des combustibles fossiles. De plus, le chauffage par simples radiateurs coûtait peu en investissements de départ, compensé par une isolation renforcée.

Et le CO₂?

Un autre reproche des contempteurs du chauffage électrique est qu'il rejette plus de CO₂ que les autres formes de chauffage. La logique est la suivante: certes, le nucléaire est une production décarbonée, mais il produit tout le temps, ce n'est donc pas lui qui fournit l'électricité du chauffage, nécessaire uniquement en hiver, mais les centrales à combustible fossile. Comme le rendement n'est pas de 100%, le chauffage électrique ne peut qu'émettre plus de CO₂ qu'un chauffage au gaz, par exemple. En prime, alors que le charbon n'est plus utilisé pour chauffer des habitations, des centrales au charbon sont toujours en service en France. Or, les centrales au charbon émettent quasiment 1kg par kWh d'électricité produite contre environ 200g par kWh de gaz facturé.

Cependant, comme le montrent les graphes suivants extraits du bilan de RTE de décembre 2012, les centrales à combustibles fossiles ne sont pas les seules à voir leur production augmenter en hiver. prod_mensuelles_par_secteur.jpg Comme on peut le constater les centrales à combustible fossile produisent très peu lors de la belle saison, leur production augmente d'environ 4 à 5TWh lors des mois d'hiver normaux par rapport à cet étiage bas et les mois d'une rigueur exceptionnelle, comme le mois de février 2012, voient une production augmentée de 7TWh. Mais dans le même temps, la production nucléaire augmente de 10TWh entre l'hiver et l'été et la production hydraulique voit aussi sa production augmenter d'environ 1 à 2 TWh. On constate donc que l'augmentation de la production des moyens décarbonés est donc 2 fois supérieure à celles des centrales à combustible fossile. Comme il peut rester un doute à cause de la forte variabilité des émissions de CO₂ suivant les moyens appelés, il est intéressant de faire un calcul plus détaillé.

Il se trouve qu'en 2005, une étude de l'ADEME a estimé le contenu carbone de chaque kWh électrique suivant l'usage qui en était fait. Elle donne la valeur moyenne de 180g/kWh pour le chauffage électrique. Les émissions de CO₂ associées au kWh moyen étant stables depuis une dizaine d'année autour de 60g/kWh, l'expansion du chauffage électrique ne paraît pas non plus avoir d'effet néfaste et son contenu carbone est sans doute lui aussi resté stable depuis 2005. Les documents qui servent à calculer le bilan carbone estiment les émissions du gaz à environ 200g/kWh et celles du fioul à 300g/kWh. On voit donc qu'en France, utiliser un kWh d'électricité ou de gaz provoquent l'émission d'à peu près la même quantité de CO₂. Mais comme on l'a rappelé plus tôt, les logements chauffés à l'électricité sont plus économes.

On peut même quantifier cela. Pour commencer, l'électricité chauffe un gros tiers des logements actuellement contre un peu moins de la moitié pour le gaz et 15% pour le fioul, ses principaux concurrents. En passant, le graphique suivant (tiré de ce document, p28) montre, en sus de l'essor du chauffage central, que les 40 dernières années n'ont pas seulement été un âge d'or pour le chauffage électrique mais aussi pour le chauffage au gaz. Ce dernier partage certaines caractéristiques communes avec le chauffage électrique: pas de mauvaises odeurs et pollution fortement diminuée, distribution sans effort par un réseau d'adduction. repartition_mode_chauffage.jpg Par ailleurs, un tableau pioché dans cet autre document de l'ADEME (p45) permet de connaître la répartition de l'énergie consommée pour se chauffer, en dehors du bois. On voit que le chauffage électrique consomme seulement 18% de l'énergie consacrée au chauffage alors qu'il représente 35% des logements. chauffage_energie.jpg Du côté des émissions de CO₂, la performance du fioul est très médiocre, alors que la performance des réseaux de chauffage urbain est à remarquer. Il faut dire qu'ils sont souvent alimentés par l'incinération des ordures, du bois ou encore la géothermie. On voit aussi que le chauffage électrique n'est certainement pas une horreur de ce point de vue. emission_CO2_chauffage.jpg

Mais ce n'est pas tout. Le chauffage des locaux n'est pas le seul usage où on a besoin de produire de la chaleur. À part la cuisine qui représente une faible partie de la consommation énergétique des ménages, il y a la production d'eau chaude. Elle aussi a beaucoup augmenté depuis les années 70s; il paraît aujourd'hui incongru de ne pas pouvoir prendre une douche tous les jours chez soi. Dans ce domaine, l'électricité a acquis une position encore plus forte que pour le chauffage, comme on peut le voir ci-dessous (source Bilan Carbone, Tome Énergie §2.6.2.4, p53): ECS_PdM.jpg Une nouvelle fois, en termes de consommation d'énergie finale, il semble que le chauffage à l’électricité soit plus économe. ECS_EFinale.jpg Et la note de l'ADEME attribue une émission de CO₂ de 40g/kWh à la production d'eau chaude sanitaire par l'électricité: il faut dire que cette consommation a lieu le plus souvent en heures creuses tout au long de l'année, là où le nucléaire est archi-dominant dans la production d'électricité française. En conséquence, les émissions de CO₂ sont très basses. On peut aussi noter l'excellente performance des réseaux de chaleur. ECS_CO2.jpg

Enfin, on peut voir la répartition des émissions de CO₂ pour ces usages thermiques. On constate que l'électricité et les réseaux de chaleur ne compte que pour 15%, les combustibles fossiles utilisés directement pour 85%. C'est dû à la fois au prix de l'électricité qui force à l'économiser plus que le gaz, au rendement de 100% du chauffage électrique — une fois passé le compteur, il n'y a pas de pertes pour un usage en chaleur — alors que le chauffage au gaz est toujours handicapé par la présence de chaudières peu efficaces (veilleuses…) dans une bonne partie du parc de logements. Emissions_thermiques_logements.jpg

Conclusion

On peut constater que le chauffage électrique n'a rien eu d'hérétique jusqu'ici en France. L'argumentation se basant sur un prétendu gaspillage dû au passage par l'électricité passent allègrement sur le fait qu'une chute d'eau ou une bise bien fraîche n'ont jamais réchauffé personne et que tout le monde n'a pas la chance d'avoir un réacteur nucléaire à la maison.

Les performances en termes d'émissions de gaz à effet de serre sont tout à fait honorables par rapport à ce qui se faisait à la même époque dans les logements chauffés autrement. Bien sûr, à la suite du durcissement des normes de construction, les logements chauffés au gaz nouvellement construits sont meilleurs de ce point de vue que les logements chauffés à l'électricité construits dans les années 70. Dans le deuxième épisode, je regarderai quelles sont les perspectives.

11 avril 2013

SAV Bonux Malux

J'avais donné mon avis — franchement négatif — sur la proposition d'instaurer une tarification dite progressive de l'énergie en septembre dernier. Les raisons de mon avis négatif pouvaient être résumées ainsi:

  1. une très grande complexité rendant le système ingérable et ne résolvant certainement pas tous les cas d'injustice qu'on pouvait imaginer
  2. une intrusion inutile et inefficace dans la vie privée des gens
  3. la création d'une inégalité de traitement entre les énergies distribuées par un réseau et les autres sans qu'elle soit justifiée
  4. le manque de légitimité à lutter contre la consommation d'énergie comme telle sans considérer les inconvénients réels de chaque type d'énergie

Après diverses avanies, le texte de loi a été adopté. Les parties sur le bonus-malus avaient été réécrites mais sans modifier l'idée générale ni régler tous les problèmes que je signalai à l'époque. Les parlementaires de droite avait alors décidé de déférer la loi au Conseil Constitutionnel. Aujourd'hui, il a rendu sa décision accompagnée des habituels commentaires. Le Conseil a censuré les articles qui créaient le système du bonus-malus dans le secteur de l'énergie.

La raison apparente est que le bonus-malus ne respectait l'obligation qui est faite à la loi de traiter les situations similaires de la même façon. En l'occurrence, le Conseil soulève deux problèmes. Le premier est que dans les immeubles chauffés par un réseau de chaleur, tous les logements n'ont pas de compteur, les dépenses sont réglées en commun dans les charges locatives. Comme le législateur entendait taxer chacun pour des consommations jugées excessives, on voyait tout de suite qu'il y avait un problème puisque sans compteur, il y aurait eu un risque de punition collective.

Pour en venir à la deuxième raison, il est intéressant de lire les commentaires qui accompagnent la décision. En effet, à l'origine, il s'agissait (p11) de favoriser les économies d'énergie, de lutter contre la pollution et notamment l'effet de serre et faire porter la hausse prévisible des prix de l'énergie par ceux qui consomment le plus. Malheureusement, dans ce cas, le cas du bonus-malus était réglé pour le Conseil: l'exemption des énergies hors réseau allait directement à l'encontre des objectifs proclamés, malgré les protestations de bonne foi du rédacteur de la loi. On peut simplement remarquer qu'exonérer le fioul, combustible qui émet plus de CO₂ que toutes les énergies livrées par un réseau — réseau de chaleur, électricité, gaz — relevait effectivement de la pure fumisterie.

La possibilité de ce possible malheur se faisant de plus en plus précise à mesure que le temps avançait, le gouvernement les parlementaires socialistes ont réécrit les dispositions du bonus-malus et ont à cette occasion changé les motifs de l'instauration du bonus-malus. La raison officielle devint donc les coûts élevés d’investissement nécessaires au développement de la distribution de ces énergies et, pour l’électricité, du coût supplémentaire des nouvelles capacités de production. D'emblée, on peut remarquer que ça a moins de gueule et qu'on sent moins l'urgence pressante d'instaurer une telle usine à gaz. Des esprits forts soutiendraient sans doute qu'il s'agissait là d'un pieux mensonge, chose à laquelle, bien sûr, un gouvernement ou groupe parlementaire portés sur la moralisation de la vie publique ne s'abaisseront jamais. Mais même ainsi le bonus-malus ne trouve pas grâce aux yeux du Conseil. Cette fois-ci, le Conseil remarque que le réseau bénéficie à d'autres que les particuliers, comme par exemple les commerces — qui tiennent d'ailleurs boutique dans des bâtiments souvent destinés à l'habitation dans les étages supérieurs (p12).

Une nouvelle fois, on ne peut qu'être frappé par l'amateurisme de l'actuelle majorité et du gouvernement sur les sujets énergétiques. On avait remarqué à l'époque où le bonus-malus avait été proposé au vote la première fois qu'une grande part des objectifs de départ pouvaient être atteints plus simplement et plus sûrement par l'imposition d'une taxe d'accise comme la TIPP TICPE, éventuellement accompagnée par la distribution de chèques d'une valeur équivalente à la somme nouvellement levée. Une solution proposée sous le nom de «chèque vert» par des gaspilleurs bien connus comme la fondation Nicolas Hulot. Il est vrai que cette solution avait été évoquée — et par là souillée — par le gouvernement précédent qui a le grand tort de ne pas être de la même couleur politique que l'actuel. On a alors eu droit au montage d'une invraisemblable usine à gaz, dont on voyait dès le départ qu'elle n'atteindrait aucun de ses objectifs officiels, puis un gros mensonge — le changement des motifs — pour tenter de sauver cet ouvrage majeur, mais surtout pas évidemment une quelconque prise en compte réelle des critiques. Finalement, le gouvernement et le parlementaire qui a porté ce projet ne récoltent là que ce qu'il méritent: à force d'ignorer les conseil que la raison donne, ils ont préféré s'obstiner dans une voie sans issue.

28 janvier 2013

Un peu de comptabilité: les tarifs de rachat des énergies renouvelables

Après avoir regardé les coûts de l'EPR de Flamanville, il est intéressant de regarder des tarifs de rachat consentis aux énergies renouvelables, au premier rang desquelles l'éolien et le solaire photovoltaïque. Même si j'ai déjà émis l'opinion que fixer les tarifs en fonction des coûts des différentes technologies plutôt qu'en fonction du bénéfice pour la société était une mauvaise politique, il est intéressant de voir quelle rentabilité du capital est accordée aux exploitants. Elle n'a pas forcément à atteindre de hauts niveaux pour que ces subventions aient un effet: l'état garantit par ces tarifs garantis des rentrées d'argent. Les exploitants n'ont plus qu'à porter le risque météorologique et les risques d'exploitation et de construction, mais se voient exonérés du risque commercial.

L'éolien terrestre

L'éolien terrestre bénéficie de tarifs de rachat pendant 15 ans, grosso modo réévalués chaque année selon l'inflation. Le tarif est de 82€/MWh les 10 premières années, puis il y a nominalement un tarif dégressif en fonction de la quantité produite pour les 5 années suivantes. Mais comme il faut atteindre un facteur de charge de 27% pour que la dégressivité démarre, la plupart des éoliennes se voient donc rémunérées 82€/MWh pendant 15 ans, puis doivent vendre leur production sur le marché, où le prix est actuellement d'environ 50€/MWh.

On peut calculer la valeur actuelle d'un kW d'éolien moyennant quelques hypothèses: durée de vie de l'éolienne de 20 ans, facteur de charge de 23%, coût d'exploitation de 20€/MWh. On obtient le graphe suivant: VA_eolien.jpg Dans un rapport sur l'éolien et le solaire, il est dit (p49) que le coût moyen d'une éolienne est de 1600€/kW. Sur le graphe, on peut donc lire la rentabilité attendue pour un tel prix: c'est l'abscisse où la courbe croise l'ordonnée 1600. On constate donc que la rentabilité est limitée dans ces conditions. Même si on peut estimer qu'une éolienne va durer en fait 25 ou 30 ans, cela ne représente pas un surcroît de rentabilité spectaculaire. Ce n'est donc pas une surprise si les capacités installées diminuent d'année en année, comme on peut le voir ci-dessous (extrait du bilan 2012 de RTE). Si les tarifs ont été fixés à une hauteur permettant, au départ, d'obtenir sans doute une bonne rentabilité, on peut subodorer qu'il y a eu une certaine inflation des coûts de l'éolien ces dernières années. install_eolien.jpg

Le solaire photovoltaïque

La situation sur le solaire photovoltaïque est plus complexe car il est possible d'avoir des installations de petites tailles. Là où une éolienne a puissance nominale de 2MW et plus, les particuliers peuvent installer des panneaux délivrant quelques kW voire quelques dizaines de kW, un module photovoltaïque délivrant environ 100W/m² avec des tarifs différents suivant que le panneau est installé au-dessus du toit ou sert de toit. Comme on peut le constater, l'intégration au bâti — où le module sert de toit — permet d'obtenir au moins 120€/MWh de plus, ce qui est intéressant car le contrôle est difficile. La CRE a noté dans sa dernière délibération sur la CSPE (annexe 2, p9-10) que 98,5% des contrats présentés bénéficient d’une prime d’intégration au bâti et en déduit que compte-tenu des exigences de l’intégration au bâti, il ne peut être exclu qu’une partie de ces contrats présente un caractère frauduleux. En français commun, elle a constaté que le régime de soutien au photovoltaïque a donné lieu à une fraude massive.

À partir de 100kW, pour éviter le rush qui s'est produit quand il est devenu financièrement intéressant d'installer ces panneaux grâce à une chute des prix plus rapide que la baisse du tarif de rachat, le gouvernement procède par appel d'offres. Le dernier appel d'offres accepté a mené à un prix moyen de 208€/MWh, pour des dossiers déposés fin janvier 2012.

Le rapport sur l'éolien et le solaire dit (p59) que le coût d'un système photovoltaïque est de 1300€/kW. En comptant 5€/MWh de coût d'exploitation, 11% de facteur de charge, une durée de vie de 30 ans avec un tarif sur 20 ans, on obtient le graphe suivant: VA_solaire.jpg On voit que 200€/MWh permet une rentabilité tout à fait conséquente: c'est la conséquence de la procédure d'appels d'offres où les dossiers ont été déposés au début 2012 et un lancement de l'appel à l'été 2011. Les prix des modules baisse rapidement, il y a donc un hiatus entre le prix accordé et le prix qu'on pourrait obtenir avec les prix du jour. Mais cela ne suffit pas à expliquer toute la différence. L'état accepte quasiment tous les dossiers complets dans les appels d'offres sur le solaire photovoltaïque, il n'y a donc en fait aucune concurrence et cela n'incite pas à baisser les prix. L'impression qui se dégage est que la rentabilité est très élevée!

Pourtant, on constate que les installations de panneaux ont baissé (cf graphe du bilan 2012 de RTE ci-dessous). Cela peut s'expliquer par la baisse de la rentabilité qui était outrancière avant le moratoire de 2010 et par le fait que le coût des petites installations chez les particuliers est plus élevé que pour celles qui font l'objet d'appels d'offres. install_pv.jpg Cependant malgré cette baisse des prix, il n'est pas sûr que le solaire photovoltaïque devienne vraiment compétitif et permette de produire une partie importante de l'électricité à un coût acceptable — mettons autour de 40€/MWh — car le coût du panneau est déjà minoritaire dans le coût d'une installation. Le coût du travail et de composants plus classiques (acier...) tend à devenir majoritaire, ce qui va rendre de plus en plus compliqué d'obtenir des baisses de prix. Mais on atteindra sans doute les 70€/MWh, où le surcoût dû aux subvention deviendrait relativement faible; le problème viendrait plutôt qu'on ait installé la quantité immédiatement utile avec des tarifs nettement plus élevés.

L'éolien en mer

On se rappelle qu'en avril dernier, l'état avait annoncé les résultats de l'appel d'offres concernant l'éolien en mer. 4 des 5 lots avaient été attribués, pour 1928MW au total et un investissement annoncé de 7G€. Le lot restant n'a pas été attribué pour cause de coûts trop élevés, ce qui n'était pas très bon signe quant aux coûts des autres. On l'a déjà abordé ici, mais les coûts se sont bien avérés extraordinairement élevés à 228€/MWh en moyenne. L'avis de la CRE donnait aussi la production attendue: 6.8TWh/an.

Avant même d'aborder la question de la rentabilité du projet pour les industriels, on peut déjà remarquer qu'on va investir une somme inférieure de 20% à l'EPR de Flamanville, unanimement reconnu comme un échec d'ampleur galactique, pour une production annuelle presque 2 fois inférieure! Certains journaux se sont scandalisés à juste titre des surcoûts de l'EPR de Flamanville, je n'ai, par contre, pas vu un seul titre s'interroger sur le bienfondé de cet investissement dans l'éolien en mer. Si on fait l'hypothèse que le coût d'exploitation est de 25€/MWh — la même hypothèse que j'ai prise pour l'EPR de Flamanville —, que les débours dûs à la construction s'étalent sur 4 ans, que la durée de vie des éoliennes est de 20 ans et en prenant les taux d'actualisation de la Cour des Comptes, je trouve que le coût du courant issu de ces champs est de ... 138€/MWh. On peut essayer de voir quel taux d'actualisation ferait sens avec ces hypothèses et le prix annoncé (cf graphe ci dessous), on s'approche dangereusement de 20%! VA_eolien_mer.jpg On peut avancer les explications suivantes:

  • j'ai fait une erreur dans mes calculs
  • le coût réel de l'investissement est bien supérieur à 7G€, auquel cas on est de nouveau confronté au cas de l'EPR de Flamanville, en bien pire cette fois!
  • le coût réel d'exploitation est bien supérieur à 25€/MWh, ce serait quand même un comble pour une source d'énergie qui est annoncée comme devant remplacer les grandes centrales classiques, d'avoir un coût d'exploitation supérieur à une centrale nucléaire.
  • la production sera bien inférieure à 6.8TWh — qui suppose un facteur de charge de 40% pratiquement 2 fois plus élevé que l'éolien terrestre.
  • les industriels vont effectivement s'en mettre plein les poches, ce qui est étonnant quand on regarde les exigences du cahier des charges en matière de détail des coûts.

Conclusion

Ces petits calculs montrent quelques problèmes de la politique d'aide en faveur des renouvelables électriques. Le système d'appels d'offres semble défavorable au consommateur, car très peu d'offres se présentent et que les prix semblent toujours élevés par rapport aux coûts d'investissement annoncés. Que ce soit dans le domaine du solaire photovoltaïque ou de l'éolien en mer, on peut soupçonner des rentabilités extraordinaires.

Le solaire photovoltaïque voit ses coûts baisser très rapidement et le gouvernement peine à adapter suffisamment vite les tarifs de rachat; il représente déjà la moitié des sommes dépensées au titre des subventions aux renouvelables électriques alors qu'il ne représente que moins de 20% de la production éligible aux subventions à ce titre. On soupçonne une fraude massive dans les installations chez les particuliers. La rentabilité des appels d'offres semble excellente du fait des baisses de prix des panneaux.

L'éolien en mer a vu les appels d'offres se conclure sur des prix délirants. J'ai du mal à comprendre comment les montants d'investissements et la production annoncée peuvent correspondre aux prix annoncés. Quant à l'éolien terrestre, l'inflation des coûts tend à diminuer le rythme de construction.

10 janvier 2013

Un peu de comptabilité: quel coût pour le courant produit par l'EPR de Flamanville?

En décembre dernier, EDF a annoncé que l'EPR en construction actuellement à Flamanville coûterait encore plus cher que précédemment estimé, avec un coût prévu de 8G€ (en euros de 2007) soit environ 8.5G€ en euros de 2012 (c'est-à-dire en prenant en compte l'inflation). Cette annonce a suscité une révision des estimations de coûts du courant produit, comme celle de Bernard Laponche, de Global Chance, qui donne une fourchette de 100 à 120€/MWh. Cette estimation sert depuis au Monde de référence à confronter aux déclarations des politiques.

Cependant, ce genre de calculs est notoirement dépendant des hypothèses prises. Souvent ces estimations se servent de conventions, qui ne sont pas forcément réalisées ou qui mènent à des conséquences surprenantes. À partir du rapport de la Cour des Comptes de l'an dernier, on peut essayer de se faire une idée de ce que recouvrent ces estimations.

Les coûts d'exploitation

Dans son rapport, la Cour donne un coût d'exploitation du parc actuel de 22€/MWh (p55), hors démantèlement, stockage des déchets et avec une facture d'assurance très faible grâce au cadre légal actuel. L'EPR est censé avoir un meilleur rendement thermodynamique que le parc actuel, cela ferait gagner 0.5€/MWh produit. Le facteur de charge — le rapport entre la production réelle et le maximum possible dans l'année — est aussi annoncé à 90% comme meilleur que pour la moyenne du parc français — environ 75% — et plus proche des standards internationaux. Ce genre de performance est réalisée à l'étranger sur des réacteurs plus anciens et le meilleur rendement permettra à l'EPR d'être pratiquement tout le temps en tête de l'ordre de mérite du parc thermique: il y a donc de bonnes chances que le facteur de charge soit bien de 90%. Ce qui devrait entraîner une baisse de 15% de tous les autres coûts, soit environ 2.5€/MWh produit.

Le nouveau réacteur permettra sans doute aussi des économies sur le personnel, en diminuant le nombre de personnes requises. Cependant, il est difficile de se faire une idée sur les achats à l'extérieur pour assurer la maintenance. On est par contre à peu près sûr que les coûts des fonctions centrales et des impôts seront les mêmes en termes absolus. D'un autre côté, EDF envisage la mise en place de personnels et de moyens devant intervenir en cas d'accident nucléaire, ce qui ne sera pas gratuit. Pour fixer les idées, prendre l'hypothèse que les coûts baisseraient au total de 3€/MWh produit doit donner un ordre de grandeur correct.

Pour ce qui est du démantèlement, EDF a fait établir des devis qui donnent un coût d'environ 300€/kW (p110), le site de la NRC donne des montants de l'ordre de 400M€ pour des réacteurs de 900MW. On peut donc prévoir que le démantèlement devrait coûter quelque chose entre 500M€ et 1G€. Comme le réacteur est prévu pour produire environ 750TWh, l'ordre de grandeur du coût de démantèlement est de 1€/MWh. Les Cour chiffre le coût du retraitement et du stockage des déchets à environ 2€/MWh (p272). Au doigt mouillé, j'estime qu'une assurance du risque nucléaire coûterait 1€/MWh si les plafonds de responsabilité étaient réévalués.

La Cour donne aussi le montant des investissements de maintenance pour le parc actuel: 1.7G€ soit environ 4€/MWh. Ce montant était promis à une forte augmentation, les centrales devant être rénovées pour les amener à 60 ans de service, elles doivent aussi subir des travaux visant à améliorer leur sûreté suite à l'accident de Fukushima. Cependant, la décennie 2000 a été l'occasion de profiter d'un parc en bon état et de limiter ces investissements. Sur la durée de vie de l'EPR, je vais prendre une valeur de 2€/MWh, car la centrale est prévue pour 60 ans, il y aura donc sans doute moins de dépenses de maintenance et de rénovation; c'est cependant une estimation très grossière. Cela dit, au total, les coûts d'exploitation doivent tourner autour de 25€/MWh.

La rémunération du capital

De la même façon qu'un salarié ne vient pas travailler sans salaire, il est difficile d'attirer des investisseurs sans leur promettre qu'ils vont gagner de l'argent. C'est pourquoi il faut aussi compter une rémunération du capital dans le coût de toute production. Il est particulièrement important dans le cas d'industries capitalistiques comme le nucléaire.

Avant d'aborder la question du niveau de la rémunération, il existe plusieurs techniques pour estimer la rémunération du capital. On peut résonner par analogie avec des instruments financiers existant par ailleurs. La première façon est de considérer l'investissement comme une obligation remboursable in fine. Dans ce cas, il faut amortir linéairement l'investissement et verser des intérêts constants au cours de la durée de vie de l'installation. C'est un mode de calcul qui permet de calculer le prix minimal du courant qui va assurer l'équilibre comptable. Pour arriver à l'équilibre comptable, le capital ne doit rien rapporter — ce qui n'est pas vraiment une incitation à investir — et la dette être remboursée intérêts inclus.

Pour calculer le coût de l'électricité du parc nucléaire actuel en tenant compte d'une rémunération — strictement positive — du capital, la Cour des Comptes considère l'investissement réalisé comme un emprunt immobilier. Un emprunt immobilier consiste à verser des annuités constantes, dont une partie chaque année va au remboursement du capital. Ce capital remboursé ne porte plus intérêts et chaque année, la proportion de capital remboursé augmente dans l'annuité versée. Si on calcule l'annuité en fonction du capital investi et du taux d'intérêt, on se rend compte qu'il y a une équivalence avec une notion souvent utilisée en finance, la valeur actuelle nette. La valeur actuelle du flux de trésorerie que représente les intérêts annuels escomptés au taux d'intérêt payé est égale au capital investi au départ.

Cette remarque est importante car la valeur actuelle a quelques propriétés bien connues. Elle a des implications en termes de décision: seuls les projets ayant une valeur actuelle nette positive devraient être poursuivis. Ensuite, plus le taux d'intérêt est élevé, plus la vision est à court terme: à cause de la décroissance exponentielle en fonction du temps, le futur éloigné compte pour des clopinettes, comme on peut le voir sur le graphe ci-dessous. C'est d'ailleurs à court terme que la rémunération du capital a lieu dans un emprunt immobilier ... puisque le capital est surtout remboursé à la fin. Ce qui veut aussi dire que même si la durée de vie est de 60 ans, l'industriel peut se décider juste en ayant des assurances raisonnables sur les 10 à 20 ans qui viennent. Mais c'est aussi pour ça que dans les projets industriels, les sociétés sont obligées réglementairement de prévoir un fonds permettant de démolir l'usine, sans cela, aucun besoin de se préoccuper de ce qu'elle devient au moment de la construction. VAN.jpg

Par ailleurs, la construction prend du temps, il faut prendre en compte le fait que le capital investit dort en partie. Il faut donc prendre en compte des coûts de ce fait, ce qui augmente le capital réellement investi au delà des 8.5G€ donnés par EDF. Pour mes calculs, je considère que le capital est investi par annuités constantes au cours de la construction.

Quel coût du capital?

Le capital peut être classé en 2 formes classiques: la dette et les capitaux propres. La dette se caractérise par le fait que la rémunération est fixée à l'avance par contrat, le créancier a alors une certaine assurance de ce qu'il va gagner. Les capitaux propres appartiennent aux actionnaires qui ne se voient pas promettre de rémunération particulière. On comprend donc qu'avant d'investir, les actionnaires voudront être mieux rémunérés pour assumer un risque supplémentaire. L'EPR est un exemple du genre de risques que peuvent avoir à assumer les actionnaires: hausse du coût des investissements, du coût d'exploitation, retard du chantier, prix de vente de la production plus bas que prévu, etc.

Pour estimer le coût de l'électricité, il faut donc considérer le coût moyen du capital. Dans son rapport, la Cour des Comptes prend le taux moyen qu'EDF utilise sans trop se prononcer sur sa validité (cf p338 du rapport). Il est de 7.8% hors inflation, soit un taux facial de presque 10%. La Cour trouve par contre qu'appliquer ce taux aux intérêts intercalaires est excessif et applique alors un taux de 4.5% réel. Cela peut s'expliquer par le fait que la construction ne recouvre qu'une partie des risques du projet, que la rémunération du capital couvre déjà en partie les risques de retard et de dépassement de budget, et que si une entreprise s'engage dans un projet capitalistique, c'est qu'il n'y en a peut-être aucun autre qui ait un rendement équivalent. En passant, la Cour ne répond pas à la question de savoir quelle a été le rendement réel de la construction du parc nucléaire actuel, ce qui a quand même une certaine importance.

Si on regarde les comptes d'EDF, on voit que sa dette est d'environ 40G€ et ses capitaux propres de 35G€ (p4 de cette saine lecture). On peut constater que les capitaux employés par EDF sont composés à moitié de dette et à moitié de capitaux propres, même si des variations autour de cette répartition sont constatées. EDF nous dit aussi que le taux moyen facial sur sa dette est de 4.1%. Ce qui veut dire que le taux pris par la Cour des Comptes mène à un rendement des capitaux propres de 16%. C'est tout de même beaucoup pour une entreprise en situation de monopole de fait et à l'activité régulée. C'est pourquoi en plus de la valeur Cour des Comptes, prendre des valeurs inférieures pour la rémunération du capital peut donner une image des coûts plus proche des conditions de financement réelles.

J'ai donc calculé les coûts associés à différentes hypothèses:

  • Le coût donné à l'origine. L'EPR fut donné comme coûtant 3.3G€. Le calcul est fait pour un coût du capital de 8%, une construction de 4 ans — contre 4 ans et demi prévus initialement, facteur de charge de 90%. Aujourd'hui Areva affirme que l'EPR de série coûterait 60€/MWh. Avec ces hypothèses, cela conduit à un coût d'un réacteur de 5G€, relativement cohérent avec le coût de 10G£ prévus au Royaume-Uni pour la construction de 2 nouveaux réacteurs.
  • Le prix du courant nécessaire pour arriver à l'équilibre comptable. Contrairement aux autres calculs, ce prix n'est pas à réévaluer tous les ans de l'inflation. On peut constater qu'EDF va certainement perdre de l'argent avec un EPR à 8.5G€. L'électricité vaut en effet actuellement environ 50€/MWh pour une production permanente.
  • Le rendement de 6% donne le coût si on considère que le coût moyen du capital est de 6% en sus de l'inflation au lieu des 8% pris par la Cour des Comptes. Cela correspond à une rémunération des fonds propres de 12%, plus raisonnable à mon sens.
  • Le rendement de 8% reprend le calcul de la Cour des Comptes avec le coût du capital donné par EDF.
  • Le dernier calcul donne le coût avec un facteur de charge abaissé à 75% comme pour le parc actuel. Cela fait aussi remonter le coût d'exploitation.

couts.jpg

quelques conclusions

Il est à peu près certain qu'EDF va réaliser une perte comptable avec l'EPR de Flamanville. En prenant les hypothèses de la Cour des Comptes sur le rendement du capital, je trouve un coût compris entre 90 et 110€/MWh suivant le facteur de charge. Si un coût moyen du capital plus faible est choisi, le coût de l'électricité baisse assez rapidement. Il est aussi assez remarquable que les opposants principaux à cette nouvelle centrale endossent des demandes élevées de rentabilité du capital et une approche financière court-termiste, contrairement à ce que leur discours laisse penser par ailleurs.

4 décembre 2012

Le débat national sur la transition énergétique ou les conquérants de l'inutile

Delphine Batho, ministre de l'écologie, etc., a lancé le fameux débat sur la transition énergétique jeudi dernier. Cela a donné lieu à une offensive médiatique, puisque deux membres du comité de pilotage ont donné des interviews. Bruno Rebelle, ancien directeur de Greenpeace en France, a été interrogé par un média internet et s'est épanché sur son blog. Laurence Tubiana, ancienne négociatrice pour la France sur les problèmes climatiques, a fait de même dans Le Monde. Quant à la ministre, Les Échos sont allés lui poser quelques questions; elle s'est aussi exprimée sur Europe 1. En réponse, deux vétérans de ce genre d'exercice, Jean-Marc Jeancovici et Arnaud Gossement, ont déjà donné le fond de leur pensée sur leurs sites web respectifs.

Le communiqué ministériel mentionne une charte que le comité de pilotage devra faire respecter. Et c'est là que les problèmes commencent: comme le débat n'a pas de site internet propre et que ladite charte ne figure nulle part sur le site du ministère — en tout cas, je ne l'y ai pas trouvée — il faut aller ailleurs pour en prendre connaissance. On y lit, entre autres, que tout citoyen peut contribuer au débat national sur la transition énergétique, que ce soit en participant aux débats décentralisés ou en s’exprimant sur le site internet dédié: un lancement du site aurait sans doute été une bonne chose! On y lit aussi que l'organisation du débat est complexe avec moult comités, ce qui peut permettre au gouvernement de se livrer à un exercice de centralisme démocratique où il trouvera miraculeusement que ses idées sont partagées par une partie des comités.

Cette charte définit aussi les buts de ce débat. On s'aperçoit sans peine qu'il est déjà bien encadré par des décisions déjà prises et affichées comme irréversibles. Si toutes ces décisions étaient incontestables, comme celle de diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050, cela ne poserait pas de problème. Mais parmi ces décisions, il y a la réduction de la part du nucléaire dans la production électrique et la fermeture de Fessenheim qui vont dans une direction directement opposée à la décision précédente. La charte dit aussi que le débat doit contribuer à définir la façon la plus pertinente écologiquement, la plus efficace économiquement et la plus juste socialement, de la conduire pour atteindre l’objectif retenu pour 2025, et, au delà, mettre l’économie et plus globalement la société française sur une trajectoire cohérente avec les objectifs de 2050. On ne peut que constater que tous ces objectifs ne sont pas forcément tous compatibles. Juste pour prendre un exemple, s'il s'agit de développer les énergies renouvelables, l'exemple allemand sur l'électricité montre qu'on voudra épargner l'effort aux grandes entreprises, mais qu'il tombera entièrement sur les particuliers et les petites entreprises. C'est sans nul doute efficace économiquement: les grandes entreprises énergivores sont très sensibles au prix de l'énergie. Mais par contre, ce n'est pas forcément juste socialement, surtout quand ça aboutit à faire subventionner ces grandes industries par des particuliers qui n'en peuvent mais!

On sent dans les réactions des 2 vétérans cités qu'ils sont un peu las et blasés. À les lire, il n'y a pas grand chose à attendre de ce débat, vu qu'un certain nombre de décisions dimensionnantes — idiotes ou pas — ont été déjà prises et que nombre de raouts du même genre ont eu lieu ces dernières années. On peut citer le Grenelle de l'Environnement, le rapport de la mission Énergies 2050, diverses missions de parlementaires, comme celle de l'OPECST sur le futur du nucléaire en France ou du sénat sur le prix de l'électricité, ou encore de très nombreux rapports publics, comme sur l'énergie dans les bâtiments ou la politique de soutien à l'éolien et au solaire photovoltaïque, les coûts du nucléaire, etc. Bref, ce n'est pas la documentation qui manque et on peut déjà, à mon sens, en retirer des choses sur la politique à mener. La lecture de ces document montre qu'on doit faire un très important effort d'économies d'énergie (isolation des bâtiments,…), d'efficacité énergétique et installer des moyens de production d'énergie décarbonée par ordre de prix et d'utilité. Un autre facteur de la lassitude des vétérans est sans doute que cette masse de documents n'a pas apaisé le débat sur les questions les plus passionnelles — le nucléaire au premier chef.

Malheureusement, on ne peut pas dire qu'on voit des signes positifs poindre à l'horizon sur aucun de ces fronts. Par exemple, Greenpeace a annoncé ne pas vouloir participer à ce débat tout comme Greenpeace avait refusé de participer à la mission Énergies 2050. Les interventions de la ministre laissent aussi penser que 6 mois au pouvoir n'ont pas suffi pour assimiler quelques idées ou encore des ordres de grandeur sur la question. C'est ainsi que l'interview aux Échos est titrée L'énergie est un levier de relance majeur. Dans le corps de l'interview, cette phrase est accolée à L'éolien offshore créera aussi beaucoup d'emplois, ce qui montre qu'elle n'a pas compris que l'énergie ne pouvait être un levier de relance que si elle était à un prix raisonnable. Sur Europe 1, elle a déclaré qu'il était possible de remplacer le nucléaire par des énergies renouvelables comme la biomasse, les hydroliennes, etc tout en abaissant les émissions de CO₂. Or, de fait, les ordres de grandeurs ne collent pas: les seuls scénarios où les émissions baissent quand même sont ceux où la consommation d'électricité baisse et où tout l'accent est mis sur des économies d'énergie, qui doivent couvrir à la fois baisse du nucléaire et réduction de la consommation des énergies fossiles. Comme on a déjà du mal, sauf crise économique, à réduire suffisamment vite la consommations de combustibles fossiles pour remplir l'objectif d'une division par 4 des émissions en 2050, la mission devient totalement impossible en réduisant la production du nucléaire. Dans leurs interviews Rebelle et Tubiana citent le modèle décentralisé où chacun serait producteur et consommateur, mais ce qu'on constate c'est que le développement du solaire et de l'éolien ont amené l'explosion du prix de l'électricité à cause du prix de ces énergies et au besoin de renforcer considérablement le réseau.

Le principal point positif que les 2 vétérans entrevoient, c'est que ce débat participe à l'information du public. Personnellement, je doute que ce soit ce débat améliore plus la situation que ce qui a déjà été fait en la matière. La plupart des gens n'ont pas le temps d'assimiler ne serait-ce qu'un résumé sommaire de toute la documentation accumulée sur le sujet. Ces grands débats publics ont pour caractéristique de passer inaperçus auprès du public. Quand ils accèdent à une certaine notoriété, ça peut être à cause d'une transformation en défouloir, comme pour le funeste débat sur l'identité nationale. Étant donné la complexité de la matière, j'ai assez peu confiance dans la presse pour informer les citoyens sur ce sujet! Par exemple, le chauffage électrique y est souvent décrit comme une gabegie, alors que les document du Bilan Carbone montrent qu'au contraire, le chauffage électrique est le mieux placé en termes d'émissions de CO₂. Pour ma part, je considère que ce débat souffre énormément des promesses inconsidérées de François Hollande, qui amènent à devoir courir un marathon en s'étant tiré une balle dans le pied au départ. Si on arrive simplement à éviter ou inverser des décisions calamiteuses, comme la diminution de la production nucléaire, le bilan de ce débat sera déjà bon!

25 novembre 2012

Les visions du futur de l'ADEME

L'ADEME a effectué un travail de prospective visant à montrer une façon d'atteindre les objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre que la France s'est fixée. Le Monde s'en est fait l'écho ainsi qu'une presse plus spécialisée. Les simples mortels semblent toutefois devoir se contenter de la synthèse (lien google), un document plus complet est sans doute adressé au gouvernement.

Ces scénarios ne se veulent pas forcément très réalistes, puisque dès l'introduction, on nous dit qu'ils sont volontaristes. Le président de l'ADEME, François Loos, déclare même dans une réponse à actu-environnement.com qu'à notre avis, la question du prix n'est pas le moteur de l'action. Étant donné la raison d'être de l'ADEME, les scénarios favorisent ouvertement les économies d'énergie et les énergies renouvelables.

Étant donné la longueur de mes élucubrations, une découpe suivant plus ou moins les secteurs abordés par l'agence semble s'imposer, avec les renvois associés:

Les bâtiments

La synthèse commence par aborder le cas des secteurs résidentiel et tertiaire, qui constituent 40% de l'énergie (finale) consommée. La synthèse de l'ADEME est utilement complétée par leur document sur les consommations des bâtiments. L'ADEME considère que la consommation d'électricité dite spécifique, c'est-à-dire en dehors de son usage pour le chauffage, est stable d'ici à 2030, tant dans les services que dans le secteur résidentiel. Cette tendance est prolongée jusqu'en 2050. Elle affirme que cela prend en compte l'apparition de nouveaux usages. C'est déjà en soi un objectif très difficile à atteindre: par exemple, le document sur les consommation des bâtiments montre que, dans le secteur résidentiel, la consommation d'électricité spécifique par m² a augmenté de 90% entre 1976 et 2010 et de 35% entre 1990 et 2010. Le nombre de logements a augmenté de 6M, soit d'environ un tiers entre 1990 et 2010. Au total, la consommation d'électricité spécifique a augmenté d'environ 80% en 20 ans. Si cette consommation n'augmentera pas ainsi ad infinitum, l'hypothèse d'une stabilité sur les 20 ans qui viennent est loin d'être assurée; en tout cas, cela paraît incompatible avec une croissance de 1.8%/an en moyenne.

L'ADEME prévoit la fin du chauffage à l'aide de dérivés du pétrole (fioul et GPL). Ce développement est logique: l'hypothèse que le maximum de production de pétrole soit dépassé d'ici 10 ou 15 ans est la plus probable. De plus, le chauffage au fioul — qui représentait 60% du parc de logements au début des années 70 (source, p28) — est en déclin constant depuis de nombreuses années. Le prix du kWh de fioul a dépassé celui du gaz, ce combustible a une image nettement moins propre que les alternatives. L'agence prévoit aussi un développement des réseaux de chaleur, seul vecteur dont la consommation augmente de façon nominale. On peut inférer du graphe de la page 5 que les logements chauffés au fioul le seront soit par des réseaux de chaleur, soit à l'électricité. Le chauffage électrique est profondément modifié puisqu'une bonne part des logements utiliseraient des pompes à chaleurs: 20% du parc de logements en 2030, l'électricité représentant un gros tiers du parc actuel. Les chaudières au gaz atteindraient un rendement proche du maximum physique (aux alentours de 110% du PCI) avec la généralisation des chaudières à condensation. À l'horizon 2050, un deuxième round de rénovation a lieu, avec des effets grosso modo similaires, sauf que tout ne repose plus que sur une meilleure isolation, vu que les systèmes de chauffage seraient déjà plus ou moins au maximum de rendement physique.

Les chauffe-eau solaires auraient toujours une contribution mineure. Ils ne servent qu'à produire une partie de l'eau chaude sanitaire, pour laquelle la consommation d'énergie est environ 6 fois plus faible que pour le chauffage. Comme il y a toujours besoin d'un système de complément, le système n'est pratiquement jamais rentable en France métropolitaine sans subvention. Autant utiliser ce système de complément en permanence, surtout que l'électricité a déjà une part de marché de presque 50% sur ce segment, avec un contenu carbone très faible (40g/kWh) du fait de l'asservissement au tarif heures pleines/heures creuses.

L'essentiel des économies d'énergie provient en fait du succès des pompes à chaleur ainsi que d'un programme très important de rénovation. Non seulement le nombre de logements rénovés est très important — par exemple 70% des maisons — mais, en plus, ces rénovations sont très importantes comme le montre la chute de la consommation par m². Le gros problème de ce type de programme est la faisabilité économique. Contrairement à ce qu'affirme le président de l'ADEME, les coûts ont un impact déterminant sur les décisions en matière d'installations de chauffage, du fait de l'importance de ce poste budgétaire pour les ménages, mais aussi du fait du coût des rénovations. À cause des problèmes d'agence, comme entre propriétaires et locataires, et des contraintes en termes de capacité d'endettement, il n'est même pas sûr que toutes les rénovations rentables se fassent. Les hypothèses macro-économiques sont alors primordiales. L'ADEME prévoit un prix du pétrole en 2030 pas très différent de celui de 2008 et 20% au-dessus du niveau de 2012 qui semble cohérent avec une disparition du fioul, déjà bien engagée aux prix actuels. Pour le gaz, aujourd'hui le prix livré aux clients résidentiels est d'environ 60€/MWh pour un prix de gros de 20€/MWh dans les hypothèses. Les hypothèses macro-économiques prévoient donc en gros un prix entre 80 et 90€/MWh en 2030 en supposant les coûts de réseau constants. Est-ce suffisant pour motiver les rénovations d'ampleur qu'appelle l'ADEME?

Je remarque aussi que l'ADEME se laisse aller à ce qui me semble être des lubies comme les bâtiments à énergie positive ou la micro-cogénération. Pour les bâtiments à énergie positive, cette énergie serait produite grâce à des panneaux solaires. Le maximum de production aurait donc lieu lors des minima de consommation de juillet & août, et la production serait nettement inférieure pendant des mois travaillés comme novembre et janvier. Pour ce qui est de la micro-cogénération, qui consiste à produire de l'électricité à l'aide de sa chaudière à gaz, quel peut en être l'intérêt lorsque le rendement de production de chaleur de la chaudière est proche du maximum physique? Le rendement de conversion en électricité ne sera pas fameux à cause des limites posées par le second principe.

Les transports

Dans ce domaine, l'ADEME prévoit que les efforts de règlementation vont porter leurs fruits et les consommations de carburants chuter. Les véhicules vendus en 2030 verraient en moyenne leur consommation divisée par presque 3. La consommation moyenne du parc serait réduite de 40%. Comme l'agence prévoit une hausse du transport de marchandises par la route, elle prévoit un changement d'usage des moyens de transports de personnes pour compenser. mode_transport_2030.jpg On peut y voir la haine des 2 roues motorisés de la part des pouvoirs publics: alors que la presse et d'autres mauvais esprits rendent compte d'une forte hausse de l'usage des scooters et autres motos, aucune hausse de la part de marché n'est prévue ces 20 prochaines années. Heureusement, le déferlement de la horde de barbares a été freinée par une règlementation opportune, alors que les Français avaient voté avec leur portefeuille lorsque le prix du pétrole avait atteint des records. Or, même si certaines motos consomment plus que certaines voitures récentes, les scooters 125 peuvent s'avérer nettement plus économiques. Un effort sur les moteurs, similaire à ce que font les constructeurs automobiles, pourrait renforcer ce trait.

À l'horizon 2050, l'ADEME prévoit que le parc automobile aura diminué d'un gros tiers grâce à la mutualisation des véhicules. Ils seraient aussi nettement plus économes, la consommation de carburants aurait diminué d'un facteur supérieur à 3. Bizarrement, les 2 roues motorisés voient leur part de marché augmenter alors qu'ils sont laissés de côté pour 2030. L'agence estime aussi qu'il serait alors possible de se passer de pétrole en se reposant sur du gaz — produit de façon de renouvelable de préférence. Ce serait possible grâce aux gains réalisés sur le chauffage au gaz. Pour le transport de marchandises, il est prévu que le trafic n'augmente plus par rapport à 2030, grâce à une rationalisation, complétée par un développement du transport par voie ferrée. Je remarque que c'est un vœu constamment exprimé mais jamais réalisé.

L'industrie

Pour l'industrie, l'ADEME est fortement contrainte par l'hypothèse de croissance économique. Elle impose un certain maintien d'industrie lourde, même si évidemment elle doit prendre en compte des évolutions dans la répartition de l'activité entre les divers secteurs industriels. Dans le domaine de l'industrie, un certain nombre d'activités sont déjà fortement incitées à économiser l'énergie par la forte compétition mondiale et par le poids de l'énergie dans les coûts et donc dans le prix des produits. C'est ainsi que des industries concurrentielles et développées depuis longtemps se voient affecter des gains par unité produite relativement faibles: sidérurgie, métaux non ferreux, etc. L'agence voit donc le gisement dans les industries où l'énergie représente une part plus faible des coûts de production, comme l'agro-alimentaire. À l'horizon 2030, cela produit une économie globale d'environ 10%. Mais à l'horizon 2050, alors qu'il est écrit qu'il s'agit d'une prolongation de tendance, les économies d'énergie atteindraient 20% par rapport à 2030!

Les questions principales en la matière sont celles de savoir si les hypothèses macro-économiques se réaliseront bien — en cas d'absence de croissance, une partie des industries disparaîtra — ou encore de savoir si certaines industries ne préfèreront pas aller là où le contexte énergétique est meilleur et moins contraignant.

Les sources d'énergie

Il s'agit surtout pour l'agence d'évaluer les gisements d'énergies renouvelables. Elle commence par étudier le cas du bois. Le bois est aujourd'hui la première source d'énergie renouvelable en France: en 2010, la consommation de bois a représenté presque 10Mtep. L'ADEME prévoit 18Mtep en 2030 et la même chose en 2050. Elle compte pour cela sur une plus forte exploitation des forêts françaises, puisqu'elle compte que l'équivalent de 75% de l'accroissement naturel de la forêt soit récolté chaque année contre 48% actuellement. Cela permettrait de plus que doubler la production de bois destiné à être brûlé et aussi d'alimenter un peu plus un circuit de récupération. Une critique du scénario négaWatt montre qu'un tel plan devrait s'accompagner d'une hausse notable du prix du bois. Par ailleurs, si le potentiel théorique de la forêt française n'est exploité qu'à moitié, c'est sans doute aussi qu'une partie importante des propriétaires de forêts n'ont pas envie de les exploiter pour le bois. Il n'est pas dit qu'une simple hausse du prix du bois les y incite suffisamment, car il y a d'autres usages pour une forêt.

Pour ce qui est du secteur de l'électricité, L'ADEME voit en 2030 les EnR produire 48% de l'électricité, le nucléaire 49% et seulement 3% à partir de centrales au gaz. En termes de puissance, elle voit 34GW d'éolien à terre et 12 en mer, 33GW de photovoltaïque, 32GW de nucléaire, 14GW de gaz (fossile), le reste étant soit non précisé (énergies marines ...) soit supposé quasiment constant (hydraulique). L'ADEME donne une production en baisse (environ 445TWh) des exportations stables (environ 45TWh) et une consommation (en incluant les pertes environ 400TWh). Cela représente une baisse de la consommation d'électricité de presque 20% par rapport à aujourd'hui, ce qui me semble très optimiste ou incompatible avec les hypothèses sur le PIB. C'est aussi très différent du scénario privilégié par RTE dans son bilan prévisionnel, dont on a déjà parlé. Autre particularité: si on se replace dans les conditions de la vague de froid de février dernier, moyennant quelques hypothèses, on arrive péniblement à une puissance produite en France de 80GW. Même en escomptant une capacité d'importation de 10GW, la puissance maximale prévue est donc bien inférieure aux 102GW atteints cette année. Inversement, certains jours du mois d'août, on peut s'attendre à un production des EnR intermittentes de l'ordre de 40GW avec le soleil au zénith; à l'heure actuelle, la pointe au mois d'août, aux alentours de midi, est d'environ 50GW, ce qui veut dire que l'essentiel du nucléaire serait à l'arrêt et qu'il y a un risque de surproduction si un jour est venté, les capacités d'exportation étant dépassées. Bref, l'ADEME affirme s'être basée sur des simulations heure par heure mais il semble que des hypothèses m'échappent.

La question qui n'est pas abordée dans cette synthèse est celle des coûts et du modèle économique. Si pour le bois, le modèle serait sans doute le même qu'aujourd'hui, il va de façon autre pour la production d'électricité: actuellement, les producteurs d'électricité renouvelable à partir de biomasse bénéficient des tarifs de rachat et produisent en base. Or le document de l'ADEME laisse penser que la production d'électricité à partir de biomasse devra avoir lieu quand l'éolien et le photovoltaïque feront défaut. De même en 2050, l'ADEME nous dit que des stations de pompage seront construites pour le stockage intersaisonnier. Vus la taille maximale du stockage (il faut compter 1km² pour stocker 10GWh) et le modèle économique (une STEP doit produire 1500h par an), l'utilité pour le stockage intersaisonnier du pompage est plus que douteuse à un coût acceptable! Le modèle de revenus collectés à l'exportation est aussi remis en cause: les exportations auront lieu surtout lors des pics de production renouvelable, ce qui va nécessiter de multiplier les lignes THT et de trouver des clients pour cette électricité produite de façon imprévisible à long terme. Le prix s'en ressentira forcément. On peut aussi simplement se demander si c'est vraiment utile de fermer la moitié du parc nucléaire français pour le remplacer par des moyens qui paraissent nettement plus chers. On pourrait aussi utiliser le nucléaire pour adoucir les hypothèses d'économies d'énergie.

L'ingénierie sociale

Le trait marquant du scénario de l'ADEME est surtout le nombre de prescriptions réglementaires et/ou normatives qu'on y lit. C'est ainsi que le régime alimentaire des français changerait pour se conformer en 2050 aux prescriptions de la FAO pour manger moins de viande mais plus de céréales et de fruits & légumes. Si le niveau de vie des français augmente — ce que l'ADEME prévoit — on se demande pourquoi ils mangeraient moins de viande. Si par contre il baisse, l'expérience montre que les prescriptions de la FAO ne sont pas le résultat le plus probable. Toujours dans le domaine de la nutrition, l'agence prévoit une réduction de 50% des aliments partant à la poubelle («pertes alimentaires évitables»). Je me demande comment cet objectif pourrait être tenu, surtout quand on voit quelles sont les conséquences de vouloir se rapprocher des préconisations standard en matière de nutrition.

Ces hypothèses normatives s'étendent partout, par exemple:

  • Les logements collectifs et les maisons se partageraient les nouvelles constructions à parité, alors que depuis les années 90 au moins le parc de logement est constitué à 56% de maisons (p27 du bilan énergie de l'ADEME). C'est sans doute l'hypothèse structurante pour arriver à stopper l'artificialisation des sols. Dit autrement, l'ADEME prévoit un renforcement du zonage, zonage qui n'est sans doute pas pour rien dans l'inflation immobilière de ces 15 dernières années.
  • Dans le domaine des transports, les moyens collectifs sont nettement favorisés. L'expérience de longues années de développement des transports en commun montre qu'ils ne remplacent pas la voiture. La novlangue administrative frappe d'ailleurs en ce domaine, puisque les moyens faisant appel à la force motrice de l'utilisateur sont appelés moyens de transports doux. Tout utilisateur régulier d'un vélo peut certifier que son usage n'a rien de tel.
  • Les moyens de partage de véhicules voient leur part de marché nettement augmenter. Le problème ici est que, si les voitures ne sont utilisées que 5% du temps, c'est que les moments d'utilisation sont très concentrés, pour aller au travail le matin, en revenir le soir, aller en vancances: pendant des laps de temps courts, la majeure partie de la population se déplace. Ce n'est pas en voyant la fourniture de véhicule comme un service que ces réalités vont changer. La même logique est à l'œuvre quand il s'agit de rationaliser les transports de marchandises.
  • Les exportations d'aluminium sont limitées pour maximiser la part du recyclage

S'il est certain que se passer de pétrole et, plus généralement, de combustibles fossiles va imposer un certain nombre de changements de société, il est loin d'être certain que ce soit ceux prévus par les planificateurs. Et si l'édiction de normes peut remplacer voire faire mieux qu'une augmentation du prix d'énergie, ces normes peuvent aussi revêtir au final l'aspect d'une taxe sur certaines catégories de citoyens. C'est le cas du zonage urbain et des limitations mises sur la construction.

Quelques conclusions

Les visions de l'ADEME constituent une façon d'arriver à remplir les engagements de la France sur le plan des émissions de CO₂: les diviser par 4. Le tropisme de l'agence pour les économies d'énergie l'amène à bâtir ses scénarios dessus. Ces scénarios sont un mélange de continuation de tendances actuelles — disparition du fioul, ratio gaz/électricité changeant lentement dans le secteur du chauffage, etc… —, de rappel des vaches sacrées et des topos des économies d'énergie — réseaux de chaleur, transports en commun, lutte contre le gaspillage de nourriture, etc… —, de ruptures sociales majeures — description des transports en 2050 — et d'éléments susurrés par l'arrivée d'un nouveau pouvoir comme la division par 2 du parc nucléaire, dont on se demande ce qu'elle vient faire là.

Ce qui manque dans cette synthèse, c'est la description des politiques nécessaires selon l'agence pour arriver au but. On ne sait pas s'il agit, selon les cas, de continuer la politique actuelle, de la changer profondément, d'établir de nouvelles taxes, de nouvelles normes contraignantes. Il n'y a pas d'analyse des raisons qui ont fait l'insuccès des moyens prônés par l'agence de longue date, comme les transports en commun ou les réseaux de chaleur, ni des raisons pour lesquelles ces moyens seraient adoptés dans le futur. Tous ces éléments sont pourtant nécessaires pour se rendre compte de la faisabilité de ces scénarios: certaines mesures sont, dans ce domaine, très impopulaires, ce qui grève leur faisabilité politique; d'autres ont des effets pervers, ce qui grève leur efficacité voire les rend contreproductives.

Ces exercices de prospective valent surtout pour montrer la différence de résultats qu'on attend de 2 politiques différentes. Comme il n'y a pas de scénario de référence ou concurrent, que les mesures effectives à prendre ne sont pas détaillées, il est difficile de se faire une idée plus précise. On retrouve tout de même quelques réalités de la lutte contre le réchauffement climatique:

  • la question du chauffage paraît gérable à partir d'une meilleure isolation et en s'appuyant sur un mix électrique décarbonné.
  • la question des transports et de l'industrie lourde, notamment la sidérurgie et le ciment, est nettement plus difficile à gérer, ce qui laisse présager des départs d'industrie, des efforts douloureux ou un surcroît d'effort dans le domaine du chauffage.
  • que diminuer la production nucléaire n'est peut-être pas la meilleure idée, alors qu'on va chercher des marges de manœuvre en matière énergétique!

27 octobre 2012

Explosion de la taxe EnR sur l'électricité en Allemagne

Tous les ans au mois d'octobre, le niveau de la taxe finançant les productions renouvelables d'électricité en Allemagne est ajusté aux besoins. Le système allemand a été copié ailleurs: il s'agit de garantir au producteur un prix de l'électricité déterminé en fonction de la technologie employée. Il est décrit avec force diagrammes dans un document de l'association des réseaux de distribution allemands (BDEW), dont l'essentiel a été traduit par l'association Sauvons le Climat. Les 4 gestionnaires des réseaux THT sont obligés de racheter cette électricité et donc de fournir le fonds de roulement du système. Une partie des coûts est récupéré en revendant immédiatement cette électricité aux distributeurs au prix du marché. Comme, évidemment, le prix garanti au producteur est presque tout le temps supérieur au prix de marché, une taxe prélevée directement sur les consommateurs est nécessaire. Cela permet aussi de financer les coûts de trésorerie du système. Les gros consommateurs industriels sont pratiquement exemptés de cette taxe, ils ne paient qu'un montant de 0.5€/MWh: c'est devenu symbolique au regard de ce que paient les autres consommateurs.

Le système de l'obligation d'achat fonctionne à guichet ouvert, le montant de cette taxe peut donc augmenter très vite:

  • si ce sont les moyens les plus chers qui se développent rapidement. C'est le cas en Allemagne: à la fin de l'année 2011, il y avait 27GW de solaire photovoltaïque installés, presque autant que l'éolien. Même si le solaire photovoltaïque produit 2 fois moins d'énergie sur l'année que l'éolien à puissance égale, les prix d'achats sont quasiment 4 fois plus élevés pour le solaire. C'est ainsi que le solaire photovoltaïque consomme plus de la moitié de la taxe (p41 du document du BDEW).
  • en cas de mauvaise anticipation des installations. Comme la taxe est fixée en octobre, il reste deux mois et demi et une marge d'erreur sur les installations de l'année en cours. En cas de changements de tarifs, comme entre 2011 et 2012, on assiste à un rush pour bénéficier du tarif le plus intéressant. L'année suivante, en 2013 donc, il faut combler un déficit.
  • en cas de baisse des prix de l'électricité sur le marché. Un prix moyen de vente est anticipé en prenant comme référence le marché à terme. Si la conjoncture se dégrade, les prix de l'électricité vont baisser du fait d'une baisse de la demande, notamment des consommateurs industriels. Mais le développement des renouvelables impacte aussi ce prix de marché: comme le gestionnaire de réseau est obligé de revendre immédiatement l'électricité renouvelable, il accepte n'importe quel prix, à la différence des centrales à combustibles fossiles. Le prix peut donc tomber très bas, voire devenir négatif, en cas de forte production renouvelable. Comme il s'agit de passer le coût du système de prix garanti du producteur au consommateur, ce dernier ne peut alors bénéficier en aucune façon de la baisse du prix de marché puisqu'il doit combler la différence. Au contraire même, cette électricité renouvelable vendue à prix cassé profite à ceux qui achètent sur le marché spot et ne paient pas la taxe, c'est-à-dire les industriels. Et de façon perverse, plus la demande est faible, plus la taxe est élevée!

L'année 2012, comme on peut s'en rendre compte cumule ces 3 phénomènes. Suite à un changement de tarifs, un rush s'est produit en fin d'année sur le solaire photovoltaïque: 2GW ont été installés sur le seul mois de décembre 2011. Le solaire photovoltaïque est la plus chère des énergies subventionnées. Le prix de l'électricité est resté bas, d'une part à cause de l'afflux de productions renouvelables et d'autre part à cause de la conjoncture allemande et plus largement européenne. Il ne faisait aucun doute que les prévisions du BDEW pour 2013 seraient dépassées, alors qu'elles étaient de 47.4€/MWh (p65).

L'agence de régulation des réseaux allemande a annoncé le 15 octobre que le montant serait finalement de 52.77€/MWh, soit une hausse de presque 50%. Elle dit aussi que le déficit accumulé est de 2.6G€ sur la seule année 2012: le système était équilibré à la fin 2011. Les causes de ce déficit sont le rush photovoltaïque de fin d'année et le faible prix de l'électricité, comme on vient de l'expliquer. En conséquence, les gestionnaires de réseau vont aussi renforcer le fonds de roulement qu'ils maintiennent, afin d'éviter qu'une telle mésaventure ne se reproduise. On peut voir sur le graphe ci-dessous que depuis 2009, c'est-à-dire depuis qu'il est financièrement intéressant d'installer des panneaux photovoltaïques, la taxe explose. Elle est passée de 13.1€/MWh en 2009 à 52.77€/MWh en 2013, soit une multiplication par 4 à partir d'un montant qui n'était déjà pas ridicule. taxe_EnR_2000-2013.jpg

On peut aussi constater que le prix d'une fourniture constante d'un MW pendant toute l'année 2013 vaut actuellement environ 47€/MWh. Certes, les consommateurs doivent aussi payer une part d'électricité de pointe, mais on peut constater que la taxe a atteint un montant tout à fait comparable avec le prix de production de l'électricité en général, alors même qu'elle n'est due que pour une part minoritaire de la consommation. Pour fixer les ordres de grandeurs, le système exonère environ 20% de la consommation électrique allemande de la taxe, alors que la subvention ne finance environ que 20% de la production totale. Le coût du système de subvention allemand semble donc extrêmement élevé.

Une telle hausse a aussi ravivé le débat sur la nécessité de faire contribuer aussi les gros consommateurs industriels, comme on peut le constater dans la presse allemande. Il y a cependant peu de chances que cela aboutisse vraiment: pour ces consommateurs, l'électricité représente une part importante des coûts de productions. En conséquence, les mettre à contribution de la même façon que les consommateurs domestiques ferait exploser leurs coûts de production, ils ne seraient plus compétitifs. Comme le système est visiblement hors de contrôle, ils pourraient même avoir des difficultés à simplement prévoir leurs coûts de production.

Pour conclure, il n'aura échappé à personne que je suis très sceptique sur l'opportunité de subventionner de la sorte les renouvelables électriques. Le principal problème de ce système de subvention est qu'il repose sur la connaissance des coûts de chaque technologie et non sur le bénéfice apporté à la société ou au consommateur. On constate en Allemagne que la majeure partie des subventions vont au photovoltaïque qui ne représente qu'une partie minoritaire de la production renouvelable. On entend souvent que ces subventions sont destinées à faire atteindre la parité en matière de coûts à ces technologies mais, dans le cas allemand, on va arriver à saturer le réseau en installations solaires avant même d'arriver à proximité de ce point. S'engager sur cette voie en France, où on a déjà décarbonné l'essentiel de la production électrique, apparaît plus que jamais comme une grave erreur.

18 septembre 2012

Le coût exorbitant de la course aux renouvelables: 2e édition

Lors de son discours de clôture de la conférence environnementale, le premier ministre a annoncé diverses mesures envers les producteurs d'électricité renouvelables, ou plus exactement l'éolien et le solaire. Ces mesures ressemblaient pour certaines aux recommandations d'un rapport de l'administration: ainsi Jean-Marc Ayrault a-t-il annoncé un assouplissement du zonage pour faciliter l'implantation d'éoliennes.

Mais ce rapport est aussi intéressant par ce qu'il montre les contradictions de la politique que veut mener le gouvernement ou, en tout cas, qu'elle est contraire aux intérêts des consommateurs et à ce qu'il faudrait faire pour diminuer efficacement les émissions de CO₂ en France. Ces contradictions sont apparentes dès le début du rapport, avec les deux premiers paragraphes de la synthèse. On nous dit au premier paragraphe que l'éolien et le solaire doivent être subventionnés. Au deuxième, on nous explique que l'éolien et le solaire ne pourront, pour des raisons techniques, permettre la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50%: il ne reste donc que les combustibles fossiles pour combler le manque.

De l'éolien et du solaire à bas prix?

La première recommandation du rapport est de préserver une part conséquente de production d'électricité à bas coût. Des esprits forts pourraient en déduire que le rapport devrait s'arrêter dès son introduction puisque de fait, en France, la production d'électricité combine à la fois bas coûts et faibles émissions de CO₂. Les seuls besoins concernent des installations permettant de répondre à des périodes de forte demande à l'ajustement de la production au cours de la journée, bref, des moyens de production pilotables, ce que ne sont pas l'éolien et le solaire photovoltaïque. On sent aussi les rédacteurs du rapport, qui ont lu le bilan prévisionnel 2011 de RTE, très similaire dans ses conclusions à celui de 2012 en ce qu'il annonce une hausse des émissions de CO₂ en cas de diminution de la part du nucléaire, un peu gênés aux entournures, puisqu'ils recommandent aussi de regarder d'autres sources d'électricité que l'éolien et le photovoltaïque (recommandation n°5). Évidemment, la lettre de mission adressée aux fonctionnaires ne leur permet pas de s'arrêter là.

Ils recommandent donc d'assouplir les contraintes pesant sur l'installation d'éoliennes, de façon à accélérer les procédures, augmenter le nombre de terrains disponibles, changements qui peuvent diminuer le prix de l'électricité éolienne toutes choses égales par ailleurs. Cela dit, l'article du Figaro mentionne que le lobby de l'éolien espérait une augmentation des tarifs de rachat qu'il n'a obtenue que pour les DOM-TOM sous les atours de tarifs spéciaux pour eux et pour les zones cycloniques. Le rapport recommande aussi de mettre fin aux tarifs spéciaux du photovoltaïque prévoyant une prime pour l'intégration au bâti. Du point de vue du consommateur, cette prime ne fait que renchérir inutilement le prix de l'électricité.

Mais le rapport contient aussi tous les éléments qui montrent que la politique menée jusqu'ici va coûter fort cher. On y trouve p39 les prévisions de subventions qui se monteraient à 8G€ en 2020 — contre 2G€ en 2012 — ce qui alourdirait la facture des particuliers de 10€/MWh hors taxes. On y voit que les 2 principaux contributeurs seraient le solaire photovoltaïque et l'éolien en mer. Et de fait, on peut s'apercevoir, au gré des appels d'offres, que le solaire photovoltaïque est payé, pour les nouvelles constructions, 208€/MWh pour les plus grosses installations tandis que l'éolien en mer coûte la bagatelle de 228€/MWh.

Quant à espérer des baisses de prix, en dehors du photovoltaïque, elles risquent de se faire attendre. Ainsi, le BDEW, association industrielle allemande regroupant entre autres les producteurs d'électricité, a publié un document sur les perspectives allemandes de la production d'électricité renouvelable, dont l'essentiel est traduit dans ce document de Sauvons le Climat. On y trouve ce graphe p64: prix_EnR_complet.jpg On y voit qu'à part le photovoltaïque dont le prix d'achat moyen passe de complètement délirant à simplement exorbitant, toutes les autres sources voient leurs prix d'achat moyens augmenter ou stagner.

Les appels d'offres, remède à la dérive des coûts?

Pour essayer de limiter les coûts, les auteurs préconisent d'arrêter les tarifs de rachats à guichet ouvert pour passer sur un régime d'appel d'offres. On voit mal comment une telle politique peut s'adapter à l'installation de panneaux photovoltaïques par les particuliers, les plus chers, et un facteur de dérive des coûts restera donc toujours de ce fait. Mais le problème, c'est que cette politique est à double tranchant. Les appels d'offres peuvent permettre de limiter les coûts pour les technologies dont les coûts baissent rapidement en empêchant qu'un effet d'aubaine ne se crée. Les possibilités de construire sont limitées en volume, seuls les offres les moins chères sont sélectionnées. Mais si au contraire les coûts sont en hausse, c'est l'inverse qui se produit.

Et la lettre de mission adressée aux auteurs est lourde de facteurs de hausses des coûts. En effet, les ministres entendent que l'essor de la production d’électricité renouvelable crée des emplois. Cela se traduit par la recommandation 14 où on nous dit qu'il serait bon qu'il y ait des contraintes en termes de contenu local. On nous dit aussi qu'il faut utiliser à cet égard toutes les possibilités de la réglementation européenne, ce qui laisse entendre que les possibilités ne sont pas si grandes que cela.

Regardons les résultats. Les appels d'offres sont la norme pour les installations photovoltaïques de taille moyenne ou grande (>100kW) depuis que le gouvernement s'est fait déborder par la chute des prix des panneaux. Actuellement, le rapport fait état d'un prix possible de l'électricité photovoltaïque de 170€/MWh (p32) à l'heure actuelle en France. Comme on l'a déjà vu, le prix réellement accordé est de 208€/MWh. On ne peut pas dire que les appels d'offres révèlent le prix cible. Mais il y a mieux: p59, les auteurs déclarent qu'au moins un industriel nous a indiqué qu’il parvenait dans ses installations à 100€/MWh en France. On ne saurait trop conseiller à cet industriel de déposer séance tenante une offre à ce prix et de le faire savoir, histoire de faire taire les critiques. Quant à l'aspect du contenu local, on s'aperçoit que la plupart des fabricants de cellules sont en perte (p65), parfois dans des proportions très importantes vis-à-vis de leur chiffre d'affaires. Un approvisionnement local ne peut alors conduire qu'à un fort renchérissement des offres puisque les fabricants disposeraient d'un marché captif. Pour ce qui est de l'éolien en mer, la France s'est distinguée par un prix délirant de 228€/MWh dans un appel d'offre qui correspond à ce que les auteurs recommandent. En Allemagne, le tarif est de 150€/MWh et des champs se construisent à ce prix. Par contre, pas de baisse des prix en vue, comme le montre le graphe ci-dessus: les prix sont à la hausse. Bref, difficile de croire que les appels d'offres vont véritablement offrir de meilleurs prix pour les consommateurs et contenir l'envolée des subventions.

De façon générale, comme les auteurs le remarquent, la France n'a pas construit d'industrie du photovoltaïque ou de l'éolien: chercher à la construire maintenant semble donc une erreur puisque des acteurs sont déjà bien installés et ont amorti une partie de leurs usines. Cela leur donne un avantage compétitif. Mieux vaudrait donc se lancer dans d'autres filières, comme celles du stockage de l'énergie, vu que celui-ci s'adapte à tous types de mix de production et permettrait de remplacer les centrales à combustibles fossiles en France.

Quid de la prime de marché?

Les auteurs recommandent aussi une autre façon de subventionner les énergies renouvelables: la prime de marché (recommandation n°13 & p41). Il s'agirait, au lieu de racheter l'électricité à prix fixe, de donner le prix du marché plus une prime, ce qui inciterait le producteur à se soucier du moment où il injecte du courant sur le réseau de façon à maximiser ses rentrées d'argent. Évidemment, pour des sources fatales pures, c'est assez inutile: l'injection sur le réseau n'est pas maîtrisable. Les producteurs seront alors incités à réclamer une prime qui va simplement renvoyer au prix garanti d'achat, c'est ce qui s'est passé en Allemagne. Cependant, cette méthode peut pousser le développement de technologies de stockage. Mais elle permet aussi de rémunérer l'électricité renouvelable non pas en fonction des coûts des différentes technologies, comme actuellement, mais en fonction du service rendu. Le bonus pourrait être ainsi fixé en fonction du gain réel attendu en termes d'émissions de CO₂. Si on subventionnait 100€/t de CO₂ évitée — 10 fois le prix du marché actuel — cela conduirait à un bonus maximum situé entre 5 et 10€/MWh pour les sources fatales et qui décroîtrait au fur et à mesure que l'électricité serait moins carbonnée, pour peu, bien sûr, que ces énergies participent réellement à la diminution des émissions de CO₂ en France. En effet, les émissions directes (par opposition à une analyse sur un cycle de vie) de l'électricité seule sont comprises entre 50 et 60g/kWh (source, p225) et environ 80g/kWh si on prend en compte la production de chaleur. L'incitation serait par contre nettement plus forte pour les moyens mobilisables à la demande, ceux dont on a réellement besoin. Évidemment, une telle éventualité n'a pas été envisagée par le premier ministre dans son discours.

La lecture de ce rapport est aussi une improbable publicité en creux pour le parc de production d'électricité actuel en France. Voilà une industrie essentiellement locale: la France possède toutes les installations du cycle nucléaire sauf les mines d'uranium. Les barrages sont aussi une industrie éminemment locale: il s'agit de les construire et de les entretenir. La production est aussi essentiellement décarbonée: le rapport rappelle les analyses de l'ADEME sur le cycle de vie des différentes sources d'électricité (p32): les barrages émettent 4g/kWh, le nucléaire 8g/kWh, l'éolien 15g/kWh, le solaire photovoltaïque 50g/kWh.

En conclusion, on voit que le gouvernement va devoir choisir: soit continuer à subventionner les énergies renouvelables dans la production d'électricité pour obtenir dans le meilleur des cas un gain faible en termes d'émissions de CO₂ — mais plus probablement une hausse — et le faire payer très cher aux Français, soit changer de stratégie et se tourner vers des technologies de stockage — disposer d'un stock d'énergie rapidement et facilement mobilisable est l'atout principal des combustibles fossiles — où il y a des places à prendre, ou encore se tourner vers les secteurs qui constituent actuellement l'essentiel des émissions françaises: le chauffage et les transports qui recèlent sans nul doute des gisements de réduction à plus bas coût. L'amateurisme de ce gouvernement, les décisions annoncées lors de la conférence environnementale et ses projets laissent craindre qu'évidemment, on continuera dans la première voie.

9 septembre 2012

De la tarification progressive de l'énergie

Durant la campagne présidentielle, les socialistes et François Hollande ont dit qu'ils voulaient instituer une tarification progressive de l'énergie, partie intégrante de leur politique énergétique déplorable. Comme c'était prévisible, les projections de RTE montrent que le mix électrique prôné durant la campagne va provoquer une hausse des émissions de CO₂ par le secteur de la production d'électricité. La raison était déjà connue de longue date: les énergies renouvelables à la mode, solaire photovoltaïque et éolien, sont intermittentes ce qui suppose qu'elles sont suppléées par des centrales dont les coûts dépendent avant tout du prix du combustible comme des centrales au gaz.

François Brottes, qui était chargé du dossier «énergie» au sein de l'équipe de campagne de François Hollande, a donc déposé une proposition de loi. Elle ne déroge pas à ce qu'on pouvait craindre: pour fonctionner, une intrusion supplémentaire dans la vie privée des gens est nécessaire, le niveau de détail demandé va transformer ce système en usine à gaz, le tout sans bien sûr assurer que les buts soient atteints ni que ceux-ci soient légitimes

Le modèle de fonctionnement

La proposition de loi ne recèle pas que des dispositions sur la tarification progressive: par exemple, elle veut aussi étendre le bénéfice des tarifs sociaux à plus de gens. Actuellement, le coût des tarifs sociaux est modique, cette extension ne devrait pas changer cet état de fait. On laissera de côté ces dispositions, la tarification progressive étant le cœur réel de la proposition de loi.

L'idée de base de la tarification progressive est qu'il est possible de déterminer trois types de consommation d'énergie: le minimum vital, le normal et le gaspillage. Ces trois types de consommation sont délimités par des seuils d'énergie consommés qui définissent des bandes où le prix du kWh est différent: bas pour la zone frugale, haut dans la zone de gaspillage. La question qui se pose immédiatement est de savoir comment déterminer ces seuils. L'auteur de la proposition de loi précise que les seuils seront modulés en fonction de la zone géographique et de la taille du ménage. Comme il existe plusieurs moyens de se chauffer, il va falloir demander aux gens comment ils se chauffent. Et d'exiger que tout le monde précise le moyen de chauffage de sa résidence principale sur sa déclaration de revenus, chose sans doute très naturelle dans un pays où on y demande déjà aux gens s'il possèdent une télévision, mais qui est très clairement une intrusion dans la vie privée dont on va voir qu'elle n'est sans doute inutile et contre-productive.

Il va aussi falloir découper le territoire français en zones où les besoins de chauffage seront déterminés. Manque de chance, dans un rapport de 2008 intitulé Économie et substitution d'énergie dans les bâtiments, on peut lire que les besoins «objectifs» de chauffage varient d'un facteur 3 au sein du département des Alpes-Maritimes (p20). On voit donc que le découpage s'annonce sportif et qu'il risque d'y avoir un lobbying intense pour être bien classé dans certaines régions. Ajoutons à cela qu'il existe aussi des logements qui se chauffent avec 2 énergies: en effet, au cours du temps, les combles de nombre de maisons ont été aménagés, étendre le réseau d'eau chaude des radiateurs étant plus coûteux que d'installer des radiateurs électriques, ce sont ces derniers qui ont été choisis. Cocher la bonne case pour ces logements requerra une lecture attentive des factures respectives.

Encore plus gênant: il existe des possibilités de substitution entre énergies mais toutes ne seront pas soumises à la nouvelle tarification. Certes, on peut soit souhaiter ces substitutions — comme encourager le chauffage au bois — soit penser qu'elles sont peu probables du fait du différentiel de prix — à 1€/L, le fioul vaut environ 100€/MWh alors que le gaz est facturé environ 70€/MWh. Comme la surtaxe maximale vaudrait dans un premier temps au maximum 30€/MWh, elle ne devrait pas avoir trop d'effets pervers. Si la proposition de loi ne soumet pas tout les sources d'énergie à la même enseigne, c'est que c'est impossible ou au moins — ne sous-estimons pas l'inventivité des ministères — très compliqué. Les seules énergies taxées présentent l'immense avantage d'être distribuées par un réseau: chaque consommateur a un seul fournisseur à chaque instant. Pour le fioul, le bois, le GPL, rien de tout cela: on peut s'approvisionner auprès de plusieurs sources au cours de l'année sans que le gouvernement ne puisse savoir combien on a consommé. Il ne faut pas se faire d'illusion: ce n'est pas parce que l'énergie est un bien de première nécessité qu'une telle tarification est instituée, mais parce que l'état en entrevoit la faisabilité. La nourriture, bien de première nécessité s'il en est, ne peut faire l'objet d'une telle tarification. Outre qu'il est aussi extrêmement compliqué de définir dans ce domaine la frugalité et l’exubérance, le nombre de fournisseurs et de façons de se nourrir rend l'aventure totalement impossible. Dans le cas des énergies hors réseau, on se retrouve dans le même cas de figure.

On trouve aussi dans la proposition de loi des dispositions qui tiennent du bizarre. C'est ainsi que les résidences secondaires seront exemptées. Pourtant, posséder une résidence secondaire ne dénote pas une frugalité hors du commun, au contraire. La raison à la base de cette exemption, c'est que ne pouvant faire la somme des consommations de la résidence secondaire et celles de la résidence principale, d'autant qu'on peut avoir des fournisseurs différents pour les deux, l'état ne peut pas déterminer dans quelle tranche tombe ce consommateur pour sa consommation globale. Remarquons aussi qu'un décompte séparé amènerait certainement à subventionner les consommations dans la résidence secondaire et, par ses séjours dans sa deuxième résidence, l'heureux propriétaire terrien verra sa consommation d'énergie dans sa résidence principale diminuer: il paiera donc moins à consommation totale égale que la malheureux qui passe plus de temps dans son unique résidence. On trouve aussi une disposition sans précédent: les locataires pourront imputer les surcoûts imposés par la surtaxe qui ressortiraient du chauffage sur leur loyer. Pour les locataires qui se chauffent au gaz et qui aiment les appartements surchauffés, c'est une aubaine: une partie de l'énergie nécessaire pour obtenir une température au-dessus de la température définie par décret sera payée par le propriétaire. L'auteur de la loi se justifie en affirmant que les locataires ne sont pas responsables de la mauvaise isolation du logement qu’ils occupent et ne doivent pas être pénalisés par la tarification progressive. En clair, il entend corriger une imperfection de marché qui est que les locataires ne savent pas combien ils vont devoir payer avant d'entrer dans l'appartement et ne peuvent intégrer cette information lors de leur choix. Cependant, il existe aujourd'hui un diagnostic de performance énergétique, mais il n'indique rien du tout quant aux dépenses étant donné qu'il est libellé dans une unité incompréhensible — le kWh d'énergie primaire par m² et par an— qui n'a qu'un lointain rapport avec la facture réellement payée — pas plus d'ailleurs qu'avec les émissions de CO₂. Je me permets donc une suggestion: plutôt que de communiquer une information incompréhensible, pourquoi ne pas la présenter sous une forme facilement assimilable: la somme dépensée annuellement?

Se pose aussi la question de savoir si les buts sont véritablement atteints. Pour essayer de comprendre ce qui va se passer, un détour par un modèle très basique peut être utile. Selon la théorie économique standard, la quantité consommée est déterminée par la comparaison entre le prix d'achat d'une unité supplémentaire d'un produit avec le bénéfice qu'on en retire. On peut représenter cela par un graphique comme ci-dessous. La courbe des prix (ou d'offre) est plate dans le cas d'une tarification classique (courbe verte), elle est en paliers successifs pour la tarification progressive (courbe violette). Des courbes de demande qui représentent les bénéfices pour les consommateurs sont en rouge: les premières unités consommées apportent plus de bénéfices que les suivantes. Demande_morceaux_2.jpg On voit que pour le gros consommateur, la quantité consommée diminue en passant de C en D. Par contre le petit consommateur augmente et passe de A en B. Si le premier cas est bien le but recherché, le deuxième cas me semble un gros bug. On remarque aussi que s'il n'y a que ces deux types de consommateurs dans la population, le système ne s'équilibre pas: il n'y a plus que des subventions à la consommation! Ce cas n'est pas une vue de l'esprit, c'est ce qui s'est passé pour le bonus/malus sur les automobiles.

On me répliquera que le modèle montré n'est pas représentatif de la réalité. Cependant, la proposition de loi ne s'accompagne d'aucune étude d'impact — elles ne sont pas obligatoires. Par contre, la loi demande au gouvernement de remettre divers rapports, dont un pour voir si le système proposé fonctionne réellement: c'est l'article 2 de la proposition. Notons aussi que déposer une proposition de loi permet d'éviter l'étude par le Conseil d'État du projet de loi, des fois qu'il soulève de bêtes problèmes comme celui de savoir si l'état peut demander n'importe quoi aux gens sur la déclaration de revenus. Cette proposition de loi apparaît ainsi comme un projet de loi maquillé; il n'est pas dit que se servir du Parlement comme d'un faux nez du gouvernement revalorise réellement le rôle du premier. L'auteur semble aussi d'un optimisme modéré quant à se proposition puisqu'il écrit: l’analyse montre que le dispositif peut fonctionner : c’est l’essentiel. Le citoyen eut sans doute préféré que l'auteur vérifiât la réalité du fonctionnement avant de déposer sa proposition, surtout que ce même auteur déclare plus loin que l’apparente complexité du mécanisme proposé pour la tarification progressive résulte d’un choix mûrement réfléchi.

Peut-on faire mieux?

La complexité affichée est inacceptable quand on sait qu'il est en fait possible d'arriver aux buts affichés de façon nettement plus simple: sans demander d'information supplémentaire à la population, avec une consommation qui sera a priori en diminution pour tout le monde, sans avoir besoin de modifier les systèmes de facturation. Il y a évidemment une contrepartie: il n'y aura pas de micro-management de la population et des effets de substitution entre énergies pourront jouer. De toute façon, un des enseignements principaux de la théorie économique standard est que l'état est très mauvais quand il s'agit de régenter la vie de la population dans les détails. C'est aussi un principe de base de la démocratie que de penser que chacun a la capacité de décider quelles sont les meilleures décisions à prendre et que chacun peut distinguer l'utile et le superfétatoire en ce qui le concerne. Encourager les substitutions entre énergies peut aussi être un but légitime, comme on le verra plus loin.

L'idée est la suivante: pour chaque source d'énergie, on fixe une taxe d'accise sur la consommation. Le produit de cette taxe est proportionnel au volume consommé. La proposition de loi visait aussi à récompenser les petits consommateurs. On peut atteindre simplement ce but en alimentant un fonds avec le produit de la taxe dont on redistribue alors le produit en le divisant entre tous les habitants. La taxe existe déjà: elle ressemble comme deux gouttes d'eau à la TIPP, elle peut frapper toutes les sources d'énergie même celles qui ne sont pas distribuées par un réseau. Pour redistribuer le produit de la taxe, l'état n'a besoin d'aucune autre information que celles dont il dispose déjà. En reprenant le modèle basique du dessus, on obtient un nouveau graphique: Demande_continu.jpg On constate que tout le monde réduit sa consommation. Les gros consommateurs réduisent aussi leur consommation de façon plus importante. Ce système est aussi plus flexible: la proposition précise que le système doit s'équilibrer mais que l'état doit aussi contacter les ménages modestes pour leur donner de l'aide pour diminuer leur consommation d'énergie. Comme cette aide n'est pas financée par le système de la proposition, on voit mal les actions concrètes sur lesquelles cette prise de contact va déboucher. Il est par contre facile de remplir un fonds d'aide à l'aide du produit d'une taxe.

Les buts sont-ils vraiment légitimes?

On peut finalement se poser la question de la légitimité des buts. L'auteur de la proposition cite en premier lieu le renchérissement général de l'énergie qui s'est produit ces dernières années. À mon sens, il est impossible de justifier la tarification progressive de cette façon: si tous les prix de l'énergie augmentent, il n'y a pas de raison de différentier petits et gros consommateurs. Chaque unité d'énergie consommée coûte plus cher, qu'on soit un gros ou un petit consommateur: dans ce cas, il n'y a pas de segmentation réelle du marché de l'énergie avec des sources dont les prix n'augmenteraient pas.

L'autre point est qu'il n'est pas légitime de décourager la consommation d'énergie en général par ce qui s'apparente de fait à une taxe. Ce n'est légitime que parce que le prix facturé ne prend pas en compte tous les inconvénients du type d'énergie utilisé. Or les 2 inconvénients les plus importants sont le risque de tarissement de l'approvisionnement et les émissions de CO₂. On voit donc que les énergies qu'il faudrait le plus décourager sont les énergies fossiles. Comme le charbon n'est plus guère utilisé par les ménages — seuls concernés par la tarification progressive —, les premiers produits dont il faudrait décourager l'utilisation sont les dérivés du pétrole. Les alternatives aux carburants automobiles ne sont certes pas très crédibles pour le moment et déjà très taxées, mais dans le domaine du chauffage, le fioul apparaît comme la source d'énergie à laquelle s'attaquer en priorité. Il provoque l'émission d'environ 300g de CO₂ par kWh (source) et le pétrole est sans doute en voie de disparition. Le gaz naturel émet, lui, environ 220g de CO₂ par kWh. Les champs de la Mer du Nord ont globalement passé leur pic, le gouvernement fait profession de ne pas exploiter les gaz de schiste, l'approvisionnement européen va donc se compliquer, même s'il est prévu que l'approvisionnement mondial se maintienne plus longtemps que celui du pétrole. Quant à l'électricité, il est bien connu que grâce au nucléaire et à l'hydro-électricité, sa production est très peu carbonée en France. Les émissions moyennes sont d'environ 90g de CO₂ par kWh facturé. L'électricité présente de plus la caractéristique d'être soumise au système européen de quota d'émissions, ce qui fait que la taxer au titre des émissions de CO₂ conduit à faire payer le consommateur 2 fois. La sécurité d'approvisionnement est variable, puisqu'elle dépend de plusieurs facteurs: disponibilité et construction de centrales, possibilités d'importations de courant comme de matières premières. La matière première la plus courante dans la production d'électricité en France, l'uranium, ne devrait pas manquer à court terme. Clairement, toutes les énergies ne sont pas égales, elles devraient donc faire l'objet d'un traitement différentié.

Pour conclure, cette proposition de loi paraît surtout remplir des buts idéologiques, de punir de méchants gaspilleurs et de récompenser de gentils économes. Comme la définition de ces termes passe rapidement sur un terrain moral et sujet à nombre de variations, l'auteur s'embarque sur un système extrêmement compliqué de collecte d'informations et sur un système de tarification qui a des effets pervers. Le plus surprenant, c'est qu'il existe un système nettement plus simple — et qui serait donc nettement plus facile et rapide à implémenter! — qui laisse chacun maître de ses décisions sans jugement moral. En passant par une taxe d'accise, grand classique de la fiscalité, on peut remplir un fonds qui peut servir divers buts: faire des chèques aux électeurs, rénover des logements, etc. Il faut aussi rappeler que si des gens sont dans la précarité énergétique, c'est que ce sont souvent des indigents: le remède qui marche le mieux contre le manque d'argent est encore de distribuer des subsides. La logique qui sous-tend cette proposition est aussi entachée d'un gros vice: elle exclut la source d'énergie dont il faudrait se débarrasser le plus vite, les dérivés du pétrole. Comme en plus, les montants de la surtaxe ne sont pas donnés par énergie — on a juste des bornes générales — il est difficile de savoir si le niveau de variation est vraiment judicieux: il est difficile de débattre d'un système de taxation sans savoir quel sera le montant de la taxe! Bref, on peut faire mieux, beaucoup mieux.

6 septembre 2012

Politique énergétique et réalités du réseau électrique

Chaque année RTE, filiale d'EDF et propriétaire du réseau haute tension, met à jour son bilan prévisionnel, dont l'édition 2012 vient d'être publiée sur son site web. Comme l'année dernière, et malgré la baisse de la consommation constatée, RTE prévoit toujours un risque accru et significatif de défaillance électrique. Malgré un ton factuel et diplomatique, il permet aussi de percevoir les incohérences de la politique énergétique française, caractéristique qui risque malheureusement d'empirer sous la présidence de François Hollande, du fait de promesses malvenues.

Le problème de l'approvisionnement électrique

Comme le signale le document (p89), l’apparition d’une puissance manquante à l’horizon de quatre à cinq ans est une constante des différentes éditions du Bilan Prévisionnel: personne ne souhaite investir trop puisque cela ferait perdre de l'argent. Cependant, la vague de froid de l'hiver dernier montre que ce genre d'exercice n'est pas vain. Cette vague de froid était supérieure en intensité à celle prévue dans le scénario qui ne prévoit que les évènements extrêmes à l'échelle d'une décennie. Au mois de février dernier, la pointe enregistrée a dépassé les valeurs prévues dans les scénarios de RTE, y compris ceux présentés dans ce document. Les importations ont été très élevées à certains moments, avec un maximum de 9GW le 9 février, proche du maximum possible.

Les causes de ce manque sont connues. La consommation d'électricité est toujours sur une pente de long terme croissante, malgré la rupture que constitue la crise et les mesures prises pour augmenter l'efficacité énergétique. En conséquence, RTE prévoit que la pointe "décennale" va continuer à augmenter pour dépasser les 100GW après 2014 dans le scénario central. Les pics de consommation électrique sont principalement déterminés par la température extérieure qui provoque un besoin de chauffage plus important: lors de la vague de froid de février, RTE estime que 40% de la puissance appelée était due au chauffage électrique (p35). L'essor du chauffage électrique est toutefois freiné en ce moment par la nouvelle réglementation thermique 2012: cette réglementation défavorise nettement le chauffage électrique hors pompes à chaleur, ce qui réduit notoirement la compétitivité de ce mode de chauffage à cause du coût de la pompe à chaleur. Mais les usages comme l'informatique sont toujours en très nette croissance, ce qui va pousser à la hausse la pointe totale. De l'autre côté, les baisses de demande sont surtout à prévoir en cas de crise économique: l'importance de l'industrie, notamment de l'industrie lourde, ne cesse de baisser à cause de la recherche constante d'efficacité et encore plus à cause de la crise qui a stoppé nombre d'usines. En tout, RTE prévoit une hausse lente des pointes dans tous les scénarios sauf celui qui prévoit une crise économique durable.

De l'autre côté l'offre voit se développer l'éolien et le solaire, mais disparaître les centrales à combustibles fossiles. Si le solaire ne contribue que faiblement aux besoins lors de la pointe, l'éolien a une contribution lors des épisodes froids. En général, lors des vagues de froid sur la France, l'anticyclone qui en est la cause n'est pas centré sur notre pays, ce qui fait que le vent souffle ... au moins un peu. Mais cette contribution est très variable comme on peut le voir ci dessous (graphe p72, que j'ai annoté) contrib_eolien.jpg Si on voit bien l'intermittence sur ce graphe, on ne voit aucune corrélation entre consommation et production. Entre les 2 jours de consommation maximale, on voit que la production éolienne varie du simple au double, en 24h. De plus, si on regarde le retour d'expérience de RTE sur la vague de froid, on s'aperçoit que les importations (p12) et le prix (p14) ont été maximaux le 9 février, juste au moment d'un trou de vent (p10). Si l'éolien apporte une contribution, elle est foncièrement aléatoire et ne remplace pas vraiment une centrale classique.

Les centrales classiques sont, elles, atteintes par la limite d'âge, en quelque sorte. Les directives européennes anti-pollution vont entraîner la fermeture de nombre de centrales au charbon — 3.6GW sur 6.8 — et au fioul — 4GW sur 5.3. Des centrales à cogénération vont fermer, les subventions se terminant. En face de cela, quelques centrales au gaz se sont confirmées, mais pas suffisamment pour compenser (p79). capa_fossile.jpg Comme en plus la crise a fait s'effondrer les prix des permis d'émission de CO₂, le charbon est redevenu très compétitif, ce qui ne va pas inciter à la construction de centrales au gaz. Les centrales à combustibles fossiles voient aussi leur rentabilité entamée par les énergies intermittentes comme l'éolien. Pour couronner le tout, RTE prévoit que la capacité d'importation sera limitée à 4GW, en grande partie pour la même raison: la mise à la retraite de centrales.

Au total, RTE prévoit un manque de puissance de 1.2GW pour remplir son objectif en 2016, en baisse par rapport à ce qui était prévu l'an dernier (2.7GW), en partie du fait de la conjoncture économique. Pour 2017, le manque est de 2.1GW. Évidemment, on peut songer que des travaux seront sans doute faits soit pour construire des turbines à gaz, soit pour rénover des centrales au fioul pour combler ce manque. Mais on ne peut s'empêcher de penser que fermer la centrale de Fessenheim (1.8GW) n'est sans doute pas la meilleure façon d'assurer l'approvisionnement en électricité de la France.

Les conséquences du développement des renouvelables

Un encart p17 livre des informations très intéressantes en liaison avec le développement des renouvelables. Tout d'abord, RTE nous dit que ce développement va coûter 1G€ pour raccorder l'éolien au sol et la même somme pour connecter 3GW d'éolien en mer. Comme l'éolien en mer est déjà horriblement cher, on ne peut que se demander si c'était une bonne idée que d'allouer des lots aux prix proposés.

RTE nous signale aussi le projet allemand d'expansion du réseau. Celui-ci demande la construction de 4400km de lignes THT, dont 1700km de lignes THT 400kV classiques et 2100km de lignes à courant continu. Le tout pour un coût de 20G€ sur les 10 prochaines années. Mais il y a un hic: construire une ligne THT demande 10 ans actuellement du fait des procédures et de l'opposition des sympathisants d'un certain parti politique. Pour ce qui concerne la France, RTE dit qu'adopter une politique diminuant la part du nucléaire nécessiterait de doubler les interconnections sur 20 ans, pour un coût de 7G€, sachant que la vitesse de construction actuelle est très insuffisante. Ces 20 dernières années n'ont vu la construction que d'environ 1/3 des capacités d'exports de la France et certains projets, comme l'interconnexion France-Espagne, ont suivi un chemin de croix.

Un autre encart p85 nous informe aussi des évolutions commerciales et technologiques dues aux renouvelables. C'est ainsi qu'en Allemagne, où le nucléaire remplissait une offre de base fixe au cours de la journée, les réacteurs ont été modifiés pour fonctionner comme en France: avec une possibilité de modulation pour faire face aux périodes de faible consommation. On y dit aussi que dans la plupart des pays européens, la principale contrainte nouvelle posée par le développement des énergies renouvelables est celle du surplus d'offre lorsque la production renouvelable est forte. Dit autrement, on ne sait pas quoi faire de cette électricité fatale à certains moments et elle dégrade la rentabilité des équipements qui assurent réellement la sécurité d'approvisionnement. On peut par exemple s'interroger sur l'opportunité de produire beaucoup d'électricité à midi en plein mois d'août lorsque la consommation en France est pratiquement au minimum de l'année et de la payer à un prix exorbitant, sachant qu'en plus tous les pays européens sont proches de leur maximum de production au même moment.

Les conséquences de la baisse à 50% de la part du nucléaire

RTE nous propose aussi un certain nombre de scénarios à long terme dont un prend en compte la projet de faire baisser à 50% la part du nucléaire dans la production d'électricité. Tout d'abord, p29, RTE nous montre qu'il y a une excellente corrélation entre croissance économique et évolution de la demande d'électricité. On s'aperçoit aussi p84 que la consommation d'électricité ne dépend finalement pas tellement du prix: les prix allemands sont maintenant 75% plus élevés qu'en France pour les particuliers, alors qu'ils étaient nettement plus proches en 2000, l'évolution de la consommation n'a pas du tout suivi le même chemin. Par contre, la dépression en Espagne a réduit la consommation d'électricité. Une conclusion s'impose: une baisse de la consommation d'électricité est provoquée par une baisse du niveau de vie.

Le graphe de la p146 permet de résumer les différents scénarios: mix_elec_fr_50pc.jpg On constate que quoiqu'en dise RTE, le «nouveau mix» laisse penser que le niveau de vie des Français serait alors proche d'une situation de crise prolongée, même si le solde exportateur absorbe une bonne part de la différence avec le scénario médian. Dans ces conditions, il n'est pas dit que l'idée de payer plus pour le réseau et les moyens de production pour une production très comparable à l'actuelle soit très populaire. Finalement, on paierait plus pour exactement la même chose! On remarque aussi, une fois de plus, que la barre noire représentant la production d'origine fossile est la plus épaisse dans ce scénario «nouveau mix». Et, évidemment, la consultation du résultat des simulations ne laisse aucun doute: ce scénario prévoit des émissions de 30Mt de CO₂ contre 24Mt dans le scénario «consommation forte» et 27Mt en 2011. De même, si jamais on s'avisait de respecter à la lettre le programme de François Hollande — qui proposait d'atteindre cette proportion en 2025, les émissions seraient de 40Mt. Cette hausse des émissions par rapport à l'année 2011 est due au besoin de faire fonctionner plus de centrales au gaz pour pallier l'intermittence de l'éolien et du solaire. Il est difficile de considérer cette issue comme souhaitable: on paierait donc plus cher pour autant d'électricité et plus d'émissions de CO₂ qu'aujourd'hui, sans compter les difficultés d'approvisionnement en gaz.

Pour conclure, on voit donc que la politique française en matière énergétique est face à certaines contradictions. Le modèle économique des installations à combustibles fossiles qui assurent réellement l'équilibre entre l'offre et la demande est durablement affecté par l'éolien et le solaire. Ces énergies sont plus chères mais bénéficient d'un traitement favorable sans aucune contrepartie en termes de disponibilité. Comme la production française d'électricité est déjà largement décarbonée, l'intérêt des renouvelables dans la production d'électricité est clairement douteux, mieux vaudrait investir ailleurs. On voit aussi que les pouvoirs publics ont concentré leurs moyens sur ces énergies, au lieu de s'attacher à la sécurité d'approvisionnement. Bien au contraire, les politiques proposent des mesures qui vont en sens contraire comme des fermetures de centrales nucléaires. Mais en plus, on s'aperçoit que remplacer le nucléaire par des renouvelables va aboutir à l'effet inverse de l'effet recherché: faire baisser les émissions de CO₂. L'idéologie est décidément mauvaise conseillère.

3 août 2012

Débattre sans a priori

Dans le rapport de la commission sur le coût de l'électricité, l'auteur du rapport proclame son attachement à un débat sans a priori sur la question du nucléaire et d'en étudier tous les aspects. Bizarrement, ce chapitre se limite aux questions de vieillissement du parc, des déchets radioactifs, des risques d'accidents et de leurs coûts. Tout aussi curieusement, le stockage d'énergie par électrolyse de l'eau n'envisage comme source d'énergie que les renouvelables intermittents.

Toujours dans un esprit ouvert, on nous présente 3 scénarios de production électrique qu'on peut résumer grâce aux 3 graphes servant à les présenter. Scénario Sobriété Scénario Intermédiaire Scénario nucléaire Le premier scénario, dit «sobriété», propose de sortir du nucléaire le plus rapidement possible en se reposant pour une bonne part sur les énergies renouvelables intermittentes, solaire et surtout éolien. Le scénario «intermédiaire» propose une division par 2 de la production nucléaire à horizon 2050. Le troisième, dit «nucléaire nouvelle génération», propose d'augmenter légèrement la production nucléaire au niveau actuel et d'augmenter la production totale d'électricité de 150TWh — soit environ 25% de la production actuelle.

On s'aperçoit donc que l'auteur n'envisage pas que la production nucléaire augmente encore beaucoup, ni même une forte augmentation de la production d'électricité provenant de sources décarbonées. Pourtant, le bilan énergétique de la France pour 2010 montre qu'on a consommé pour 1500TWh de combustibles fossiles en 2010 (p34). Comme il faut diviser cette consommation par un facteur 4 au moins pour cause de réchauffement climatique, remplacer une part substantielle des énergies fossiles par des sources non carbonées est sans doute une nécessité. Or, les sources dont on peut augmenter la production permettent principalement de produire de l'électricité. Certes, aucun scénario précis n'a peut-être été présenté par un des intervenants, mais au moins un, Jean-Marc Jancovici, était favorable à une telle issue.

Dans ce cadre, les 2 autres scénarios paraissent extraordinairement restrictifs puisqu'ils feraient a priori porter tout le poids de la sortie des énergies fossiles sur des économies d'énergie auxquelles ils rajoutent la nécessité de se priver d'une part au moins de l'énergie nucléaire actuellement disponible. Le premier scénario est aussi très surprenant. Il est dit dans le texte qu'il faudrait compter sur un développement important du stockage: des ressources importantes devraient être consacrées à la recherche et à la mise en oeuvre d'infrastructures de stockage d'énergie. Or le développement sur l'électrolyse de l'eau ne laisse envisager qu'un rendement extrêmement faible, inférieur à 35% ce qui grèverait fortement l'intérêt du stockage dans un tel scénario où l'énergie serait sérieusement rationnée. On ne voit pas aussi quelle importance aurait le stockage d'énergie sur le graphique. L'aspect stockage est aussi ignoré quand il s'agit de passer au chiffrage des coûts.

Un autre point attire l'attention: en regardant bien, ce premier scénario est celui où la production d'origine fossile est la plus importante. Dans le texte, on dit aussi que ce scénario suppose la construction de nouveaux équipements de production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelable mais aussi très probablement, du moins tant que les technologies de stockage ne sont pas matures, de centrales à gaz. Il s'agit d'une part de compenser l'intermittence des sources d'énergie renouvelable, d'autre part de fournir une électricité de complément si le rythme de développement de celles-ci n'est pas suffisant. Dit autrement, cela ne pose pas vraiment de problème aux tenants de ce scénario que les émissions de CO₂ ne soient pas minimisées. En clair, le problème du réchauffement climatique est moins important que le risque pris avec le nucléaire. C'est une position étonnante, puisque le stockage de l'énergie peut remplir exactement les fonctions que remplissent actuellement, en France, les combustibles fossiles dans la production d'électricité: faire face aux périodes de forte consommation et aux inattendus. Ce scénario devrait donc être celui de la vertu énergétique, celui où les combustibles fossiles sont totalement éliminés.

On ne surprendra personne en disant que, dans sa conclusion , le rapporteur Vert de la commission annonce que ce premier scénario a sa préférence. On peut donc en déduire les priorités qu'ont les Verts: sortir du nucléaire est plus important qu'éviter le réchauffement climatique, pourtant considéré comme porteur de bouleversements considérables de la nature par le consensus scientifique. Vraiment, pour débattre du nucléaire ou, plus exactement, de sa sortie, il ne faut avoir aucun a priori ni aucun tabou.

1 août 2012

Leçon d'enfumage

La commission sur le coût de l'électricité a rendu un rapport qui a été à juste titre dénoncé comme relevant de la pure idéologie écologiste ailleurs. Mais leur argument massue, que le consommateur français paie plus au total pour son électricité que ses voisins malgré des prix bas, est basé sur un tableau très probablement faux.

Le rapport consacre en effet un développement aux prix de l'électricité en Europe. Il commence par constater que le prix de l'électricité est bien moins élevé en France que partout ailleurs en Europe de l'Ouest. Il faut aller chercher la Grèce, la Finlande ou les pays de l'est pour trouver des prix équivalents. Avec un coût d'un peu plus de 140€/MWh à fin 2011 pour les particuliers, les prix français sont très compétitifs et n'ont pas suivi la hausse des prix causée par le choc pétrolier d'après 2004 comme ailleurs en Europe.

Mais cela n'arrête pas l'auteur, qui nous donne ensuite à voir le tableau suivant: Tableau des dépenses énergétiques avec données fausses On constate que selon ce tableau les ménages français ont la facture d'électricité la plus élevée d'Europe et une facture totale énergétique en ligne avec celle des pays du nord de l'Europe pourtant moins bien lotis du point de vue du climat.

Mais ce tableau est trompeur pour deux raisons au moins. La première, c'est que les données du tableau source d'Eurostat sont exprimées en parité de pouvoir d'achat. C'est sans doute mineur, mais avoir recopié directement ces données puis avoir confondu euros nominaux et parité de pouvoir d'achat n'augure rien de bon. La deuxième, c'est que depuis 2005, les prix des énergies fossiles, celles qui complètent le budget ont subi une forte augmentation des prix. En 2005, le prix moyen du baril de Brent était d'environ 60$, en 2010 de 80$, en 2011 de 100$. L'impact sur les prix du gaz et du fioul sont certains, il doit donc aussi y avoir un impact sur la facture finale.

Ce tableau a aussi — et c'est le vrai problème — toutes les chances d'être faux. On peut s'en rendre compte en partie dès le tableau suivant. Ce tableau-là donne le résultat des calculs de Global Chance, en se basant sur les prix du premier semestre 2011. Et là, surprise: la facture annuelle par ménage n'est plus que de 670€/an environ, en comptant 2 personnes par ménage. Le passage des euros nominaux aux parités de pouvoir d'achat ne peut expliquer une telle différence. On constate aussi que la facture d'un ménage allemand est aussi nettement plus élevée que celle d'un ménage français, contrairement à ce que laissait penser le tableau précédent.

Pour essayer de savoir si cette suspicion est justifiée, on peut se reporter à l'enquête de l'INSEE sur la consommation des ménages. À l'aide des tableaux proposés, on peut calculer que la facture moyenne d'électricité était d'environ 662€ par ménage en 2005. Un nouvelle fois, c'est bien loin des 852€ proclamés par le tableau devant donner les dépenses de consommation par énergie. La même source montre que les dépenses annuelles d'énergie dans les logements — le tableau d'Eurostat ne compte que cela — sont probablement inférieures à 1200€ par ménage: la somme du gaz, de l'électricité et du fioul donne environ 1175€.

On peut aussi procéder à partir des données d'Eurostat. On peut y trouver les données de population, de taille des ménages, une base de données sur l'énergie avec les consommations énergétiques classées par types, un prix typique pour le gaz et l'électricité. La commission fournit les prix du fioul. On trouve alors les résultats suivants, sachant que la précision n'est pas excellente du fait du mode de calcul. Dépenses énergies pour les logements en 2005 Dépenses énergies pour les logements en 2010 On peut voir que loin d'avoir la facture globale par habitant la plus élevée, la France se place plutôt bien. On remarque aussi que la hausse de la facture a été limitée par rapport à d'autres pays car les prix de l'électricité ne sont pas, en France, indexés sur les cours du pétrole.

Tout ceci ne serait pas très important si les opposants au nucléaire ne faisaient pas de l'argument de la facture totale un argument bizarre: que la forte consommation d'électricité, causée par des prix bas, fasse que la facture totale soit en fait relativement élevée. C'est un argument bizarre car il fait l'impasse sur les investissements qu'il faut faire pour moins consommer mais atteindre un même résultat: ces investissements sont notoirement inutiles financièrement lorsque les prix de l'énergie sont bas. Mais même en regardant la facture globale, on constate que la France est plutôt bien lotie. La cause, en fait, est bien connue: les logements chauffés à l'électricité le sont de façon efficace, à cause justement du prix élevé de l'électricité par rapport au gaz et au fioul; pour le reste, les gains d'efficacité ne sont souvent pas extraordinaires à prestation égale, ce qui fait que la demande d'électricité ne dépend pas beaucoup de son prix. Bref, l'argument de la facture totale relève de l'enfumage total de la part des anti-nucléaires.

7 juillet 2012

L'échec de la concurrence dans le domaine énergétique

Il y a quelques jours Le Monde publiait un article qui revenait sur le peu de succès des opérateurs alternatifs aux monopoles de fait dans la fourniture du gaz et de l'électricité, GDF et EDF. On peut retirer de l'article qu'aller voir la concurrence représente en fait peu d'intérêt — à peine quelques pourcents sur la facture dans le meilleur des cas — à cause de la prééminence de coûts régulés encore forts présents et de la compétitivité de l'électricité nucléaire. Les perspectives d'avenir tracées à la fin semblent considérer que cet état de fait va durer à moins qu'une tarte à la crème prenne subitement de l'importance: que des clients paient pour être au service des producteurs pour recevoir des conseils sur comment mieux consommer.

Il me semble qu'il est important de revenir sur les raisons probables de cet échec et de le comparer avec le succès de l'ouverture à la concurrence des télécoms.

Les raisons du succès de la concurrence dans les télécoms

Au début des années 90, l'UE a décidé d'ouvrir les marchés des télécoms à la concurrence. Dans un premier temps, cela a concerné les minutes de communication. On pouvait alors choisir un opérateur qui facturerait moins cher les minutes de communication. Cela reposait en fait, au départ, sur la capacité des opérateurs alternatifs à acheter en gros les minutes de communication puis de les revendre au détail, sans être encombré par les dépenses de personnel de France Télécom. La liberté de tarification de France Télécom sur le marché de gros était réduite de façon à ce que les concurrents puissent s'installer, un peu à la manière dont comptent agir les autorités communautaires sur le marché de l'énergie. Mais, moins de 20 ans plus tard, cet aspect est marginal sur le marché des télécoms: le véritable succès vient d'ailleurs, de profonds changements technologiques.

Le premier changement qu'on peut nommer est l'arrivée à maturité des technologie de transport de l'information par fibre optique. Au début des années 90, ce n'était pas vraiment une nouveauté, le principe était connu depuis 20 ans, mais les progrès ont été si rapides, tant dans les matériaux que dans les techniques de modulation et de multiplexage, que le coût de transport de l'information est devenu nettement plus intéressant. Les fibres sont maintenant incomparablement transparentes, il faut faire parcourir de l'ordre de 15 à 20km pour que le signal perde la moitié de son intensité. Les techniques de modulation ont permis d'augmenter le débit sur un seul canal, les techniques de multiplexage ont permis de multiplier les canaux sur une seule fibre. Il est aussi relativement facile de déployer un réseau de fibre optique: on peut suivre des axes déjà bâtis comme les autoroutes, les voies de chemin de fer; il n'y a pas de grands travaux de BTP à mener, il s'agit en général d'une simple tranchée à creuser sur le bas-côté avec des guitounes pour réamplifier le signal de loin en loin. On peut aussi installer les lasers nécessaires au fonctionnement des canaux au fur et à mesure des besoins, ce qui limite le coût d'investissement initial. Il n'y a aussi aucune opposition au déploiement de ce réseau vu sa faible empreinte. Bref, il est devenu possible de transporter de grandes quantités d'informations sur grandes distances, à un coût raisonnable, sans grandes difficultés d'installation. Cela a permis à de nouveaux entrants de construire leur propre réseau qu'ils ont pu rentabiliser en quelques années.

Le deuxième changement est l'arrivée de l'ADSL. Cette technologie permet d'utiliser le réseau existant pour faire passer nettement plus d'information. Ce réseau étant déjà largement amorti et régulé pour la phase téléphonie classique, cette technologie est peu coûteuse. Le plus dur est d'arriver à ce que des firmes autres que le monopole aient accès au répartiteur pour y installer leurs équipements. Le développement concomitant d'Internet permet d'avoir une demande pour ce type de technologie: finalement, les clients sont prêts à payer plus pour un nouveau service. Les nouveaux arrivants peuvent aussi proposer des services combinés avec Internet, téléphone illimité & télévision: de toute façon le coût marginal de l'octet échangé est pratiquement nul, il s'agit surtout de convaincre les clients de payer les coûts d'investissement dans un premier temps.

Le troisième changement est la téléphonie mobile. Avec la téléphonie mobile, plus besoin de construire un réseau filaire local puisqu'on utilise des bornes radio. Ça permet d'introduire de la concurrence parce qu'installer des bornes radio est moins cher que de construire ce réseau local. Le réseau à longue distance est, lui, construit grâce à la fibre optique. Une nouvelle fois, on apporte un service supplémentaire aux clients, qui sont prêts à payer pour. Les téléphones portables sont devenus des objets communs sans qu'on ait forcé qui que ce soit. Avec les offres à 2€/mois, les offres mobiles sont devenues bien plus compétitives que les offres filaires si on veut «juste» téléphoner. Installer des bornes téléphoniques est devenu un peu plus compliqué dernièrement à cause d'hurluberlus, mais ils ont arrivés trop tard pour empêcher le décollage d'une invention qui est indéniablement profitable à la société.

Au final, la libéralisation des télécoms a été un succès grâce à l'apparition de nouveaux services rendus possibles par des changements technologiques. Cela ne veut pas dire que les sociétés ne formeront pas des oligopoles peu concurrentiels à l'avenir — comme le montre l'exemple de la téléphonie mobile avant l'arrivée de Free ou l'ADSL ailleurs qu'en France — mais qu'en phase de changement technologique, la concurrence peut accélérer les choses et répandre des technologies de façon très rapide. Mais ça ne marche bien que si les clients sont prêts à payer pour ces fameux services supplémentaires. On peut aussi voir que la question des tarifs du téléphone a presque disparu de l'agenda récurrent des politiques: personne ne hurle contre les hausses de tarifs, on constate plutôt des baisses de prix à service constant sous la pression du changement technologique. La demande pour les nouveaux services suffit à rentabiliser rapidement les investissements comme le montre le cas de Free, l'intervention publique est relativement limitée et souvent très technique.

Le cas de l'énergie

Les cas du gaz et de l'électricité sont très différents.

Le gaz est un type d'énergie dont on aimerait se passer pour cause de manque de ressources et d'ennuis climatiques. On n'attend pas non plus de rupture technologique dans le transport du gaz. Investir dans le réseau n'est donc pas forcément très intéressant. Il y a par contre des nouveautés dans la production, avec les gaz non conventionnels qui pourraient résoudre les problèmes d'approvisionnement ... mais aggraver le problème du réchauffement climatique s'ils ne font que s'ajouter aux ressources existantes. Une certaine opposition est aussi apparue contre ce mode de production. L'extension du réseau d'électricité, notamment à haute tension, rencontre une opposition intense de la part de ceux qui habitent à proximité. Impossible donc d'étendre ce réseau sans planification ni implication forte de l'état. Là non plus pas vraiment de rupture technologique en vue: les supraconducteurs ne sont pas spécialement bon marché. Contrairement aux télécoms, il n'y a pas à attendre grand chose de ce côté. La distribution de gaz et d'électricité reste pour l'essentiel et pour le futur prévisible un monopole naturel. C'est d'ailleurs pensé comme tel: les réseaux de transport de gaz et d'électricité sont considérés comme des monopoles naturels à réguler séparément du reste. Pour ce qui est des réseaux locaux, ils sont vus comme les réseaux d'adduction d'eau: des réseaux à concéder — ou pas — qui ne sont rien d'autre qu'une juxtaposition de monopole naturels locaux.

Les fournisseurs finaux pourraient penser procéder comme pour les minutes de téléphone: acheter en gros et vendre au détail, en voulant profiter de moindres frais d'organisation pour être plus compétitif que le monopole naturel. Malheureusement, cette voie est aussi largement barrée: alors que le coût marginal d'une minute de téléphone est très proche de 0, ce n'est pas le cas du m³ de gaz ou, en général, du kWh d'électricité. Les gains d'échelle sont donc fondamentalement limités. On se retrouve rapidement à devoir demander l'intervention de l'état, face à laquelle le monopole en place peut montrer que ses coûts marginaux sont bien réels. On se retrouve au bout du compte avec une tarification qui ressemble plus ou moins à ce qui présidait avant avec la facturation des coûts moyens. Ce n'est donc pas un hasard si on a vu apparaître l'ARENH, prix et conditions diverses fixés par l'état pour l'électricité nucléaire qu'EDF doit vendre à ses concurrents.

L'autre voie serait de vendre des services supplémentaires. Mais on voit mal quels services nouveaux sont permis par la fourniture d'électricité et vraiment demandés par les clients. On parle beaucoup des smart grids dans ce domaine. Cependant les fournisseurs finaux n'installeront sans doute pas les nouveaux compteurs: il faut s'assurer de la compatibilité mutuelle des équipements et les temps d'amortissement sont plutôt comparables avec des activités de réseau. Ils se contenteront donc des services. Ils proposeraient aux clients de moins consommer: on voit mal ce qu'ils apporteraient de plus que les services d'un architecte ou d'un artisan faisant des travaux chez soi. On voit aussi mal comment ils se rémunèreraient différemment d'un architecte dans ce cas: après les travaux, les volumes vendus diminueraient. Pour le gaz, c'est le service qui semble possible, vu que la diminution de la consommation est l'objectif officiel. Pour l'électricité, les choses sont un peu différentes: là, les smart grids prennent un tour plus orwellien. Il s'agirait de déplacer la consommation pour éviter les pointes ou carrément pallier aux insuffisances de production, qui sont plus ou moins regroupées sous l'appellation consommer mieux. On se doute que s'il s'agit de ne pas pouvoir regarder le match de foot sur son écran plat, le client risque de ne pas être convaincu par l'amélioration. Il faut donc disposer de consommation qu'on peut déplacer et actuellement, il s'agit essentiellement du ... chauffage électrique. Ce point est d'ailleurs parfois pris en compte par certains scénarios "100% renouvelables". C'est aussi l'idée qui fonde le tarif heures pleines - heures creuses en France. On note toutefois une certaine différence entre les désirs des promoteurs du consommer mieux et la réalité que semble devoir impliquer le concept. Étant donné l'opposition au chauffage électrique dans certains milieux politiques et la faisabilité du reste, il me semble que cette idée de vendre des services supplémentaires soit vouée à rester d'une ampleur limitée.

Si on veut une concurrence dans le domaine de l'énergie, la question des prix de production — donc des moyens — semble donc incontournable.

La vexante question des prix et des coûts de production

Lorsqu'on se tourne vers la question de la production, on s'aperçoit qu'en fait, sur ce sujet, il n'y a jamais eu de monopole légal de la production tant de gaz que d'électricité. La seule production significative de gaz sur le territoire français a été le gaz de Lacq. La conséquence a été que dans le Sud-Ouest, le réseau de distribution de gaz est organisé autour de l'ancien gisement et toujours détenu par l'exploitant de celui-ci, Total, qui l'a hérité d'Elf. Ce gisement ne suffisant pas à satisfaire les besoins français, on a procédé à des importations. De toute façon, le gaz étant une énergie régionale et substituable au pétrole, les prix de la matière première sont déterminés sur les marchés internationaux. Et pour l'Europe, la tendance semble être à la hausse des prix. En effet, l'exploitation des gisements de la Mer du Nord décline, actuellement lentement, mais ce déclin s'accélèrera après 2020-2025. La Russie a déjà du mal à fournir toutes les quantités demandées. Faire venir du gaz par méthanier coûte relativement cher à cause du processus de liquéfaction qui est gourmand en énergie. Enfin, le gouvernement français a interdit — pour l'instant du moins — d'exploiter d'éventuels gisements de gaz de schiste. Face à cette contrainte sur les volumes à consommer, la demande ne faiblit pourtant pas, le gaz étant de plus en plus employé à la place du charbon pour produire de l'électricité car il pollue moins et s'adapte mieux au contexte réglementaire et politique européen. Le gaz est aussi de plus en plus demandé dans les pays d'Asie. Le prix de l'énergie étant un sujet majeur de la politique, les différents gouvernements s'acharnent à ignorer ces réalités et cherchent à bloquer les prix, sans égards pour les conséquences. Dans ce contexte, on voit mal comment pourrait se développer la concurrence: l'ancien monopole est forcé de proposer des tarifs inférieurs aux prix qu'imposeraient les marchés internationaux. Pourquoi quitter le fournisseur qui propose les prix les plus bas et sera le dernier à augmenter ses tarifs?

Pour ce qui est de l'électricité, de même, il n'y a jamais eu de monopole de production. L'exemple le plus frappant est celui de la Compagnie Nationale du Rhône qui a échappé à la nationalisation après la Libération. Ainsi en est-il aussi d'autres barrages. Reste qu'EDF pouvait connecter les centrales un peu comme bon lui semblait, mais avec l'ouverture à la concurrence, les risques de discrimination ont disparu. Aujourd'hui, le problème vient qu'à peu près tous les moyens neufs de production ont un coût moyen du kWh produit supérieur aux prix du marché: personne n'a donc vraiment envie d'en construire sans subvention, ou qui conduit ceux qui s'y sont risqués à la faillite. Ce problème est amplifié en France par l'importance du parc nucléaire: comme le prix de l'électricité nucléaire ne dépend que marginalement du prix du minerai, les prix de vente aux particuliers, fixés par l'état, ont faiblement varié par rapport à d'autres pays comme le montrent les graphes ci-dessous. prix_elec_ttc.jpg prix_elec_ht.jpg Les prix hors taxes reflètent le plus fidèlement les prix du parc déjà installé au début des années 2000: on voit qu'EDF échappe à la hausse généralisée à partir de 2005 du fait de sa faible dépendance aux combustibles fossiles. Comme c'était rappelé dans l'article du Monde, les autres producteurs ne peuvent pas rivaliser avec le parc nucléaire. Ce n'est pas seulement dû à l'amortissement du parc, mais aussi au fait que tous les concurrents commenceraient par construire des centrales demandant des investissements moindres: difficile pour un nouvel arrivant de dépenser plusieurs milliards d'euros avant de se constituer une clientèle.

Cette importance des investissements dans l'industrie électrique se retrouve aussi dans le modèle imposé par la Commission. Pour empêcher que le monopole en place n'interdise l'entrée de concurrents, elle a poussé pour que la facturation de la production d'électricité se fasse en fonction du prix spot et a entravé les contrats à long terme. Dans le cas contraire, il aurait suffi à EDF de faire signer des contrats à long terme aux industriels pour enlever tout espoir de développement à la concurrence. De ce fait, pour minimiser les risques, le mode de production privilégié sera celui qui nécessitera le moins de nouveaux investissements et dont le coût marginal sera donc proche du coût total. Cela permet de passer assez facilement les hausses de tarifs aux clients — puisque le coût marginal se reflète dans le prix spot — et d'éviter les risques de pertes en capital. Cet état de fait est très bien expliqué dans ce papier de William Nuttal. Le seul point qui peut perturber cet attrait du gaz est qu'il y a besoin d'une corrélation entre le prix du gaz et de l'électricité, qui a tendance à disparaître lorsque le parc nucléaire est important. Une autre conséquence de la libéralisation est la faible planification pour remplacer les moyens de production existant et leur utilisation maximale: investir représente un risque conséquent et un coût à faire assumer par les clients. Et après de longues années, quand vient le temps de remplacer de vieilles centrales, par peur du black out, on voit le gouvernement anglais changer quelque peu de position.

À la suite du contre-choc pétrolier et la mise en exploitation du gaz de la Mer du Nord, le gaz est devenu très compétitif au Royaume-Uni, d'autant que les sources locales de charbon se sont taries. Tant ce prix intéressant que les faibles besoins en investissements ont fait que le Royaume-Uni tire aujourd'hui presque 50% de son électricité de turbines à gaz à la suite de la libéralisation du secteur de l'électricité. À la fin des années 90 et du début des années 2000, les spécialistes du gaz expliquaient que les CCGTs étaient la moins chère des façons de produire de l'électricité, ce qu'on peut voir sur les graphes de prix: les pays spécialisés dans le gaz ont les prix HT les plus bas au début des années 2000. On comprend bien alors le bénéfice que voyait la Commission à libéraliser le secteur: on pouvait voir là une source de baisse de prix. Depuis, les choses ont quelque peu changé et, même s'il en émet moins que le charbon à énergie égale, les émissions de CO₂ dues à la combustion du gaz le rendent indésirable à terme. Le méchant monopole EDF a donc vu le choix du nucléaire dans les années 70 payer de nouveau quand sont réapparues, après 2005, des circonstances similaires au choc pétrolier ayant présidé à ce choix.

En plus de cela, les prix TTC montrent que l'action des états n'est pas neutre non plus: certains états affichent une forte différence entre les prix HT et TTC, notamment l'Allemagne. On aura reconnu les pays qui se sont lancé dans une politique de productions renouvelables. Comme elles sont fort chères et que leurs production ne sont pas corrélées à la demande et très intermittentes, personne ne les construirait sans subventions. Le mode de subvention choisi est la vente à un prix garanti. Aucune concurrence n'est donc possible: tous les producteurs vendent à ce prix garanti, l'état lève la même taxe sur tous les particuliers quelque soient les fournisseurs finaux. Ces modes de production partagent avec le nucléaire le fait d'être des industries à coûts fixes qui se prêtent très bien aux contrats à long terme ou aux tarifs régulés, des modes de rémunération plutôt centrés sur le coût moyen que le coût marginal. Et c'est pourquoi, en Allemagne, des voix se font entendre pour que les règles changent et que la Commission change de position sur la question de la tarification pour favoriser les renouvelables.

Quelques conclusions

Le projet de libéralisation de l'énergie reposait au fond sur une situation de fait qui a depuis changé: le faible prix des combustibles fossiles et notamment du gaz. Mais comme l'approvisionnement en gaz se fait plus incertain et que les préoccupations climatiques occupent, au moins officiellement, le devant de la scène, l'intérêt est devenu clairement douteux. À ce moment, dans les années 90, la technologie de la turbine à gaz semblait devoir s'imposer définitivement et elle est très adaptée à un marché libéralisé: faible investissement, coût dirigé par le prix du combustible.

Malheureusement, le fait que le prix de l'énergie soit un sujet récurrent du débat public empêche, au moins en France, de suivre les soubresauts du prix du gaz imposés par les marchés financiers. Aucun concurrent ne peut s'implanter: l'ancien monopole est forcé de mener une politique de prix bas, voire de vendre à perte en période de forte hausse. Pour ce qui est de l'électricité, on comprend bien que dès lors que le nucléaire, et surtout les centrales de Génération II déjà construites, devient extrêmement compétitif, seuls les moyens subventionnés sont construits. On voit donc mal sur quoi se jouerait la concurrence et on voit même des industriels demander à payer pour assurer l'avenir du nucléaire et se protéger contre la prévisible hausse des prix. Autrement dit, les évolutions du prix des combustibles fossiles ont fait redevenir la production d'électricité ce qu'elle fut dans les années 70: une activité qui ressemble énormément à un monopole naturel.

6 juin 2012

À propos du record de production solaire en Allemagne

Le 25 et 26 mai derniers, la production d'énergie solaire a atteint un maximum en Allemagne, nouvelle qui a été relayée en France. La puissance au pic d'ensoleillement de la mi-journée a été d'environ 22GW ces deux jours, la puissance installée étant de 27GW à la fin de l'année dernière. Le samedi 26 mai, le solaire et l'éolien ont représenté plus de la moitié de la consommation vers midi — mais un peu moins de la moitié de la production.

C'est l'occasion de voir quelles sont les performances réelles de l'énergie solaire aujourd'hui

Aperçu du système électrique allemand sur quelques jours

Commençons par voir ce qui s'est produit les 25 et 26 mai. Les graphes ci-dessous donnent l'essentiel de ce qu'on peut savoir aujourd'hui. Contrairement à la France, l'ensemble des opérateurs de centrales classiques ne publient pas de manière centralisée les données de production. L'échantillon détaillé donné sur le site transparency.eex.com ne recouvre visiblement pas toute la production classique — il manque environ 7GW au maximum — et n'est accessible qu'en payant. On peut toutefois obtenir les données agrégées pour toutes les centrales de plus de 100MW, ce qui, en se basant sur ce qui se passe en France, permet d'approximer la production hors solaire et éolien à environ 2GW près. On peut aussi trouver sur ce site les productions de l'éolien et du solaire. On a donc une bonne idée de la production d'un jour donné. Pour ce qui est de la consommation, le plus simple est en fait de prendre les données de entsoe.net sur les échanges transfrontaliers: ils donnent la différence entre la consommation et la production. Même si j'ai pu constater des bizarreries sur ces données, elle n'en donnent pas moins une idée correcte de la situation. J'ai mis les données récoltées dans une feuille Google.

Électricité en Allemagne le 25/05/2012 Électricité en Allemagne le 26/05/2012

La différence entre le vendredi et le samedi est flagrante, avec une baisse de la consommation le samedi d'un quart. On peut constater qu'effectivement sur ces deux jours, la production d'électricité solaire est forte. Cependant, on voit aussi qu'il y a un talon de production plus classique, d'environ 35GW le 25 et de 30GW le 26. Cette production provient des installations tournant en base, principalement des réacteurs nucléaires (10GW) et des centrales au lignite (13GW), chacun de ces deux modes de production apportant plus d'énergie sur la journée que le solaire.

On voit aussi que le solaire est grossièrement corrélé à la variation de la consommation ces jours là. Cette corrélation n'est qu'imparfaite: le vendredi matin, il est nécessaire de faire appels aux moyens classiques et aux importations. En milieu de journée, la situation s'inverse et l'Allemagne devient exportatrice. Ces jours-là, l'Allemagne a tout de même pu éviter de recourir à des moyens de pointe.

Si on regarde ce qui s'est passé d'autres jours, par exemple le 31 mai et le 1er juin, on obtient les graphes suivants: Électricité en Allemagne le 31/05/2012 Électricité en Allemagne le 01/06/2012

Le jeudi 31, la consommation est au-delà de 70GW, ce qui montre que le vendredi est déjà un jour de plus faible consommation. La puissance crête du solaire de ces jours est 2 deux fois plus faible que le 25 et le 26 mai, la place étant en partie prise par l'éolien ... et le retour des moyens fossiles. Les exportations sont aussi nettement plus faibles le 31. Le 1er juin, par contre, les exportations sont nettement plus fortes, en grande partie à cause de la relativement forte puissance de l'éolien. Cela montre aussi le défaut du solaire et de l'éolien: ce sont des productions intermittentes qui peuvent être présentes — auquel cas on a droit à des communiqués de presse — ou absentes — auquel cas ce n'est pas une nouvelle.

Pendant ce temps là, en France

Le 25 mai en France, on peut aussi constater, grâce aux données de RTE que l'électricité est presque totalement décarbonée grâce au nucléaire — qui assure l'essentiel de la base — et à l'hydraulique — qui assure le suivi de charge au cours de la journée. En France, il n'y a qu'une faible puissance produite par les combustibles fossiles: sans doute quelques centrales à cogénération qui, subventionnées, tournent tout le temps et les centrales qui tournent en partie pour servir de réserve au cas où. La France est aussi constamment exportatrice au cours de la journée, moins vers midi pour faire face à la consommation intérieure française ... et à la production solaire ailleurs.

Électricité en France le 25/05/2012

Mais cette situation est récurrente depuis que le parc nucléaire français est devenu suffisamment important, elle ne peut donc prétendre faire la une, même si elle se produit tous les jours ou presque de mai à septembre.

Du prix de l'électricité

L'électricité est une marchandise éminemment périssable puisqu'elle doit être consommée d'une façon ou d'une autre dès qu'elle est produite. En conséquence, elle correspond pas trop mal aux biens canoniques étudiés en cours d'économie. Le prix où on peut la vendre correspond donc grosso modo au coût marginal, celui de la dernière unité produite. Les choses sont un peu plus compliquées, comme expliquées dans cet article. On peut cependant retenir la chose suivante: la rentabilité effective des moyens de base repose sur le fait qu'ils ne suffisent pas à satisfaire toute la demande et perçoivent une rente, les moyens de pointe pouvant espérer compter sur leur rareté et leur pouvoir de marché. En cas de surplus ou de pénurie, on peut s'attendre à des variations rapides de prix, à la baisse ou à la hausse.

Dans un système sans renouvelables intermittents, les prix varient surtout en fonction de la demande: la prévision détermine quels sont les moyens appelés, aisément classés par leur coût marginal. La demande étant relativement prévisible, les variations de prix ne sont pas très rapides. Avec les renouvelables intermittents, la production est nettement plus incertaine, dépendant des conditions météorologiques qu'on a toujours du mal à prévoir à l'avance. L'éolien et le solaire ont aussi pour caractéristique d'avoir un coût marginal nul pour deux raisons:

  1. Le système de subventions avec obligation d'achat oblige le gestionnaire du réseau à prendre cette électricité, dont il doit se débarrasser d'une façon ou d'une autre. Des limites sont posées pour la sécurité du réseau, mais il n'y a pas a priori de prix minimal à la revente au consommateur pour cette électricité
  2. Les caractéristiques techniques de ces productions qui n'utilisent aucun combustible pour produire une fois installées

La combinaison de l'imprévisibilité et du coût marginal nul pousse fortement les prix spot à la baisse en cas de surplus. On peut même constater des prix négatifs, arrêter les centrales de base étant plus compliqué que d'arrêter un vélo. Inversement en cas de manque, les prix partent rapidement à la hausse, car on est obligé de faire appel à des moyens de pointe, seuls capables de réagir suffisamment vite.

Suite aux efforts de la commission européenne pour créer un marché commun de l'électricité, les marchés du Bénélux, de la France et de l'Allemagne se sont couplés, c'est-à-dire que les prix doivent être égaux sauf quand les capacités d'interconnexions sont saturées. L'idée est d'optimiser l'usage des moyens de production, les plus chers n'étant appelés que le plus tard possible. Le revers de la médaille, c'est que les prix sont a priori déterminés par le moyen de production le plus cher appelé dans toute la zone, même si localement, les prix pourraient être plus bas.

Cependant la consultation des prix spot sur les journées considérées montrent que les prix ne sont alignés en France et en Allemagne que sur la journée du 31 mai, celle où la production renouvelable est relativement moins importante et aussi plus stable, l'éolien variant assez peu sur cette journée. On remarque que lorsque la production renouvelable est très forte, les prix allemands sont plus bas qu'en France, parfois de beaucoup comme le 1er juin où le différentiel atteint presque 30€/MWh au maximum, et lorsqu'il y a un manque relatif, comme le matin du 26 mai, les prix allemands sont plus élevés. L'effet des renouvelables sur le prix spot conduit aussi à trouver le prix minimal du 26 mai en pleine journée, lorsque le solaire est à son maximum. Sur cette journée, le prix moyen de l'électricité solaire est inférieur au prix moyen de l'électricité sur la journée.

Quelles conclusions?

La première conclusion, c'est qu'avec de telles puissances, sur ces jours-là, le solaire a bien remplacé des moyens de production thermique à combustible fossile. Il a plus exactement remplacé les centrales chargées d'assurer le suivi de charge au cours de la journée. Le revers de la médaille, c'est que d'autres jours, les jours d'été nuageux et les jours d'hiver, ces moyens sont appelés pour répondre à la demande. Le solaire ne peut donc les remplacer, ils tournent simplement moins souvent.

On voit aussi que l'Allemagne est devenu un pays qui a quasiment un bilan d'exportation équilibré depuis l'arrêt de 8 réacteurs nucléaires, alors que c'était un pays qui exportait beaucoup jusque là. La dynamique des exportations semble maintenant être déterminée par les productions d'électricité renouvelable, éolien et solaire. La demande locale ne s'adapte pas aux variations de production et les installations tournant en base ne s'arrêtent pas pour laisser la place. En quelque sorte, l'Allemagne a d'abord fait émettre plus de CO₂ à ses voisins, puisque les installations libres sont souvent celles à combustibles fossiles, avant de leur demander de recevoir de façon aléatoire son surplus de renouvelables. Ce deuxième aspect peut sembler favorable, mettant à l'arrêt des installations polluantes, mais quand on constate qu'à cause de l'intermittence les flux frontaliers sont en sens contraire aux prévisions dans 90% des cas, on ne peut que se dire que ces flux ne seront pas bienvenus très longtemps, surtout que leur importance va s'accroître à cause du développement des sources intermittentes.

La comparaison avec les installations de base montre aussi que le solaire, malgré la puissance installée, aura le plus grand mal à assurer une production d'importance. C'est ainsi que sur les journées du maximum, le nucléaire a produit plus malgré une puissance en service 3 fois moindre. Si le rythme de développement actuel se poursuit, dans quelques années la demande maximale du samedi ou du dimanche pourra être fournie par le solaire. Cela pose le problème du devenir des installations de base: qu'en faire ces jours là? On n'a pas tellement envie des les arrêter vu que ça a un coût, à la fois direct pour l'arrêt, et d'opportunité s'il faut les remplacer par les moyens de suivi de charge, plus chers. On peut penser exporter le surplus, mais les capacités d'export sont limitées. Par ailleurs, il est compliqué de débrancher des installations solaires qui sont aussi installées chez des particuliers: s'il ne peuvent pas évacuer leur surplus, qu'adviendra-t-il de leurs installations électriques ou du réseau électrique du quartier?

On peut aussi voir des développements intéressants du point de vue des prix. Sans sources intermittentes, le marché de l'électricité est relativement simple: plus la consommation est élevée, plus le prix est élevé. C'est ce qui permet, entre autres, de rentabiliser des installations de base aux coûts en capital élevé mais au coût marginal faible. Or on est déjà confronté à des cas où c'est l'inverse: au maximum de consommation, les prix sont au minimum de la journée. On se retrouve donc dans une situation étrange:

  1. Les installations de pointe ou de suivi de charge sont moins rentables car elles fonctionnent moins souvent. Personne n'a donc intérêt à les construire, au moins au début
  2. Les installations de base ont vocation à être remplacées à terme par un couple renouvelable intermittent et moyens de pointe ... mais personne n'aura construit les moyens de pointe sans subventions
  3. Les installations renouvelables font partie des installation à fort coût de capital et ont besoin d'un prix de vente moyen élevé. Mais comme leur coût marginal est nul, une forte production entraîne les prix à la baisse. Elles ne pourront donc être rentables sans subventions.

Bref, le modèle économique de la production d'électricité semble devenir pour le moins douteux si on reste dans un cadre de marché.

Les prix bas en cas de forte production posent un problème de distribution des coûts. Seuls les industriels ont accès aux prix spot, ils bénéficient donc de cette situation. Mais ils ne paient rien ou presque: leur taxe «énergies renouvelables» est plafonnée à un niveau très bas. De l'autre côté, ceux qui ont installé des panneaux solaires vendent leur électricité très cher, nettement au-delà des prix de marché. Mais comme ce sont des gens qui ont pu avancer le capital à cette opération fructueuse, on peut penser qu'ils ne font pas partie des défavorisés. Ceux qui paient ces panneaux sont donc les particuliers et les petites entreprises qui n'ont pas pu installer de panneaux solaires, parmi lesquels figureront l'essentiel des nécessiteux. Les bénéfices vont donc à d'autres que ceux qui paient et la taxe «renouvelables» a toutes les chances d'être régressive.

Tout cela ne veut pas dire que le solaire n'a pas d'avenir. Si aujourd'hui, sur un cycle de vie, un panneau photovoltaïque émet nettement plus de CO₂ que le nucléaire — et que le contenu moyen en CO₂ de l'électricité française —, le solaire photovoltaïque pourrait voir des améliorations importantes de son efficacité avec les progrès des semi-conducteurs. Le contenu en CO₂ sur la durée de vie pourrait aussi s'améliorer si l'électricité du lieu de fabrication est décarbonée. Mais pour produire une part importante en Europe, il faudrait développer des installations de stockage de l'énergie qui n'existent pas avec les bon ordres de grandeurs à l'heure actuelle.

Pour résumer, en fermant des centrales nucléaires et en se lançant dans les renouvelables, l'Allemagne a opté pour un comportement nettement non-coopératif. Elle fait payer des émissions de carbone supplémentaires à ses voisins à un prix plus élevé — c'est dit ouvertement quand les supporters de la manœuvre disent que les émissions n'augmenteront pas à cause du régime de droits à polluer — et elle leur demande d'accepter des flux d'électricité variable qu'ils n'ont absolument pas prévu. En se précipitant sur le solaire, elle empêche aussi les autres de la suivre: la production européenne est très corrélée: tout le monde produira en même temps, aux environs de midi, sans que cela corresponde exactement à la demande. On peut aussi constater que le modèle économique qui sous-tend la manœuvre est douteux. On subventionne les renouvelables intermittents, mais on va aussi devoir subventionner les moyens de remplacement à combustible fossile. En plus de tout cela, les perspectives d'arrêt des subventions sont clairement incertaines. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le succès de la transition énergétique allemande n'est pas assuré!

3 mai 2012

Le corner énergétique

Hier soir, après avoir chacun de leur côté s'être posés en rassembleurs, les deux candidats présents au second tour de l'élection présidentielle se sont livrés à un débat au ton vindicatif. Parmi les sujets discutés figurait l'inévitable sujet du nucléaire civil.

J'ai déjà évoqué ici à plusieurs reprises l'accord entre les Verts et le PS ainsi que la politique énergétique du candidat Hollande pour en dire tout le mal que j'en pense. Durant le débat François Hollande a confirmé ce qu'on pouvait penser de sa volonté de baisser la contribution du nucléaire à 50% de la production d'électricité: il s'agit d'un plan de fermeture des centrales à 40 ans. Il a aussi, par ses propos désignant Fessenheim comme situé en zone sismique, repris en presque totalité l'argumentation des écologistes, ce qui conduit en fait à légitimer leur position: il faut sortir du nucléaire.

En effet, rien n'impose de fermer les centrales nucléaires au bout de 40 ans. Les Américains ont prolongé la vie de 70 de leurs 104 réacteurs à 60 ans. EDF a des plans similaires, ils sont de notoriété publique: on en trouve par exemple de nombreuses traces dans le rapport de la Cour des Comptes sur le nucléaire. La Cour passe d'ailleurs très près de recommander l'allongement de la durée de vie des centrales, remarquant que plus l'exploitation perdure, moins les coûts par MWh sont élevés (p284). Elle remarque aussi que l'absence de décision conduira à la prolongation des centrales et que le prolongement des centrale va entraîner un plan d'investissement important, mais nettement moins qu'un renouvèlement, quelque soit la technologie choisie. D'ailleurs, si les centrales devaient toutes fermer à 40 ans, l'intérêt d'investir pour prolonger la durée de vie des centrales diminue: les investissements devraient se rentabiliser sur une durée nettement plus courte. Il n'y a en fait quasiment qu'un seul élément irremplaçable: la cuve du réacteur dont on ne connaît pas la durée vie maximale.

Contrairement à ce qu'affirme François Hollande, il y a d'autres centrales situées dans une zone sismique comparable à Fessenheim. Fessenheim est situé dans le nord du département du Haut-Rhin. Comme on peut le voir sur la carte officielle du risque sismique, cette zone est en risque «modéré», comme l'ensemble de la vallée du Rhône. Et dans la vallée du Rhône, il y a moult sites nucléaires: les centrales de Bugey, St Alban, Cruas, Tricastin, le site de Marcoule. La centrale du Bugey est aussi la deuxième centrale la plus vieille en France, on voit donc quelle sera la cible suivante des écologistes. En écartant les zones sismiques avec un risque modéré, François Hollande empêche la construction de centrales dans une zone à la fois parmi les plus peuplées et aussi parmi les plus industrialisées donc parmi les plus grosses consommatrices. Cela va donc grandement simplifier le transport de l'électricité. On imagine aussi sans peine avec quelle bienveillance François Hollande verra l'industrie chimique, très présente aussi dans la vallée du Rhône, donc menacée par les séismes.

Se rejoignant sur ce point, les 2 candidats ont chanté les louanges des énergies renouvelables. Cependant, celles-ci ne peuvent pas remplacer le nucléaire: ce qu'on peut encore construire, ce sont des éoliennes et des centrales solaires. Non seulement, ces sources d'électricité sont parfois hors de prix, mais elle ne garantissent en fait aucune production ou presque: on peut voir grâce aux données d'exploitation, que ce soit au niveau français ou européen, la garantie est de moins de 5%. Comme dit dans une analyse statistique, publiée sur un site tenu par un Danois et riche de données, la production éolienne agrégée ne peut être considérée comme une source fiable d'électricité.

Les candidats font aussi profession de diminuer les consommations de combustibles fossiles et de ne pas exploiter le gaz de schiste et autres hydrocarbures non-conventionnelles. Comme ceux-ci sont en fait la seule alternative au nucléaire à moyen terme et sans doute à long terme, on aboutit à une impossibilité pratique. Sarkozy s'en sort grâce à son soutien au nucléaire, mais ce dernier requiert de fonctionner la plupart du temps pour être rentable. Hollande, lui, s'est placé dans un corner dont on voit mal comment il pourra se sortir. Cela dit, il se dit favorable à un TIPP flottante, ce qui favorise donc implicitement la consommation de pétrole, le type de combustible fossile le précieux car liquide et le premier qui viendra à manquer, mais pour une taxation de la consommation d'électricité croissante en fonction de la consommation, première mondiale, qui frappera donc la principale source d'énergie décarbonée en France.

On arguera qu'il lui suffira de se renier comme tant d'autres. Mais en reprenant pour lui-même des arguments simples — et faux — produits de longue date par les écologistes, il a légitimé leur discours. En le faisant avec force lors du débat télévisé d'avant le second tour, il a donné à cette position une certaine solennité. La situation de Mitterrand en 1981 était très différente: il allait hériter de nombreux chantiers de centrales nucléaires en cours, ce qui résolvait le problème de la production d'électricité en France; les diverses crises des changes ont de toute façon rapidement dissuadé de se reposer sur des importations coûteuses de combustibles fossiles. Cette prise position est donc sans doute l'exemple le plus frappant du déni qui remplit le discours politique français: en déformant la réalité, les dirigeants politiques se placent dans un corner dont il est impossible de sortir sans se renier, et placent donc le pays dans une impasse dont il sera extrêmement difficile de sortir.

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