En 1993, l'affaire des écoutes de l'Élysée éclatait. Il apparaissait que personnes de la cellule anti-terroriste de l'Élysée avaient organisé des écoutes téléphoniques visant une grande quantité de personnes. La plupart des personnes écoutées n'avaient qu'un lointain rapport avec le terrorisme, on y trouvait par exemple l'actrice Carole Bouquet, mise sur écoute à cause de son compagnon d'alors qui intéressait lui aussi ladite cellule. Il s'agissait alors de toute évidence surtout de prévoir l'éclosion d'éventuels scandales en tous genres et de savoir ce que disaient certaines personnes à des postes politiquement sensibles. Un des motifs d'écoute était l'existence de Mazarine Pingeot, fille naturelle de François Mitterrand, que le vulgaire ignorait encore. Un autre motif était le suivi par les journalistes d'affaires sensibles comme les Irlandais de Vincennes. La cellule fut dissoute à la fin du premier septennat de François Mitterrand. Une loi fut aussi votée en 1991 pour acter les conditions dans lesquelles les écoutes téléphoniques sont légales — ce qui veut dire entre autres qu'auparavant les écoutes étaient illégales. Cette loi prévoit que des écoutes pouvaient être réalisées par le pouvoir exécutif seulement si:

  1. Elles sont ordonnées par le Premier Ministre. Ce dernier est donc l'autorité responsable du déroulement des ces écoutes.
  2. Ces écoutes doivent grosso modo concerner la sécurité nationale ou l'espionnage.
  3. Elles doivent être approuvées par la une commission ad hoc, la CNCIS (commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité). Cette dernière ne dispose que d'un pouvoir de contrôle a posteriori, mais elle doit donner son accord au maximum dans les 7 jours suivant l'ordre du Premier Ministre.

En avril 2010, une rumeur selon laquelle les époux présidentiels ne seraient pas strictement monogames apparaît et fait contre toute attente l'objet d'un démenti officiel, alors que la règle dans la politique française est de ne jamais commenter ce type de rumeurs. On apprend aussi que l'Élysée soupçonne l'ancienne ministre de la justice Rachida Dati d'être à l'origine de cette rumeur, sans qu'on sache vraiment ce qui fonde ces préventions. En effet, selon Carla Bruni, Il n'y a aucune enquête de police, alors que quelques heures plus tard, Bernard Squarcini, directeur de la DCRI (renseignements intérieurs), affirmait avoir été chargé d'identifier la source.

En juillet 2010, l'affaire Bettencourt se poursuivait et prenait l'allure d'un feuilleton. On apprenait par exemple que Liliane Bettencourt faisait usage de 50k€ d'argent liquide par semaine ou encore que des personnalités politiques venaient de temps en temps chercher des enveloppes. On retrouvait les PVs d'audition dont l'encre était à peine sèche dans les journaux. Un record est certainement détenu par le Figaro, pour sa publication des procès verbaux de la deuxième audition de Claire Thibout, ancienne comptable personnelle de Mme Bettencourt. Le Monde, quant à lui, publiait le 18 juillet des extraits des déclarations à la police de Patrice de Maistre, intendant de Mme Bettencourt. Le 13 septembre, ce même journal annonce porter plainte pour violation du secret des sources. Le gouvernement aurait ordonné à la DCRI d'identifier la source du Monde, en faisait notamment usage des factures détaillées des abonnements des téléphones portables. Cette source serait David Sénat qui est aussitôt identifié promu dans un placard à balais, la mise en place de la Cour d'appel à Cayenne; on attend toujours l'identification de la source exceptionnelle du Figaro.

Suite à cela, le Canard Enchaîné publie 3 semaines de suite des articles sur ce sujet, les 22 et 29 septembre et le 6 octobre. Selon ces articles, les services de police font illégalement usage de l'article 20 de la loi sur les écoutes qui prévoit des écoutes aléatoires sur le spectre radio sans nécessité d'en référer à la CNCIS. Cette pratique est basée sur une autorisation du Premier Ministre à procéder de la sorte. Cette autorisation fut donnée lors que des méthodes similaires furent découvertes par la même CNCIS. Il s'agit donc d'une façon de continuer des pratiques interdites déjà découvertes par d'autres moyens. Suite à la plainte contre David Sénat, le procureur de Paris a demandé les éléments à charge contre lui à la DCRI qui avait affirmé avoir mené des vérifications techniques; il se voit opposer le secret défense, de même que dans les années 90, le secret défense avait été opposé à l'enquête sur les écoutes de l'Élysée. Il a été procédé de même pour débusquer Rachida Dati comme source de la rumeur. Il faut bien dire que l'explication du Canard est extrêmement plausible car il est difficile de connaître la source d'une rumeur sans remonter aux contacts des gens qui la diffusent. Non seulement, comme le Canard le narre, on peut logiquement soupçonner le gouvernement de consulter sans retenue les factures détaillées, mais aussi de prendre connaissance du contenu de ces communications et notamment des SMS.

Ainsi, le gouvernement piétine allègrement les procédures donnant quelques garanties aux citoyens contre l'arbitraire. Il fait procéder à des enquêtes sans titre, puisqu'il ne dépose plainte qu'une fois découverts les auteurs et que, de toute évidence, nous ne sommes pas dans le cas d'un flagrant délit. Il fait mener des actes éminemment attentatoires aux libertés individuelles sans s'embarrasser des procédures placées là pour éviter les cas les plus criants d'abus. On ne saurait limiter le secret des correspondances au seul contenu: le fait même de savoir qu'on a appelé quelqu'un peut porter atteinte à sa vie privée, il suffit de songer aux relations sentimentales cachées. Et lorsqu'il s'agit de révéler les éléments à charge, ceux-ci ne sont pas consultables. Il piétine tout aussi allègrement les institutions en se moquant de la CNCIS chargée de contrôler les écoutes administratives. Il est scandaleux de constater que les règles ne comptent pour si peu, les droits des personnes pour rien.

En outre, ces déviances s'intègrent tout à fait dans l'analyse de la société de défiance, portée par Yann Algan et Pierre Cahuc. La société de défiance n'est pas limitée aux domaines économiques, elle s'étend dans divers aspects de la société. Comment faire confiance à d'autres quand ils sont prêts à faire fi des règles, légales ou simplement traditionnelles, quand cela les arrange? L'état n'est d'ailleurs pas en reste dans ce domaine, il est sans doute un des acteurs qui engendre le plus de défiance, de part son pouvoir et l'usage de l'arbitraire qui n'est jamais loin. Dans le cas présent, alors que les citoyens sont droit d'attendre qu'on respecte leur vie privée et qu'en conséquence des formes soient mises quand on les surveille voire qu'on les espionne, il est difficile de croire que ceux qui interviennent dans le débat public se sentent tranquilles. Pour preuve, l'intervention le 18 septembre de Jean-Louis Bourlanges dans l'émission Médiapolis (entre 3'45 et 7'). Il y déclare notamment:

  1. Que chacun sait que dès que vous avez une responsabilité plus ou moins importante, vous êtes écouté
  2. J'applique à mes propres conversations — insuffisamment d'ailleurs — le principe de précaution

Quand on sait de quelle façon est traitée la piétaille, il est difficile de se dire que ceci ne concerne que quelques personnes s'intéressant de près aux affaires touchant le parti au pouvoir. Le fait est que ceci montre que faire confiance à l'administration et, dans le cas présent, à la police est une aventure de tous les jours.

Un autre aspect à noter est que les institutions avaient été mises en place pour éviter les dérives du premier septennat de François Mitterrand ainsi que celles probables des époques précédentes. À l'époque, comme il a été narré plus haut, il s'est entre autres agi d'affaires sentimentales ainsi que d'essayer d'anticiper ou de réagir rapidement à la sortie d'affaires dans la presse. Il est extraordinairement frappant que, de nouveau, l'absence d'une quelconque contrainte en la matière induit exactement les mêmes dérives. On cherche qui répand des rumeurs touchant les relations amoureuses et à savoir qui alimente la presse et quelles sont les intentions des journalistes. Le problème, c'est que cette fois-ci, on voit mal quel pourrait être le remède. Si le gouvernement a le droit d'effectuer des écoutes, c'est qu'il existe effectivement des motifs légitimes. Il est par exemple impossible ou presque de démasquer des espions pouvant menacer, comme au temps de l'URSS, la défense nationale sans recourir à des écoutes. Le piétinement des institutions rend les solutions improbables. Comment croire que le gouvernement n'utilisera pas de nouveau un prétexte fondé sur du vent ou tout simplement le secret pour, quand cela l'arrangera, se passer de ces contrôles bien embêtants? De fait, on peine à imaginer des procédures satisfaisantes et comment le pouvoir pourrait être arrêté par un autre pouvoir tout en préservant la possibilité d'écoutes.

Un aspect qui reste mystérieux est l'absence de réaction médiatique d'ensemble. Alors que cette affaire semble une redite de dérives passées, les réactions ont été mesurées, au point qu'on puisse considérer comme Jean-Louis Bourlanges que cette histoire a fait flop. Le Monde relate régulièrement les événements liés à ses plaintes, le Canard continue à publier des articles sur les conditions dans lesquelles ces écoutes se sont réalisées. Cela montre tout de même une banalisation de cette intrusion dans la vie privée. Le fait que les députés du parti au pouvoir ne trouvent rien de mieux que de renvoyer l'opposition à ses turpitudes passées en scandant Mitterrand, Mitterrand montre aussi, s'il en était besoin, qu'être au pouvoir obscurcit quelque peu le jugement.

On pourra se consoler en se disant qu'en la matière, le gouvernement exauce sans doute le vœu de nombreuses personnes, être écouté. Quoi de mieux que d'être écouté dès lors qu'on a une responsabilité? On entend aussi souvent les personnes intervenant dans le débat public se plaindre du manque d'écoute du gouvernement. Ces événements montrent qu'il n'en est rien, au contraire, le gouvernement est toujours très intéressé.