Institué par le gouvernement Jospin dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, le fonds de réserve a reçu pour mission de gérer un capital pour faire face au vieillissement de la population en comblant au moins partiellement les déficits du régime général postérieurs à l'année 2020. Toutefois, le gouvernement a décidé d'utiliser ce capital dès 2011 pour combler au moins en partie les déficits prévus jusqu'en 2018.

Vider le fonds ou quand nécessité fait loi

À l'occasion de la réforme des retraites, le gouvernement a annoncé qu'il utiliserait le capital accumulé dans le fonds de réserve pour combler les déficits qui vont s'accumuler d'ici à 2018 pour la CNAV, date à laquelle le système serait à l'équilibre. Afin de faciliter la vie de chacun, le gouvernement ne précise pas le montant annuel pris sur le capital accumulé sur son site dédié. Il a aussi jugé bon de s'abstenir de mettre ce montant dans le projet de loi sur les retraites, mais le donne dans la loi de financement de la sécu pour 2011 (LFSS) à l'article 9 dont la rédaction mérite un prix pour sa clarté. Cette manière de procéder, d'ailleurs identique pour toutes les mesures financières, a d'ailleurs attiré les réprimandes d'un dangereux révolutionnaire, le rapporteur sénatorial Dominique Leclerc. Le fonds devra ainsi verser 2.1G€ tous les ans à la CADES à partir de 2011 et jusqu'en 2024; il n'aura plus de recettes fiscales.

Comme un calcul le montre, cela nécessite de mobiliser environ 24.5G€ maintenant en obligations d'état français. Au 30 septembre dernier, la valeur du portefeuille du FRR valait 35.1G€ dont 3.5G€ au titre de la soulte des industries énergétiques et gazières. Cette dernière doit être versée à la CNAV en 2020, c'est une contrepartie du soutien du régime général au régime spécial d'EDF-GDF. En fait, seuls 31.6G€ sont mobilisables pour combler les trous futurs. Le fonds ne sera donc pas entièrement liquidé en 2024, il restera un capital d'entre 10 et 20G€ probablement. Ce capital résultera des 7.1G€ actuellement «libres» et sans doute d'une fraction du capital à verser aux échéances les plus lointaines qui permettent de prendre quelques risques.

Les sénateurs s'opposaient, le 18 mai 2010, dans un rapport à l'utilisation du FRR pour combler les déficits actuels en ces termes:

Le FRR est l'un des rares signes adressés aux jeunes générations pour leur montrer que les pouvoirs publics préparent l'avenir en prélevant dès à présent des ressources pour financer les retraites des cotisants d'aujourd'hui. L'utilisation de ses réserves ne pourrait que renforcer l'inquiétude et la méfiance des plus jeunes à l'égard du système de retraite par répartition.

C'était alors. Un peu plus tard:

Certes, la date d'entrée en jeu du FRR est anticipée de neuf ans, mais il n'en reste pas moins que sa finalité est préservée puisqu'il contribuera au financement du système de retraite entre 2011 et 2024 et cela à double titre : (...)

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous demande d'adopter les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Il faut dire qu'entre temps le gouvernement a fait connaître son projet et publié sa position:

Dans tous les pays où existent des fonds de réserve dédiés au financement des retraites, le principe est de constituer des réserves quand les régimes de retraite sont en excédent et de les utiliser en période de déficit. Le cas français constitue donc une anomalie : le FRR accumule des réserves alors que les régimes de retraite sont confrontés à des déficits importants depuis 2005 : 21,2 Md d'euros de déficit cumulé pour la CNAV entre 2005 et 2009 et 9,3 Md d'euros de déficit prévisionnel pour 2010.

La crise a encore accentué le caractère peu logique de cette situation en augmentant fortement le niveau des déficits. (...)

Le Gouvernement propose donc d’utiliser les ressources du fonds de réserve pour les retraites (FRR) pour financer l'intégralité des déficits du régime général et du FSV pendant la période de montée en charge de la réforme. Les régimes de retraite ont connu une accélération de 20 ans de leurs déficits : il est donc logique de mobiliser plus tôt que prévu le FRR dont le calendrier de décaissement devait débuter en 2020.

Au fameux article 9 de la LFSS pour 2011, le gouvernement prévoit que le montant des dettes que la CADES peut reprendre au titre des déficits des caisses de retraites est de 62G€. Cette somme correspond approximativement au cumul des déficits si on interpole linéairement les données du gouvernement. On s'aperçoit qu'il y a une certaine contradiction avec l'assertion selon laquelle l'intégralité des déficits du FSV et de la CNAV serait financée intégralement par l'utilisation du capital du FRR. Même si on considère que les recettes du FRR sont transférées à la CADES, les recettes pérennes du FRR ne sont que d'environ 1.5G€ par an. La CNAV prévoit aussi d'être en déficit de 4G€ en 2020 (2e §) et qu'il était de 4.6G€ en 2007.
Si ces remarques marginales ne font que peu tiquer les commissions parlementaires, habituées au pipeau gouvernemental, c'est qu'en fait ce qui leur importait, c'était que le FRR serve bien à éponger les déficits du système de retraite. En la matière, l'argumentation du gouvernement porte: il ne sert pas à grand'chose de garder une réserve alors que les déficits importants sont là. Nécessité fait loi.

L'abondement du fonds ou à la recherche de l'argent introuvable

À l'origine, le fonds de réserve devait constituer un capital de 1000 milliards de francs, soit environ 150G€, en 2020. Il s'agissait de francs constants, c'est-à-dire sans prendre en compte l'effet de l'inflation des 20 années postérieures à 2000. Si on prenait une hypothèse d'une inflation de 2% par an de 2000 à 2020 — hypothèse assez bien réalisée de 2000 à 2010 —, le montant réel à obtenir en 2020 aurait été de 225G€ environ. Dès cette époque, il paraissait toutefois peu probable que cet objectif soit réalisé, qu'on prenne en compte l'inflation ou pas, d'ailleurs. Cela dit, il est intéressant de comparer cet objectif à ce qui a finalement été obtenu.

Pour obtenir une somme donnée au bout de 20 ans, il faut commencer par trouver de l'argent pour alimenter le fonds. Vu que l'argent prélevé va être placé, on espère évidemment que les rendements seront positifs et par voie de conséquence qu'il faut prélever moins que la somme finale. Cela dit, des estimations réalistes de prélèvements et de rendement montrent qu'il faut au moins que les sommes prélevées soient égales à la moitié du capital final. En effet:

  • Si on prélève la somme d'un seul coup, obtenir un capital final double au bout de 20 ans implique un rendement de 3.5% par an. Si le rendement paraît relativement réaliste, prélever la moitié de la somme d'un coup l'est nettement moins: les 150G€ représentaient et représentent toujours plusieurs points de PIB. La moitié de cette somme (75G€) est toujours un montant considérable (environ 4% du PIB de 2009) et ce d'autant plus que, si les placements effectués se révèlent mauvais, rien ne peut rattraper cela que des rendements supérieurs les années suivantes.
  • Si on prélève une somme constante jusqu'à l'échéance et que les rendements sont constants, la somme des prélèvements n'est égale à la moitié du capital final que si le rendement est de l'ordre de 7% par an. Si ce rendement est le rendement nominal, cela est presqu'envisageable; s'il s'agit du rendement réel (le rendement nominal duquel on retire l'inflation), cela relève plus du rêve qu'autre chose.

On peut retrouver les calculs sur cette feuille Google.

De fait, on peut se dire que prélever progressivement 80G€ est véritablement un minimum. On peut donc se baser sur un objectif de 4G€ par an. Les rapports parlementaires préparatoires aux lois de finances permettent de retracer l'historique de ces abondements. Cela donne le graphe suivant: abondements frr_2.jpg On remarque immédiatement que les versements n'ont été supérieurs aux 4G€ nécessaires qu'une seule année, en 2002. Ils ne s'en sont rapprochés que 3 fois, entre 2001 et 2003. On est donc très loin des objectifs annoncés à l'origine. Les déficits généralisés dans tous les secteurs de dépense publique, que ce soit le budget général ou l'assurance maladie n'ont à l'évidence pas permis de dégager des financements. L'alimentation du fonds n'est en quelque sorte que la conséquence de l'absence de préparation ou de l'incapacité à se préparer aux problèmes parfaitement prévisibles de déficit des caisses de retraite.
De fait on retrouve ces difficultés dans le type de sommes allouées au FRR. Le fonds a été alimentés par 3 types de sources:

  1. Un part du prélèvement social de 2% sur les revenus du patrimoine. Cette part est fixée à 65% depuis 2003: le FRR a perçu 1.3% de ces revenus ces 7 dernières années. C'est pratiquement la seule ressource de 2004 à 2009.
  2. Les excédents de la CNAV et du FSV. Ce sont respectivement la retraite générale des salariés et le fonds ad hoc qui cotise par exemple à la place des chômeurs pour qu'ils continuent d'accumuler des droits.
  3. Des recettes de privatisation, sous une forme ou une autre. Cela recouvre les privatisations proprement dites ainsi que les ventes de parts de Caisses d'Épargne ou de licences UMTS.

La répartition est donnée ci-dessous. Compo FRR_2.jpg La part du prélèvement de 2% est prépondérante, les excédents ne représentent qu'un peu plus de 20% des versements. Depuis 2006, la CNAV est d'ailleurs en déficit. Cela veut dire que 80% des prélèvements n'ont que peu à voir avec le problème des retraites. On a finalement pris de l'argent là où on en trouvait, c'est-à-dire ailleurs que dans les caisses de retraite.
Cela pose un problème de principe. En effet, un tel fonds se conçoit surtout comme un lissage des conditions dans lesquelles sont accordées les retraites. Sa présence permet d'adoucir la hausse des prélèvements ou la période de transition vers des conditions plus dures. Il doit s'agir de constituer, comme son nom l'indique, une réserve à partir des cotisations présentes de façon à ce que les cotisants préparent leur retraite sans grever outre mesure les revenus de ceux qui resteront au travail après leur départ à la retraite. Cela doit normalement être possible lorsqu'une classe pleine cotise, son nombre devant permettre des excédents. Le raisonnement est un peu le même pour les générations dont l'espérance de vie croît. Si on se situe dans une logique de salaire différé, les fonds doivent provenir au moins majoritairement des cotisations des salariés. On vient de voir que ce n'est pas le cas. Même s'il est marginal par rapport aux sommes allouées aux retraites dans leur ensemble (d'ores et déjà plus de 10% du PIB par an), l'alimentation du fonds de réserve est symptomatique de la façon dont est géré le système de retraite: comme le reste du budget de l'état. On n'accorde finalement des droits que pour se trouver une justification des prélèvements, ces prélèvements servant à honorer une dette que l'état s'est constitué ... en s'engageant à verser des retraites. La constitution de cette dette n'obéit pas de façon logique à des règles définies auparavant: ainsi l'état a pu faire assumer au régime général les retraites de divers régimes spéciaux, évidemment plus généreux dans l'ensemble. Il faut trouver de l'argent pour honorer ces dettes, la provenance importe en fait peu.
Un autre point à souligner est qu'à partir du moment où les caisses de retraites sont en déficit, l'accumulation dans le fonds ne présente un véritable intérêt que si son rendement est supérieur à celui des obligations finançant le déficit.

L'état, un bon investisseur?

Il est toujours intéressant de savoir ce qui est fait de l'argent public: il a été prélevé à des personnes qui aurait pu en faire un autre usage, souvent à leurs yeux plus utile. Dans le cas présent, il s'est agi d'épargner de l'argent pour pouvoir lisser du mieux possible la transition démographique en cours, le vieillissement de la population. Il y a deux critères de jugement. Le premier est de savoir si, en partant d'une stratégie donnée le fonds a fait mieux ou moins bien que ce qu'un investissement indiciel aurait donné. Le deuxième est de savoir si l'arbitrage entre emprunter moins pour l'état et alimenter le fonds de réserve a été favorable ou pas. Étant donné que la période 1999-2010 a été marquée par deux fortes baisses des marchés actions, la réponse est avant tout calcul sans doute défavorable.

Pour effectuer une comparaison, les «placements» concurrents sont les suivants:

  • L'inflation, pour comparer la performance du fonds à l'érosion monétaire. Si le fonds contient plus que ce que donne l'inflation, sa valeur réelle a augmenté. Les données ont été récupérées sur le site de l'INSEE, l'évolution retenue est de mois d'octobre en mois d'octobre.
  • L'EONIA, le rendement du taux au jour le jour. Il est approximé par un rendement moyen mensuel. Les données ont été trouvées sur le site de la BCE.
  • Le taux des obligations d'état français à échéance longue. Ce placement fait sens pour le FRR, étant donné qu'il devait parvenir à échéance en 2020. Pour évaluer la performance, le taux long a été approximé par le taux à 10 ans. Le placement est basé sur des obligations 0 coupon d'échéance 2020 pour se faciliter le calcul. Les données de taux ont été trouvées sur le site de l'INSEE.
  • L'évolution des marchés boursiers. 2 indices ont été utilisés: le CAC40, indice vedette de la place de Paris, et le Stoxx 600, indice large de la zone euro. Les sociétés éditant ces indices ont la bonne idée de publier des indices de retour net à l'investisseur, ce qui facilite les calculs. On s'aperçoit que les performances sont quasiment équivalentes.
  • Un mixte de 50% d'obligations à échéance longue et de 50% d'actions. La répartition moitié-moitié est réajustée en début d'année. Cette stratégie est grosso modo celle adoptée par le FRR.

La valeur du fonds retenue est celle au 30 septembre dernier, la dernière valeur connue hors soulte EDF, de 31.6G€. On peut recréer le graphe ci-dessous grâce à cette feuille. Perfs FRR_2.jpg On s'aperçoit que le fonds a fait à peine mieux que l'inflation, un peu moins bien que l'EONIA et les marchés d'actions (bien que cela puisse être dû aux différentes dates de fin de relevé) et nettement moins bien que la stratégie panachant actions et obligations. Les obligations à long terme ont été le meilleur placement sur la période du fait du rendement supérieur aux placements à court terme et à la baisse des taux d'intérêt. Seuls des placements sur des marchés émergents hors d'Europe auraient pu dépasser ces rendements. Il reste que le fonds a représenté un coût net pour les finances publiques puisqu'il a rapporté moins que d'éviter une dette équivalente.
Le rendement constant menant à la même valorisation du fonds est d'environ 1.8% par an.
On ne peut que conclure que la performance financière du fonds a été peu convaincante. L'état semble être donc un piètre investisseur.

Quelques conclusions

Le fonds de réserve partait d'une analyse juste de la situation démographique. Son but de lissage était et est toujours louable, mais sa gestion rend peu optimiste pour ce genre d'institutions, en tous cas dans la situation politique actuelle en France.
Les objectifs de versement ont été assez largement ignorés. C'est dû à la gestion plus générale des finances publiques françaises, toujours en déficit, souvent important, sur la période d'approvisionnement du fonds. Il faut aussi remarquer que la caisse du régime général n'a pas eu les excédents escomptés, mais c'est grandement lié aux prévisions trop optimistes du gouvernement au moment de la réforme de 2003. Ce biais optimiste se retrouve un peu partout dans la gestion des comptes publics en France. Par exemple, aucun des programmes budgétaires prévisionnels envoyés à la Commission Européenne n'a été respecté, souvent du fait de prévisions de croissance extrêmement optimistes.

Le fonds a été victime des 2 crises boursières de la période. Sa performance aurait donc été médiocre de toutes façons, inférieure au coût correspondant de la dette. Mais sa performance est éloignée de la performance d'une gestion de type indicielle constituée à moitié d'obligations et à moitié d'actions, ce qui est anormal.

Ce type de fonds a aussi vocation à être utilisé juste après une crise. En effet, il est conçu pour absorber les déficits des caisses de retraites. Plus on s'approche de la date prévue d'utilisation, moins il y a de chances que les caisses soient en excédent. Comme leurs recettes dépendent de l'activité économique, le premier moment où on va utiliser le fonds est sans doute juste après que les recettes aient subi l'effet d'une récession ou simplement d'un ralentissement économique. Or ces périodes sont les plus défavorables aux marchés d'action, ce qui fait que le fonds risque de perdre de sa valeur juste avant qu'on s'en serve. Dans le cas présent, l'anticipation de l'usage est très importante du fait de la magnitude historique de la crise, mais aussi des prévisions gonflées des gouvernements successifs. La perte de valeur en 2008 a été très forte et, évidemment, impossible à compenser depuis.