Le 13 janvier dernier, les Échos ont publié une interview de Camille Landais, économiste travaillant souvent avec Thomas Piketty dont il a prolongé les travaux sur les inégalités et les hauts revenus en France, sur la réforme de l'ISF à venir. Cette interview est intéressante en ce qu'elle montre à mon sens les difficultés qu'il y a à vouloir résoudre plusieurs problèmes avec un seul outil. Elle comporte aussi des données surprenantes.

Sur l'imposition du capital en général

Camille Landais commence par rappeler l'argument courant selon lequel l'imposition du stock de capital permet d'inciter à l'investissement productif (voir par exemple ici ou encore ). Cela dit les rendement les plus lucratifs étant aussi sujets à de grandes variations de rendement, on peut aussi estimer qu'une imposition du capital peut conduire à opter pour des revenus sûrs pour éviter de se retrouver avec des revenus négatifs. Il va cependant plus loin en affirmant que celui qui investit dans des placements à hauts rendements (est) plus pénalisé que celui qui laisse se déprécier son capital. C'est à mon sens tout à fait excessif: celui qui fait fructifier son capital bénéficie ensuite des fruits de ses efforts. De plus, si les investissements ne donnent pas les rendements escomptés, ce sera celui qui s'est le plus démené qui paiera le plus! On peut aussi noter que consommer son capital devient forcément une mauvaise chose.
Une dernière remarque sur l'impôt sur le capital comme incitation aux investissements productifs (ou plutôt à haut rendement): cela ne marche que si l'imposition sur le capital est dominante. Si c'est l'imposition des revenus qui domine, c'est alors l'effet opposé qui agit. De sorte que si le système fiscal n'est pas dégressif pour les revenus du capital, on punit bel et bien ceux qui se démènent.

Plus loin, il compare la situation de la France aux autres pays de l'OCDE, pour dire que les différences ne sont en fait pas très importantes. Si cela est vrai pour des pays comme les USA ou le Royaume-Uni qui taxent encore plus fortement le capital que la France, il dit qu'il existe des pays où la pression paraît nettement plus faible, comme l'Allemagne. Comme le patrimoine est concentré surtout chez les plus riches, cela laisse tout de même penser que de substantielles économies sont possibles.
Il remarque que les pays avec une forte imposition du capital ont aussi tendance à taxer fortement l'immobilier. On remarquera que c'est fort pratique puisque les biens immobiliers sont destinés, comme leur nom l'indique, à rester là où ils sont et que, par voie de conséquence, ils seront toujours taxables. Cela dit, contrairement à ce que Camille Landais affirme, la France n'impose pas tellement moins la détention du patrimoine immobilier que le Royaume-Uni par exemple (voir le rapport du CPO sur la fiscalité du patrimoine, p236).
Il donne alors un argument de poids: en fait, ces différences ne paraissent pas avoir d'effet remarquable. On peut penser que c'est en partie dû au poids de l'immobilier dans la taxation du patrimoine: si une personne se délocalise, ce n'est pas pour autant qu'elle vend tous ses biens dans le pays qu'elle quitte. Un autre frein est sans doute aussi tout simplement le coût du déménagement, non seulement direct, mais aussi en termes de vie sociale ou de contacts professionnels. C'est pourquoi les délocalisations dues à l'ISF sont sans doute liées à un changement de statut du patrimoine ce qui entraîne un choc fiscal d'importance.

Sur l'ISF

Camille Landais a raison sur l'ISF au moins sur un point: la base taxable est complètement mitée par une foison d'exceptions, couplés à des taux importants, ce qui mine totalement l'efficacité de cet impôt. Il préconise donc de supprimer toutes les exonérations y compris sur les biens professionnels. Étendre la base taxable ne serait toutefois pas forcément si efficace car certains des biens auxquels on pourrait étendre l'ISF ne sont pas obligatoirement faciles à évaluer par l'administration. Cela dit les exonérations sur les terres agricoles ou encore sur la résidence principale n'ont pas de raisons d'être. La fin des niches poserait aussi des problèmes de faisabilité politique: François Bayrou avait proposé de changer le système de l'ISF lors de la dernière campagne présidentielle, notamment en procédant à une extension de l'assiette. Rapidement, il déclara que les biens professionnels et les œuvres d'art garderaient leur exonération. Il faut aussi noter une certaine ironie dans la proposition de supprimer l'exonération des biens professionnels: comment plus se démener qu'en faisant fructifier soi-même son capital?

Sur la question de la fuite des contribuables, ses conclusions devraient être plus mitigées. Elle paraît relativement faible chaque année: il y a bien environ 500 personnes par an qui partiraient pour échapper à l'ISF, pour un peu plus de 450 000 contribuables en 2006 (source: rapport du CPO). La comparaison qu'il fait par rapport à l'ensemble des contribuables est orientée pour vendre son message, puisque il compare une fuite sur les 3 dernières tranches avec l'ensemble des contribuables. Cela dit ces contribuables ne représentent que 3‰ de la base taxable, 5‰ des revenus de l'ISF ou encore 2.5% de la population des 3 dernières tranches. Cela dit sur le long terme le phénomène prend une certaine ampleur: un manque de 5000 contribuables sur les 3 dernières tranches représente un manque d'un cinquième en 2008! Le caractère cumulatif tend ainsi à vider les dernières tranches, quoique moins vite qu'elles ne se sont remplies.

Il affirme aussi gaillardement que l'ISF est assis sur des valeurs de marché. Ceci est une vaste plaisanterie, d'une part à cause justement des différentes niches fiscales qui sont des réductions administratives de la valeur des différents biens, d'autre part parce qu'il existe quelques indices montrant que certains biens sont déclarés à une valeur fantaisiste, comme la villa de Mme Royal à Mougins, déclarée pour moins que la valeur du terrain selon le Canard Enchaîné. Il affirme aussi que l'évaluation administrative des biens mine le consentement à payer. L'expérience française semble quelque peu prouver le contraire. L'ISF est certainement un des impôts les plus contestés en France. Pour preuve, on pourrait justement citer la sous-évaluation notoire de certains patrimoines ainsi que les débats récurrents sur le sujet. Seule la crapuleuse redevance copie-privée doit faire l'objet de plus de contestation. Par contre, les taxes foncières dont les bases taxables n'ont pas fait l'objet de révisions sérieuses depuis les années 1970 ne font pas franchement l'objet de débats passionnés.

Sur le reste des impôts

Camille Landais ne cache pas sa préférence pour un impôt sur les revenus à l'assiette la plus étendue possible et construit de sorte à ce que le système reste globalement progressif. Il a d'ailleurs écrit en commun avec Thomas Piketty et Emmanuel Saez un ouvrage accompagné d'un site internet pour développer ce point. Ils y proposent de fusionner la CSG — assimilée aux impôts qui lui ressemblent comme la CRDS — et l'IRPP en gardant l'assiette, et surtout la quasi-absence de cas particuliers, de la CSG et en lui associant un barème progressif, comme pour l'impôt sur le revenu actuel.

Camille Landier donne des chiffres surprenants. Il affirme qu'un Français qui gagne 1700€ par mois a un taux d'imposition de 45%, TVA comprise. Ce chiffre est surprenant, mais vrai: pour un salaire «super-brut» de 1700€ par mois, on est un peu au-dessus du SMIC. Le taux d'imposition «direct» est d'environ un tiers, ce qui tout à fait compatible avec le taux d'imposition total annoncé. De l'autre côté, les très haut revenus doivent avoir leur source dans un patrimoine important. Or ceux-ci sont imposés à un taux libératoire de 31.3%, ce qui ne semble pas trop éloigné des 35% annoncés, à condition qu'on considère qu'il n'en consomment qu'une petite partie. Les valeurs données doivent sans doute tenir compte du fait que tous les revenus ne sont pas taxés de la même façon, les revenus du travail étant frappés par des impôts très lourds. Dès lors qu'on inclut des personnes qui n'ont que relativement peu de revenus du travail, comme les gros patrimoines, voire pas du tout, comme les retraités, les taux d'imposition baissent très fortement. Cela explique une bonne part de la régressivité du système, mais cela doit aussi faire baisser les taux annoncés, forcément issus de moyennes.

Dans leur proposition de système, les auteurs proposent que le taux moyen pour les hauts revenus soit de 60%, à comparer aux 35% effectif actuels, TVA comprise. Comme remarqué plus haut, cela contredit quelque peu l'objectif d'avoir un impôt sur la fortune qui incite à tirer des revenus de son patrimoine. Quoiqu'on fasse, le nouvel impôt dominera alors tous les autres, vu qu'il prend déjà plus de la moitié des revenus. Camille Landais préconise quand même un impôt sur la fortune, mais c'est en fait pour éviter que les gens fortunés ne logent leur patrimoine dans des sociétés comme Liliane Bettencourt. En effet, le taux de l'IS n'est au maximum que d'un tiers, ce qui représente une substantielle économie par rapport à ses propositions. Ainsi, loin d'être une incitation à faire fructifier son patrimoine, cet impôt devient en fait un impôt alternatif minimal. L'ISF ne peut pas être à la fois un outil pour rendre productif le capital et être une sorte d'anti-fuites.