Les assemblées ont adopté la LOPPSI, loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Cette loi traite de nombreux sujets, c'est devenu une véritable voiture balais législative. Le législateur s'est laissé aller à son penchant répressif, n'hésitant pas à ignorer des droits fondamentaux comme la liberté d'expression, par exemple dans le cas de l'ignominieux article 4. Il y a quand même une maigre exception, sur le permis à points. Ce billet ne se propose que de parler des articles visant la vente à la sauvette. Quoique cela paraisse un enjeu mineur, il n'en est pas moins intéressant. Le faible enjeu électoral laisse finalement libre cours aux penchants naturels du législateur. Autant le dire tout de suite, ces articles relèvent sans doute de l'anti-libéralisme primaire.

Prison pour les vendeurs à la sauvette

L'article 24 sexies dispose que, désormais, les vendeurs à la sauvette classiques, officiant dans la rue, sont passibles d'une peine de prison de 6 mois et de 3750€ d'amende. Il prévoit une aggravation à 1 an et 15k€ en cas de bande organisée ou d'agressivité.
À l'heure actuelle, la vente à la sauvette n'est passible que d'une contravention de 4e classe (750€) ou de 5e classe (1500€).

La loi telle qu'elle était jusqu'à présent se comprend bien. Pour s'assurer que l'utilisation des rues et des trottoirs ne soit pas complètement anarchique, il faut bien pouvoir sanctionner ceux qui s'y installent sans être autorisés. Il n'est pas dit qu'on doive les poursuivre sans relâche, mais qu'au moins on puisse leur ordonner de partir en cas de gêne ou de besoin. La vente d'espaces sur le domaine public est aussi une source de revenus pour les mairies qui leur permet de couvrir en partie les dépenses de police et de nettoyage nécessaires au bon fonctionnement des activités de vente en plein air.

On peine à comprendre toutefois ce qui justifie que les contrevenants deviennent désormais des délinquants. Le débat devant l'Assemblée Nationale a peu de chances d'éclairer le citoyen, du fait de sa brièveté. Au Sénat, on nous explique que les vendeurs à la sauvette ont adopté une nouvelle technique commerciale: la violence. Cette nouvelle technique est des plus surprenantes, elle n'est pas connue pour attirer particulièrement les acheteurs. L'autre argument avancé est que la présence de vendeurs à la sauvette entraînerait des bagarres avec les commerçants réguliers. Outre que les violences sont déjà réprimées, la dispersion des vendeurs à la sauvette grâce aux lois actuelles suffirait à prévenir les pugilats. De même, la confiscation des marchandises et de la recette est déjà possible; si on voulait donner sérieusement la chasse aux vendeurs à la sauvette, cela devrait largement suffire, les commerçants quelqu'ils soient cherchent à réaliser des profits, la confiscation leur cause une grande perte.
Cet article apparaît ainsi principalement comme une mesure d'affichage, sans suite sur le terrain où leur chasse aura le même niveau de priorité qu'aujourd'hui, à moins que la création de ce nouveau délit ne permette à la police de remplir à bon compte ses objectifs de gardes à vue. On peut se demander quelle est la cohérence avec les slogans, certes désormais lointains, de la dernière campagne présidentielle, où il s'agissait d'encourager le travail, la vente à la sauvette étant tout de même un moyen honorable de gagner sa vie. On empêche des gens de pouvoir subvenir à leurs besoins d'eux-mêmes, sans qu'ils posent de véritables risques pour les autres et en les menaçant de prison.

Vœux de chasteté obligatoires pour les vendeurs à la sauvette

Non content de créer un délit nouveau à partir d'une contravention, le législateur a aussi créé par l'article 24 septies un délit d'exploitation de la vente à la sauvette. Il s'agit de façon clairement affirmée de copier les dispositions relatives au proxénétisme. Ainsi, recevoir des subsides d'un vendeur à la sauvette sera puni de 3 ans de prison. Mieux vaut donc ne pas vivre avec un vendeur à la sauvette. Les choses ne s'arrêtent pas là, puisque ceux qui les fourniront en bibelots risqueront aussi la même peine.

La justification est ici que les vendeurs à la sauvette seraient exploités par des mafias. Il faut d'ailleurs remarquer que faire de la vente à la sauvette un délit peut renforcer cette tendance, en renforçant les risques associés à cette activité. De la sorte, les professionnels des activités illégales sont alors clairement avantagés. Cela dit, on peine une nouvelle fois à comprendre pourquoi un article de loi supplémentaire était nécessaire. Par exemple, les mafiosi déclarent rarement leurs revenus illégaux au fisc, ce qui est déjà interdit. Inversement, si les mafieux agissent dans le respect de la loi, on a alors du mal à les différencier des plus habituels grossistes. Et de fait, les personnes nouvellement touchées par ce délit sont ainsi ceux qui fourniraient les marchandises légalement et ceux qui vivent avec les vendeurs à la sauvette. Sans doute cela procède-t-il d'une volonté du législateur de limiter cette profession aux seuls ermites.

On est tout de même frappé par la lourdeur des peines nouvellement possibles, pour des gens qui jusqu'ici n'étaient pas des délinquants et dont on pouvait même penser que leur activité était honnête. Ils deviennent passibles de peines équivalentes au vol ou à l'escroquerie. Comme l'opposition le signale, la notion de hiérarchie des peine semble singulièrement absente. On continue aussi dans cette même veine contre la liberté d'agir pour améliorer sa situation: le vendeur à la sauvette est un être très spécial qui vend des objets mais ne se fournit nulle part et ne vit avec personne.

Pas de revente de tickets sur le web

Emporté par son élan, le législateur continua son œuvre salvatrice contre cette lèpre des temps modernes. L'article 24 octies A combat donc la revente de tickets dans le Far West sur Internet. Plus exactement, il prévoit de mettre à l'amende (15000€ au maximum tout de même) ceux qui se livreraient ou aideraient à se livrer à ce commerce. La limitation à ceux qui s'y livreraient pour le profit ne limite rien: l'intermédiaire le fait forcément pour le profit, n'ayant pas un but philanthropique. Si l'acheteur met son billet aux enchères, il sera aussi condamné, les enchères pouvant l'amener à faire un profit, même s'il est fort possible qu'il enregistre une perte. On peut même dire que le vendeur voudra au moins réaliser un profit égal aux frais de transaction.

Une nouvelle fois, on est édifié par la justification: ces ventes favoriseraient l'irruption de hooligans et augmenteraient le nombre d'incidents autour des événements. Tout le monde sait bien que le hooliganisme est fréquent aux expositions de peintres impressionnistes ou aux concerts d'Aznavour. Plutôt donc que de se fatiguer à arrêter les amateurs de castagne, il vaut mieux s'en prendre à celui qui vend calmement son billet. Au moins ne risquera-t-on pas de prendre des coups mal placés. Que le vendeur ne soit en rien responsable des désordres, puisqu'il ne vient pas à l'événement, est secondaire: s'il fallait se limiter aux gens difficiles à attraper, on ne pourrait encombrer les tribunaux. On constate aussi l'à-propos du législateur qui s'attaque à des acteurs solvables, les plateformes d'enchères en ligne qui auront bien les moyens de payer, contrairement à l'émeutier moyen.

Cet article fleure bon les regrets des temps anciens où le vendeur de billets devait se déplacer le bon jour jusqu'au lieu du spectacle pour espérer ne pas perdre et son argent et l'occasion d'y assister. Confronté à cette injonction contradictoire de devoir à la fois aller au spectacle et ne pas y assister, l'amateur laissait totalement sa place aux professionnels. Le web permettait ainsi aux simples amateurs de parer aux accidents de la vie sans devoir faire acte de pénitence, il était urgent d'y mettre fin. Par delà même cette occasion perdue pour les amateurs, la revente de billets est utile à la société: la revente des billets participe de l'équilibre de l'offre et de la demande. Cet article est alors surtout un moyen de protéger les sociétés qui vendent des tickets ou les organisateurs de spectacles. Au lieu de s'investir dans la revente de tickets ou dans la vente aux enchères, ils continuent avec la technique habituelle d'avant internet. La veine est la même que ci-dessus: pas question au quidam d'améliorer sa situation avec les moyens du bords, protection des situations de ceux qui sont déjà installés.

À bas la liberté

Ces articles de la LOPPSI ont tous en commun de favoriser les pratiques installer et de vouloir empêcher des gens d'améliorer leur situation par eux-mêmes. Les activités réprimées relèvent au pire de la simple gêne, à tel point que les parlementaires les justifient par leurs conséquences indirectes, dont les auteurs des prétendues infractions ne sont même pas responsables. Pour un gouvernement arrivé sur des slogans favorables au travail ou à l'augmentation du pouvoir d'achat, cela est quelque peu contradictoire. Mais on peut difficilement penser que c'est nouveau, ce gouvernement n'a pas profité de l'occasion qui lui était donnée de simplement augmenter le nombre de licences de taxis.
Ces articles donnent aussi une idée du leitmotiv de cette loi: on tire d'abord, on discute ensuite. Le bâton est de sortie pour tout et surtout n'importe quoi. D'une certaine façon, si on ne sait pas ce que vous avez fait de mal, vous, vous le savez sans doute.