La fin piteuse de la centrale de Fukushima à la suite du tsunami du 11 mars 2011 porte un rude coup à l'industrie nucléaire, c'est un évènement inédit depuis 25 ans et la catastrophe de Tchernobyl. Le jour même du séisme, les militants de Sortir du Nucléaire et de Greenpeace ont été parmi les premiers à régir sur les problèmes de la centrale pour pousser leurs idées connues de longue date: il faut sortir du nucléaire. Ils furent suivis de près par les responsables des Verts, dont on sait qu'un des fondements de l'idéologie est l'opposition au nucléaire. Cela dit, si on pouvait penser au lendemain que l'industrie nucléaire serait durement frappée, ce n'est finalement pas si sûr.

Le bilan de santé du nucléaire

Cette opposition ne paraît pas franchement basé sur les enseignements qu'on peut tirer de l'histoire de l'exploitation de l'énergie nucléaire. Les derniers morts du fait d'un accident dans une installation nucléaire datent de 1999 à Tokai-mura au Japon. D'autres accidents notables ont eu lieu auparavant. Un réacteur de la centrale de 3-Mile Island en Pennsylvanie subit en 1979 une fusion de son combustible, les conséquences furent limitées à la mise hors service de ce réacteur. 2 accidents ont donné lieu à des zones d'exclusion humaines, en URSS. Un accident s'est produit à l'est de l'Oural en 1957. L'autre est la catastrophe de Tchernobyl.

Le bilan de la catastrophe de Tchernobyl est intéressant. Du fait de son importance, des études nombreuses ont été lancées. L'UNSCEAR, organisme de l'ONU chargé d'étudier les effet des radiations, s'est chargé d'en rassembler un grand nombre. Ses conclusions sont plutôt rassurantes pour un tel désastre. Si on en croit le bilan des pertes directes, il y aurait 5 morts non liés aux radiations. Selon le rapport de l'UNSCEAR, on a diagnostiqué un syndrome d'irradiation aiguë chez 134 personnes. 28 en sont mortes dans les 4 premiers mois. En 2006, 19 de plus étaient mortes, pour diverses raisons, parmi lesquelles on trouve 2 cirrhoses, un «trauma» ainsi qu'un arrêt cardiaque à l'âge de 87 ans. Les morts directement dues à l'accident sont donc relativement peu nombreuses. Les conséquences à long terme sur la santé sont par contre nettement plus importantes, puisqu'on estime qu'environ 6000 cas de cancers de la thyroïde sont dus à l'accident. Il est par contre presqu'impossible de déterminer les autres conséquences, du fait de leur faiblesse par rapport à leur apparition naturelle. En effet, comme les habitant des zones les plus touchées furent évacués, les doses totales furent relativement faibles. De plus, l'espérance de vie est de seulement 65 ans pour les hommes en Biélorussie, ce qui limite forcément la survenue de cancers dont on pense qu'ils surviennent après un délai de 20 ans et plus. On attendait aussi des cas de leucémie, dont l'incubation est plus courte que pour les autres cancers, ils n'ont pas été détectés parmi la population. Plus généralement, on a évacué quelques 250k personnes, ruinant sans nul doute leur vie.

On peut comparer Tchernobyl à une autre catastrophe industrielle, celle de Bhopal. La ville de Bhopal comptait presque 900k habitants en 1984, environ 560k auraient été touchés par le nuage de gaz toxique qui s'est dégagé de l'usine de l'Union Carbide. Un bilan officiel fait état de 3787 morts, pour lesquels une indemnité a été versée. On estime aussi que 100k personnes ont eu des séquelles à long terme. Il semble ainsi que Bhopal est une catastrophe aux conséquences nettement plus graves que celles de Tchernobyl. Et pourtant, abandonner les pesticides n'a jamais été à l'ordre du jour.

La catastrophe de Fukushima semble aussi s'inscrire dans une tendance qui veut que les accidents nucléaires soient impressionnants, mais moins graves que ce à quoi on pourrait s'attendre. Malgré son ampleur, personne ne semble menacé de mort à brève échéance; les dommages sont essentiellement matériels, la centrale étant inutilisable. On pourrait dire que c'est la première catastrophe d'ampleur mondiale ayant fait zéro mort.

Et si on regarde quel est le nombre de morts dans les différentes filières de production d'électricité, de la mine aux rejets de la centrale, on se rend compte que le nucléaire est l'énergie la moins létale. Cela s'explique par le faible volume de matière à extraire, les mesures de sécurité dans l'industrie nucléaire, du faible nombre d'accidents et du volume extrêmement faible des rejets nocifs. Le charbon, lui, provoque nombre de morts à la fois dans les mines et du fait des rejets dans l'atmosphère.

L'eschatologie anti-nucléaire

Rien de ces arguments n'a jamais convaincu les opposants. Il faut dire que dès l'origine, l'objectif est de lutter contre l'arme nucléaire. L'énergie nucléaire y est associée comme une invention dangereuse, et tout y passe, pèle-mêle.

  • L'argument de l'énergie nucléaire qui serait proche de la bombe atomique est déjà remarquable. C'est en quelque sorte l'analogue du raisonnement d'Alfred Nobel qui fonda les prix qui portent son nom pour expier son invention de la dynamite et son utilisation lors des conflits armés. Évidemment, nul n'a jamais pensé s'en passer pour cette raison, on utilise même des explosifs dans des buts civils indispensables, comme la démolition d'immeubles, qui sont pourtant très proches d'une utilisation militaire. En poussant un peu plus loin, on peut se demander pourquoi on autorise toujours les couteaux à la vente, alors qu'il s'agit sans doute de l'arme de guerre la plus utilisée au cours des âges ainsi que de l'instrument le plus utilisé dans les meurtres.
  • L'argument de la bombe n'impressionnant sans doute plus personne en cette époque d'individualistes blasés, il faut donc passer à la vitesse supérieure et dire que cela tue tous les jours. Évidemment, comme on l'a vu plus haut, ce n'est pas le cas, mais l'argument fonctionne. Les effets de la radioactivité à faibles doses sont imperceptibles, les décès sont à venir dans un futur lointain, les causes de ces décès sont similaires à celles du grand âge, ce qui inverse en fait la charge de la preuve. Au lieu de devoir prouver que c'est la radioactivité qui tue des gens à grande distance, on doit prouver que des décès sont imputables à d'autres causes. Que des gens meurent avant de subir les effets de la radioactivité n'arrête pas les militants, après tout, on est bien incapable de montrer alors qu'ils ont tort.
  • On y ajoute pour faire bonne mesure, que nous sommes maudits jusqu'à la fin des temps. Les déchets nous hanteront, ainsi que nos descendants sur des milliers d'années. Sauf qu'évidemment, les rassembler dans un trou est une solution rationnelle à l'échelle de l'histoire. Ce qu'on met dans un trou relativement étanche y restera au moins pour quelques milliers d'années sans que personne n'y touche, on peut difficilement penser faire mieux en l'absence de surgénérateurs. Et ce d'autant plus que les énergies concurrentes émettent des déchets qui ont des effets durables, sur plus de 100 ans! Et on est bien en peine d'aller récupérer ces déchets, qu'on aimerait bien mettre dans un trou.

Ces arguments n'ont rien de vraiment logique, mais ils reposent sur un ressort bien connu, les préoccupations quant à la fin du monde. L'homme provoquerait avec son invention, l'énergie nucléaire, la fin d'un monde prospère qui déboucherait sur un ensemble de malheurs incurables. C'est un récit classique dans un cadre religieux. Le militantisme écologiste peut ainsi être rapproché du prosélytisme religieux, ce qu'a confirmé brillamment Nathalie Kosciusko-Morizet dans une récente interview au magazine La Vie. Tout cela montre qu'il sera difficile de raisonner la plupart des gens, leurs croyances écrasant tous les raisonnements qu'on leur expose.

L'attrait du confort

Si la peur de la fin du monde est un énorme handicap, d'autant plus que ce n'est pas une peur qu'on peut aisément raisonner, il est certainement un remède souverain, la demande de confort. Sans électricité, pas de confort moderne. Cela ira sans doute en se renforçant, les énergies fossiles tendant à la fois à se raréfier et à être plus demandées à cause de l'émergence de nouveaux pays.

Aujourd'hui ce sont d'ailleurs des pays avec des besoins en énergie importants qui construisent des réacteurs nucléaires. On trouve ainsi au premier rang la Chine, dont le développement demande de plus en plus de centrales électriques. Les centrales au charbon sont certainement les plus construites, mais le nucléaire ne gêne guère en Chine. Après tout entre mourir hypothétiquement irradié ou nettement plus sûrement à cause des poussières de charbon ou du manque général de confort, le choix est sans doute vite fait.

Et de fait, la lecture du mode d'emploi de la sortie du nucléaire aimablement fourni par Sortir du Nucléaire permet de se rendre compte des conséquences. Les données de RTE indiquent que la France consomme environ 490TWh d'électricité par an. Pour sortir du nucléaire, il faudrait ne plus en consommer que 390, soit une baisse d'environ 20%. Au vu de l'évolution passée, c'est un objectif héroïque. Une lecture cursive du bréviaire écologiste permet de s'en rendre compte encore mieux. Les recettes sont simples, il s'agit de payer les gens pour s'acheter tout le nécessaire du parfait écolo, financé par l'état au moyen de vastes primes à la casse, des ampoules aux frigos. L'argent de l'état est, comme on le sait, se crée par génération spontanée. Tout le monde deviendra producteur d'énergie, sans émettre plus de gaz à effet de serre, les pertes dans le réseau baisseront même si on doit multiplier les lignes pour permettre d'alimenter les régions à court de vent. Mais comme cela ne suffit sans doute pas, les pays voisins devront se débrouiller sans nos exportations, les mécréants devront se passer de chauffage électrique, même dans les immeubles non alimentés au gaz, et on menace les industriels de rationnement. On construira des éoliennes mais, surtout, on utilisera des centrales thermiques, la seule alternative crédible. Évidemment, tout ceci pointe dans une seule direction: des dépenses d'investissements délirantes pour un résultat minime, une augmentation des prix de l'énergie, un flicage ou un rationnement généralisé et, surtout, une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, à l'heure où on ne parle que de les réduire.

L'autre élément du choix est qu'en remplacement du nucléaire, seules les énergies fossiles sont crédibles. En plus de libérer des gaz à effet de serre, leur exploitation n'est pas sans poser des problèmes qui leur sont particuliers. Brûler du charbon libère des poussières nuisibles à la santé, les morts sont nombreux dans les mines. Les gisements de pétrole sont bien souvent situés dans des pays dictatoriaux qui n'hésitent pas à faire valoir leur pouvoir, comme on l'a vu avec les 2 chocs pétroliers. Ces dictateurs peuvent aussi plus facilement se maintenir grâce aux revenus du pétrole. Le gaz naturel est plus agréable grâce à la mise en exploitation du gaz de schiste, mais les opposants au nucléaire sont aussi les premiers opposants à la mise en exploitation éventuelle des ces gisements. Il est ainsi peu probable que cette technique se développe en Europe. L'uranium n'est pas tellement plus courant en Europe, mais il présente l'avantage de se trouver en grande quantité dans le sous-sol de démocraties stables, comme le Canada ou l'Australie. De plus, la faible quantité de matériau nécessaire au fonctionnement d'une centrale permet de le stocker. C'est en grande partie la raison qui a poussé la France à abandonner le charbon — dont les gisements nationaux s'épuisaient — pour le nucléaire à la suite des chocs pétroliers.

Ces arguments ne convaincront pas ceux qui sont déjà convaincus. Ainsi, il est très probable que la fin de la centrale de Fukushima renforce la volonté de sortie du nucléaire de l'Allemagne. Des pays développés peuvent se permettre au moins à moyen terme de se payer des systèmes reposant sur des énergies fossiles. Mais d'un autre côté, les pays en développement pour qui les centrales nucléaires sont un moyen de produire de l'électricité à un prix très compétitif construiront des centrales nucléaire. Les pays comme la France pour lesquels une sortie du nucléaire coûterait énormément resteront sans doute très nucléarisés. Le cas de ceux qui hésitent sera peut-être décidé en défaveur du nucléaire dans un certain nombre de cas, mais l'industrie nucléaire sera sans nul doute importante dans des pays développés qui n'ont pas vraiment le choix.