Dans son édition datée du 16 juillet, Le Monde nous gratifie d'un éditorial intitulé Pousser le jacobinisme jusqu'à contrôler le soleil où l'auteur s'offusque de la décision du gouvernement de limiter l'expansion de la production d'électricité solaire à 500MW (crête) par an. Selon cet éditorial, c'est une filière porteuse d'avenir, à peine nous fait-on remarquer qu'elle n'est pas du tout rentable sans soutien public — pour le moment nous dit-on — et que cette décision limitera les dépenses publiques. On nous fait remarquer que l'horrible moratoire imposé par le gouvernement fait perdre des emplois. Les coupables sont rapidement trouvés: la volonté pour l'état de favorise(r) les grand groupes et l'influence néfaste des ingénieurs des Mines. En pages intérieures, on peut trouver un article nous comptant les avanies vécues par le secteur: après un départ en trombe suite à des crédits d'impôts, des tarifs et des conditions d'achat généreux, le gouvernement a mis un grand coup de frein car il allait atteindre ses objectifs avec 8 ans d'avance. On s'y offusque que les parkings des grandes surfaces ne soient pas concernés par les appels d'offre, de la baisse des tarifs de rachat et enfin que les entreprises du secteurs souffrent de la politique de gribouille du gouvernement français. Un paragraphe est consacré aux explications du ministère de l'industrie: ce serait cher.

Et en effet, on voit là une bonne raison. Comme noté dans l'article, une partie du coût est payé par des crédits d'impôts — qu'on n'étudiera pas ici — et par la fameuse CSPE, contribution au service public de l'électricité. C'est une taxe d'accise que chacun paie sur sa consommation d'électricité, elle sert à subventionner l'électricité dans les îles sous administration française, le tarif social de l'électricité et le surcoût des énergies renouvelables. Sur le site de la Commission de Régulation de l'Électricité, on s'aperçoit que le gouvernement a du retard: la CSPE ne couvre pas les coûts réels des énergies renouvelables et le système a donc commencé à accumuler une dette envers EDF, principal producteur d'électricité en France. En 2010, la charge pour EDF s'est élevée à 1G€, la CRE prévoit un déficit de 2G€ pour 2011. Ce déficit a tendance à se creuser sous l'impact de 2 facteurs: les tarifs de rachat très généreux qui incitent à se précipiter pour installer des panneaux solaires et le plafonnement de la hausse de la CSPE à 3€/MWh chaque année. Le gouvernement avait jugé dans sa grande sagesse que, malgré son enthousiasme débordant, le grand public n'était pas prêt à voir bondir sa facture d'électricité au motif que les énergies renouvelables, c'est sympa. Pour éviter que cette dette ne devienne trop importante et aussi éviter les inévitables protestations que provoque toute hausse du prix de l'électricité, particulièrement gênantes à l'orée d'une campagne présidentielle qui s'annonce de haute tenue, on se doute que le gouvernement se devait de prendre des mesures.

À la lecture des calculs de la CRE, on se rend compte à quel point le photovoltaïque coûte cher. CRE_CSPE_2011.jpg Le tableau ci-dessus reprend les prévisions de la CRE concernant la production d'énergie en métropole à partir des moyens éligibles à la CSPE, à savoir les moyens de secours et les énergies renouvelables. Le photovoltaïque n'est suivi que des moyens «dispatchables», c'est-à-dire de secours et est 5 fois plus cher que l'énergie suivante. Un MWh solaire coûte plus de 500€! Même si la CSPE ne prend en charge que le surcoût par rapport au prix moyen de l'électricité, la différence n'est pas mince. À titre de comparaison, on peut mentionner que l'ARENH, prix de l'électricité nucléaire dicté par le gouvernement, sera de 42€/MWh en janvier 2012. Un calcul sur les surcoûts à la charge de la CSPE montre que le prix de base est d'environ 55€/MWh. C'est ainsi que la CRE s'attendait à un débours de 820M€ pour une production à partir du solaire de 1.7TWh — royalement 0.3% de la production d'électricité en France —, contre 376M€ et 12.3TWh pour l'éolien. Sans même discuter des mérites de ces énergies dans le cas français, on ne peut que constater que c'est là une véritable gabegie.

On entend généralement justifier une telle politique par le prix rapidement décroissant de l'énergie solaire. Cependant, vu l'écart de prix, il faudra une vingtaine d'années avant que cela ne devienne véritablement intéressant. Or les fabricants donnent une garantie de puissance de 25 ans, certains éléments étant sans doute à remplacer plus souvent. Autrement dit, l'énergie solaire deviendrait compétitive — en espérant que les projections se vérifient — lors du renouvèlement des panneaux installés actuellement. Sans doute vaut-il mieux attendre, et consacrer cet argent à autre chose comme la subvention de plus d'économies d'énergie ou l'installation de modes de production d'électricité au bilan carbone plus favorable mais plus compétitif!

Force est de constater que Le Monde ne s'est fait là que le porte-voix de la filière photo-voltaïque et que la décision du gouvernement est justifiée. Quand on en vient à dénoncer la grande industrie mais dans le même temps à se désoler du sort terrible des grandes surfaces qui ne pourront bénéficier d'un effet d'aubaine aux dépens de leurs clients, on a quitté depuis longtemps le terrain du compte-rendu objectif ou du raisonnement pour être sur celui de la pure idéologie qui confine à la forfaiture. Certains s'interrogent gravement sur les problèmes de la presse écrite française. Peut-être devrait-elle commencer par informer honnêtement ses lecteurs et baser ses éditoriaux sur des comptes-rendus objectifs.