Le 12 août dernier, Martine Aubry, candidate aux primaires du parti socialiste et première secrétaire du PS, a publié une tribune intitulée Contre la dette, pour l'emploi, ma règle d'or où elle expliquait les raisons de son refus de voter les propositions actuelles de «règles d'or» du gouvernement et où elle présentait son propre programme fiscal, très proche du programme du PS.

Attaquant la politique fiscale du gouvernement, elle affirme que la majorité actuelle a accordé depuis 2002 70G€ de cadeaux fiscaux. J'ai essayé de vérifier ce chiffre en consultant divers rapports de la Cour des Comptes.

  • Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de 2010 pointe une augmentation de 17G€ (p110) des dépenses fiscales pour le budget de l'état proprement dit. Ce rapport pointe aussi que l'augmentation a débuté à partir du moment où les dépenses de l'état se sont vues fixées un objectif restrictif de progression, en 2004 (cf graphique p111). Il semble donc qu'il s'agisse avant tout de contourner cet objectif de dépenses publiques, les dépenses fiscales pouvant se substituer à de vraies dépenses budgétaires tout en n'en apparaissant que comme de moindres recettes.
  • Le même rapport précise que des mesures totalisant 80G€ en 2008 ont été retirées de la liste des dépenses fiscales. Le ministère du budget a en effet une grande latitude pour définir ce qu'est une dépense fiscale en définissant quelle est la façon «normale» de calculer l'impôt. La Cour relève que ces dispositions ont vu leur coût augmenter de 10% par an depuis 2000, ce qui donne une augmentation de 43G€.
  • La baisse de l'impôt sur le revenu décidée par le gouvernement Villepin a coûté environ 4G€ si on en croit le rapport sur la fiscalité des ménages.
  • La réforme de la taxe professionnelle coûte environ 5G€ si on ne prend en compte que les impôts pérennes qui ne seront plus versés à l'état, d'après le rapport sur la gestion budgétaire 2010 (tableau 1 p22).
  • L’exonération des heures supplémentaires coûte environ 3G€ si on en croit le rapport de gestion de la sécurité sociale 2010 (p101). Toutefois le tableau montre qu'entre les créations et les suppressions de mesures, le coût total est de 1G€.
  • Les changements concernant les droits de succession et l'ISF ont coûté environ 1G€. L'allègement des droits de succession contenu dans la loi TEPA peut être estimé à 1G€ (cf comparaison entre l'imposition en France et en Allemagne p151). Les mesures prises sur l'ISF devraient être neutres relativement aux cadeaux fiscaux dont il est question.

On peut retrouver plus de 70G€ de dépenses fiscales ou d'allègements d'impôts supplémentaires. Cela dit, il est impossible de savoir en détail ce qui relève de l'évolution naturelle des niches fiscales qui ont le don d'attirer les contribuables et ce qui relève des changements dans la politique fiscale du gouvernement. Il faut d'ailleurs noter que la Cour des Comptes reconnaît que les évaluations sont compliquées par le besoin de se fixer une norme de calcul de l'impôt. Le gouvernement s'en est servi pour faire sortir de la liste un certain nombre de dispositions; à tel point que certaines des niches que le gouvernement a supprimées pour l'année 2011 ne figuraient pas dans la liste officielle et n'y ont jamais figuré, comme par exemple la double déclaration pour les mariés (rapport annuel 2011 de la Cour, p65 sq). Inversement, les allègement de charges sociales pour les bas salaires sont en fait une façon de calculer l'impôt: le montant dépend uniquement de la base taxable; mais pour des raisons de compensation entre l'état stricto sensu et la sécurité sociale, cette mesure est comptée dans les niches sociales. Bref, la liste des niches est en fait établie de façon largement arbitraire.

On ne prend pas en compte non plus d'éventuelles hausses d'impôts qui viendraient compenser ces baisses. D'ailleurs, si on adopte un point de vue global, les cadeaux fiscaux sont moindres. Ainsi le rapport Champsaur-Cotis sur la situation des finances publiques pointe une baisse du taux de prélèvements obligatoires de 2.8% du PIB entre 1999 et 2008 du fait des changements législatifs. Cela conduit à estimer que les baisses d'impôts ont plutôt été de l'ordre de 54G€ sur la période. Cela inclut d'ailleurs la baisse d'impôt sur le revenu décidée par le gouvernement Jospin.

Martine Aubry annonce vouloir revenir sur 50 de ces 70G€. Mais comme ces 70G€ sont censés être inefficaces économiquement et injustes socialement, la question se pose de savoir pourquoi ne pas supprimer l'ensemble de ces 70G€. Peut-être aurait-on un début de réponse si le parti socialiste publiait la liste des dispositions à revoir et leur coût actuel estimé — ainsi que la source de l'estimation. Cependant, cette liste n'est pas fournie par le PS à ma connaissance. On ne peut alors que se risquer à des hypothèses.

D'abord, ce n'est pas parce qu'on supprime une niche que son coût disparaît immédiatement. Du fait de la non-rétroactivité de la loi, certaines mesures auront des effets sur les finances publiques bien après leur suppression, comme c'est le cas pour toutes les incitations à la construction de logement (Scellier & autres avatars qui l'ont précédé,...).

Ensuite, ce n'est pas parce qu'une niche paraît avoir un coût important que sa suppression rapporte beaucoup. Si on part du principe que ces niches provoquent surtout des effets d'aubaine, il est fort possible que lors de la suppression de la niche, ceux qui en profitaient modifient leur comportement pour ne rien payer. Le cas le plus patent en la matière, c'est la «niche Copé». Selon des calculs directs, elle a coûté 12.5G€ en 2010 (cf rapport annuel 2011, p88), mais en fait, en l'absence de cette mesure, une autre niche s'appliquerait, celle concernant les participations à long terme. Si on prend en compte cela, le coût tombe à 6G€. Même ainsi, il est certain que cela rapporte bien moins, la base taxable étant largement dans les mains de l'entreprise à taxer. En l'occurrence, le coût avait été évalué à 1G€ initialement, probablement en négligeant la réaction des entreprises. Le plus probable est que la suppression de cette niche ne rapporte pas plus!

Enfin, certaines des niches et allègements sont très difficiles politiquement à supprimer. Ainsi, l'exonération des heures supplémentaires a beau se caractériser uniquement par un effet d'aubaine et sa suppression rapporter sans doute le coût actuel, essayer de la supprimer va certainement entraîner des protestations de la part de ceux qui en profitent et qui ne sont pas tous des «riches». On peut même aller plus loin: les niches fiscales ont un attrait irrésistible pour les politiques. Ils ont tous des buts particuliers à atteindre ou veulent favoriser certaines actions par rapport à d'autres. Les niches fiscales présentent l'avantage de pouvoir donner des incitations financières dans ce sens, sans avoir rien à dépenser officiellement et aussi d'être parfois plus rapides puisque l'argent ne quitte plus la poche du contribuable. Cette attraction est si forte que dans ce même article, Martine Aubry propose une niche fiscale à destination des entreprises: abaisser à 20% l’impôt sur les sociétés des entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices, et l’augmenter sur celles qui privilégient les dividendes. Ainsi, les entreprises seront incitées à ne plus verser de dividendes, mais à investir, moyen qu'elles utiliseront sans doute pour racheter leurs propres actions via des montages financiers. L'utilité réelle d'une telle mesure me paraît donc extraordinairement douteuse.

Martine Aubry propose aussi de réutiliser la moitié de ces hausses d'impôts pour ce qu'elle veut faire. Parmi les 25G€ qu'elle propose de dépenser, il y aura certainement la niche «investissements» et peut-être d'autres. Comme il est en fait extrêmement difficile d'anticiper les réactions des contribuables concernés, l'estimation de dépenses sera sous-estimée. La partie de dépense budgétaire, elle, restera sans doute fixée. On aura ainsi très certainement des recettes surestimée et des dépenses sous-estimées. Les 25G€ de réduction du déficit représentent à peine 1.3% du PIB. Le gouvernement prévoit que de faire voter un budget 2012 en déficit de 4.6% du PIB. En d'autres termes, l'effort proposé par Martine Aubry paraît faible et compte certainement sur une hypothétique croissance que provoquerait son programme ou qui se manifesterait telle une divine surprise. En plus, comme l'a vu, son plan surestime certainement les recettes et sous-estime les dépenses, la réduction effective du déficit sera nettement inférieure.

Si les plans du gouvernement en ce qui concerne les finances publiques sont très peu clairs après juin 2012, on peut déjà voir que ce que propose le PS n'est pas à la hauteur de ce qui est promis. Martine Aubry a certainement raison de ne pas vouloir de la proposition de «règle d'or» du gouvernement: une telle approche a déjà été essayée avec le pacte de stabilité, la norme d'évolution des dépenses, etc. Mais si elle est sincère dans sa volonté de réduire le déficit, ses propositions devront se faire nettement plus précises et réalistes. On peut y voir sans peine une grande liberté dans le chiffrage des recettes, une dénonciation de méchantes personnes qui optimisent leurs impôts et, que demain comme hier, on n'arrivera pas à faire payer, une volonté de dépenser des montants finalement indéterminés, via des mesures très douteuses, pour diriger le citoyen vers les projets qui lui sont chers. Actuellement, elle ne se départit pas de la politique fiscale française actuelle: ses propositions paraissent superficielles et incohérentes.