À cause des déficits budgétaires importants actuels — 5.7% du PIB prévus cette année —, du niveau maintenant élevé de la dette publique — probablement plus de 85% du PIB à la fin de cette année et de la crise des dettes souveraines dans la zone euro, il est fatal que l'état des finances publiques occupent une certaine place dans le débat public. Avec l'approche des présidentielles de 2012, il est tout aussi certain que la droite et la gauche vont se renvoyer la responsabilité de la situation actuelle. Ainsi, Martine Aubry, dans sa tribune du Monde, souligne que les trois quarts, en pourcentage du PIB, de la dette a été accumulée sous des gouvernements de droite. Le Monde a aussi publié un graphique pouvant se résumer comme le fait Martine Aubry.

Un problème majeur de ces approches est qu'elles ne tiennent absolument pas compte du cycle économique. Ainsi, en 1993, la droite gagne les élections en mars. Or l'économie est en récession, ce qui fait mécaniquement exploser le déficit public et le budget a été préparé par le gouvernement précédent, de gauche: il est quelque peu difficile de qualifier d'honnête les déclarations imputant l'augmentation de la dette à cette époque à la mauvaise gestion de la droite. Il est en effet de bon aloi d'accepter un déficit en période récession, cela permet d'amortir la chute de l'activité en assurant un niveau d'activité fixé à l'avance et aussi en laissant l'état providence jouer son rôle de filet de sécurité pour ceux qui sont directement frappés par les revers économiques. Ce déficit en période de récession doit toutefois être résorbé dès que l'économie se porte mieux et on doit même faire des réserves pour justement pouvoir amortir les éventuelles récessions futures.

De fait, on constate que l'évolution du déficit public par rapport au PIB est très corrélée à la croissance économique. Lors d'une récession, l'inflation s'écroule parallèlement à l'activité économique, ce qui fait que le PIB augmente très lentement ou même baisse en valeur, tandis que le déficit se creuse sous l'effet de dépenses de relance et de solidarité en hausse et de recettes en baisse. Inversement, en période de croissance, les recettes croissent plus vite que le PIB ce qui résorbe le déficit. C'est le sujet de ce billet sur le blog de FredericLN. Cette analyse se base sur le déficit primaire — le déficit hors intérêts de la dette. Sa conclusion est qu'il semble bien difficile de départager gauche et droite.

Cela m'a incité à regarder les choses sous deux angles différents. Il est vrai que le déficit primaire donne de l'aspect soutenable de l'évolution de la dette publique: si un gouvernement dégage un excédent primaire et que le taux d'intérêt est égal à sa valeur «canonique» de la croissance du PIB en valeur alors le ratio dette sur PIB diminue. Il me semble cependant que l'évolution des taux d'intérêts doit aussi être intégrée aux décisions politiques, si la réduction de la dette publique est vraiment une priorité cela doit aussi se faire dans des conditions adverses. J'ai aussi réduit la période d'analyse à 1990-2010: les périodes précédentes sont très différentes sur le plan des contraintes budgétaires (1950-1980) et en 1980, la dette était très basse, ce qui rendait les gaspillages relativement bénins.

On peut commencer par regarder directement l'évolution de la dette publique en fonction de la croissance. Comme dit plus haut, leurs évolutions sont très liées: dette vs croissance On constate qu'il est bien difficile de distinguer des groupes bien différents. De plus, il semble que les gouvernements aient le plus grand mal à réduire la dette lorsque la croissance est inférieure à 3% par an, ce qui pose quelques problèmes quand la croissance moyenne sur une décennie est de l'ordre de 2%/an et tend à diminuer. La réduction de la dette n'a pas été la priorité des différents gouvernements que se sont succédés, c'est le moins qu'on puisse dire.

Un autre point problématique est que le solde primaire devient «naturellement» positif après une longue période de croissance: le déficit provenant de la récession précédente se comble peu à peu. Inversement, si une crise survient après un long épisode de discipline budgétaire, le déficit public sera moins important qu'après une période laxiste. C'est ce qu'on a pu constater dans la récession actuelle: l'Allemagne prévoit de ramener son déficit à 1.5% du PIB cette année, la France prévoit 5.7%. Une idée pour voir quel est l'effort réellement fourni est de regarder la variation du déficit public en fonction de la croissance, cette fois-ci en prenant la peine de colorer les points suivant le gouvernement à la fin de l'année. évolution du déficit vs croissance On voit que le PS a relativement plus de points en dessous de la droite de tendance, mais ce sont soit des dates maintenant anciennes (1990, 1992) ou pas trop éloignés de la droite de tendance (1998, 1999). De leur côté les gouvernements de droite ont aussi eu leurs années laxistes (2002, 2007), comme par hasard des années électorales. On remarque aussi que, parmi les années les plus vertueuses — ou les moins laxistes, il y a les années immédiatement après les récessions (1994, 2010) sans doute du fait d'un effet de rebond. On constate aussi que les années 1994, 1996 et 1997 sont parmi les vertueuses, de façon remarquable pour 1996, il faut dire qu'il fallait que le déficit soit inférieur à 3% du PIB pour adhérer à l'euro. L'année 1996 rattrapait une année 1995 marquée par une élection dont la campagne s'est caractérisée par une grande dose de mystification économique de la part du vainqueur, Jacques Chirac. Dès l'adhésion acquise, ces dispositions se sont volatilisées.

Ces considérations montrent que ce n'est pas la couleur politique du gouvernement qui entraîne plus ou moins de rigueur budgétaire, mais au contraire les nécessités politiques du moment. Il est vrai que les décisions prises par les gouvernement ont respecté les diverses vaches sacrées. Les gouvernements de droite ont réformé les retraites pour diminuer les dépenses en ce domaine, les socialistes ont tenté de maintenir l'assurance maladie à l'équilibre. De l'autre côté, les socialistes ont décidé des programmes d'emploi public non financés à terme — les emplois jeunes, les gouvernements de droite ont baissé les impôts alors que le déficit était encore élevé. Mais quand une nécessité politique s'impose, comme l'adhésion à l'euro, le déficit se réduit rapidement. Il faut dire que le niveau historiquement bas des taux d'intérêts une fois l'adhésion à l'euro acquise n'a pas incité les gouvernements à prendre des décisions que la discipline et la volonté de s'assurer contre une forte récession auraient imposées. Aujourd'hui, le coût de l'emprunt ne se limite plus aux seuls intérêts comme le montre la crise des dettes souveraines: on s'est aperçu qu'avoir des marges pour faire face à une contraction majeure était (re)devenu nécessaire à la fois pour nous-même mais aussi pour porter assistance aux autres membres de la zone euro. Il faut donc s'attendre à une certaine période de discipline fiscale, au moins tant que la crise de la zone euro perdurera.