Le Mediator®, médicament produit par le laboratoire Servier, a été retiré de la vente du fait de ses effets secondaires: il entraînait de graves maladies cardiaques. Un rapport de l'IGAS a pointé de graves dysfonctionnements; Servier a réussi à complètement capturer son régulateur en faisant accepter sa position. C'est d'autant plus dommageable que d'autres médicaments très comparables étaient menacés depuis le milieu des années 90. Ces médicaments qui étaient l'objet d'une AMM au niveau européen ont été frappés d'un retrait d'AMM en 2000, quoiqu'annulé par la CJUE, et d'un refus de renouvèlement en 2001.

Il apparaît aussi clairement que Servier était tout à fait au courant de l'effet principal de sa molécule, puisque sa dénomination internationale renvoyait à un effet anorexigène, a présenté volontairement son médicament de manière biaisée aux autorités pour le faire autoriser pour le traitement du diabète où son efficacité était nettement moins forte. Cela dit dans les années 70, il n'y avait pas d'autres types de médicaments pour faire perdre du poids que les coupe-faim dérivés des amphétamines. Pour en rajouter dans la malhonnêteté, Servier a fait la promotion de son médicament non seulement pour son indication officielle mais aussi pour une indication de confort, faire du poids à des gens (des femmes en général) parfaitement sains, via ses visiteurs médicaux.

Comme signalé sur le blog de Jean-Daniel Flaysakier, cela pose aussi la question de la responsabilité des médecins prescripteurs. Un article du Figaro me renforce dans l'opinion qu'il y a là un problème de santé publique et d'éthique professionnelle. Que Xavier Bertrand, fort classiquement pour un ministre de la santé de droite, ait décidé de ne pas susciter une quelconque hostilité dans une catégorie supposément acquise à la droite en déclarant que les prescripteurs ne verront pas leur responsabilité engagée ne suffit pas à les absoudre.

En effet, la lettre de la gynécologue affirme clairement qu'elle a prescrit un médicament hors AMM. La lettre ne le dit pas, mais ces prescriptions ont sans nul doute été remboursées par la sécurité sociale, comme si elles avaient été délivrées dans le cadre de l'AMM, alors qu'il s'agissait de perdre à l'approche des beaux jours 3 à 5 kilos. On ne peut que subodorer qu'il s'agit là d'une fraude à la sécurité sociale. Mais ce n'est pas le pire.

Jamais cette médecin ne s'est posée la question de savoir pourquoi l'indication de confort était hors AMM et le médicament uniquement disponible sur ordonnance. N'étant pas médecin, j'ai tout de même à l'esprit que si on ne prend des médicaments que lorsqu'on est malade, c'est que ceux-ci ont aussi des effets secondaires délétères. Mieux, si on a institué un mécanisme d'autorisation a priori et de contrôle — normalement — régulier des médicaments, c'est pour s'assurer que les bénéfices de la prescription l'emportent sur les inconvénients. Certes, des substances très puissantes comme l'aspirine échappent à cela, mais c'est du fait de leur ancienneté. Selon l'article, une enquête de l'afssaps montre que dans les 2/3 des prescriptions, on ne s'est pas posé beaucoup plus de questions. Bien loin de réduire la défense de Servier à néant, ces informations la renforcent au contraire: si après de longues études, les médecins ne sont pas capables de comprendre quelle peut être l'utilité de l'AMM, des études a priori, du suivi pharmacologique, qu'un médicament doit apporter des bénéfices supérieurs aux inconvénients et que les limitations apportées par les AMMs sont aussi une indication de l'importance de ces inconvénients, on peut se demander si on ne ferait pas mieux de s'alimenter directement à la pharmacie! Pour une indication de pur confort — ce qu'est l'envie de maigrir de façon saisonnière — on est en droit d'attendre de très faibles effets secondaires; on ne peut pas dire que les limitations de l'AMM du Mediator pointaient dans cette direction. On pourrait certes opposer qu'il se fût toujours trouvé quelque médecin pour prescrire si cette gynécologue ne l'avait pas fait, mais cela veut dire qu'elle avait peur de perdre une cliente ou qu'il s'agissait de lui faire plaisir. Dans les deux cas, il s'agit d'une démarche purement commerciale, comme celle adoptée par le laboratoire Servier, certes sans l'organisation que suppose une firme pharmaceutique, mais qui n'en reste pas moins condamnable.