La Commission sur la Rémunération Copie Privée a été instituée en 1985 pour décider des sommes à lever sur des supports servant à la copie d'œuvres, à l'époque les cassettes audio et vidéo. Elle a depuis largement étendu le nombre de supports taxables. Par ailleurs, le 17 juin dernier, le Conseil d'État a censuré les décisions de la commission décidant entre autres des barèmes suite à une décision dite Padawan de la CJUE. Même si le Conseil d'État avait magnanimement reporté l'application de sa décision à la fin de cette année, le gouvernement, suite aux pressions des ayant-droits, a déposé un projet de loi visant à faire entrer dans la loi les décisions successives du Conseil et aussi à reporter d'un an de plus les effets de la décision.

À cette occasion, Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) nous explique sur son blog combien ce système est différent d'une taxe, combien ce système est juste et combien l'organisme qu'il préside est étranger aux déboires judiciaires de la commission et que par conséquent, il faut que ce projet de loi soit vite voté.

Ceci n'est pas une taxe

M. Rogard nous affirme donc que la rémunération copie privée n’est pas une taxe, mais bien une rémunération de droit d’auteur et de droits voisins contrepartie d’un régime de licence légale. Pour en avoir le cœur net, rien de tel que de consulter des dictionnaires.

Le Petit Robert, dans son édition de 2004, nous annonce:

Rémunération
... 2. Argent reçu pour prix d'un service, d'un travail ...

Taxe
1. Prix fixé d'une manière autoritaire ...
2. Part d'imposition que doit payer un particulier; somme fixée par l'imposition ...

Quant au dictionnaire de l'Académie Française, huitième édition, il déclare:

Rémunération: ... Prix dont on paie des services, un travail; salaire ...

Taxe: Fixation faite officiellement du prix des denrées, des frais de justice, du port des lettres, etc.

L'argument tendant à faire accroire qu'il s'agit d'une rémunération paraît spécieux: pour quel service on paie-t-on? Elle est imposée à cause de l’impossibilité technique de contrôler chaque acte de copie réalisé par le consommateur, nous informe la page d’accueil de la commission. De fait, aucune aide n'est à attendre des ayant-droits pour réaliser une copie. Il s'agit d'une exception du droit d'auteur, pas d'un droit.

Les décisions de la commission portent évidemment sur la fixation d'un prix minimal pour certains biens. Ces sommes doivent être versées aux organismes de répartition. Elle décide assez librement de ce qui peut ou pas être taxé, elle a étendu peu à peu son emprise sur à peu près tous les supports d'enregistrement numérique, à part les disques durs nus et les ordinateurs.

Étant donné que les ayant-droits comptent pour la moitié des membres, rien ne peut se faire sans leur accord. Par ailleurs, en cas d'égalité des voix, le président de la commission dispose du pouvoir de trancher. Il est nommé par le ministère de la Culture, il n'a jamais voté en sens contraire aux ayant-droits. De plus, le représentant de la CFDT semble faire le plus souvent cause commune avec les ayant-droits.

Les décisions sont aussi régulièrement contestées devant le Conseil d'État, ce qui montre que leur contenu n'est pas accepté par tous les participants. Le fait qu'il leur soit donné raison régulièrement montre que la majorité à cette commission fait usage de son pouvoir. Le déroulement des débats montre aussi une ambiance singulière: certains participants répètent en séance des propos tenus par d'autres dans une séance antérieure pour qu'ils figurent sur le compte-rendu.

Le côté autoritaire par rapport à une rémunération peut se voir aussi à l'ampleur des sommes perçues. Un rapide détour par un vendeur sis hors de France et la consultation du barème montrent que la taxe atteint 500% du prix hors taxe pour les CDs et 600% pour les DVDs. Ne pas payer la taxe expose à une amende de 300k€. Les ayant-droit ont accès aux services fiscaux pour aider aux recouvrement des sommes qui leur sont dues à ce titre. Pour le dire simplement, les ayant-droits ont un pouvoir de taxation quasiment équivalent à celui de l'état dont ils ne se privent pas d'user.

Une juste taxe ou juste une taxe?

L'autre versant de l'argumentation de M. Rogard est que cette taxe est juste. C'est étonnant, car même si on s'accorde sur la légitimité du principe, les décisions de la commission sont régulièrement censurées par le Conseil d'État. Ce fut donc le cas dernièrement pour la décision de 2008. Mais ce fut aussi le cas en 2008 pour une décision de 2006. Cette censure était due au fait que les barèmes prenaient en compte les copies contrefaites — notamment réalisées à l'aide de réseaux peer to peer. À la suite de cette censure, la commission a réinstitué les barèmes précédents, en prétextant ne pas avoir pris en compte auparavant le taux de compression des fichiers. Au final, la décision du Conseil d'État n'a eu aucun effet, le taux de compression compensant miraculeusement au centime d'euro près les copies illicites sur tous les types de support. Il paraît tout de même difficile de traiter de juste un système où les décisions de justice n'ont strictement aucun effet concret et où les décisions sont jugées illégales vis-à-vis de règles posées de longue date.

Mais le système de taxe pour copie privée n'est pas vraiment légitime. Le principe de la copie privée veut que les copies restent dans le cercle familial qui de nos jours est restreint. En d'autres termes, il y a peu de chances que cela affecte durement l'exploitation commerciale des œuvres. Aux États-Unis, la doctrine du fair use — qu'on pourrait traduire par usage légitime — prévoit que de tels usages sont purement et simplement autorisés et ils ne donnent lieu à aucun indemnisation. C'est logique: si l'usage est légitime, il n'y a rien à payer en plus au moment de la copie privée, la charge devant être portée sur le prix du support originel destiné à la vente.

Comme on l'a remarqué plus haut, aucune aide des ayant-droits n'est requise, les acheteurs sont livrés à eux-mêmes, les copies sont réalisées pour autant qu'ils en soient capables et autorisés à le faire. D'ailleurs, les ayant-droits ne se sont pas gênés pour entraver les pratiques de copie privée. Ils ont introduit des systèmes de cryptage des données et de gestion des droits (DRMs). Ces systèmes se sont vus attribuer une protection légale particulière avec un présomption d'inviolabilité à la suite de traités (WCT, article 11 et WPPT, article 18) de l'OMPI qui, après quelques péripéties ont été retranscrits en France par la loi DADVSI. C'est ainsi que, vérifiant les conditions pour bénéficier de la protection, le DVD n'est officiellement pas copiable; si aucune sanction n'a été prononcée contre les programmes permettant de le faire, c'est sans doute à cause de la publication maintenant ancienne de la façon de procéder.

Mais ces verrous ont été fraîchement reçus par les consommateurs, peu pressés de payer plus pour pouvoir faire moins avec ce qu'ils achètent, comme l'avait prédit Cory Doctorow. C'est ainsi que les deux plus gros vendeurs de musique en ligne proposent pour l'un des version sans DRM, l'autre des mp3, alors qu'ils furent si longtemps décriés. Si ces verrous ont été adoptés, c'est parce que l'industrie du divertissement malmène ses clients de façon routinière. C'est ainsi qu'elle traite de pirates ceux qui téléchargent des copies illicites, sans chercher à les transformer en clients autrement qu'en leur faisant peur et en les menaçant de sanctions pénales. C'est ainsi que les films sur DVD et BluRay sont cryptés et bénéficient d'une protection légale anti-contournement, pour empêcher les acheteurs de les regarder sur tous les appareils dont ils disposent. Tous ces films légalement achetés sont d'ailleurs accompagnés d'un rappel des textes légaux, chose évidemment absente des films contrefaits. La taxe copie privée s'insère parfaitement dans ce cadre où il n'est question que de punir les clients pour leurs actions légitimes mais que les ayant-droits jugent déplaisantes.

une taxe illégitime

Pouvant prendre souverainement des décisions, la commission a usé largement son pouvoir et a étendu la taxe à tous types de supports. C'est ainsi que les clefs USB et les cartes mémoire d'appareils photo sont taxées. Comme on l'a vu, sur les supports historiques, CDs et DVDs, la taxe est tout simplement punitive. Il serait aussi question maintenant de taxer les supports à distance, pour profiter de la montée en puissance du cloud computing. Ces excès sont directement liés au fait que la commission opère sans contrôle extérieur et que ceux qui profitent du produit de la taxe sont les seuls décisionnaires. Pourtant, des mesures pour limiter le caractère excessif et autoritaires de la taxation existent: il s'agit des débats budgétaires au parlement. On l'oublie parfois, mais tant pour le Royaume-Uni que pour la France, ce sont les questions d'impositions qui ont imposé le système parlementaire. Sans limites à leur pouvoir, les souverains comme Charles I d'Angleterre ont levé des impôts archaïques pour leur seul profit, comme la Distraint of Knighthood. On peut certes avoir une confiance plus que limitée dans la capacité du parlement français à s'opposer aux abus de l'exécutif, il est peu probable que le fait de laisser partir à l'étranger — et donc laisser échapper la TVA afférente — les ventes de produits de grande consommation y jouisse d'une grande popularité.

Pour couronner le tout, les ayant-droits ont obtenu que les effets de la décision du Conseil d'État soient reportés encore un an après la promulgation de la loi actuellement en discussion, alors que le Conseil d'État avait déjà jugé bon de laisser 6 mois à la commission pour prendre en compte la censure. Ils ont aussi obtenu qu'aucune demande de remboursement des redevances perçues indûment ne puisse aboutir. En d'autres termes, ils ont obtenu d'être protégés contre les effets d'une décision de justice. Le citoyen ne peut que constater que les moyens de l'état sont mis au service d'un petit groupe de gens afin de protéger leurs revenus, dont les principes de collection ont été condamnés.

Dans l'idéal, le parlement devrait supprimer cette taxe ou la mettre à un niveau très bas sur un nombre limité de supports, elle est illégitime et le comportement des ayant-droits, en guerre permanente contre leurs clients, doit finir par leur coûter. Une mesure de salubrité publique serait que le barème soit soumis à un vote annuel dans le cadre de la loi de finances. Il serait bon qu'au minimum, les délais impartis par le Conseil d'État soient laissés tels quels, après tout, si la commission ne trouve pas d'accord, la responsabilité repose entièrement sur les ayant-droits qui y prennent toutes les décisions. Vu le texte voté par l'Assemblée Nationale, on en est loin.