Dans le choix des différents moyens de production d'électricité à installer, les coûts de chaque solution jouent sans nul doute un grand rôle. À quoi bon gaspiller de l'argent? L'énergie nucléaire s'est imposée dans les années 70 comme la moins chère en France. En effet, la France avait épuisé ou presque ses réserves de charbon ce qui nécessitait d'en importer et donc de payer les coûts de transports associés. Comme le coût de l'uranium enrichi, aux cours actuels, entre pour une faible part dans le coût de production de l'électricité nucléaire, il est très intéressant de construire des centrales nucléaires, surtout dans un pays qui maîtrise l'ensemble des technologies nécessaires, comme la France. La pertinence de choix ne s'est pas démentie, comme nous le confirme tous les 6 mois Eurostat: la France est un des pays où l'électricité est la moins chère pour tous.

Dans leur lutte contre l'énergie nucléaire, les écologistes cherchent donc à montrer que l'énergie nucléaire n'est pas la moins chère. Mais comme il leur est difficile de faire directement de la publicité pour le charbon, le gaz ou encore le pétrole, qu'il est fort compliqué de plaider pour la construction de barrages dans un pays déjà bien équipé, il leur faut se limiter aux énergies renouvelables à la mode, à savoir le solaire photovoltaïque et l'éolien. C'est l'objectif de la tribune publiée dans Le Monde par un aréopage de militants provenant de diverses associations écologistes, titrée Assez de mythes : le nucléaire est plus cher que les énergies renouvelables.

Dès l'abord, ils commencent très fort: ils nous affirment que l'électricité est moins chère en France que dans la plupart des autres pays européens, (...) parce que l'Etat a longtemps subventionné le développement du parc nucléaire. Il est vrai que le solaire et l'éolien, eux, ne bénéficient pas et n'ont jamais bénéficié du soutien de l'état. Il n'y a pas de tarifs de rachat obligatoires. Il n'y a pas d'obligation d'achat de cette électricité par EDF. Enfin, il n'y a pas de taxe pour financer les surcoûts de ces énergies. EDF, quant à elle, n'a jamais porté la dette attachée à la construction des réacteurs, cette dette n'a jamais été remboursée par les factures des clients qui pourtant bénéficient depuis longtemps maintenant de tarifs parmi les plus bas d'Europe. Pour résumer, il semble que lorsque l'état fait construire par une entreprise sous son contrôle des installations rentables à des prix inférieurs à ceux qui se pratiquent ailleurs, c'est mal. Lorsque l'état taxe la population pour financer des moyens de production produisant à des prix nettement supérieurs à ceux du marché, c'est bien.

Les auteurs nous affirment aussi que le démantèlement n'est pas financé. Or des démantèlements complets ont déjà eu lieu aux USA, par exemple la centrale de Connecticut Yankee, pour des réacteurs semblables à la flotte actuellement déployée en France, des réacteurs à eau pressurisée (REP). Le régulateur américain, la NRC a donc une certaine expérience en la matière, elle cite des coûts de l'ordre de 400M$ pour des REP de 900MW. Si on compte que les réacteurs français de 900MW sont fermés au bout de 40 ans et ont produit 70% de ce qu'il était possible de produire et que le démantèlement coûte 400M€, le coût du démantèlement par MWh produit est de moins de 2€. Le prix de l'électricité nucléaire a été estimée par le gouvernement à 42€/MWh. Il semble donc probable que les provisions passées par EDF soient suffisantes.

Mais l'argument principal des auteurs porte sur le coût d'installation des différentes sources d'énergies. Ils comptent en termes d'investissement par watt nominal des différentes installations, qui ne représente que la puissance maximale. C'est pourquoi les auteurs disent à un moment qu'il faut normaliser pour prendre en compte l'intermittence, ou dit autrement, au moins pour prendre en compte l'énergie effectivement produite. On peut se dire que leur manière de compter n'est pas la meilleure. Cependant, un petit calcul peut donc se faire à partir des chiffres qu'ils donnent en prenant en compte l'énergie effectivement produite par le nucléaire, l'éolien et le solaire par rapport à la production théoriquement possible, c'est-à-dire en prenant en compte le facteur de charge.

  1. Pour le nucléaire, en 2010, le parc installé est de 63GW pour une production de 408TWh soit un facteur de charge de 73.8% (source Statistiques 2010 de RTE, p17). Si on redresse le coût donné par les auteurs, on obtient 4.93€/W.
  2. Pour l'éolien, RTE donne un facteur de charge de 23% (source: Bilan prévisionnel 2011 p71). Le coût devient alors 5.65€/W.
  3. Pour le solaire photovoltaïque, RTE a pris comme hypothèse un facteur de charge de 11% dans le Bilan prévisionnel. Le coût donné par les auteurs est donc de plus de 9€/W.

On peine donc à retrouver les conclusions des auteurs: le nucléaire est toujours moins cher. De plus, cette analyse ne prend pas compte la durée de vie des installations: 60 ans prévus pour l'EPR contre sans doute 20 ans pour les éoliennes, par exemple. Il faudrait donc non seulement payer plus cher à la première installation, mais aussi payer plus tard le renouvèlement pendant que le réacteur nucléaire continuerait à fonctionner. Quant au problème de l'intermittence, il n'est pas vraiment pris en compte par cette simple analyse du facteur de charge: l'éolien par exemple est totalement aléatoire, comme le montrent les compte-rendus mensuels de RTE. C'est-à-dire que durant un même mois, la puissance délivrée par les éolienne peut varier de 70% de la puissance maximale à 1% voire moins en quelques dizaines d'heures, sans relation avec la consommation. Il faut donc prévoir des moyens de production ou de stockage pour les remplacer lorsque le vent ne souffle pas. Vu que le facteur de charge de l'éolien est de 23%, les moyens de production de remplacement produisent 2 fois plus que l'éolien lui-même, de sorte que c'est plutôt l'éolien qui remplace ces moyens flexibles. La logique économique pousse à ce que ces moyens de productions soient des centrales thermiques à flamme, ou dit autrement, utilisant pour la plupart des combustibles fossiles. Ces moyens de productions ne sont pas nécessaires dans le cas du nucléaire, qui produit à la demande sans émettre de CO₂.

L'autre problème des moyens de production intermittents est de savoir s'ils produisent quand on en a besoin. Le solaire peut sans doute trouver à s'appliquer dans les zones proches des tropiques où, non seulement le facteur de charge est supérieur, mais aussi la production photovoltaïque s'accorde au moins en partie avec les besoins de climatisation. Ce n'est pas le cas en France, où la demande est minimale le 15 août et maximale les soirs d'hivers, lorsque le soleil est déjà couché. Quant à l'éolien, une présentation à partir des données de production de RTE montre qu'il ne pourrait être utile qu'en remplacement stochastique des moyens de production fossiles, ce qui n'est même pas assuré avec la production actuelle! Les statistiques de RTE montrent d'ailleurs que l'éolien semble surtout avoir remplacé du nucléaire entre 2005 et 2010. Les perspectives ne sont pas meilleures: augmenter les capacités de production de l'éolien ne fera que renforcer ces problèmes. Une étude du cabinet de consultant finlandais Pöyry avait montré que les prix de l'électricité serait réduits à 0 lors des pics de production éolienne. La part du nucléaire en France serait diminuée en faveur notamment d'une source obscure nommée "autres énergies renouvelables", sans doute la biomasse, mais la part des combustibles fossiles resterait la même. En clair, les conséquences seraient les suivantes: on aurait besoin de cultiver de grandes surfaces d'arbres à pousse rapide (peuplier, eucalyptus, pin) pour produire de l'électricité, on ne diminuerait pas les émissions de CO₂, les tarifs de rachat obligatoires de l'éolien seraient maintenus indéfiniment puisque lors des périodes de fortes production les prix seraient nuls, annihilant la rentabilité potentielle des ces installations, le prix aux clients, lui, augmenterait, en partie à cause de la volatilité accrue des prix de l'électricité.

Pour le dire clairement, il semble fort difficile de voir quels seraient les avantages économiques pour la société dans son ensemble de se payer une forte production d'origine éolienne ou solaire. Les problèmes de l'intermittence sont dantesques et, en plus même sans cela, les énergies renouvelables sont toujours plus chères. Dans le secteur de la production d'électricité, on ne peut en attendre aucune réduction des émissions de CO₂. Plutôt que d'investir dans ces moyens de productions inutiles, il serait sans doute plus efficace d'investir dans l'éviction du fioul dans le chauffage des habitations ou même du gaz, en faveur de chauffage électrique à base de nucléaire et de pompes à chaleur.