À l'occasion de son rapport sur l'avenir de la filière nucléaire en France, l'OPECST a invité les acteurs de la filière actuelle et les instituts de recherche à s'exprimer. Les auditions sur la filière telle qu'elle est aujourd'hui donnent des informations sur certains coûts actuels, l'audition sur la recherche sur la Génération IV. Cela permet de de se faire une idée des enjeux et de la situation particulière de la France.

Les centrales nucléaires sont des cas particuliers des centrales thermiques, dont le principe de base est de transformer de la chaleur en force mécanique puis en électricité. Dans les centrales nucléaires, on utilise une réaction de fission auto-entretenue comme source de chaleur au lieu de brûler un combustible à base de carbone. Une réaction de fission produit environ 200MeV, soit un peu plus de 23GWh/kg de matière fissionnée. La fission est donc environ un million de fois plus énergétique que la combustion, ce qui explique que les volumes de matière en jeu soient nettement réduits et que le prix de l'uranium en tant que tel ne compte pas beaucoup dans le coût de l'électricité produite. Selon le rapport (Tome 1 p28), les importations annuelles d'uranium naturel sont de 8000 tonnes pour un coût de 200M€. À titre de comparaison, en 2010 selon le bilan énergétique de la France, la France a importé 511TWh de gaz naturel, soit l'équivalent de 340 millions de tonnes de méthane. Le gaz naturel est vendu à environ 20€/MWh, ces importations ont donc coûté 10G€. Même si l'uranium doit être enrichi pour être utilisé dans les centrales, les coûts dus à la matière première sont nettement plus bas que pour les combustibles fossiles.

Les coûts de construction, par contre, sont nettement plus élevés. La construction du réacteur EPR de Flamanville est estimée à 6G€. Cela dit, les réacteurs EPR en construction en Chine coûteraient 3.5G€ et tiendraient les délais: la construction est aujourd'hui plus avancée à Taishan qu'à Flamanville malgré une construction commencée 2 ans plus tard. Les coûts salariaux en Chine sont certes nettement moins élevés qu'en France, mais la rapidité de construction des centrales nucléaires en Chine est largement due à l'expérience acquise ces dernières années, alors qu'en France, la dernière centrale ouverte (Civaux) a vu ses travaux débuter à la fin des années 80.

Le rendement de conversion de la chaleur en électricité dans les réacteurs actuels est d'environ un tiers, ce qui fait que pour produire 1GW pendant un an, il faut fissionner environ 1 tonne de matière. Comme cette matière fissile est essentiellement composée d'uranium 235, on a besoin de beaucoup plus d'uranium qu'une tonne. L'uranium 235 ne représente que 0.7% de l'uranium présent sur Terre, on en perd lors de l'enrichissement et il est impossible de tout consommer, la réaction de fission finissant par s'interrompre quand la concentration en noyaux fissiles est trop basse. Cela fait que pour fissionner 1 tonne de matière, on a besoin d'environ 150t d'uranium naturel. En retraitant l'uranium «usagé» et en récupérant le plutonium comme en France, on arrive à faire descendre le besoin à 130t (Tome 2 p139). Il serait intéressant de réduire ce besoin: d'une part l'uranium appauvri s'accumule sans qu'on n'en fasse rien et d'autre part, au rythme actuel d'exploitation, les réserves dureraient environ 80 ans, moins longtemps que les réserves de charbon.

Si le nombre de neutrons émis lors de la fission de l'uranium 235 ne permet pas d'espérer faire mieux que le bilan actuel, le plutonium en émet pratiquement 3 et si on ne ralentit pas les neutrons — «modère» dans le jargon de la physique nucléaire —, le ratio fission/capture s'améliore. Dans ce cas, on peut espérer renouveler régulièrement la matière fissile aux dépens de la matière «fertile», dont fait partie l'uranium 238, qui constitue plus de 99% de l'uranium naturel. Dans ce cas, on consomme tout l'uranium, toujours au rythme de 1 tonne par GW et par an. Utiliser le cycle uranium/plutonium est très intéressant pour un pays comme la France: à cause du programme nucléaire, le stock accumulé se monte à environ 300 000 tonnes d'uranium appauvri (Tome 2 p139) et 300 tonnes de plutonium (p140). La France dispose là, en quelque sorte, d'une mine tout à fait spéciale, puisque le matériau y est disponible, quasiment prêt à être utilisé, et qui se remplit au fur et à mesure de l'exploitation des réacteurs actuels.

Les réacteurs à neutrons rapides présentent toutefois des inconvénients, outre leur coût plus élevé. L'impératif de ne pas (trop) ralentir les neutrons et de limiter les pertes interdit de recourir à l'eau comme fluide caloporteur, et de se tourner vers des éléments plus lourds — donc des métaux —, absorbant peu les neutrons tout en étant liquides autour du point de fonctionnement du réacteur entre 300°C et 600°C. Cela limite en fait le choix au sodium ou au plomb. Les réacteurs au plomb ont été éliminés à cause des problèmes de corrosion. Le sodium présente l'inconvénient de réagir violemment avec l'oxygène de l'air et avec l'eau, d'où l'idée d'utiliser un gaz inerte comme l'azote ou le CO₂ pour faire tourner la turbine. Il est aussi opaque, contrairement à l'eau utilisée dans les réacteurs actuels ce qui pose des problèmes d'inspection en cours d'utilisation. Du fait d'une certaine expérience en la matière, la France a choisi de concentrer se recherche sur les réacteurs au sodium. L'autre problème, c'est que la moindre probabilité de fission avec les neutrons rapides amène à une plus grande concentration d'éléments fissiles que dans le combustible actuel, ce qui renforce la radiotoxicité du combustible. Il faut aussi accumuler suffisamment de plutonium pour pouvoir démarrer un cycle fermé, une fourchette de 16 à 20 tonnes d'inventaire total — dans le réacteur et dans la filière de retraitement — pour un réacteur de 1GW (p140) est donnée, ce qui donne un inventaire d'à peu près 1000 tonnes pour remplacer le parc actuel de réacteurs à eau. Par contre, ce type de réacteurs pourraient être refroidis à l'arrêt par la convection naturelle, le talon d'Achille des réacteurs à eau actuels. Cela a déjà été démontré sur de petits réacteurs.

En conclusion, il semble que le nucléaire ait, contrairement à ce que laissent entendre les écologistes, des perspectives d'évolution très intéressantes avec la quasi-fermeture du cycle de l'uranium. Un pays comme la France qui a accumulé de grandes quantités d'uranium se retrouverait avec les réacteurs de génération IV avec au moins 1000 ans de réserves sur son territoire. Cela devrait constituer une raison impérative de continuer la recherche dans ce domaine qui ne semble pas devoir déboucher sur des applications à grande échelle avant 2040. Pour véritablement lancer ces réacteurs, le plus simple est encore de continuer à faire fonctionner des réacteurs à eau qui créent du plutonium en fonctionnement. L'addition de sécurités supplémentaires a fait augmenter le prix des centrales, mais une partie des coûts constatés à Flamanville est sans doute due à la perte d'expérience suite à l'arrêt de construction de centrales. Même avec ces coûts augmentés, le nucléaire reste compétitif et semble toujours être la seule source d'électricité qui ne produit pas de CO₂, qu'on peut commander et dont on peut augmenter la production pour de nombreuses années encore.

PS: merci aux administrateurs et aux contributeur de laradioactivite.com pour le contenu de leur site, très complet sur nombre de sujets touchant à la radioactivité et à l'énergie atomique!