Les problèmes de la justice en France n'ont rien de nouveau. Le rapport «Quels moyens pour quelle justice?» a une première partie titrée «Le constat: une justice asphyxiée». Il date de 1996. La lecture du rapport laisse à penser que l'encombrement de la justice est surtout dû à l'explosion des contentieux civils: ceux-ci furent multipliés par plus de 3 entre 1974 et 1994. Au delà des complaintes de vieillards cacochymes sur la fin des traditions, on peut penser que la généralisation des divorces, la création de nouvelles missions — comme le surendettement — ainsi que la complexification du droit expliquent cette forte progression. On peut noter aussi que, déjà, on se plaint de la mauvaise qualité de (la) rédaction des textes normatifs.

Si le nombre de contentieux avait explosé, le nombre de magistrats n'avait augmenté que d'environ 20% et le rapport notait que les effectifs de magistrats étaient similaires en 1994 et avant la première guerre mondiale. Étant donné que la situation est peu à peu devenue critique et que le nombre de contentieux a continué à augmenter, les gouvernements n'ont pas eu vraiment le choix: ils ont augmenté le nombre de magistrats comme on peut le voir ci dessous, sur les graphes construits à partir du rapport, des chiffres clés de la justice (2011) et du budget 2011 de la justice. Quelques chiffres sur la justice

Le rapport, quoique vénérable, formule de nombreuses recommandations dont certaines pouvaient être tout à fait d'actualité en 2007, lorsque Nicolas Sarkozy est devenu Président de la République.

Le gouvernement a décidé dès le début du quinquennat de modifier la répartition des tribunaux en France, la carte judiciaire. Après avoir annoncé de grandes ambitions, il n'a finalement été décidé que de supprimer des tribunaux sur des critères qui sont restés obscurs. La comparaison de l'édition 2007 des chiffres clés de la justice avec celle de 2011 montre qu'au final 170 tribunaux d'instance ont été fermés, ainsi que 61 conseils de prud'hommes, 50 tribunaux de commerce et 21 tribunaux de grande instance. Le rapport, quant à lui, préconisait aussi d'en ouvrir de nouveaux, de mettre en place des audiences foraines et d'établir un plan à réaliser sur 10 ans. Le rapport signalait aussi pour le cas de la généralisation du juge unique que des locaux supplémentaires devaient être prévus, remarque qui peut s'étendre au cas de la carte judiciaire. Il ne semble pas que la refonte de la carte judiciaire ait donné lieu à une grande activité constructrice.

Au lieu de stabiliser le droit et de rédiger des textes de plus grande qualité, il a continué dans la ligne «un fait divers, une loi» qui lui avait été testée lors du quinquennat de Jacques Chirac. Ces lois sont uniquement des lois de circonstances destinées à faire accroire qu'on peut supprimer totalement le risque d'assassinats horribles. Leur valeur pratique et juridique est donc en conséquence nulle. La loi sur la rétention de sûreté est ainsi contraire au droit européen. Quant aux lois sur la récidive, elles consistent principalement en l'enfermement prolongé de ceux qui les subissent, ce qui ne fait pas grand chose d'autre que de retarder le moment de la récidive si on souscrit à l'idéologie qui les sous-tend. Cette tactique a créé de nouvelles tâches pour l'institution judiciaire, alors qu'elle est déjà surchargée. La conséquence est que, à la suite du meurtre de Laëtitia Perrais, le gouvernement de Nicolas Sarkozy s'est attaqué aux personnels, mais il est vite apparu que l'institution était gravement sous-dotée.

Le gouvernement de Nicolas Sarkozy a aussi choisi d'ignorer les arrêts de la CEDH sur la garde à vue. L'argumentaire déployé affirmait contre toute logique que les arrêts rendus contre d'autres pays par la CEDH n'avaient aucune conséquence en France (cf ce billet de Maître Éolas par exemple). Si on peut comprendre une attitude de déni temporaire de façon à gagner un peu de temps, ce n'est pas ce à quoi on a assisté. Le premier arrêt signant la mort de l'ancienne procédure date de fin 2008 (Salduz c. Turquie), mais le gouvernement a attendu que le Conseil Constitutionnel rende une décision sur QPC en juillet 2010 pour admettre le besoin de changer les pratiques et la loi. Les condamnations se sont enchaînées, avec pour conséquences que certaines gardes à vue se sont vues annulées et que le gouvernement a demandé l'application de le nouvelle loi avant son entrée en vigueur prévue. Non seulement le gouvernement n'a pas reconnu la vérité, mais il a aussi pris des risques avec des procédures en cours. Cette attitude est irresponsable.

Pour couronner le tout, il a été imposé une taxe de 35€ pour accéder à la justice, avec une longue liste d'exceptions à la logique difficilement perceptible et une autre de 150€ pour faire appel. La première taxe doit financer l'indemnisation des avocats commis d'offices pour leurs interventions en garde à vue, la deuxième pour indemniser les avoués, profession supprimée en cours de législature. On peut noter aussi que le nombre de jurés d'assises a été réduits pour pouvoir décorer certaines chambres correctionnelles avec 2 jurés, sous le prétexte de rapprocher la justice des citoyens.

En guise de conclusion, le bilan de Sarkozy en matière de justice me semble simple: il a tout fait à l'envers de ce qui aurait dû être fait. La justice souffre depuis bientôt 30 ans d'un afflux de dossiers sans que les moyens de les traiter aient été suffisamment augmentés. La priorité devrait alors être de limiter les tâches supplémentaires à ce qui est vraiment nécessaire, les droits de la défense tel que la CEDH les voit au premier rang. Au lieu de cela, il y a eu un déluge de textes mal rédigés, empilant des procédures nouvelles sur une institution déjà incapable de faire face correctement et rapidement à celles qui existent. La démagogie a régné sans partage, d'une part pour flatter la partie la plus répressive de l'électorat, d'autre part pour retarder le plus possible les évolutions qui dérangeaient.