Alors que les élections approchent, il faut se faire un avis sur les différents candidats, si possible raisonné. Nicolas Sarkozy est un de ceux pour lequel on peut avoir un des avis les plus informés, puisqu'il est au pouvoir depuis bientôt 5 ans. Son action passée permet de se faire une idée de ce à quoi s'attendre s'il reste Président de la République ces 5 prochaines années. En l'occurrence, cela semble suffire, il n'a pas jugé bon de publier un début de plateforme électorale.

Contrairement à ce que voudraient faire croire ses détracteurs, il n'a pas fait acter que des mauvaises choses. La meilleure mesure qu'il ait faite passer est sans nul doute la réforme constitutionnelle de 2008. La question prioritaire de constitutionnalité est déjà un instrument qui permet aux gens de faire valoir leurs droits de façon efficace; le reste de la réforme étant soit des ajustements bienvenus, soit a priori peu néfastes. Le seul point qui pose problème est l'apparition de propositions de lois venant de ministère que le gouvernement ne veut pas faire passer au Conseil d'État ou assumer publiquement en Conseil des Ministres. Parmi les autres points positifs, on peut mettre à son crédit la réforme des universités: l'autonomie qu'il donne va conduire à des résultats divers, mais généralement favorables. L'obligation de négocier et de se déclarer pour les grévistes dans les transports publics va aussi dans le bon sens, même si ça na rien à voir avec le terme de service minimum que Sarkozy a voulu coller sur cette mesure.

Il a aussi pris de mesures qui lui étaient plus ou moins imposées par la situation. C'est le cas de l'adoption du Traité de Lisbonne. Il s'agit ni plus ni moins que de l'adoption du plan B de Laurent Fabius. Que ce traité n'ait rien de fondamentalement différent de celui proposé au référendum en 2005 ne fait que révéler la colossale arnaque que fut la campagne du non. L'adoption de ce traité n'en est pas moins une défaite démocratique: on a proposé au vote un traité sans qu'il y ait en fait une véritable alternative, le statu quo ayant été reconnu comme intenable et conduit, justement, au traité de 2005. Il a réformé les retraites dans le sens nécessaire mais seulement sous l'effet de la crise et après avoir pris une mesure néfaste de relèvement du minimum vieillesse. Son action dans la crise financière s'inscrit dans cette lignée: le gouvernement a fourni de l'argent aux banques sans prendre de participation au capital, mais cela n'aurait pas été très pratique pour les banques mutualistes qui représentent une part importante du secteur. Le plan de relance ne mérite pas d'être conspué, il était relativement classique et avait l'avantage de pouvoir s'inverser à terme de façon naturelle, ne comprenant pas trop de mesures de dépenses permanentes.

J'ai plus de mal à me faire une idée sur la modification de la taxe professionnelle, désormais découpée en plusieurs parties, dont celle portant sur les immobilisations non immobilières est plafonnée à 1.5% de la valeur ajoutée. C'est favorable à l'investissement en France mais rend les collectivité locales encore plus dépendantes de l'état et ne facilite pas la compréhension de la fiscalité locale. De même la création du conseiller territorial, croisement entre le conseiller général et régional, est difficile à évaluer, même si cela peut en partie être une solution — quoiqu'improbable — au problème de l'enchevêtrement des responsabilités des collectivités locales.

Il y a aussi des ratés qu'il est difficile de lui imputer, comme l'échec de la taxe carbone, retoquée par le Conseil Constitutionnel en des termes qui la rendent impossible avant 2013.

Mais il y a surtout des échecs et des discours qui sont néfastes. Il n'a pas fait grand chose sur la question du contrat de travail, sauf accepter la rupture conventionnelle. Il n'a pas non plus pris de mesures de libéralisation pouvant amener plus de croissance. L'exemple le plus patent de cela est l'épisode de la commission Attali et plus particulièrement ce qui concerne les taxis. Alors qu'il existait divers moyens, du rachat des licences à leur distribution gratuite à tous ceux qui en demandait une, le gouvernement a choisi de renoncer très rapidement. La réforme des régimes spéciaux de retraites est aussi en trompe l'œil, ils resteront éternellement plus favorables que le régime des fonctionnaires, sans parler du privé, et a été achetée au prix de concessions qui effacent une grande partie des gains.

Il a aussi, de façon plus anecdotique, supprimé la publicité sur les chaînes de télévision publique en compensant cela par une hausse de la redevance et des taxes sur les opérateurs téléphoniques, qui n'ont rien à voir avec cela. Le gain pour les spectateurs est proche de 0, la télévision a fait dans le passé la preuve qu'il est possible de la financer uniquement par des recettes publicitaires. Ce n'était que la première mesure d'une longue liste de mesures imbéciles sur le sujet d'Internet. Sous le gouvernement Sarkozy, on aurait dit que ce n'était qu'un instrument qu'il fallait régenter et taxer d'urgence, alors même qu'il s'agit d'un des principaux domaines de développement économique potentiel. Les mesures allaient toutes dans le même sens: favoriser les acteurs déjà en place au détriment des nouveaux venus. Ainsi, la loi Hadopi a pour but de préserver les revenus de l'industrie du divertissement par des moyens disproportionnées de flicage, aucun frein n'est mis à la frénésie taxatrice de cette industrie. La loi LOPPSI contenait diverses mesures pour faciliter le travail de la police et aussi exclure la revente de billets. La taxation des entreprises opérant sur Internet a paru aussi être un sujet de préoccupation majeure, alors qu'elles peuvent facilement localiser leurs recettes où bon leur semble.

Son action sur le plan fiscal, mis à part la réforme de la taxe professionnelle, a été généralement néfaste, surtout en ce qui concerne la taxation des ménages. La loi TEPA n'a quasiment consisté qu'en des mesures nuisibles. Il a créé des impôts improbables, comme sur les crustacés et les poissons. Cette tendance a continué jusqu'à la fin de ce mandat, avec la TVA sociale.

Il y a ensuite le pire de son action, sur les étrangers et la justice. Il a passé son temps à tenir un discours xénophobe de façon plus ou moins claire, avec des «débats» exutoires qui n'ont mené à rien. Associées à ce discours sont donc venues des mesures de plus en plus dures envers les étrangers, l'action administrative étant à l'avenant: les formulaires dans ce domaines sont sans doute les seuls à ne pas être disponibles sur Internet, de longues queues se créent pour accéder à certaines préfectures. Je considère qu'il s'agit d'une véritable faillite de l'administration. J'ai déjà écrit sur le discours et l'action vis à vis de la justice, mais on peut dire que la tactique du toujours plus de répression a échoué et n'a fait qu'aggraver les maux dont souffre la justice en France.

Pour finir, je juge que le Grenelle de l'Environnement est une catastrophe. Les seules mesures positives dont j'ai connaissance portent sur l'isolation des logements, politique poursuivie depuis les années 70. Et encore celles-ci vont-elles peut-être trop loin, rendant les logements neufs peu compétitifs face à l'ancien. Avec le Grenelle de l'Environnement, le gouvernement a de fait invité les associations écologistes dans le processus de décision. Mais cela ne peut déboucher que sur un blocage, car elles n'ont aucun intérêt à faire des concessions sur quoique ce soit. Un exemple typique porte sur l'électricité hydraulique, dont il est supposément question d'augmenter de 3TWh la production. Or, il s'avère qu'on va surtout démolir des barrages, comme le montre l'exemple de la Sélune. Encore plus scandaleuse a été l'action sur les OGMs, où le gouvernement a interdit l'utilisation du MON810 en prétextant du principe de précaution, alors que tout pointe vers un bénéfice global. De fait, ce gouvernement refuse les innovations techniques et la préservation de certaines installations pourtant nécessaires à la croissance. Seul le nucléaire y a échappé, sans doute à cause de son importance dans le mix énergétique français. Je doute donc que la politique menée pour augmenter l'activité économique à long terme donne beaucoup de fruits.

Bref, le bilan du mandat de Nicolas Sarkozy me semble négatif. Voter pour lui en 2007 relevait d'un pari: qu'au pouvoir, il laisse de côté son discours xénophobe et sécuritaire, tout en reprenant le discours de réformes économiques tenu un instant lors du quinquennat de Jacques Chirac. Ce pari, il faut bien le dire, a été largement perdu. Pour sa campagne de réélection, il a de nouveau choisi un discours xénophobe et sécuritaire, mais cette fois-ci plus un signe réel de ce qu'il voudrait faire sur le plan économique, mis à part courir sus à des catégories marginales de la population, comme les exilés fiscaux. Il faut dire qu'il va s'agir de couper dans les dépenses et d'augmenter les impôts, ce qui n'est guère populaire. Alors, vraiment, je ne vois pas de raison d'aller voter pour Nicolas Sarkozy.