La crise de la zone euro recouvre trois types de situations pour les états en mauvaise posture:

  1. Celui de l'état qui a trop dépensé et délibérément maquillé ses comptes: la Grèce. De ce fait, l'état grec n'est plus solvable et ses créanciers ont ou vont tous perdre une partie de leur mise.
  2. Celui des états où s'est développée une bulle immobilière massive. C'est le cas de l'Irlande et de l'Espagne. Le problème n'est pas que ces états ont trop dépensé avant la crise, leurs budgets étaient en excédent auparavant. Ce sont les banques qui sont très malades car les emprunteurs ne sont plus solvables. Dans ce genre de cas, la dette des banques se transforme en dette de l'état ce qui alourdit énormément les charges de celui-ci, au moment où le taux de chômage les oblige à maintenir le budget largement en déficit.
  3. Celui des état non compétitifs. Ce sont l'Italie et le Portugal. Ces pays avaient des comptes publics dégradés et leur situation économique et démographique est mauvaise. Ils verront prochainement leur population baisser et leurs produits se vendent mal. Ils sont donc vu une croissance faible avant la crise, sont en récession presque permanente depuis et n'ont pas vraiment de perspectives d'amélioration rapide. Un effet boule de neige peut s'enclencher pour mener à l'insolvabilité de ces états.

Dans tous les cas, ces états pourraient ne pas rembourser en totalité leurs emprunts — c'est une certitude pour la Grèce. Parmi les créanciers figurent les banques — et les assurances — qui se servent de ces actifs comme d'un matelas pour faire face à leurs engagements, au premier rang desquels figurent les dépôts des clients. Si les créances sur les états ne valent pas ce qui était promis, les déposant peuvent perdre confiance dans la capacité à récupérer leur argent. Ils vont donc chercher à le mettre ailleurs, généralement tous en même temps, déclenchant une ruée bancaire ou bank run.

Depuis la crise de 1929, des fonds de garantie ont été prévus pour les empêcher. Ils reposent sur un système d'auto-assurance des banques, souvent imposé par la loi. Ces systèmes n'ont pas besoin d'énormément d'argent en caisse pour fonctionner. Le fonds de garantie français possède ainsi environ 1.9G€ d'après le rapport annuel 2010 (p7), alors que les seuls dépôts à vue représentent presque 1500G€. En général, peu de banques font faillite et ce sont en général des petites. Le fonds de garantie peut aussi saisir une banque avant qu'elle ne fasse complètement faillite et trouver une autre banque qui voudra bien reprendre certains actifs en contrepartie des dépôts — ainsi que parfois une somme d'argent. Cette somme d'argent est modique au regards des dépôts, les banques fonctionnant avec un capital détenu en propre ne constituant qu'une fraction des dépôts. Enfin, ces fonds bénéficient de la garantie plus ou moins explicite de l'état. Cette garantie est claire dans le cas de la FDIC américaine; ce n'est pas aussi clair en France, mais il suffit de regarder ce qui se passer avec des banques mal en point comme Dexia.

Au fond, le système de la garantie repose in fine sur une garantie des états et donc sur leur capacité à l'honorer. Même si les sommes à trouver sont bien inférieures aux dépôts, elles n'en sont pas moins importantes vis-à-vis des moyens des états en cas de difficultés généralisées du système bancaire. Dans le cas grec, cette capacité est nulle: si l'argent promis à l'état grec et pour la recapitalisation des banques n'arrive pas, l'état grec ne pourra pas assumer la garantie des dépôts, surtout que le problème de la sous-capitalisation des banques provient de sa propre faillite. Dans le cas de l'Irlande, la recapitalisation du système bancaire a demandé plus de 20% du PIB de ce pays, ce qui a précipité le plan à destination de l'Irlande. D'une certaine façon, l'Irlande a gaspillé de l'argent sur ses banques alors qu'elle aurait pu étaler l'effort d'austérité sur une plus longue durée sans cela.

Le cas irlandais est caricatural: si les banques avaient été recapitalisée par l'ensemble des états de la zone euro, le coût aurait été de moins de 0.5% du PIB de la zone. En plus, le sauvetage des banques peut rapporter de l'argent: c'est ce qui s'était passé en Suède dans les années 90, c'est aussi ce qui s'est passé en France après 2008. Les pertes d'argent sont donc moins à craindre pour les états de la zone qui subissent moins la crise que dans le cas de prêts à un état comme la Grèce.

Au début de la crise en 2008, l'Irlande avait garanti toutes les dettes des banques — ce qui l'a menée à devoir accepter le plan d'aide. Ce comportement a forcé la Commission Européenne à proposer une harmonisation des différents systèmes existant dans l'Union. Le résultat de ces efforts a été une garantie de 100k€ par compte à vue, mais garanti séparément dans chaque état. L'étude d'impact donne toutefois des informations intéressantes au sujet d'un véritable système communautaire (p70): cela permettrait d'économiser 40M€ par an et le système pourrait mobiliser jusqu'à 230G€, capacité d'emprunt comprise, mais hors secours de l'état.

L'autre avantage est qu'un tel système permettra de clarifier les actions à mener en cas de faillite bancaire. Jusqu'ici, les états européens ont assumé presque tous les risques dans les faillites bancaires, seuls les actionnaires ont été rincés. Les porteurs d'obligations, eux, ont été jusqu'ici protégés. Étant donné que les états ont de plus en plus de mal à trouver l'argent dont ils ont besoin, c'est peu dire qu'une certaine pingrerie dans le domaine est nécessaire: rembourser ces créanciers ne devrait pas être la priorité. Cela permet aussi de créer un début d'union bancaire: le système de garantie pouvant saisir les établissements les plus faibles, il fixe les standards minimum à respecter, d'abord au niveau de la capital requis, puis au niveau de la régulation puisqu'un régulateur laxiste verra ses banques régulièrement saisies puis sans doute vendues à des banques étrangères. On peut d'ailleurs penser qu'une des raisons pour lesquelles il est très difficile de mettre en place un système pan-européen est que les politiques perdraient sans doute, via un affaiblissement de leur pouvoir sur les banques para-publiques comme les Landesbanken allemandes, les Cajas espagnoles ou encore comme Dexia en France, une parcelle très réelle de leur pouvoir d'attribuer de l'argent à leurs projets préférés.

Je vois quatre obstacles principaux à la mise en place d'une garantie des dépôts:

  1. L'impréparation générale du personnel politique européen. Elle est visible, il est étonnant que la garantie des dépôts, institution utile s'il en est, n'ait fait l'objet que d'un toilettage après le début de la crise en 2008. Que le premier ministre irlandais se soit précipité pour garantir toutes les dettes des établissements de son pays montrait bien qu'il y avait un problème. Dans une zone où les mouvements de capitaux sont libres et où il n'y a qu'une seule monnaie, le problème de la garantie des dépôts ne peut se régler que si l'ensemble de la zone est incluse dans le schéma et non découpée selon les frontières des états.
  2. L'opposition à la perte de souveraineté que cela représente. C'est un problème récurrent de l'UE: elle est vue comme un édifice technocratique qui ne tient aucun compte des désidérata de la population et impose des oukases insensés. Il est bien clair que l'apparition d'une garantie des dépôts aura des conséquences sur le statut des banques dans la zone euro ... et sur la répartition des taxes qu'on peut lever sur elles.
  3. Le problème de la supervision et des flux financiers. Dans un premier temps au moins, il est clair que l'argent ira des pays qui n'ont pas subi de bulles immobilières et ont des comptes publics en ordre vers les autres. À plus long terme, si les régulateurs restent nationaux, certains seront sans doute plus laxistes — ou plus malchanceux — que d'autres et les institutions qu'ils surveillent seront plus souvent saisies par le système de garantie. Ce problème porte en lui-même sa solution avec l'éviction progressive des régulateurs laxistes qui n'auront plus de banques à superviser au bout d'un (long) moment. Mais en attendant, la taille des flux financiers sera telle que bien des dents vont grincer.
  4. Le problème des «états voyous». Le cas de la Grèce l'illustre bien: maquillage des comptes publics, menaces de sortir de la zone euro, etc. Un pays pourrait menacer de quitter la zone euro et de spolier ses résidents après l'intervention du fonds de garantie. Cet état saisirait alors les fonds versés par le système de garantie après avoir fait défaut sur sa dette, rendant le système inopérant. Il faudrait alors trouver un moyen de verser l'argent en euro aux résidents de ce pays. Sans disposer de la force publique, cela paraît assez illusoire face à un état prêt à tout pour se financer.

Malgré tout, il semble urgent qu'une garantie des dépôts réellement européenne se mette en place. Si les déposants quittent les banques domestiques des pays les plus faibles, celles-ci disparaitront de façon chaotique, ce qui serait dramatique dans des sociétés modernes où, par exemple, les salaires doivent obligatoirement être versés sur un compte. Il est important de savoir si la zone euro est mûre pour un tel système et une sorte d'union bancaire à court terme, son avenir dépend sans doute de la réponse à cette question. Il vaudrait mieux que la réponse soit positive: des bank runs généralisés sonneraient le glas de la zone euro, comme une lecture a contrario du fameux article d'Eichengreen le laisse penser. Si les états ont du mal à se refinancer, que les banques sont en faillite, qu'il y a eu des bank runs, le risque de disparition de l'euro est très réel.