Le 25 et 26 mai derniers, la production d'énergie solaire a atteint un maximum en Allemagne, nouvelle qui a été relayée en France. La puissance au pic d'ensoleillement de la mi-journée a été d'environ 22GW ces deux jours, la puissance installée étant de 27GW à la fin de l'année dernière. Le samedi 26 mai, le solaire et l'éolien ont représenté plus de la moitié de la consommation vers midi — mais un peu moins de la moitié de la production.

C'est l'occasion de voir quelles sont les performances réelles de l'énergie solaire aujourd'hui

Aperçu du système électrique allemand sur quelques jours

Commençons par voir ce qui s'est produit les 25 et 26 mai. Les graphes ci-dessous donnent l'essentiel de ce qu'on peut savoir aujourd'hui. Contrairement à la France, l'ensemble des opérateurs de centrales classiques ne publient pas de manière centralisée les données de production. L'échantillon détaillé donné sur le site transparency.eex.com ne recouvre visiblement pas toute la production classique — il manque environ 7GW au maximum — et n'est accessible qu'en payant. On peut toutefois obtenir les données agrégées pour toutes les centrales de plus de 100MW, ce qui, en se basant sur ce qui se passe en France, permet d'approximer la production hors solaire et éolien à environ 2GW près. On peut aussi trouver sur ce site les productions de l'éolien et du solaire. On a donc une bonne idée de la production d'un jour donné. Pour ce qui est de la consommation, le plus simple est en fait de prendre les données de entsoe.net sur les échanges transfrontaliers: ils donnent la différence entre la consommation et la production. Même si j'ai pu constater des bizarreries sur ces données, elle n'en donnent pas moins une idée correcte de la situation. J'ai mis les données récoltées dans une feuille Google.

Électricité en Allemagne le 25/05/2012 Électricité en Allemagne le 26/05/2012

La différence entre le vendredi et le samedi est flagrante, avec une baisse de la consommation le samedi d'un quart. On peut constater qu'effectivement sur ces deux jours, la production d'électricité solaire est forte. Cependant, on voit aussi qu'il y a un talon de production plus classique, d'environ 35GW le 25 et de 30GW le 26. Cette production provient des installations tournant en base, principalement des réacteurs nucléaires (10GW) et des centrales au lignite (13GW), chacun de ces deux modes de production apportant plus d'énergie sur la journée que le solaire.

On voit aussi que le solaire est grossièrement corrélé à la variation de la consommation ces jours là. Cette corrélation n'est qu'imparfaite: le vendredi matin, il est nécessaire de faire appels aux moyens classiques et aux importations. En milieu de journée, la situation s'inverse et l'Allemagne devient exportatrice. Ces jours-là, l'Allemagne a tout de même pu éviter de recourir à des moyens de pointe.

Si on regarde ce qui s'est passé d'autres jours, par exemple le 31 mai et le 1er juin, on obtient les graphes suivants: Électricité en Allemagne le 31/05/2012 Électricité en Allemagne le 01/06/2012

Le jeudi 31, la consommation est au-delà de 70GW, ce qui montre que le vendredi est déjà un jour de plus faible consommation. La puissance crête du solaire de ces jours est 2 deux fois plus faible que le 25 et le 26 mai, la place étant en partie prise par l'éolien ... et le retour des moyens fossiles. Les exportations sont aussi nettement plus faibles le 31. Le 1er juin, par contre, les exportations sont nettement plus fortes, en grande partie à cause de la relativement forte puissance de l'éolien. Cela montre aussi le défaut du solaire et de l'éolien: ce sont des productions intermittentes qui peuvent être présentes — auquel cas on a droit à des communiqués de presse — ou absentes — auquel cas ce n'est pas une nouvelle.

Pendant ce temps là, en France

Le 25 mai en France, on peut aussi constater, grâce aux données de RTE que l'électricité est presque totalement décarbonée grâce au nucléaire — qui assure l'essentiel de la base — et à l'hydraulique — qui assure le suivi de charge au cours de la journée. En France, il n'y a qu'une faible puissance produite par les combustibles fossiles: sans doute quelques centrales à cogénération qui, subventionnées, tournent tout le temps et les centrales qui tournent en partie pour servir de réserve au cas où. La France est aussi constamment exportatrice au cours de la journée, moins vers midi pour faire face à la consommation intérieure française ... et à la production solaire ailleurs.

Électricité en France le 25/05/2012

Mais cette situation est récurrente depuis que le parc nucléaire français est devenu suffisamment important, elle ne peut donc prétendre faire la une, même si elle se produit tous les jours ou presque de mai à septembre.

Du prix de l'électricité

L'électricité est une marchandise éminemment périssable puisqu'elle doit être consommée d'une façon ou d'une autre dès qu'elle est produite. En conséquence, elle correspond pas trop mal aux biens canoniques étudiés en cours d'économie. Le prix où on peut la vendre correspond donc grosso modo au coût marginal, celui de la dernière unité produite. Les choses sont un peu plus compliquées, comme expliquées dans cet article. On peut cependant retenir la chose suivante: la rentabilité effective des moyens de base repose sur le fait qu'ils ne suffisent pas à satisfaire toute la demande et perçoivent une rente, les moyens de pointe pouvant espérer compter sur leur rareté et leur pouvoir de marché. En cas de surplus ou de pénurie, on peut s'attendre à des variations rapides de prix, à la baisse ou à la hausse.

Dans un système sans renouvelables intermittents, les prix varient surtout en fonction de la demande: la prévision détermine quels sont les moyens appelés, aisément classés par leur coût marginal. La demande étant relativement prévisible, les variations de prix ne sont pas très rapides. Avec les renouvelables intermittents, la production est nettement plus incertaine, dépendant des conditions météorologiques qu'on a toujours du mal à prévoir à l'avance. L'éolien et le solaire ont aussi pour caractéristique d'avoir un coût marginal nul pour deux raisons:

  1. Le système de subventions avec obligation d'achat oblige le gestionnaire du réseau à prendre cette électricité, dont il doit se débarrasser d'une façon ou d'une autre. Des limites sont posées pour la sécurité du réseau, mais il n'y a pas a priori de prix minimal à la revente au consommateur pour cette électricité
  2. Les caractéristiques techniques de ces productions qui n'utilisent aucun combustible pour produire une fois installées

La combinaison de l'imprévisibilité et du coût marginal nul pousse fortement les prix spot à la baisse en cas de surplus. On peut même constater des prix négatifs, arrêter les centrales de base étant plus compliqué que d'arrêter un vélo. Inversement en cas de manque, les prix partent rapidement à la hausse, car on est obligé de faire appel à des moyens de pointe, seuls capables de réagir suffisamment vite.

Suite aux efforts de la commission européenne pour créer un marché commun de l'électricité, les marchés du Bénélux, de la France et de l'Allemagne se sont couplés, c'est-à-dire que les prix doivent être égaux sauf quand les capacités d'interconnexions sont saturées. L'idée est d'optimiser l'usage des moyens de production, les plus chers n'étant appelés que le plus tard possible. Le revers de la médaille, c'est que les prix sont a priori déterminés par le moyen de production le plus cher appelé dans toute la zone, même si localement, les prix pourraient être plus bas.

Cependant la consultation des prix spot sur les journées considérées montrent que les prix ne sont alignés en France et en Allemagne que sur la journée du 31 mai, celle où la production renouvelable est relativement moins importante et aussi plus stable, l'éolien variant assez peu sur cette journée. On remarque que lorsque la production renouvelable est très forte, les prix allemands sont plus bas qu'en France, parfois de beaucoup comme le 1er juin où le différentiel atteint presque 30€/MWh au maximum, et lorsqu'il y a un manque relatif, comme le matin du 26 mai, les prix allemands sont plus élevés. L'effet des renouvelables sur le prix spot conduit aussi à trouver le prix minimal du 26 mai en pleine journée, lorsque le solaire est à son maximum. Sur cette journée, le prix moyen de l'électricité solaire est inférieur au prix moyen de l'électricité sur la journée.

Quelles conclusions?

La première conclusion, c'est qu'avec de telles puissances, sur ces jours-là, le solaire a bien remplacé des moyens de production thermique à combustible fossile. Il a plus exactement remplacé les centrales chargées d'assurer le suivi de charge au cours de la journée. Le revers de la médaille, c'est que d'autres jours, les jours d'été nuageux et les jours d'hiver, ces moyens sont appelés pour répondre à la demande. Le solaire ne peut donc les remplacer, ils tournent simplement moins souvent.

On voit aussi que l'Allemagne est devenu un pays qui a quasiment un bilan d'exportation équilibré depuis l'arrêt de 8 réacteurs nucléaires, alors que c'était un pays qui exportait beaucoup jusque là. La dynamique des exportations semble maintenant être déterminée par les productions d'électricité renouvelable, éolien et solaire. La demande locale ne s'adapte pas aux variations de production et les installations tournant en base ne s'arrêtent pas pour laisser la place. En quelque sorte, l'Allemagne a d'abord fait émettre plus de CO₂ à ses voisins, puisque les installations libres sont souvent celles à combustibles fossiles, avant de leur demander de recevoir de façon aléatoire son surplus de renouvelables. Ce deuxième aspect peut sembler favorable, mettant à l'arrêt des installations polluantes, mais quand on constate qu'à cause de l'intermittence les flux frontaliers sont en sens contraire aux prévisions dans 90% des cas, on ne peut que se dire que ces flux ne seront pas bienvenus très longtemps, surtout que leur importance va s'accroître à cause du développement des sources intermittentes.

La comparaison avec les installations de base montre aussi que le solaire, malgré la puissance installée, aura le plus grand mal à assurer une production d'importance. C'est ainsi que sur les journées du maximum, le nucléaire a produit plus malgré une puissance en service 3 fois moindre. Si le rythme de développement actuel se poursuit, dans quelques années la demande maximale du samedi ou du dimanche pourra être fournie par le solaire. Cela pose le problème du devenir des installations de base: qu'en faire ces jours là? On n'a pas tellement envie des les arrêter vu que ça a un coût, à la fois direct pour l'arrêt, et d'opportunité s'il faut les remplacer par les moyens de suivi de charge, plus chers. On peut penser exporter le surplus, mais les capacités d'export sont limitées. Par ailleurs, il est compliqué de débrancher des installations solaires qui sont aussi installées chez des particuliers: s'il ne peuvent pas évacuer leur surplus, qu'adviendra-t-il de leurs installations électriques ou du réseau électrique du quartier?

On peut aussi voir des développements intéressants du point de vue des prix. Sans sources intermittentes, le marché de l'électricité est relativement simple: plus la consommation est élevée, plus le prix est élevé. C'est ce qui permet, entre autres, de rentabiliser des installations de base aux coûts en capital élevé mais au coût marginal faible. Or on est déjà confronté à des cas où c'est l'inverse: au maximum de consommation, les prix sont au minimum de la journée. On se retrouve donc dans une situation étrange:

  1. Les installations de pointe ou de suivi de charge sont moins rentables car elles fonctionnent moins souvent. Personne n'a donc intérêt à les construire, au moins au début
  2. Les installations de base ont vocation à être remplacées à terme par un couple renouvelable intermittent et moyens de pointe ... mais personne n'aura construit les moyens de pointe sans subventions
  3. Les installations renouvelables font partie des installation à fort coût de capital et ont besoin d'un prix de vente moyen élevé. Mais comme leur coût marginal est nul, une forte production entraîne les prix à la baisse. Elles ne pourront donc être rentables sans subventions.

Bref, le modèle économique de la production d'électricité semble devenir pour le moins douteux si on reste dans un cadre de marché.

Les prix bas en cas de forte production posent un problème de distribution des coûts. Seuls les industriels ont accès aux prix spot, ils bénéficient donc de cette situation. Mais ils ne paient rien ou presque: leur taxe «énergies renouvelables» est plafonnée à un niveau très bas. De l'autre côté, ceux qui ont installé des panneaux solaires vendent leur électricité très cher, nettement au-delà des prix de marché. Mais comme ce sont des gens qui ont pu avancer le capital à cette opération fructueuse, on peut penser qu'ils ne font pas partie des défavorisés. Ceux qui paient ces panneaux sont donc les particuliers et les petites entreprises qui n'ont pas pu installer de panneaux solaires, parmi lesquels figureront l'essentiel des nécessiteux. Les bénéfices vont donc à d'autres que ceux qui paient et la taxe «renouvelables» a toutes les chances d'être régressive.

Tout cela ne veut pas dire que le solaire n'a pas d'avenir. Si aujourd'hui, sur un cycle de vie, un panneau photovoltaïque émet nettement plus de CO₂ que le nucléaire — et que le contenu moyen en CO₂ de l'électricité française —, le solaire photovoltaïque pourrait voir des améliorations importantes de son efficacité avec les progrès des semi-conducteurs. Le contenu en CO₂ sur la durée de vie pourrait aussi s'améliorer si l'électricité du lieu de fabrication est décarbonée. Mais pour produire une part importante en Europe, il faudrait développer des installations de stockage de l'énergie qui n'existent pas avec les bon ordres de grandeurs à l'heure actuelle.

Pour résumer, en fermant des centrales nucléaires et en se lançant dans les renouvelables, l'Allemagne a opté pour un comportement nettement non-coopératif. Elle fait payer des émissions de carbone supplémentaires à ses voisins à un prix plus élevé — c'est dit ouvertement quand les supporters de la manœuvre disent que les émissions n'augmenteront pas à cause du régime de droits à polluer — et elle leur demande d'accepter des flux d'électricité variable qu'ils n'ont absolument pas prévu. En se précipitant sur le solaire, elle empêche aussi les autres de la suivre: la production européenne est très corrélée: tout le monde produira en même temps, aux environs de midi, sans que cela corresponde exactement à la demande. On peut aussi constater que le modèle économique qui sous-tend la manœuvre est douteux. On subventionne les renouvelables intermittents, mais on va aussi devoir subventionner les moyens de remplacement à combustible fossile. En plus de tout cela, les perspectives d'arrêt des subventions sont clairement incertaines. Le moins qu'on puisse dire, c'est que le succès de la transition énergétique allemande n'est pas assuré!