En décembre dernier, le Conseil d'Orientation des Retraites a publié son 11ᵉ rapport qui est une actualisation des projections financières relatives aux divers régimes de retraites français. Il s'était déjà livré à 3 reprises à cet exercice, qui est bien entendu une part majeure du travail qui est attendu de cet organisme: en 2006, fin 2007 et finalement en 2010 pour préparer la dernière réforme. La réforme Fillon de 2003 prévoyait une clause de revoyure tous les 5 ans, mais la crise qui a éclaté en 2007-2008 précipite les échéances. Malgré la dernière réforme, les caisses de l'AGIRC — retraite complémentaire des cadres du privé — sont quasiment vides et une négociation est en cours qui semble s'acheminer vers un gel des pensions et une hausse des cotisations. D'aucuns soupçonnent le gouvernement de chercher à se réfugier derrière le résultat de cette difficile négociation pour annoncer une réforme du régime général très similaire et faire porter ainsi le chapeau aux signataires — probablement la CFDT et les syndicats patronaux. Le sujet revêt donc une certaine actualité.

Le modèle du COR

Pour essayer de savoir quelle sera la situation financière future des régimes de retraites, le COR a bâti un modèle permettant de prendre en compte les diverses variables qui l'affectent. Comme il s'agit d'un exercice où il s'agit de savoir quelles mesures éventuellement prendre pour assurer l'avenir des régimes, on raisonne d'abord à loi constante en établissant différents scénarios macro-économiques avant de voir quels sont les effets des mesures qu'on peut prendre. Comme le rapport contient des tableaux qui les résument très bien, je les reproduis ci-dessous, en commençant par les perspectives à long terme, avec pour comparer les hypothèses prises en 2010, avant la dernière réforme. Hypothèses LT du COR en 2010 Hypothèses LT du COR en 2012 hyp_CT_COR_11.jpg On peut donc voir que les hypothèses à long terme sont sensiblement les mêmes qu'en 2010. Le COR a pris en compte la dernière réforme des retraites, l'allongement de l'espérance de vie — qui tend à rallonger la durée de cotisation d'un trimestre — ainsi que de la natalité constatée en ce moment en France. 2 scénarios macro-économiques sont ajoutés, un plus pessimiste et un autre plus optimiste. Ces hypothèses ne sont en fait valables, grosso modo, qu'après 2020. De 2012 à 2020, les scénarios sont en fait quasiment identiques, pour 2 raisons. La première, c'est que ce sont les hypothèses de croissance de loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2013 qui sont prises en compte d'ici 2017. La seconde, c'est que le COR voit ensuite une convergence rapide vers le taux de chômage tendanciel: les 7% de chômage sont atteints en 2020 dans tous les scénarios.

Le COR formules les hypothèses de façon à pouvoir reconstruire de façon naturelle la situation financière du régime en séparant les différents types de variables. Ces différents types se justifient par l'impact réel que peuvent avoir les mesures prises.

  1. La démographie est une donnée qui change — en général — de façon très lente. Les projections s'étendent jusqu'en 2060, ce qui est déjà très éloigné, mais tous les retraités de 2060 sont déjà nés et ont pour l'écrasante majorité entamé leur vie active. De même, tous les travailleurs de 2030 ou presque sont déjà vivants. La situation de ce point de vue est déjà jouée, sauf catastrophe. De plus, on voit mal un gouvernement démocratique prendre des mesures contraignantes dans ce domaine!
  2. Les données macro-économiques sont en partie déterminées par la démographie. Une hausse de la population en âge de travailler doit se traduire par une hausse grosso modo équivalente du PIB. Ce qui explique le choix du COR d'exprimer une hypothèse de productivité, ce qui donne la hausse moyenne annuelle des salaires au dessus de l'inflation.
  3. Les données légales peuvent, elles, changer rapidement, mais leurs effets mettront parfois du temps à se réaliser. Le meilleur exemple est celui de l'indexation des retraites sur les prix, dont l'impact est en fait déterminant sur l'équilibre financier à long terme. Mais il vaut mieux, pour savoir quelles décisions prendre, raisonner dans un premier temps à loi constante.

Les hypothèses économiques prises paraissent très optimistes. L'ajout du scénario A' est tout de même très surprenant, puisqu'il estime qu'une hausse de la productivité par travailleur de 2%/an est possible, alors même que la croissance du PIB français ne cesse de ralentir depuis les années 70. Prévoir 4.5% de chômage tendanciel — c'est-à-dire en moyenne sur un cycle économique — paraît très optimiste dans un pays où l'INSEE indique qu'un tel niveau est dépassé depuis 1978, soit 35 ans. Le chômage a passé la barre des 7% de la population active en 1983, il y a 30 ans. À long terme, contrairement à ce que laisseraient penser les tableaux du COR, l'hypothèse la plus crédible est sans doute le scénario C, voire le C'. Quant aux prévisions à 5 ans, il suffit de remarquer que la croissance a été nulle en 2012 et que la prévision 2013 a déjà été abandonnée. Or toute la communication gouvernementale va s'organiser autour de ces projections et, comme la dernière fois en 2010, il basera ses décisions sur le scénario central qui est à la fois complètement hors des clous à court terme et optimiste à long terme. Ce n'est pas un hasard: tous les gouvernements ont surestimé la croissance ces dix dernières années, ça permet de minimiser la taille des problèmes à résoudre, dans tous les domaines, sous couvert de volontarisme.

Les résultats

Les résultats des simulations sont aussi un rappel des effets attendus de la réforme de 2010. Par exemple, avec des hypothèses assez équivalentes à celles de 2010, on voit qu'il y a 1M de cotisants en plus en 2020 par rapport aux projections de 2010 (p31) soit presque 4% de plus. On voit aussi que c'est un effet équivalent aux différence entre les taux de chômage à long terme des différents scénarios! Projection d'emploi selon le COR en 2012

L'effectif des retraités est réduit d'autant, ce qui ne l'empêche pas d'exploser puisqu'on va passer d'environ 15M aujourd'hui à presque 20M en 2030. retraites_cor.jpg

Les perspectives financières sont mauvaises dans les scénarios les plus réalistes (C et C'), où les régimes sont constamment en déficit. La situation est réellement tragique pour le scénario C', où malgré des hypothèses à court terme optimistes — et communes aux autres scénarios — le déficit est de 2% du PIB par an à partir de 2030. situation_financiere.jpg On voit aussi qu'au lieu d'être à l'équilibre, comme escompté lors de la dernière réforme, en 2017, il y aura un trou de 1% du PIB. Par contre la situation dans le scénario A' paraît gérable: on constate des déficits jusqu'en 2030, compensés par la suite par des excédents. On peut donc prévoir à ce graphe une longue vie auprès de ceux qui pensent qu'il n'y a pas de problèmes de retraites en France, spécialement auprès de l'extrême gauche et de certains syndicats pas forcément très réalistes. Dans le scénario B, qui va sans doute servir de scénario central, l'équilibre n'est rétabli qu'à l'horizon 2057, l'équivalent des calendes grecques. La poursuite de la crise a donc creusé un trou très important et ce malgré l'impact important du relèvement de l'âge légal.
On voit aussi que dans tous les cas, après 2030, la situation est soit stabilisée soit en amélioration. On comprend donc que les réformes vont se succéder jusqu'en 2030 et qu'ensuite le système pourrait se figer.

Le 12ᵉ rapport du COR donne comme pension moyenne mensuelle la somme de 1431€ en 2008, l'INSEE donne un revenu salarial moyen mensuel de 1624€. Le ratio des deux vaut actuellement 88%. Les simulations du COR donnent aussi l'évolution de ce ratio suivant les divers scénarios (p57), d'où on peut tirer le graphe suivant. Pensions_COR.jpg On y voit clairement que ce qui fait basculer l'équilibre du système, c'est le ratio pension/salaire. Dans le cas du scénario A', l'indexation des retraites sur les prix diminue suffisamment les pensions pour assurer l'équilibre du système. Pour donner sa pleine mesure, l'indexation des pensions sur les prix doit être accompagnée d'une forte croissance: à long terme, l'effet cumulé est très notable et déterminant. Ceux qui se baseront sur le scénario A' pour donner des pronostics roses sur l'avenir seront en fait ceux qui prônent une baisse du niveau relatif des pensions.

Les politiques à mener

Ces simulations permettent au COR de montrer les effet des principales politiques qui ont un effet sur l'équilibre financier du système. Il faut en effet rappeler que le système ne peut s'équilibrer qu'en jouant sur 3 leviers:

  1. le taux de cotisation: en augmentant les cotisations, on augmente les revenus du système, le déficit se comble donc. Cependant, les revenus des actifs baissent et donc le ratio pension/salaire augmente. Les retraités sont favorisés
  2. le ratio entre nombre de retraités et nombre de cotisants: c'est la politique menée par la droite avec les réformes Fillon de 2003 et celle menée en 2010. L'idée est d'augmenter l'âge légal de départ ou le nombre d'annuités pour obtenir une retraite à taux plein. Si la première mesure est d'effet direct — puisque les gens ne peuvent plus partir à la retraite —, la deuxième peut se transformer en baisse effective des pensions.
  3. le niveau relatif des pensions: c'est le levier qui regroupe le plus de tactiques. Il a été employé dans la réforme menée par Balladur en 1993. On peut donc changer le mode d'indexation des pensions voire les geler, changer le mode calcul pour baisser petit à petit la pension versée, etc.

Tous les autres leviers ne rapportent pas suffisamment. Les revenus du capital ne suffisent en effet pas à renflouer les caisses de retraite. Dans les 35% du PIB qui rémunèrent le capital, on trouve en fait les loyers fictifs que se versent à eux-mêmes les propriétaires de leur logement (10% sur les 35) ainsi que l'amortissement des investissements des entreprises et des particuliers. Les flux réels monétaires sont inférieurs à 10% du PIB. On voit donc que faire porter, en plus des impôts actuels, le poids du déficit prévisible des retraites éliminerait à peu près totalement l'intérêt de recevoir personnellement des revenus du capital.

Les abaques sont situées dans l'annexe 4, à partir de la page 130. Les points w donnent l'effet d'un équilibre qui ne compte que sur une hausse des cotisations accompagné d'un allongement déjà prévu de la durée de cotisation. L'intersection des droites diagonales avec l'axe des abscisses donne le niveau relatif des pensions par rapport aux salaires qui assure l'équilibre à prélèvement constant. Les points y donnent la hausse des cotisations qu'il faut acter si on veut préserver le niveau relatif des pensions.

Les abaques portant sur 2020 donnent une information importante: si on voulait équilibrer les régimes à cet horizon uniquement par des hausses de cotisation, la pension moyenne serait réévaluée de 5% par rapport au salaire moyen, alors même que les niveaux de vie entre retraités et actifs sont aujourd'hui équivalents! À cet horizon, il me semble qu'un gel des pensions soit indispensable: tout prélèvement supplémentaire diminuerait les revenus des actifs, il n'y a pas assez de temps pour qu'un allongement de la durée de travail ait suffisamment d'effets, la réforme de 2010 ayant un calendrier s'étirant jusqu'en 2017. Et cela avec une abaque basée sur un scénario macro-économique très optimiste!

Comme je l'ai dit plus haut, je considère que les scénarios C et C' sont les plus crédibles. Par ailleurs, la baisse du chômage vers une moyenne sur un cycle de 7% étant franchement très hypothétique, je ne pense pas qu'on puisse compter sur une quelconque baisse des cotisations chômage: on devrait éviter autant que possible les hausses de cotisation pour les retraites. Pour savoir quelles politiques mener, on peut se reporter à l'abaque suivante: abaque2040c.jpg On y voit que pour équilibrer le système de retraites, une augmentation de la durée de travail de 6 ans est nécessaire pour préserver le ratio pension/salaire (point z). Ce n'est pas très crédible. Le point y donne la hausse de cotisation nécessaire pour préserver le système avec les réformes déjà actées: 5.5 points. Autant dire que les revenus des actifs en prendraient un sacré coup. Le point x donne la baisse relative des pensions pour assurer l'équilibre sans hausse de cotisation ni de durée de cotisation: une baisse de 20%. Les points w donnent l'effet de la politique actuelle: il faudrait augmenter les cotisations de 3.5 points, les pensions baisseraient de 10% par rapport aux salaires par l'effet de l'indexation sur les prix. Pour situer les données du problème, 3.5 points de cotisation c'est 15% des ressources actuelles du systèmes; si on prend un taux de prélèvements obligatoires de 50%, ça correspond à une baisse relative de 7% du niveau de vie des actifs. C'est donc loin d'être neutre. On voit aussi que le point x requiert un gel durable des pensions, l'indexation sur les prix n'apportant qu'une baisse relative de 10%! Dans ce contexte, la politique qui me semble préférable est celle consistant à allonger la durée de cotisation de 2 ans. De cette façon, l'indexation sur les prix amène à proximité de l'équilibre, surtout combiné au gel sans doute indispensable à court terme des pensions. Le reste pourrait être assuré par une hausse des cotisations, très limitée — inférieure à 1 point.

Conclusions

Les abaques du COR sont très utiles, mais cette utilité est entravée par l'utilisation de scénarios immodérément optimistes. Suivre le scénario B ainsi que les hypothèses du PLFSS 2013 amène à sous-dimensionner les changements. Mais c'est sans doute ce qui se passera, le gouvernement PS aura énormément de mal à faire accepter un gel des pensions, un allongement de la durée de cotisation et un relèvement de l'âge de la retraite après avoir combattu toutes ces mesures depuis 20 ans. Pourtant, il semble qu'il soit nécessaire pour assurer l'équilibre du système de geler les pensions pendant quelques années ainsi que d'acter un allongement de la durée de cotisation de 2 ans de plus, pour aller vers les 44 ans de cotisation.