L'obsolescence programmée et la saucisse médiatique
Par proteos le 23 avril 2013, 23:14 - Divers - Lien permanent
Pour ceux qui l'auraient manquée, il y a en ce moment une offensive médiatique des tenants de l'obsolescence programmée. Une association de consommateurs a publié une brochure prétendant dénoncer cette nouvelle plaie d'Égypte. L'information est relayée sur le blog d'une journaliste consommation du Monde où on apprend que la brochure est largement basé sur un mémoire réalisé dans le cadre d'un Master. L'auteur de ce mémoire était invitée ce matin sur Europe1. Par le plus grand des hasards, c'est aujourd'hui que l'inénarrable Jean-Vincent Placé, auteur d'une proposition de loi sur ce sujet, a posé une question orale accompagnée d'un débat.
Qu'importe apparemment qu'il ait déjà été brillamment démontré que l'obsolescence programmée était un mythe complet, basé au fond sur une théorie du complot, sa propagation est apparemment inarrêtable, les médias en considérant les tenants comme suffisamment crédible pour mériter une large audience. On peut tout de même remarquer une nouveauté: les tenants du concept ne prennent même pas le temps de nous démontrer que les exemples qu'ils prennent relèvent de ce qu'ils dénoncent. Aucune trace d'un tel lien dans la brochure, aucun des exemples ne fait l'objet d'une démonstration pour essayer de démontrer qu'il s'agit d'un acte de conception qui ne fait que réduire la durée de vie du produit. On répertorie juste des pièces d'usure ou pouvant casser et on nous assène quelles ont été placées là de façon à réduire la durée de vie du produit. Même chose dans le mémoire: l'argumentation du billet d'Alexandre Delaigue est rappelée … mais l'auteur s'arrête là. Elle ne tente même pas de réfuter la thèse adverse.
C'est encore plus éclatant lors de l'interview à la radio: elle affirme notamment qu'il est pratiquement impossible de prouver qu'un produit a été conçu pour ne plus fonctionner avant la fin de sa durée de vie «normale». Autrement dit, pour elle, il est impossible de prouver une quelconque application de concept en réalité. C'est fort pratique et c'est une tactique qui relève clairement de la théorie du complot: on ne peut rien prouver puisque c'est un complot très bien organisé. Bien sûr aucun mot sur les nombreuses personnes qu'il faut embaucher pour développer un produit qui se taisent toutes ou n'arrivent jamais à publier une spécification interne où une telle intention est mentionnée. Plus loin, elle prend l'exemple des batteries d'un célèbre smartphone et elle affirme qu'au bout de 400 cycles de charge, elles ne fonctionnent plus. Or le site du fabricant mentionne tout autre chose: au bout de 400 cycles, la capacité de la batterie est réduite de 20%. Elle affirme aussi que le besoin de recharger plus souvent un smartphone qu'un un simple combiné portable, combiné à la limite du nombre de cycles de charge est un exemple de l'obsolescence programmée. Aucun mot sur le fait que la taille de l'écran a augmenté, que la puissance de calcul des smartphones est bien supérieure à celle des simples téléphones. Il est d'ailleurs remarquable que les simples téléphones coûtent nettement moins cher que le célèbre smartphone dénoncé … mais semblent moins populaires. À part cela, on entend Bruce Toussaint introduire l'interview avec tous les poncifs du genre: les appareils modernes qui ne tiendraient que 4 ans alors que ceux de nos ancêtres duraient 10 ans, etc. Aucune mention, bien sûr, de l'augmentation continue de l'âge moyen de certains produits, comme les automobiles. On voit donc la fabrique des nouvelles à l'œuvre: une association fait du lobbying, qui a miraculeusement lieu concomitamment à une offensive politique, elle est reprise par divers média. Si le locuteur est considéré comme crédible ou sympathique, il ne risque guère la contradiction. On imagine bien par contre qu'un quelconque industriel venant se défendre se verrait assaillir de questions et sommé de se justifier. Bref, on nous raconte une histoire avec des bons et des méchants.
Tout ceci ne serait pas très grave si, en agissant de la sorte, les médias ne favorisaient pas de fait une tendance politique qui va dans le sens exactement contraire au but officiellement poursuivi, la satisfaction des consommateurs. En effet, les consommateurs cherchent des produits qui ont un bon rapport qualité/prix et non un produit indestructible. D'ailleurs, les tenants de l'obsolescence programmée ne cessent de prôner un certain nombre de remèdes à implémenter. Il faut que les produits durent longtemps, soient longtemps disponibles dans le commerce, qu'il y ait peu de nouveautés pour éviter l'«obsolescence esthétique» et que les produits soient facilement réparables — par exemple, en remplaçant un simple condensateur pour rallumer sa TV. Le revers accepté est que peu d'innovations technologiques sont introduites. Force est de constater que de tels produits ont déjà existé; l'archétype en est sans doute la Trabant.
Commentaires
Il faut bien distinguer :
- la panne non réparable (économiquement)
- l'envie de changer d'appareil
Il y a des smartphones "à la mode", mais pas de machine à laver à la mode.
Je pense qu'il est réellement navrant que des appareils deviennent non réparables pour une malheureuse pièce introuvable. Si on pouvait mettre en place des incitations à continuer à fournir les pièces de remplacement pendant longtemps, ce serait pas mal.
D'un autre coté, les téléphones d'anciennes génération peuvent encore servir; c'est uniquement comme ça que j'obtiens des téléphones mobiles : j'attends que quelqu'un me donne un vieux téléphone "obsolète"; j'ai aussi eu un PC portable comme ça!
Au-delà du débat purement technique, l'obscolescence programmée s'observe au quotidien. Elle est avant tout psycho-pathologique et civilisationnelle et nous en sommes tous résponsable.
En ce qui concerne la prolifération de lois stupides inefficaces et mutilantes, la vie et sur cette planète, heureusement, n'a pas attendu la politique des humains pour prospérer.
Voilà sans doute le plus pur exemple à ce jour d'une construction sociale d'un problème public, une situation qui intéresse les sociologues (http://www.cairn.info/comment-se-co...) au moins depuis Joseph Gusfield.
On retrouve tous les ingrédients, des militants - les Verts, comme presque toujours - qui dénoncent un scandale et se posent en propriétaires du problème qu'ils ont inventé, un travail d'expert - ici dans sa forme la plus humble, un simple mémoire de M2 d’une étudiante en droit de la consommation, comme par hasard directement intéressée à la constitution du problème ; même plus besoin d'être doctorant pour se retrouver sur des antennes nationales, si ça vous gâche pas le métier, ça (l'expert, au passage, ne sert pas à démontrer l'existence d'un problème, mais juste la présence d'une controverse, laquelle suffit à le faire exister) - et une institutionnalisation qui se dispense, elle aussi, de tout démonstration, puisque la loi suffira à donner corps au problème.
Là derrière, on retrouve le coeur de la vision consumériste, qui transforme les consommateurs en victimes impuissantes des industriels tous-puissants, et revendique le droit d'obtenir le même usage d'une machine à laver qui coûte 200 euros, et d’une autre qui en coûte 2800. En filigrane, bien sûr, toute l'idéologie du durable, de l'austère, du modeste, du choix imposé pour des raisons morales : la Trabant, en effet. Hélas, son moteur deux-temps était horriblement polluant.
Superjem,
Pfiou! Je veux bien qu'on observe tous les jours l'obsolescence programmée dans le sens que nous allons tous mourir un jour, mais je ne pense pas que ce soit véritablement ce que veulent dire les tenants de l'obsolescence programmée.
Dirtydenys,
Cécile Duflot a démontré avec brio que les autos sans pot catalytique n'ont jamais dérangé les écolos. La possession d'une 4L, dont la production s'est arrêtée parce que Renault n'a pas pu ou voulu y adapter de pot catalytique, est tout de même significatif de ce point de vue. Cette auto est l'incarnation d'un passé mythique, une sorte de Trabi made in France.
Dans le même style, on peut relever que le mémoire a été tapé à l'aide de Word™®, célèbre logiciel propriétaire dont le format de fichiers change et dont l'interopérabilité est, disons, loin d'être parfaite, alors qu'il existe un langage robuste bien connu des matheux, dont la forme la plus simple n'a connu aucune modification depuis plus de 20 ans, mais dont les capacités sont étendues régulièrement.
Hier, BFM (radio) a mentionné cette proposition de loi mais en précisant que pour les économistes il s'agit d'un mythe. Dans le même temps ils signalaient une étude récente montrant que divers appareils electroménagers avaient la même durée de vie qu'il y a X années pour une utilisation nettement plus intensive et un prix de vente bien plus faible. Je n'ai pas écouté avec attention sur le moment et je n'ai pas retenu les références de l'étude. Si quelqu'un a entendu parler de cela je serais intéressé d'avoir des détails, merci.
Tout ce que j'ai trouvé c'est un édito du présentateur sur son blog. Il dénonce clairement l'ignorance et la volonté sous jacente de bloquer le progrès:"Obsolescence programmée, le retour du monstre économique". L'argumentaire manque parfois de consistance mais c'est toujours difficile de parler d'un mythe "indémontrable".
Sans compter qu'en matière d'obsolescence programmée, il y a un mythe qui a la vie dure, la fameuse ampoule de Livermore, qui a juste un rendement dégueulasse pour produire de la lumière:
http://www.drgoulu.com/2011/10/16/l...
Mais ça, forcément, c'est moins "vendeur"
Barca,
effectivement, Stéphane Soumier a publié un billet assassin sur son blog et mentionne l'étude du GIFAM, dont on retrouve la trace ici. Les durées de vies sont peu ou prou identiques à 30 ans de distance.
Nono,
Pour l'ampoule de Livermore, c'est clair que maintenant quand on voit les rendements atteints par les tubes fluo ou les LEDs, une ampoule à filament qui dure un siècle est archinulle. En plus, elle n'éclaire rien: si on peut la prendre en photo sans surexposition, c'est bien que niveau luminosité, c'est pas trop ça.
Les LEDs sont d'ailleurs un exemple exactement contraire à l'obsolescence programmée, où des fabricants tentent de nous vendre un bien durable (durée de vie 10-100kh hors alimentation) en remplacement d'un bien jetable.
Merci pour l'étude GIFAM.
Les quelques commentaires sous l'édito de S. Soumier sont décourageants. Tous les poncifs sont ressortis avec , bien sûr, la fameuse ampoule de Livermore.