Lundi dernier, La Cour Suprême des États-Unis a rendu sa décision sur le cas d'un fermier américain qui avait semé du soja GM sans payer de subsides à Monsanto. Elle a condamné à l'unanimité le fermier. C'est l'occasion de s'apercevoir que la presse français souffre parfois d'une mauvaise compréhension de l'anglais.

À la lecture du jugement, on comprend que le fermier en question semait du soja génétiquement modifié tous les ans. Pour la première récolte de l'année, il achetait des semences via le circuit traditionnel. De ce fait, il signait un contrat qui l'obligeait à vendre l'ensemble de sa production et à ne pas garder de graines pour semer ultérieurement. Cette manœuvre est possible avec le soja, car contrairement à d'autres plantes comme le maïs, mais de façon semblable à d'autre comme le colza, les rendements se maintiennent de génération en génération. Pour la deuxième récolte, il jugeait le prix des semences de Monsanto excessif. Il s'est alors tourné vers un silo pour lui acheter des graines de soja, originellement prévues pour être mangées, et les semer. Ce silo était rempli de la récolte des fermiers de la région. La Cour remarque alors (p3):

And because most of those farmers also used Roundup Ready seed, Bowman could anticipate that many of the purchased soybeans would contain Monsanto’s patented technology. When he applied a glyphosate-based herbicide to his fields, he confirmed that this was so; a significant proportion of the new plants survived the treatment, and produced in their turn a new crop of soybeans with the Roundup Ready trait.

Autrement dit, le fermier ne pouvait ignorer qu'il y aurait une bonne partie des semences qui auraient le trait de résistance au glyphosate, l'herbicide honni de Monsanto. Le fermier en était suffisamment sûr pour en asperger ses plants. Cela lui permettait aussi de sélectionner les plants contenant bien ce trait et d'éliminer les autres. De cette récolte, il gardait une partie pour semer à la même époque l'année suivante, en complétant son stock avec de nouvelles graines issues de silos.

Pour sa défense, le fermier affirmait qu'il avait le droit de semer des graines achetées à un silo, car ces graines n'étaient plus sous l'empire du monopole procuré par le brevet à Monsanto. C'est cette doctrine de l’extinction qui nous permet de revendre des produits brevetés sous la forme de biens d'occasions. Cependant, la Cour lui rétorque que cette doctrine ne lui permet pas de produire des copies supplémentaires (p5). Le fermier argue en réponse que les graines germent d'elles-mêmes et donc qu'il ne peut être tenu pour responsable du cours naturel des choses. Ce à quoi la Cour lui rétorque que cultiver du soja n'est pas seulement laisser faire la nature et impliquait du travail de sa part (p9).

Bowman was not a passive observer of his soybeans’ multiplication; or put another way, the seeds he purchased (miraculous though they might be in other respects) did not spontaneously create eight successive soybean crops. As we have explained, supra at 2–3, Bowman devised and executed a novel way to harvest crops from Roundup Ready seeds without paying the usual premium. He purchased beans from a grain elevator anticipating that many would be Roundup Ready; applied a glyphosate-based herbicide in a way that culled any plants without the patented trait; and saved beans from the rest for the next season.

En clair, le fermier a sciemment exécuté une stratégie lui permettant de ne pas payer de subside à Monsanto, alors qu'il connaissait le brevet et la protection qu'il apportait — puisqu'il achetait aussi tous les ans des semences par le canal légal.

La nouvelle est arrivée jusque dans notre beau pays. L'AFP a, comme il se doit, écrit une dépêche sur le sujet. On peut y lire le paragraphe suivant:

Le cultivateur affirmait avoir toujours respecté son contrat avec Monsanto, en achetant de nouvelles semences OGM chaque année pour sa culture primaire. Mais à partir de 1999, pour faire des économies, il avait acheté d'autres semences auprès d'un producteur local et les avait plantées pour une moisson distincte. S'apercevant que ces semences avaient développé une résistance à l'herbicide par contamination avec le champ de graines transgéniques, il avait alors répété l'opération de 2000 à 2007.

On peut donc y lire 2 choses qui sont présentées comme des faits mais qui sont en fait fausses. Tout d'abord, le fermier n'a pas acheté les semences pour sa deuxième récolte auprès d'un producteur local mais auprès d'un silo à grain qui en vendait pour qu'elles soient mangées ou transformées et non pour être plantées. Ensuite, nulle contamination à l'horizon: selon la Cour, le fermier savait que le silo contenait principalement des graines de soja GM puisqu'une bonne part des fermiers locaux — y compris lui-même — en cultivait pour leur première récolte. Enfin, même si ce n'est pas faux, dire que le fermier s'aperçoit que les plants sont résistants au Round Up est une façon particulière de faire savoir qu'il a sciemment déversé cet herbicide sur ses cultures alors que toute plante non génétiquement modifiée en meurt. On peut aussi remarquer que les 2 assertions fausses sont complètement inventées, nulle part dans le jugement de la Cour Suprême, y compris lorsqu'il reprend la position du fermier, on n'en trouve trace. Évidemment, cette partie de la dépêche a été reprise telle qu'elle par un suspect habituel.

On peut évidemment lire dans une presse plus sérieuse un compte rendu nettement plus fidèle du jugement et des faits. Cependant, on peut voir une fois de plus pourquoi la presse souffre d'un certain désamour. Les sources primaires d'information sont maintenant accessibles directement à tout un chacun, ce qui fait que les gens peuvent s'apercevoir qu'il y a des différences entre les faits et ce qui est écrit dans la presse, non seulement sur les sujets dont ils sont spécialistes mais aussi sur les sujets qui les intéressent. Dans le cas présent, on peut s'apercevoir que des dépêches sont romancées alors qu'elles sont censées rapporter des faits. La confiance du lecteur pour ce qui est raconté sur d'autres sujets s'en trouve forcément diminuée.