Téléphone GM
Par proteos le 15 mai 2013, 21:18 - À table! - Lien permanent
Lundi dernier, La Cour Suprême des États-Unis a rendu sa décision sur le cas d'un fermier américain qui avait semé du soja GM sans payer de subsides à Monsanto. Elle a condamné à l'unanimité le fermier. C'est l'occasion de s'apercevoir que la presse français souffre parfois d'une mauvaise compréhension de l'anglais.
À la lecture du jugement, on comprend que le fermier en question semait du soja génétiquement modifié tous les ans. Pour la première récolte de l'année, il achetait des semences via le circuit traditionnel. De ce fait, il signait un contrat qui l'obligeait à vendre l'ensemble de sa production et à ne pas garder de graines pour semer ultérieurement. Cette manœuvre est possible avec le soja, car contrairement à d'autres plantes comme le maïs, mais de façon semblable à d'autre comme le colza, les rendements se maintiennent de génération en génération. Pour la deuxième récolte, il jugeait le prix des semences de Monsanto excessif. Il s'est alors tourné vers un silo pour lui acheter des graines de soja, originellement prévues pour être mangées, et les semer. Ce silo était rempli de la récolte des fermiers de la région. La Cour remarque alors (p3):
And because most of those farmers also used Roundup Ready seed, Bowman could anticipate that many of the purchased soybeans would contain Monsanto’s patented technology. When he applied a glyphosate-based herbicide to his fields, he confirmed that this was so; a significant proportion of the new plants survived the treatment, and produced in their turn a new crop of soybeans with the Roundup Ready trait.
Autrement dit, le fermier ne pouvait ignorer qu'il y aurait une bonne partie des semences qui auraient le trait de résistance au glyphosate, l'herbicide honni de Monsanto. Le fermier en était suffisamment sûr pour en asperger ses plants. Cela lui permettait aussi de sélectionner les plants contenant bien ce trait et d'éliminer les autres. De cette récolte, il gardait une partie pour semer à la même époque l'année suivante, en complétant son stock avec de nouvelles graines issues de silos.
Pour sa défense, le fermier affirmait qu'il avait le droit de semer des graines achetées à un silo, car ces graines n'étaient plus sous l'empire du monopole procuré par le brevet à Monsanto. C'est cette doctrine de l’extinction qui nous permet de revendre des produits brevetés sous la forme de biens d'occasions. Cependant, la Cour lui rétorque que cette doctrine ne lui permet pas de produire des copies supplémentaires (p5). Le fermier argue en réponse que les graines germent d'elles-mêmes et donc qu'il ne peut être tenu pour responsable du cours naturel des choses. Ce à quoi la Cour lui rétorque que cultiver du soja n'est pas seulement laisser faire la nature et impliquait du travail de sa part (p9).
Bowman was not a passive observer of his soybeans’ multiplication; or put another way, the seeds he purchased (miraculous though they might be in other respects) did not spontaneously create eight successive soybean crops. As we have explained, supra at 2–3, Bowman devised and executed a novel way to harvest crops from Roundup Ready seeds without paying the usual premium. He purchased beans from a grain elevator anticipating that many would be Roundup Ready; applied a glyphosate-based herbicide in a way that culled any plants without the patented trait; and saved beans from the rest for the next season.
En clair, le fermier a sciemment exécuté une stratégie lui permettant de ne pas payer de subside à Monsanto, alors qu'il connaissait le brevet et la protection qu'il apportait — puisqu'il achetait aussi tous les ans des semences par le canal légal.
La nouvelle est arrivée jusque dans notre beau pays. L'AFP a, comme il se doit, écrit une dépêche sur le sujet. On peut y lire le paragraphe suivant:
Le cultivateur affirmait avoir toujours respecté son contrat avec Monsanto, en achetant de nouvelles semences OGM chaque année pour sa culture primaire. Mais à partir de 1999, pour faire des économies, il avait acheté d'autres semences auprès d'un producteur local et les avait plantées pour une moisson distincte. S'apercevant que ces semences avaient développé une résistance à l'herbicide par contamination avec le champ de graines transgéniques, il avait alors répété l'opération de 2000 à 2007.
On peut donc y lire 2 choses qui sont présentées comme des faits mais qui sont en fait fausses. Tout d'abord, le fermier n'a pas acheté les semences pour sa deuxième récolte auprès d'un producteur local
mais auprès d'un silo à grain qui en vendait pour qu'elles soient mangées ou transformées et non pour être plantées. Ensuite, nulle contamination
à l'horizon: selon la Cour, le fermier savait que le silo contenait principalement des graines de soja GM puisqu'une bonne part des fermiers locaux — y compris lui-même — en cultivait pour leur première récolte. Enfin, même si ce n'est pas faux, dire que le fermier s'aperçoit
que les plants sont résistants au Round Up est une façon particulière de faire savoir qu'il a sciemment déversé cet herbicide sur ses cultures alors que toute plante non génétiquement modifiée en meurt. On peut aussi remarquer que les 2 assertions fausses sont complètement inventées, nulle part dans le jugement de la Cour Suprême, y compris lorsqu'il reprend la position du fermier, on n'en trouve trace. Évidemment, cette partie de la dépêche a été reprise telle qu'elle par un suspect habituel.
On peut évidemment lire dans une presse plus sérieuse un compte rendu nettement plus fidèle du jugement et des faits. Cependant, on peut voir une fois de plus pourquoi la presse souffre d'un certain désamour. Les sources primaires d'information sont maintenant accessibles directement à tout un chacun, ce qui fait que les gens peuvent s'apercevoir qu'il y a des différences entre les faits et ce qui est écrit dans la presse, non seulement sur les sujets dont ils sont spécialistes mais aussi sur les sujets qui les intéressent. Dans le cas présent, on peut s'apercevoir que des dépêches sont romancées alors qu'elles sont censées rapporter des faits. La confiance du lecteur pour ce qui est raconté sur d'autres sujets s'en trouve forcément diminuée.
Commentaires
C'est pas franchement le sujet, mais bon ça le frôle :
Abus de la "propriété intellectuelle"
Au nom de quoi un détenteur de brevet peut restreindre par contrat de licence les applications de son invention, qui n'entrent pas en concurrence avec la vente de licence de ses brevets?
Si je veux acheter des graines pour démontrer que les graine Roundup-Ready donnent des hémorroïdes aux rats quand on leur enfonce les graines dans le derrière, je devrais supporter :
- d'être considéré comme un bouffon par la communauté scientifique pour mes études pseudo-scientifiques navrantes et sans intérêt
- peut être de recevoir un IgNobel
- la vindicte des défenseurs des animaux
Mais au nom de quoi devrais-je demander l'autoriser de Monsanto avant de faire ces expériences débiles?
Je n'utilise pas les produits protégés pour faire concurrence au détenteur des droits.
Si j'ai envie de démonter une machine à laver pour comprendre comment elle marche, ou faire des tests, j'ai besoin d'une licence du concepteur?
Toujours est-il, que lorsque un agri déploie autant de moyens pour obtenir des semences de soja RR …. C’est bien la preuve que le soja RR, c’est loin d’être le « fiasco » que nos gentilles ONG veulent nous dresser !
Nous aurait-on menti sur les PGM ?
Oui, difficile de soutenir en même temps que
- la technologie PGM est sans intérêt
- et que les brevets sur les plantes sont une restriction insupportable pour les agriculteurs qui voudraient en bénéficier.
Mais les anti-OGM ne manquent pas d'imagination, ils doivent pouvoir justifier ça.
Pour ma part, je constate que le jugement de la Cour Suprême, tout comme le journaliste de l'AFP qui a écrit cet article, font des suppositions très fortes, lourdes de conséquences, l'un sur l'état d'esprit du fermier, l'autre sur les semences.
Le jugement suppose clairement que le fermier savait pertinemment, avant même d'acheter ses semences auprès du silo à grains, que les grains de soja qu'il achetait pour servir de semences seraient très majoritairement Roundup Ready :
(page 1) Dès l'introduction de son arrêt, la Cour précise donc qu'il y avait détournement volontaire d'usage de la part du fermier, sous-entendant déjà l'existence d'un délit.
De plus, elle exclut de facto que le gène RR ait pu apparaître plus tard sur les plants qu'il a obtenus, par quelque moyen que ce soit, car elle ne décrit qu'un seul moyen pour un grain d'acquérir une résistance au glyphosate :
(page 4)
Du strict point de vue scientifique, je trouve que balayer d'un simple revers de main (je veux dire, de glaive, celui de la Justice ;-) ) l'hypothèse d'un transfert de gène d'un organisme vivant à un autre est un peu rapide : les biologistes ont déjà observé ce type de phénomène. Que le fermier ait ensuite mis en place un processus de sélection de ses plants pour privilégier la résistance au glyphosate ne constitue pas une preuve de son intention a priori d'acquérir des semences résistantes au glyphosate sans payer la licence correspondante à Monsanto (autrement dit, de son intention a priori de violer sciemment le brevet de Monsanto).
Certes, les présomptions sont lourdes : le fermier aurait été beaucoup plus crédible s'il avait acheté ses semences dans une région ou un pays voisin dans lequel le soja RR est peu ou pas présent. Ainsi, il se serait assuré de l'absence initiale du gène RR dans ses semences, et il aurait pu montrer que la possibilité d'une contamination a posteriori de ses semences par les champs de soja voisins existaient (même dans le cas où il aurait obtenu dès la 1ère génération de plants une fraction significative de plants résistants), alors que là, il n'a rien prouvé du tout. Toute l'argumentation de Monsanto (et de la Cour Suprême) aurait été vidé de son sens, car il aurait alors été difficile d'accuser le fermier d'avoir sciemment voulu acheter des grains résistants au glyphosate sans payer la licence due (puisque c'est ça, au fond, que la Cour lui reproche).
Il n'empêche : supposer qu'il y avait dès le départ chez le fermier la volonté de nuire à Monsanto, je trouve que c'est un peu tiré par les cheveux. C'est une interprétation tout à fait plausible, mais tout aussi plausible est celle qui consiste à dire qu'il ne lui était pas venu à l'idée (au moment de les acheter, bien sûr, pas quelques années après) que la plupart des grains qu'il achetait seraient déjà résistants au glyphosate.
De son côté, le journaliste de l'AFP fait lui aussi des suppositions lourdes de sens, mais inverses (et qui, du coup, expliquent très bien sa réécriture du jugement de la Cour) :
Pour ma part, ayant parcouru le jugement, je trouve que la Cour reprend un peu trop vite les arguments de Monsanto. Je ne dirais pas cela si, concluant de la même manière, elle avait explicitement exclu la possibilité d'une acquisition par transfert de gène sur des plants du fermier (il aurait suffi de constater que le fermier a été dans l'incapacité de montrer que les grains qu'il avait achetés étaient exempts de gène RR, et que, vues les circonstances d'achat, la probabilité qu'un grand nombre de grains de soja aient été Roundup Ready dès leur achat était très élevée).
Mais cette partialité (AMHA) de la Cour ne change en rien au fait que, cette fois encore en matière de sciences et de technologies, le journaliste de l'AFP a produit de la désinformation, là où sa corporation prétend produire de l'information. Et de la désinformation au point de ne pas savoir lire un document qu'on affirme avoir lu, c'est inexcusable.
Simple-touriste,
non, un détenteur de brevet ne peut pas vous empêcher de ce seul fait de mener des expériences sur les animaux avec ses produits, ni vous empêcher de démonter ce qu'il vous vend pour faire du reverse engineering. Par contre, il peut vous empêcher de vendre des copies.
HollyDays,
personnellement, je suis sur la même ligne que la Cour Suprême: il ne pouvait pas ignorer que le silo contenait une bonne part de graines GM. En effet, lui en cultivait, et il connaissait sans doute les pratiques des autres fermiers dans la région. Les transferts de gène existent certes dans la nature, mais en plusieurs dizaines d'années d'usage du Round Up, jamais le soja n'acquis de résistance par ce biais dans la nature. Pas très crédible comme explication!
Il faut aussi voir qu'il ne s'agit pas d'un procès pénal mais d'un procès civil, où les règles de preuves sont moins lourdes. Il n'y a pas besoin d'éliminer tout doute raisonnable, par exemple.
Pour moi ce cas se trouve décidé en défaveur du fermier car il est vu comme ayant voulu contourner le contrat qu'il avait signé avec Monsanto: il revendait ses graines à un silo … puis les rachetait, en quelque sorte.
Une histoire de pollinisation croisée serait déjà vraiment tirée par les cheveux pour du maïs mais là on parle carrément d’une plante autogame, le soja. Même en se plaçant dans des conditions favorables à la pollinisation il faudrait anéantir un champ entier au glyphosate pour espérer en retirer quelques graines RR et le répéter sur combien de générations pour simplement récupérer de quoi simplement replanter le champ initial? Et quand cette pollinisation (ou un improbable transfert de gène) aurait-elle eu lieu ? Bowman a traité son soja au glyphosate et s’il n’avait pas contenu à l’origine du RR… il n’y aurait plus rien eu à polliniser !
De toute façon cette pollinisation (ce qu’ils appellent contamination) semble vraiment juste sortie du chapeau des anti OGM. Le jugement ne laisse pas entendre que Bowman ait basé sa défense sur une fable de ce genre. Il a juste cherché à montrer que ce qu’il faisait ne contrevenait pas à la loi.
Imaginons un fermier qui voudrait réellement créer une variété de plante RR par sélection... ou toute technique biologique sauf l'insertion de gène à la main (ce que les anti-OGM appellent "ingénierie génétique", mais pour moi toute les techniques biologiques visant à créer une variété ayant certains traits mérite cette appellation).
Si il s'isole dans un environnement où il n'y a pas de gène RR de Monsanto, il pourrait peut-être créer un gène RR qui ne soit pas une copie de celui de Monsanto. (Ou est-ce que la probabilité d'y arriver est négligeable? Ou est-ce que le coût avant d'y arriver serait extravagant?)
Est-ce que cette plante serait protégée par le droit?
Est-ce qu'il devrait refaire l'équivalent des études réglementaires qu'a fait Monsanto sur ses plantes RR?
On lit partout, par exemple sur GMwatch (oui, comme source on ne fait pas pire) que Monsanto impose par contrat que les graines ne servent pas à des expériences, et donc que le pauvre Séralini a été obligé de recourir à un stratagème digne de James Bond pour obtenir la nourriture pour ses rats.
simple-touriste,
C'est le contrat que signent les gens avec Monsanto qui les empêche de faire ces expériences, pas le brevet. Vous me direz que c'est une argutie parce que le brevet leur permet d'imposer le contrat. Cela dit, il faut remarquer que:
L'existence d'une "tolérance" de la part de Monsanto ne va pas dans le sens de la libre critique de ses produits : on pourrait imaginer que Monsanto est tolérant tant que les expériences ne sont pas trop nuisibles à son image.
Et même si ce n'est pas le cas, cela prête le flan. C'est un contexte malsain.
Voici une source plus sérieuse sur les moyens de se procurer ces semences :
http://www.lapresse.ca/actualites/s...
Donc Monsanto a un services spécialisé qui fournit des semences à tout chercheur dont le protocole de recherche est validé, certaines université ont des accords qui ne leur demande pas ensuite une validation pour chaque étude, et il est relativement facile de s'arranger avec un autre chercheur pour obtenir des semences au besoin, même s'ils vont préférer une certaine discrétion si le chercheurs qui fait l'étude refuse de passer par la filière classique.
Oui Monsanto cherche à avoir un certain contrôle sur les études faites, mais pas à les bloquer globalement, et personne ne croit que ce mécanisme soit réellement un obstacle majeur pour celui qui veut faire une étude non approuvée, surtout s'il a un bon réseau et des arguments valables à faire valoir comme quoi le refus de Monsanto de lui fournir directement les semences n'est pas justifié.
Qu'est-ce qu'ils risquent à fournir des semences à n'importe qui?
C'est quand même malsain. (Comme le "système" du chercheur qui publie sur sa page Web le "brouillon" d'une publication qu'il fait dans une revue prestigieuse et hors de prix, c'est sympa pour les lecteurs, mais je trouve ça malsain.)
Du coup ce système ne sert à rien!...
Ah si, cela permet au super-agent secret de Caen de jouer à crypter ses emails.
LOL