Ce mardi 27 août vers 19 heures, Jean-Marc Ayrault, premier ministre, a annoncé les projets du gouvernement en matières de retraites. Il semble que ce soit la réforme des retraites la plus injuste de ces 30 dernières années car elle fait porter tout l'effort aux actifs via des prélèvements supplémentaires, alors que ce sont les actifs qui ont subi toutes les conséquences de la crise actuelle. Le discours du premier ministre relaie aussi des mythes communs sur les retraites.

Qu'on en juge: le rapport Moreau avait fait la liste des mesures envisagées. Il est difficile de croire que cette liste ne trouve pas son origine dans un cabinet ministériel et que la commission ait servi à autre chose qu'à discuter des options envisagées au début de l'année par le gouvernement. liste_moreau.jpg

Qu'en a retenu le gouvernement? Une augmentation de 0.6 point des cotisations retraites déplafonnées — soit environ 4.5G€ de recettes —, une taxation des suppléments de retraites — 900M€ de recettes retraites — et un gel égal à une demi-année d'inflation via le report de la réévaluation des retraites — non comprise, mais qui doit rapporter moins de 1G€ au vu de l'évaluation du rendement du blocage des retraites. Premier constat: il ne semble pas qu'on atteigne les 7G€ que le rapport Moreau estimait nécessaires pour combler le déficit du régime général, il manquerait 600M€/an au bas mot si des mesures supplémentaires ne sont pas prises. Au surplus, le premier ministre a annoncé la création d'un «compte pénibilité» qui réclamerait environ 2G€/an (p169), financé sans doute via des taxes sur les entreprises. Au total, on voit qu'il y a 6.5G€/an d'impôts sur les actifs en plus et au maximum 2G€ à porter par les retraités. Les actifs supportent donc les trois quarts de l'effort. On peut juste rappeler que la baisse du niveau de vie a essentiellement frappé les actifs via une forte augmentation du chômage, un blocage courant des salaires et des hausses d'impôts.

Quant à l'allongement de la durée de cotisation, il ne se produira qu'après 2020, pour atteindre 43 ans de cotisations en 2035. Même si on voit que les rendements espérés sont faibles à court terme, une telle addition aurait été la bienvenue, surtout qu'à première vue, le compte n'y est pas pour combler le déficit. Mais ce n'est pas tout: le premier ministre déclare que l'allongement de la durée de cotisation aurait un impact brutal sur les intéressés mais aussi sur les comptes du chômage et les minima sociaux. Ce faisant, il relaie l'idée que l'emploi serait un gâteau de taille fixe. Or, les changements effectués sous le quinquennat de Chirac et celui de Sarkozy montrent qu'il n'en est rien: lorsqu'on supprime les mesures qui payaient les personnes de plus de 50 ans pour rester chez elles, le taux d'emploi augmente et rejoint le taux d'emploi des âges immédiatement précédents. On note aussi un net accroissement du taux d'emploi de la classe d'âge entre 55 et 64 ans du fait des règles d'âge qui repoussent l'âge de la retraite à taux plein. Dit plus simplement, le premier ministre ment et il est contredit par l'expérience récente. Au contraire, repousser l'âge de la retraite augmente le nombre total d'emplois en France.

Dans le même genre de déclaration, on trouve celle comme quoi la CSG n’a pas été créée pour financer les retraites. Tout le monde sait bien que l'impôt sur le revenu a été créé pour financer les retraites et que la suppression d'une niche sur cet impôt peut aller les financer. On peut aussi constater que c'est la partie déplafonnée des cotisation retraites qui est augmentée, elle n'ouvre aucun droit et sert conceptuellement à financer le minimum retraites ou les autres mesures redistributives.

Le premier ministre prend aussi prétexte de la proximité des taux de remplacement pour ne pas toucher au système de retraites du public. Or le problème est que ce taux de remplacement est en trompe-l'œil. Tous les fonctionnaires qui touchent de nombreuses primes ont un taux de remplacement très inférieur, puisqu'elles ne donnent pas droit à retraite, alors que ceux qui en touchent peu, comme typiquement les enseignants, ont un taux de remplacement excellent. Il fait donc perdurer une injustice interne au système. Mais il y a mieux: les derniers changements aux régimes complémentaires du privé AGIRC et ARRCO ne suffiront pas à assurer leur équilibre en 2020, des changements supplémentaires seront nécessaires, il vont impacter directement le niveau de vie des retraités et les taux de remplacement. Ils devraient donc diverger peu à peu de ceux du public.

Il se murmure aussi que le patronat aurait renoncé à la contestation contre une baisse des cotisations finançant les allocations familiales. Cela se traduira soit par une augmentation de la CSG — et une baisse du niveau de vie — soit une baisse des dépenses — ce qui a déjà été prévu en avril dernier. Le contraste est d'ailleurs saisissant: en avril, le gouvernement taxe les allocations familiales pour renflouer les caisses d'allocation familiales; en août les bénéficiaires principaux des systèmes de retraites sont épargnés. On sait, de plus, que les caisses d'allocations familiales ne sont en déficit que parce que des dépenses de retraites leur ont été imputées. La priorité est donc claire: tout doit être fait pour préserver le niveau de vie des retraités.

Au fond, c'est peut-être là la réforme des retraites la plus injuste depuis 30 ans. Toutes les autres prévoyaient une limitation du surcoût fiscal pour les actifs en faisant porter une part du déficit par les retraités, essentiellement futurs, il est vrai. La réforme avec le plus grand effet a été la réforme Balladur, qui a indexé définitivement les retraites sur l'inflation au lieu des salaires et a limité le montant des retraites versées. Les réformes Fillon et Sarkozy ont essentiellement porté sur l'allongement de la durée du travail qui, non seulement réduit les dépenses à terme, mais augmente aussi les recettes pour l'ensemble du système de protection sociale. Cette réforme reprend essentiellement le programme d'ATTAC qui voulait réévaluer chaque année les cotisations de 0.2 point par an. L'essentiel de l'effort est donc financé par une perte de pouvoir d'achat des actifs, présents et futurs. Alors que ces actifs, eux, ne peuvent réellement espérer de voir un système aussi généreux: membres de classes creuses, victimes de prévisions toujours trop optimistes, ce sera sans doute sur eux que tombera la diminution des retraites servies.