C'est ce que Christophe de Margerie, dirigeant de Total, célèbre firme pétrolière, déclare durant son audition à l'Assemblée Nationale. On peut dire qu'en gros, cette intervention résume l'ensemble de son propos et de ses réponses aux questions que les députés lui ont posées.

Une des principales occupations de de Margerie est de répondre aux accusations de mépris, causées en partie par ses réponses franches et le fait qu'il est en situation de monopole dans les DOM-TOM. L'esclandre qui l'oppose à Jean Lassalle a pour cause profonde la fameuse histoire de l'usine Toyal de la vallée d'Aspe et sa possible «délocalisation», pour cause d'agrandissement, vers le site de Lacq. La morale de cette histoire est simple: les politiques affirment vouloir le développement d'entreprises industrielles mais s'émeuvent bruyamment contre les conséquences.

Les questions des députés des DOMs sont très prévisibles: la nécessité que les carburants qui y soient aux normes européennes met Total en situation de monopole. Qui dit monopole, dit entreprise qui a une capacité à imposer des prix et ressentiment des clients qui voient un produit cher et un service sans sourire. Et bien souvent, la firme en situation de monopole a la même réponse que de Margerie: changez de crêmerie si vous ne voulez plus me voir, avec d'autant plus d'assurance que les capitaux à engager pour racheter les installations construites sont très importants. La question de la SARA est assez similaire: les normes européennes sont en vigueur dans les DOMs, ce qui permet à la raffinerie, créée par un oukase à la fin des années 60, de rester longtemps une situation de monopole, car les voisins au niveau de vie nettement plus bas ne partagent pas les même préoccupations. Les manifestations de 2009 ont amené à une régulation politique des prix, chaque volonté de remettre en cause les règles de fixation des prix mène maintenant à la confrontation. Bref, la décision politique a été prise d'avoir des carburants aux normes européennes mais les conséquences, notamment financières, ne sont pas assumées.

Une autre question qui est posée à Christophe de Margerie est celle de l'optimisation fiscale. Mais il l'explique bien, Total a en fait peu de moyens de la pratiquer très efficacement. L'activité de Total requiert en effet d'obtenir des permis auprès des états dans le sous-sol desquels se trouvent des hydrocarbures. Il est alors obligé de payer des sommes souvent très élevées pour cela: la rentabilité de l'extraction du pétrole et du gaz naturel n'ont échappé à personne. Le prix de vente de la marchandise est aussi parfaitement connu: les hydrocarbures sont vendues sur des marchés mondiaux dont les prix sont publics. Les états sont aussi capables d'obtenir les règles de modification des prix en fonction de la qualité du pétrole. Total est donc mal équipé pour utiliser une astuce courante d'optimisation fiscale qui consiste à facturer les productions en interne au groupe aux prix les plus divers, pour aller faire des bénéfices dans des pays à la fiscalité agréable. Si ce genre d'astuce fonctionne très bien pour un supermarché en ligne ou une société d'édition de logiciels, c'est nettement plus compliqué dans une activité d'extraction minière! En conséquence, Total paierait des impôts en France s'il y possédait des puits en grand nombre. Or, il se trouve que le gisement de Lacq va fermer incessamment et qu'il n'y a aucune opportunité d'expansion dans les gaz ou pétroles de schiste. En quelque sorte, les députés veulent à la fois que les entreprises qui exercent leur activité en France y paient leurs impôts et que les entreprises qui exercent leur activité à l'étranger fassent de même. Ils veulent que Total paie plus d'impôts en France mais lui interdisent toute possibilité réelle d'expansion de son activité.

Au contraire, l'activité de Total en France se contracte: on y consomme de moins en moins de carburants. En conséquence, des raffineries ferment: il n'y a plus que 8 raffineries en service en France et avec 5 d'entre elles, Total n'est peut-être plus si loin du monopole familier aux DOMs. De Margerie remarque aussi que la réduction des émissions de gaz à effet de serre va s'accompagner nécessairement de la continuation de cette tendance et que, depuis de longues années, les politiques prêchent en faveur des économies d'énergie. Tout irait pour le mieux si ces mêmes politiques ne faisaient pas bruyamment savoir qu'ils étaient contre les fermetures de raffineries: le dirigeant de Total cite même le cas d'une militante écologiste lui ayant reproché la fermeture de la raffinerie de Dunkerque. De fait, on demande à Total de moins produire et de moins vendre mais aussi d'employer plus de monde.

Tout ceci serait très drôle si ce n'était pas si répandu dans le discours public. Ainsi, on entend dire qu'on veut moins d'émissions de gaz à effet de serre mais aussi moins de nucléaire, qu'on veut plus de téléphonie mobile et moins d'antennes relais, moins de concurrence et des prix abordables, de l'innovation dans les semences mais pas d'OGMs, de l'innovation en général mais pas de risques ni de personnes dérangées. La liste est pratiquement sans fin des demandes contradictoires qui sont adressées aux citoyens. On pourrait dire qu'il s'agit de rechercher en fait un compromis, mais on ne peut que constater que dans de nombreux domaines, la voie est barrée par des interdictions. En procédant de la sorte, les politiques espèrent contenter le maximum de monde en ne vexant personne; mais on ne peut que constater qu'en fin de compte ils ne font que vexer ceux qui ne comprennent pas qu'on leur demande une chose et son contraire.