Greenpeace et des organisations aux idéologies similaires ont publié dernièrement une lettre ouverte appelant le futur président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, à ne pas nommer un nouveau conseiller principal sur les questions scientifiques, création de son prédécesseur, José-Manuel Barroso. Une organisation «rationaliste», Sense About Science, a publié peu après une lettre ouverte en sens opposé, demandant le maintien du poste. Suite à la publication de la lettre, Greenpeace a été accusée d'être une organisation anti-science et s'est alors fendu d'une réponse. Pour ma part, je pense cet épisode ne montre aucunement que Greenpeace soit anti-science, mais qu'elle considère la science comme un outil comme un autre pour parvenir à ses fins: imposer son idéologie dans les décisions politiques.

Pour commencer, le motif de la lettre de Greenpeace est clair: Anne Glover a déplu par ses déclarations sur les OGMs. Même si elle n'a fait que reprendre les conclusions de rapports publiés par l'UE ou des académies des sciences européennes, voire américaines , etc., cela ne peut aller qu'à l'encontre des positions des associations environnementales qui font campagne depuis bientôt 20 ans contre les plantes génétiquement modifiées. Les autres arguments sont creux: aucun conseiller de Barroso ne doit publier l'ensemble des demandes d'avis qu'il a reçues ou les notes qu'il a envoyé en retour. La seule obligation en la matière pour les conseillers est de rendre des comptes sur la compétence et l'honnêteté a priori. L'existence de la déclaration d'intérêts d'Anne Glover n'a d'ailleurs pas empêché les accusations diffamatoires à son encontre.

Cependant, que Greenpeace et les autres signataires veulent remplacer quelqu'un qui leur a déplu malgré avoir rempli fidèlement sa mission de dire où se situait le consensus scientifique ne veut pas dire qu'ils sont «anti-science». En fait, pour de telles organisations, l'important est de faire triompher leur idéologie: elles ne sont pas basées sur le désir de répandre le savoir et les découvertes scientifiques mais sur la volonté des membres d'infléchir le cours des choses sur les thèmes qui leur sont chers. Dans ce cadre, la science est un outil comme un autre, qui peut se révéler fort utile comme il peut nuire. Quand la science apporte des éléments favorables à la position d'une telle association, elle s'en prévaut; si au contraire, la science tend à la contredire, il faut l'ignorer, éviter que ça ne s'ébruite, voire continuer à susciter des résultats inverses pour faire croire à la continuation d'un controverse. Cela apparaît dans les justifications de Greenpeace: ainsi se prévalent-ils de preuves accablantes sur le sujet du réchauffement climatique, mais seulement de préoccupations sur les OGMs et pour cause: on l'a vu le consensus scientifique sur la question est l'exact contraire.

Ce qui peut étonner, c'est la place centrale que semble donner Greenpeace dans son action à la science: Greenpeace cherche souvent à se prévaloir de résultats scientifiques. C'est sans doute lié à l'histoire du mouvement écologiste, fondé par des gens éduqués et déterminés, mais peu nombreux. Leur stratégie a toujours été la même: se prévaloir d'une supériorité morale permettant de recourir à des actions directes et un discours émotionnel mais, en parallèle, recourir à des arguments d'apparence scientifique pour tenir aussi un discours apparemment raisonnable. L'idéologie de Greenpeace n'est pas de promouvoir un gouvernement basé sur des conclusions scientifiques, mais plus prosaïquement, c'est l'opposition au nucléaire, à l'agriculture industrielle et plus généralement, la conviction que l'industrie en général est nuisible. Les tenants de ces techniques et de l'industrie ont souvent un discours technique ou basé sur des prémisses scientifiques, le discours de Greenpeace est donc aussi une réponse à ce fait et dénote une volonté de ne laisser aucun argument sans réponse.

Le succès de cette organisation est aussi une grande illustration des réalités de la politique. Car voilà une organisation qui ne fait que prêcher des valeurs positives comme la paix, l'humanité mais qui n'hésite pas à faire le contraire. Voilà une organisation officiellement non violente qui n'hésite à approuver des destructions de cultures ou l'abordage de navires. Une organisation qui prône l'amélioration des conditions de vie des pauvres s'oppose au riz doré, une potentielle solution à la déficience en vitamine A dans les régions pauvres de l'Asie. On pourrait multiplier les exemples à l'infini, mais Greenpeace est remarquable par sa capacité à ne rien dire qui ne respire la bienveillance, l'intégrité et l'humanisme tout en pouvant démontrer les qualités exactement contraires sans que trop de plaintes ne s'élèvent. En fait, c'est là le lobby rêvé: bénéficiant d'une présomption d'honnêteté irréfragable, maîtrisant un langage respirant la bonté — cette lettre ne fait pas exception — mais capable de déployer les qualités exactement inverses pour parvenir à ses fins sans que cela lui nuise. Ce sont des qualités indispensables en politique, mais on est là très éloigné de la science qui, au fond, n'est qu'un outil comme un autre pour imposer une idéologie.