Faut-il prendre au sérieux les objectifs de la loi sur l'énergie de cette année?
Par proteos le 5 octobre 2014, 22:18 - Énergie - Lien permanent
Pour continuer cette série de billets sur la loi sur l'énergie actuellement en discussion au Parlement, je vais aborder dans ce billet les objectifs prévus par l'article 1 de la loi. Ces objectifs sont censés déterminer la politique énergétique suivie par la France ces prochaines années. Malheureusement, ils me semblent impropres à pouvoir engendrer une politique cohérente. D'une part parce qu'ils me paraissent irréalistes, mais aussi parce qu'ils semblent avoir été écrit à la va-vite, effet renforcé après la passage en commission parlementaire du texte.
Les modifications verbeuses et contradictoires des parlementaires
Il peut d'abord être utile de comparer la version originelle du projet de loi et celle qui est sortie de la commission ad hoc. On peut constater que la version du gouvernement contient 4 objectifs pour le futur article L. 100-1, 6 pour le L. 100-2 et 5 pour le L.100-4. Au sortir de la commission, il y a 7 objectifs pour le L. 100-1, 8 pour le L. 100-2 et 7 pour le L. 100-4. Plus on ajoute d'objectifs, moins il est difficile de justifier qu'une politique corresponds aux buts énoncés: à force d'en ajouter, il devient possible de justifier à peu près toutes les politiques possibles, à charge pour le gouvernement de choisir les objectifs qu'il veut atteindre parmi ceux qui se contredisent.
Par ailleurs, certains de ces ajouts n'apportent rien ou presque, voire se contredisent entre eux. Ainsi pour le futur L. 100-1, les parlementaires ont jugé bon de donner 3 objectifs quasiment équivalents:
(…)
« 3° Maintient un coût de l’énergie compétitif ;
« 4° (Supprimé)
« 5° Garantit la cohésion sociale et territoriale en assurant l’accès de tous à l’énergie sans coût excessif au regard des ressources des ménages ;
« 6° (nouveau) Lutte contre la précarité énergétique ; (…)
On ne peut pas dire qu'il y ait une grande différence entre un coût compétitif
, la lutte contre la précarité énergétique
et l'énergie sans coût excessif au regard des ressources des ménages
: ces 3 objectifs ont les mêmes conséquences pratiques et il doit bien être possible d'en proposer une synthèse claire, en gardant le seul 3° — qui existe déjà dans la version actuelle — ou par exemple en écrivant: Maintient un coût de l’énergie compétitif et abordable pour tous sur l'ensemble du territoire de la République
.
Mais ce n'est pas tout: pour le futur L. 100-2, ils ont fait ajouter la phrase Procéder à l’augmentation progressive de la contribution climat-énergie, qui (sic), dans la perspective d’une division par quatre des gaz à effet de serre
qui semble contradictoire avec les dispositions qu'ils ont fait ajouter juste avant!
Les objectifs chiffrés ont-ils été bien énoncés
Le futur article L. 100-4 porte les objectifs chiffrés. Certains des chiffres proviennent d'engagements européens déjà pris ou en passe de l'être. C'est le cas des 23% d'énergie renouvelables dans la consommation finale en 2020 et de la baisse de 40% des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030. D'autres comme la baisse de la consommation d'énergie finale de 50% d'ici à 2050 ou la baisse de la part du nucléaire à 50% dans la production d'électricité relèvent des choix du gouvernement actuel.
J'ai déjà parlé l'an dernier, en mal, de la division par 2 de la consommation d'énergie finale d'ici à 2050, lorsque François Hollande avait annoncé cet objectif. Pour revenir aux arguments chiffrés, il faut remarquer que l'objectif fixé en Allemagne est une baisse de seulement 40%, pour une population attendue en baisse de 10%, alors qu'en France, on attend une population en hausse de 10%. L'effort est donc extrêmement conséquent et inédit. Les chances sont fortes que l'activité économique soit fortement impactée. Il se trouve que la loi donne un objectif complémentaire: le rythme de baisse de l'intensité énergétique finale à atteindre en 2030, 2.5%/an. L'intensité énergétique est la quantité d'énergie consommée — corrigée des conditions météo — rapportée au PIB, c'est donc une mesure d'efficacité. Or, il se trouve que la division par 2 de la consommation finale d'énergie implique un rythme de baisse moyen de 1.8% par an. Ce qui veut dire que le gouvernement se fixe grosso modo comme objectif une croissance moyenne de 0.7% par an d'ici à 2050. Je ne suis pas convaincu que ce soit le message que veuille faire passer le gouvernement!
Mais il s'avère aussi que l'objectif de rythme annuel de baisse de l'intensité énergétique est pratiquement hors d'atteinte: en dehors des pays ayant traversé une grave dépression et les anciens pays du bloc communiste, je ne sais pas si on peut trouver des exemples. On peut même voir qu'en France, le rythme de baisse de l'intensité énergétique finale est à peu près constant depuis au moins 30 ans à environ -1.1% par an, comme on peut le voir ci-dessous: Les statisticiens du ministère de l'énergie indiquent dans le bilan énergétique annuel (p103) que le rythme depuis 2005 est de -1.3% par an. On voit donc qu'il faudrait qu'une modification rapide et fondamentale de la société française se produise et que les fondements de l'activité économique changent du tout au tout. Des gains de productivité inédits devraient se produire pendant une longue durée!
D'autre part, si le gouvernement entend réduire le chômage, une croissance de l'ordre de 1.5% par an est nécessaire. Cela rend aussi plus facile d'équilibrer les comptes de l'assurance maladie, des caisses de retraite, etc. Bref, s'il veut tenir ces autres engagements qui me semblent nécessaires à la paix civile dans notre pays et très conformes aux demandes des citoyens, c'est un rythme de gains d'efficacité énergétique de l'ordre de 3.5%/an pendant 30 ans qu'il faut viser. En attendant, si la tendance actuelle se poursuit, le gouvernement s'est donné pour objectif une récession moyenne de 0.5% du PIB par an pendant plus de 30 ans. Avis aux amateurs!
Une nouvelle fois, la source ultime de cet engagement est connue: diviser par 2 la consommation finale d'énergie est à peu près la seule façon d'espérer se passer de nucléaire sans augmenter les émission de CO₂. Tous les scénarios écologistes sont bâtis sur cette hypothèse, mais même ainsi, se passer de nucléaire relève de l'exploit. Mais au final, on voit bien qu'aucun gouvernement véritablement sain d'esprit ne s'engagera dans une telle politique. La tendance est claire: si on veut réellement diviser la consommation d'énergie par 2 d'ici à 2050, c'est une dépression de 30 ans qui est prévisible. Même avec un objectif très optimiste de gains d'efficacité, la croissance restera très faible. Il se passera donc avec ces objectifs ce qui s'est passé partout dans le monde face à ce type d'engagement intenable: il sera abandonné lorsqu'il deviendra trop voyant qu'on ne peut pas l'atteindre. Il reste toutefois qu'il devient difficile de prendre au sérieux aucun des objectifs mentionnés dans cette loi quand on voit que le gouvernement fixe un objectif de croissance de 0.7%/an à rebours de tout ce qu'il promet par ailleurs! Mais cela n'empêchera pas dans l'intervalle de prendre des décisions néfastes sur cette base…
Commentaires
La lecture des débats à l'Assemblée est assez déprimante. L'opposition est en-dessous de tout (cf l'épisode "madame le président" monté en épingle par tout le groupe).
@ JMU
Apparemment, c'est même pire que cela. Selon un article du Monde, l'UMP a carrément organisé l'impossibilité de débattre du fond du projet de loi : de l'ordre de 5000 amendements ont été déposés, avec une multiplication des amendements identiques défendus par des députés différents (chacun disposant de son propre temps de parole pour le défendre, alors que la durée totale des débats pour discuter de tout le projet de loi est plafonnée).
JMU,
en effet, l'attitude de l'opposition est assez déprimante, mais en même temps, je suis bien obligé de constater qu'elle est assez rationnelle. Comme le rappelle HollyDays, l'étude du texte était en temps programmé, donc les débats avaient a priori une durée maximale. Il semble que la borne menait à ce samedi matin à 6h45. Dans le même temps, en comptant les articles additionnels créés par le débat parlementaire, on doit arriver facilement à 80 articles, sachant que le projet originel en comptait 64 et s'étalait sur 68 pages (edit: le texte voté s'étale sur 173 pages: base de comparaison ALUR, la loi la plus longue de la Ve République fait 328 pages) . Si on considère que c'étaient là des questions sérieuses, du temps en plus était nécessaire.
Par ailleurs, l'article du Monde montre bien qu'il n'était question que de discuter des modalités de décisions prises par ailleurs, d'objectifs extrêmement contestables et de conceptions parfois philosophiques du monde qu'il fallait prendre pour argent comptant. Quand l'article du Monde aborde l'obsolescence programmée, il le fait au 1er degré, alors que c'est un mythe complet. Au fond, si vous êtes contre la baisse du nucléaire et les objectifs de l'article 1 de cette loi, à quoi bon une discussion constructive? L'obstruction est bien mieux représentative de ce que vous pensez: il n'y avait aucune de chance réaliste d'établir une majorité pour rejeter ces éléments … sauf peut-être intervenir comme des filous à la fin des débats au petit matin pour le vote général et faire rejeter le texte entier.
J'aurais donc mal compris les règles du temps programmé ? Je croyais que chaque groupe dispose de son temps de parole comme il le souhaite, par conséquent au lieu de mitrailler sur l'article 1 pour ensuite pouvoir claquer la porte en râlant que le temps programmé est une invention du diable, il aurait mieux valu économiser le temps pour taper dans le gras du texte. (Enfin, d'un point de vue politique, la solution choisie est peut-être meilleure...)
Ceci est un exemple d'intervention constructive, même si l'amendement est voué à finir à la poubelle. Ceci, beaucoup moins.
Evidemment, si le temps programmé comprend une date limite de fin des débats, ça change les choses puisqu'on risque de se retrouver à l'heure H avant d'avoir ouvert la bouche.
JMU,
la somme du temps disponible pour chaque groupe donne une borne supérieure à la durée totale des débats. Dans le pire des cas, le gouvernement est seul à s'exprimer à la fin. Chaque groupe a beau pouvoir utiliser son temps comme il le souhaite, ça n'y change pas grand chose.
Économiser du temps pour être constructif n'a d'intérêt que si on est d'accord avec les prémisses et les principes généraux. Être véritablement constructif n'a d'intérêt que s'il y a un minimum d'accord sur la voie à suivre ou le but à atteindre. À l'évidence, ce n'est pas le cas! Le député Aubert a visiblement été dépêché pour dire n'importe quoi et faire de la stricte obstruction. C'est regrettable, il ne devait pas être bien difficile de faire mieux. Une des raisons devait sans doute être le désir à l'UMP de pouvoir faire de l'obstruction mais en même temps être en circonscription le samedi matin au plus tard, ce qui n'a rien de bien glorieux.
"cela gèle la propriété d’EDF sur l’intégralité du parc, et que cela introduit un biais : si un concurrent voulait exploiter une nouvelle centrale, il serait obligé de demander la fermeture d’une autre. Au regard du droit européen, on peut quand même s’interroger sur ce point"
Peuvent même plus dire qu'ils n'ont pas été prévenus !
Par ailleurs, quand on regarde le texte de loi, il est très facile de renoncer aux objectifs, la paragraphe II prévoit qu'un rapport qui doit être fait avant 5 ans permettra directement de les réviser. Ce qui est réellement plus contraignant est le seuil du nucléaire, et aussi le fait aussi qu'il faille fermer avant de demander l'autorisation d'ouvrir, or cette autorisation doive être demandée au moins 18 mois avant l'exploitation effective. Est-ce que c'est là pour geler à tout prix le fait de fermer deux réacteurs avant 2017 ? Ou bien un farceur a-t-il glissé une disposition qui permettra de se rendre compte au plus vite pendant l'hiver 2016-2017 des effets négatifs de limiter le nucléaire.
jmdesp,
d'où vient la citation? Google ne m'a pas des masses aidé, mais autant mettre une référence.
Sur les objectifs: ils n'ont de toute façon aucune force contraignante, les surnuméraires seront éliminés quand il sera trop voyant qu'on ne peut les atteindre ou qu'ils sont nuisibles.
Pour le seuil nucléaire, il pose effectivement toutes sortes de problèmes. Déjà dans le même article, il y a un max de nucléaire dans la loi, mais un décret pour régir les émissions maximales. Personnellement, je verrais plus une symétrie entre les 2. Si ça relève du décret, la modification sera très rapide. Les parlementaires UMP devraient essayer ça dans leur probable recours. EDF peut aussi prolonger les essais à Flammanville un certain temps, histoire de voir si une nouvelle majorité n'arriverait pas au pouvoir avec d'autres intentions.
Je n'ai pas non plus la même lecture que vous sur le fait qu'il faille fermer avant de demander à ouvrir: seule l'autorisation ne peut être délivrée si la puissance dépasse un certain seuil. La demande peut se faire quand même.
C'est juste après le premier exemple d'intervention constructive cité par JMU.
Effectivement en relisant bien, il y a d'un coté la demande et de l'autre l'autorisation, donc c'est juste l'autorisation qui va devoir attendre la fermeture. Ça met une grosse pression politique sur EDF en fin 2016/début 2017. Il y a aussi le fait que le décret d'autorisation de création prévoyait 10 ans pour charger le combustible qui expirent le 17 avril 2017, avant l'élection. Je ne vois pas ici si l'autorisation de charger le combustible est directement liée à celle d'exploiter. 3 étapes, charger le combustible, diverger, puis exploiter commercialement en injectant du courant dans le réseau, elles ne sont pas directement équivalentes.