Le 15 octobre dernier, Philippe de Ladoucette, le président de la CRE était entendu par la commission d'enquête sur les tarifs de l'électricité à l'Assemblée Nationale (retranscription, vidéo). À l'occasion, la CRE rendait public deux rapports, l'un sur les tarifs régulés d'EDF et un autre sur les perspectives de la CSPE. Ce billet est consacré au rapport sur la CSPE. La CSPE est une taxe un peu fourre-tout qui sert à la fois à financer les tarifs sociaux de l'électricité, la péréquation avec les îles sous administration française (Corse, DOMs, etc.) ainsi que les tarifs de rachats divers dont ceux des énergies renouvelables. L'élément le plus remarquable de ce rapport sur la CSPE est qu'il la voit passer de 16.5€/MWh cette année à 30.2€/MWh en 2025. CSPE_2003-2025.jpg

La situation présente

Ces dernières années, avec notamment la forte hausse du prix du pétrole et la bulle du photovoltaïque en 2010, les charges à couvrir ont fortement augmenté, ce qui a provoqué l'apparition d'un déficit de plus de 4G€ qu'il va falloir résorber. Cette année, avec 16.5€/MWh, la taxe couvre les charges courantes prévues à 6.2G€. L'année prochaine, le stock de dette devrait commencer à se résorber, la CSPE étant augmentée plus vite que les charges courantes. Elle atteindra 19.5€/MWh pour des charges courantes de 17.7€/MWh. Aujourd'hui, plus de 60% des charges relèvent des énergies renouvelables et un gros quart de la péréquation, les tarifs sociaux n'en représentent que 5% environ.

La hausse des prix du pétrole a eu un impact sur le coût de la péréquation: dans les îles, les centrales sont bien souvent des centrales au fioul. De ce fait, le coût de la péréquation atteint environ 1.9G€ en 2014, en incluant les EnR de ces régions. Le plus gros poste relève des tarifs de rachats de toute sortes et aux prix les plus divers, de la cogénération — à base de combustibles fossiles… — au solaire photovoltaïque qui représentent 3.5G€ cette année pour les installations métropolitaines. Le solaire photovoltaïque de métropole absorbe à lui seul 2.1G€ de subventions. Avec 14% de la production éligible aux tarifs de rachat, ce dernier capture à lui seul 62% des subventions! L'explication de cette situation est que les subventions sont accordées sur la base des coûts de chaque type d'énergie subventionnée, sans vraiment prendre en compte l'utilité de chacune. Cette situation paraît amenée à perdurer comme le montrent les prévisions de la CRE.

La situation future

La CRE prévoit une forte hausse de la CSPE, marquée dans un premier temps par une hausse rapide dans les 3 années qui viennent pour combler la dette accumulée, puis par la mise en service de nouvelles installations. Elle devrait atteindre 10.6G€ annuels en 2025, soit une taxe de 30.2€/MWh. La trajectoire prévue figure sur le graphe ci-dessous. evolution_unitaire_2013-2025.jpg

Comme la dette accumulée va être résorbée dans les quelques années qui viennent, la hausse de la taxe unitaire s'explique par la hausse des charges courantes. Comme les tarifs sociaux restent une petite partie du coût, les raisons sont à trouver dans les 2 gros contributeurs actuels: la péréquation et les tarifs de rachat. Le coût de la péréquation passe de 1.7G€ à 2.5G€ (Figure 81 p112) soit une augmentation de 50%. La plus grosse part de l'augmentation est donc causée par l'autre poste important, les tarifs de rachat qui passent de 3.5G€ en 2014 à environ 8G€ en 2025: ils font plus que doubler. evolution_EnR_2013-2025.jpg L'essentiel des subventions va à 2 technologies en 2025: le solaire PV et l'éolien en mer. À eux deux, ils capturent 5G€ sur 8G€ de subventions. Un constat s'impose: aux conséquences de la bulle du photovoltaïque vont se superposer les conséquences des appels d'offres sur l'éolien en mer qui se sont soldés par des tarifs extrêmement onéreux, puisqu'à l'horizon 2020, l'indexation amènera le prix à 220€/MWh environ. Avec 2.1G€ annuels de subventions dédiés aux contrats photovoltaïques signés avant 2013 et qui courent sur 20 ans de production, leur coût total s'élève à 42G€. Pour l'éolien en mer, la CRE prévoit sur la durée de vie des contrats actuellement passés 38G€ de subventions (p5). On voit que ce sont des sommes du même ordre. On peut conclure que la politique menée pour soutenir le secteur des énergies renouvelables électrique ne tient absolument pas compte du coût pour le consommateur.

60% des subventions en 2025 iront à des contrats mis en œuvre après 2013, ce qui montre que la bulle photovoltaïque de 2009-2010 ne sera certainement pas la seule responsable de la forte hausse de la taxe. Les estimations de la CRE conduisent peu ou prou à un chiffres d'affaires des secteurs sous obligation d'achat de 15G€/an pour une production d'environ 85TWh, soit environ 15% de la production d'électricité française. Si EDF obtient les 55€/MWh qu'il demande pour son parc nucléaire dans le futur, le chiffres d'affaires du parc nucléaire sera d'environ 25G€ pour plus de 400TWh de production. Une nouvelle fois, on voit que les coûts des EnR sont loin d'être maîtrisés!

Par ailleurs, durant son audition, le président de la CRE a précisé que ses prévisions étaient conservatrices. En effet, les calculs ont été effectués en prenant des hypothèses qui tendent à minimiser les subventions versées:

  1. La CRE prévoit une hausse du prix spot de l'électricité. Or, comme je l'avais constaté, plus il y a d'énergies subventionnées, plus les cours ont tendance à baisser. Cependant, cet effet est assez faible: une erreur de 10€/MWh (soit environ 20%) sur le prix de gros entraîne une variation de 700M€ des charges. Cela montre une fois de plus que l'essentiel des surcoûts ne vient pas des volumes produits mais des contrats signés en faveur de technologies très loin d'être compétitives
  2. Pas de renouvellement de contrat à terme quand ce n'est pas prévu par la réglementation actuelle. Cela vaut surtout pour l'éolien. Au vu de ce qui se passe aujourd'hui avec le petit hydraulique et la cogénération, la prudence est de mise, même si une nouvelle fois, l'impact devrait être faible, étant donné que l'éolien terrestre fait partie des EnR les moins chères.
  3. Elle prévoit aussi que les installation suivent la programmation effectuée suite au Grenelle de l'Environnement, en l'adaptant suivant ce qui s'est passé depuis et en abaissant les objectifs. C'est ainsi que l'essentiel des capacités nouvelles d'ici 2025 proviennent de l’éolien terrestre, que la progression du photovoltaïque est limitée et qu'il n'y a pas de nouvel appel d'offres pour l'éolien en mer. C'est pratiquement le cas le plus favorable au consommateur.
  4. Cette hypothèse est rendue encore plus optimiste par les projets du gouvernement actuel qui tient absolument à faire baisser la part du nucléaire dans la production d'électricité et à augmenter la part des renouvelables. En tenant compte de la production hydraulique actuelle, cela voudrait dire qu'en 2025, la part de la production électriques provenant des EnR subventionnées serait de 25 à 30%, soit à peu près de 2 fois plus que ce que prévoit la CRE. Même si on ne croit pas ce que raconte le gouvernement, cela va créer une pression à la hausse car pour paraître atteindre les nouveaux objectifs, il va sans doute falloir relever les tarifs de rachat et lancer d'autres appels d'offres particulièrement onéreux.

Quelques conclusions

Il est aussi intéressant qu'aucune des modalités de soutien ne trouve grâce aux yeux de la CRE (voir p3 et suivantes). On comprend qu'à chaque fois, les tarifs lui paraissent en tout ou partie trop élevés par rapport aux bénéfices attendus et aux coûts réels de chaque technologie.

Face à une telle augmentation, il n'est pas très étonnant que cette taxe bien visible par les consommateurs-électeurs devienne un sujet digne d'intérêt pour les parlementaires. Même si le sujet de l'augmentation de cette taxe est peu abordé dans les médias, les plaintes des électeurs au sujet de leur facture doivent remonter auprès des politiques. Quand de l'autre côté les prévisions annoncent une hausse importante de la taxe, la question de l'assiette de la taxe surgit à nouveau. Il faut dire que le but officiel est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais comme le gaz, par exemple, est exonéré, on voit que plus il y a d'énergies renouvelables dans la production électrique française, plus elle est taxée et plus il est en fait intéressant de se tourner vers le gaz et donc d'émettre du CO₂. Comme les coûts évalués par la CRE relèvent essentiellement de contrats déjà actés, si le gouvernement veut éviter la grogne des consommateurs d'électricité, il ne lui reste guère que l'option d'étaler les coûts sur d'autres consommateurs, comme les consommateurs de fioul et de gaz, qui à leur tour grogneront. Il n'y a donc pas vraiment d'issue favorable possible sur cette question!

Enfin, la question des bénéfices à retirer des énergies renouvelables n'est jamais ou presque abordée. Cela nécessiterait de comparer à des alternatives — par exemple, remplacer les quelques centrales à charbon françaises qui resteront après 2015 par des centrales au gaz coûterait certainement moins cher à la tonne CO₂ évitée. Les énergies renouvelables électriques sont devenues dans le débat public des buts en elles-même. Pas étonnant dans ces conditions que la distribution des subventions montre un grand laisser-aller.