Repli sur soi de la France
Par proteos le 7 septembre 2015, 21:07 - Politique - Lien permanent
Depuis 2011, la guerre civile fait rage en Syrie et en Libye. Depuis 2014, une créature de la guerre civile syrienne, Daesh, s'est répandue en territoire irakien. Rien que pour la seule Syrie, la lecture du chapeau de la notice wikipedia nous apprend qu'il y a 11 millions de déplacés, soit à peu près la moitié de la population estimée avant la guerre. Fuyant les destruction, la brutalité des combats et des différentes force en présence, il y a bien sûr de nombreux réfugiés qui ont quitté le pays, d'abord pour les états voisins. Des camps y ont été installés. Mais comme la guerre dure depuis 4 ans et demi, l'espoir d'une solution quelconque au conflit semble toujours lointaine, l'afflux de réfugiés continue. De plus en plus de ces réfugiés cherchent donc des solutions définitives, plus loin de leur pays d'origine, vers des pays où ils espèrent pouvoir vivre en paix. Cela les amène naturellement à vouloir venir en Europe et particulièrement dans les pays les plus riches, en Europe de l'Ouest, où la paix civile règne, quoiqu'on puisse en penser, depuis 70 ans. Et c'est ainsi que les demandes d'asile sont en forte augmentation depuis 2011.
Quant aux demandes acceptées, on peut voir l'évolution sur les 2 graphes ci-dessous. La Suède ne figure pas sur le 2e graphe, du fait du grand nombre de demandes acceptées par rapport à la population: près de 3000 demandes acceptées par million d'habitant. Pour mémoire et permettre une comparaison, l'accroissement naturel de la population française est d'environ 0.4% soit 4000 par million d'habitants. The Economist propose aussi un graphe plus complet. On peut y constater que la France est le troisième pays qui accepte le moins facilement d'accorder l'asile, après la Hongrie, dirigée par un parti flirtant avec l'extrême-droite, et la Grèce, dont on connaît les difficultés actuelles.
Ces graphes semblent indiquer quelque chose d'assez logique: bien loin d'être le résultat d'un accroissement de la misère dans le monde, l'afflux actuel d'immigrants est dû aux guerres civiles et aux réfugiés qu'elles engendrent. Cela semble confirmé par les chiffres de l'ONU.
Pendant ce temps-là en France, la rhétorique des partis classiques se sert toujours des immigrants économiques — ou de ceux qui voudraient vivre des aides sociales — pour refuser autant que faire se peut d’accueillir ces réfugiés. La semaine dernière sur Europe 1, Laurent Fabius a disserté sur la nécessité de ne pas accueillir les migrants économiques. Ce dimanche, Alain Juppé a fait de même en rajoutant un agrandissement de la liste des «pays sûrs», cette fiction légale qui permet de déclarer sûrs des pays qui n'en sont pas vraiment. Cette semaine, j'ai pu entendre Christian Estrosi qui demandait peu ou prou qu'on coule à peu près tous les navires en dehors de l'Union Européenne poru éviter qu'ils ne servent aux passeurs tout en proclamant, bien sûr, son attachement au droit d'asile. François Hollande a finalement accepté le principe de quotas de réfugiés, qu'il refusait jusque là, mais c'est après la publication de la photo d'un enfant mort sur une plage.
Il faut dire que nos dirigeants sont assez représentatifs de la position moyenne des Français. La semaine dernière, un sondage rapportait que 56% étaient opposés à l’accueil des réfugiés. Ce dimanche, un autre sondage donnait à peu près les mêmes proportions. En prime, on voyait que les personnes interrogées affirmaient que la France était aussi voire plus accueillante que l'Allemagne! Comme on vient de le voir et même sans prendre en compte les évènement récents, ce n'est absolument pas le cas et la France est nettement plus restrictive. Cette perception est favorisée par les dirigeants qui ne manquent pas de jouer sur «la France, pays des Droits de l'Homme», mais en même temps, les dirigeants continuent à le dire sans doute parce qu'ils savent que ce préjugé de la France très accueillante est bien ancré dans la population.
L'impression qui se dégage est que les politiques modérés ont disparu, préfèrent se taire ou suivre la rhétorique dominante sur la question. Au fond, il semble quand même bien que les Français soient de plus en plus hostiles à l'immigration et c'est pour ça que des discours plus violents se rencontrent plus souvent de nos jours: il ne me semble pas que dans les années 90, un dirigeant de haut niveau au RPR ou à l'UDF aurait appelé à couler des bateaux. De la même façon, il semble bien qu'être opposé à l'immigration est un plus pour obtenir des voix de nos jours: on a donc de plus en plus d'élus clairement opposés à l'accueil d'étrangers en France, quelle qu'en puisse être la raison et quelle que puisse être la situation internationale, guerres civiles ou pas. C'est malheureusement cohérent avec un repli sur soi de la population française et avec une disparition progressive des discours rationnels dans la vie publique. Ce n'est pas un secret que ce blog se lamente régulièrement sur le manque de prise des arguments raisonnables sur des questions diverses comme les OGMs ou le nucléaire. Là encore, on a un exemple similaire: en dépit d'indices très concordants, il semble bien que les Français soient imperméables pour une bonne part à un discours de vérité qui lie l'arrivée actuelle d'étranger aux guerres civiles qui s'éternisent au Proche-Orient. Malheureusement, on pourrait être engagé dans une sorte de cercle vicieux, où un sentiment de déclin fait préférer des positions plus extrêmes et moins basées sur l'analyse des faits, ce qui n'aboutit qu'à des échecs et à une perpétuation du sentiment de déclin.
Commentaires
une disparition progressive des discours rationnels dans la vie publique
Oui, encore que je ne suis pas sur que cela ait été "mieux avant" sur cet aspect
mais on a clairement, aux extrêmes, des partis qui jouent sur l'émotion et sur des préjugés qu'ils contribuent à diffuser : je pense ici aussi bien aux Verts qu'au FN ou au Front de gauche , sur des sujets différents
Je pense que si on veut lutter contre ces dérives, il faut changer de méthode et aussi passer à la vitesse supérieure. Cela devient urgent
Je ne sais pas si ça a été tellement mieux avant, mais au moins sur certains sujets, on ne peut que noter des discours de plus en plus brutaux. Le cas de l'immigration et de l'accueil des réfugiés en fait partie. Sans avoir vérifié, que des hommes politiques de droite dite classique parlent de couler des bateaux me semble être une nouveauté, au moins pour ces 40 dernières années. Ce n'est pas le genre de chose qui soit apte à régler le problème: c'est un discours d'une grande brutalité et irrationnel.
Le problème me semble être de plusieurs ordres qui sont dépendants les uns des autres:
Trouver une bonne méthode pour lutter contre ces discours est bien difficile, car il faut formatter un message destiné à contrer l'émotion dans les médias. Il doit être court et percutant, ce que les propos basés sur l'émotion arrivent à faire plus facilement.
Je ne partage pas l'opinion selon laquelle le refus de l'immigration serait un discours irrationnel. Même si je peux tout à fait comprendre des arguments humanitaires ou économiques (mais qui doivent alors être discutés et non assénés comme on le fait parfois soit à gauche, soit dans les milieux patronaux), je trouve tout à fait "rationnel" que des pays soumis à des tensions sur le marché de l'emploi (euphémisme pour évoquer nos millions de chômeurs), du logement, des comptes publics ou encore de la sécurité, préfèrent limiter drastiquement toute forme d'immigration - comme c'est (trop peu) le cas de la France ou plus nettement du Danemark.
La légitimité individuelle de chaque migrant peut être en contradiction avec la légitimité collective de pays qui peuvent vouloir conserver une identité culturelle.
Pourquoi donc vouloir faire de ceux qui ne pensent pas comme les élites des déviants irrationnels ? Cela participe de ce que j'ai appelé dans un billet "l'effort pour rendre l'autre fou".
Bonjour,
Commençons par la fin: ce n'est pas parce qu'on a un comportement irrationnel qu'on est un «déviant». Par exemple, il y a beaucoup de joueurs au Loto (ou maintenant à Euromillions). Pourtant, il est bien connu qu'on a toutes les chances de perdre plus qu'on ne peut gagner: sinon, les lotteries ne pourraient en vivre. Il est donc irrationnel d'y jouer puisqu'au lieu de gagner de l'argent, en moyenne, on en perd. Les joueurs ne sont pas pour autant des «déviants». Simplement, appréhender la réalité de façon logique est parfois très difficile, spécialement quand les résultats sont liés à des probabilités. J'aimerais aussi dire combien le renvoi péjoratif à un discours des «élites» est trompeur: bon nombre de gens qui tiennent un discours irrationnel sont très bien éduqués et font partie des fameuses «élites».
Par ailleurs, les discours irrationnels que je dénonçais étaient:
Enfin, j'aimerais préciser que nombre d'études économiques montrent que l'immigration n'a pas d'effet économique néfaste au global.
Bien sûr, personne n'est obligé d'être généreux et on peut refuser d'acceuillir les gens qui fuient les guerres civiles. Cependant, il faut alors cesser aussi de tenir un discours qui sous-entend que la France est un pays généreux en la matière alors que tout montre que c'est faux et de revendiquer cette générosité pour la refuser à ceux qui réclament d'en bénéficier.
Dans l'effort pour rendre l'autre fou, il y a aussi cela, le "mais qu'est-ce qui vous permet de dire que...", le vice dans la pensée au fondement du raisonnement de l'autre. Qu'est-ce qui vous permet de dire que la France est un pays blanc ? Et l'on citera les Antilles françaises depuis Louis XIV... C'est un classique.
Ici, au fond je n'aurais rien compris, je mélangerais les mots et les notions, au risque, pour vous, peut-être de ne pas tout à fait comprendre, de ne pas lire, ce que cet autre qui ne pense pas comme vous s'efforce de vous dire.
Petit conseil : quand on veut se prémunir contre la surdité, on gagne toujours à croire que l'irrationnel, c'est soi-même, que l'autre a sa raison que sa propre irrationalité tente d'annuler. Mais encore faut-il vouloir se prémunir contre la surdité.
Reste, tout de même, un argument. Venir d'Irak, de Syrie, ou le plus souvent de Turquie, fait-il de vous un réfugié de guerre ? de pauvres gens fuyant les persécutions de l'Etat Islamique ?
Venir de Cuba ne faisait pas des Marielitos des "opposants au castrisme"...
Vous me direz peut-être que toutes les études montrent que l'augmentation du trafic de coke en Floride était excellente pour la croissance... ce qui change effectivement tout. Où donc avais-je la tête (irrationnelle) ?
Intéressante critique: vous semblez me reprocher de poser la question «qu'est-ce qui vous permet d'affirmer X?» pour poser plus loin la question «qu'est-ce qui vous permet d'affirmer que les gens qui partent de Syrie fuient la guerre civile?». Pour vous répondre simplement:
Ensuite, je ne parle pas des problèmes raciaux, d'ailleurs, les Syriens ne sont pas spécialement sombres de peau.
Vous parlez aussi de trafic de drogue en Floride et son augmentation. Il reste qu'il n'y a a priori aucune corrélation entre une dictature qui s'est installée à la fin des années 50 et un phénomène qui s'est vraiment manifesté dans les années 80.
Pour finir vous me donnez un conseil: la réponse est qu'il faut vérifier ce qu'on avance à partir des données disponibles. Ce que je fais dans mon post. Alors, vous pouvez bien divaguer contre les élites et les gens qui veulent vous rendre fou parce qu'ils ne veulent pas vous comprendre, mais vous comprendrez que ça ne m'émeuve pas.