La conférence de Paris sur le climat va bientôt s'ouvrir, et on peut se demander ce qui pourra bien en sortir. Dans le précédent billet, j'ai expliqué pourquoi l'objectif officiel des 2°C est intenable: pour le dire simplement, les émissions de CO₂ sont aujourd'hui trop élevées pour que le «reste à émettre» ne soit pas dépassé. Mais cela ne veut pas dire que rien ne peut être fait pour amoindrir les effets du réchauffement climatique. Je suis tout de même très circonspect sur les possibilités d'un changement rapide de tendance: il me semble que les combustibles fossiles seront encore longtemps la principale source d'énergie.

Les engagements d'émissions resteront volontaires

Le paramètre majeur de la lutte du changement climatique est la quantité de gaz à effet de serre qui seront émis au cours des décennies qui viennent. Plus les quantités émises, cumulées sur les décennies, seront importantes, plus l'élévation de température sera grande et plus la probabilité d'évènements catastrophiques augmentera. Dans le meilleur des mondes, les émissions mondiales maximales de gaz à effet de serre seraient l'objet des négociations: le lien étant direct avec l'élévation de température, on pourrait savoir où le curseur de la solution s'est arrêté. Dans le monde réel, la voie praticable est basée sur des engagements seulement volontaires de la part de l'ensemble des pays du monde, limités à l'horizon 2025 ou 2030. C'est un constat qui s'impose après un aperçu rapide de l'histoire des négociations climatiques.

Les USA n'ont jamais ratifié le protocole de Kyoto. D'une part, cela s'inscrit dans une attitude rétive du Congrès américain envers tous les traités contraignants au niveau mondial. Par exemple, les USA n'ont pas ratifié la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer. Ça ne les empêche d'appliquer la dite convention et d'en être de fait les principaux garants, grâce à leur marine, la plus puissante au monde et qui est la seule à être présente partout dans le monde. D'autre part, les Républicains tiennent un langage climatosceptique ou ne comptent pas le réchauffement climatique parmi leurs priorités. En conséquence, ils s'opposent à tout traité contraignant sur les émissions et bloquent de ce fait toute ratification.

Les pays qui ont connu — ou connaissent — une forte croissance économique sont aussi opposés à des limitations imposées de l'extérieur, les voyant comme une entrave à leur développement économique. L'augmentation de leurs émissions n'est pas pour rien dans la difficulté à trouver un accord: en 1997, année de la signature du protocole de Kyoto, la Chine émettait 3Gt de CO₂ via la combustion des combustibles fossiles soit 14% du total mondial, en 2013, c'est passé à 9Gt soit 28% du total mondial (source AIE CO₂ Highlights 2015). Pendant ce temps-là les émissions mondiales sont passées de 22Gt à 32Gt; la totalité de la hausse des émissions sur la période est imputable aux pays hors OCDE.

De toute façon, les pays qui ne respectent pas leurs engagements ne font face à aucune sanction: le Canada s'est ainsi retiré du protocole de Kyoto juste avant que la période contraignante ne commence. Il faut dire que la cible était une baisse de 7% par rapport à 1990, on constate aujourd'hui une hausse de 28%… Beaucoup de pays n'ayant aucun espoir d'atteindre leur cible ont aussi refusé de prolonger pour la période supplémentaire jusqu'en 2020, comme le Japon. On peut donc considérer que l'aspect «contraignant» d'un traité est finalement faible, ce qui rend le désaccord entre Fabius et Kerry d'importance très relative.

La logique d'accord sur une cible mondiale contraignante a naturellement échoué à Copenhague par le rassemblement de toute ces causes. Les engagements ressemblent à des paris publics, les pays qui veulent réellement les tenir peuvent se retrouver les dindons de la farce. Les pays pauvres, qui émettaient déjà plus que les pays riches, ne voulaient pas de contraintes, de même que les États-Unis. Rien qu'avec la Chine et les États-Unis, on trouve là 44% des émissions mondiales: un accord sans ces 2 pays n'a pas grand sens. Les négociations se sont donc rabattues sur ce qui était encore praticable: les engagements volontaires des différents pays.

Les engagements proclamés par les différents pays sont en fait déjà connus, il est inutile d'espérer qu'aucun pays les révise pendant la conférence … et d'ailleurs des révisions importantes ne seraient pas très sérieuses. Une bonne partie des pays inscrits à l'ONU a déposé une contribution, à la suite de l'accord entre les USA et la Chine l'an dernier. Contrairement à la publicité positive du moment, il était déjà clair à l'époque que les pays s'engageaient à faire ce qu'ils avaient déjà décidé de faire, chacun de leur côté, c'est-à-dire pas grand chose d'autre que la prolongation des politiques actuelles. Un bilan de l'ensemble des engagements a été fait par l'UNFCCC, il en ressort principalement les 2 graphes suivants. indcs_2015_consequences.jpg indc_2015_emissions.jpg C'est le défaut de ces engagement non-contraignants: comme il n'y a personne vue comme un arbitre honnête ni ayant le pouvoir de faire respecter les engagements, la logique de la tragédie des communs joue à plein. Il n'y a pas vraiment de dynamique pour préserver le climat, ni de confiance réciproque, et ce d'autant qu'il n'y a pas de confiance, ni dans la tenue des engagements, ni dans la qualité de la vérification.

Les paramètres techniques

Un des problèmes qui se pose pour qu'un accord soit crédible est la capacité à vérifier son application. En effet, un moyen de respecter les engagements est de ne pas tout compter. Des erreurs dans le décompte des émissions masque aussi la réalité de la situation et donc trompe sur ce qui est possible et les conséquences des éventuels engagements pris. Or il s'avère que dans les pays en développement, la comptabilité des émissions n'est pas fiable: la Chine a ainsi annoncé réévaluer à la hausse sa consommation de charbon de 17% pour les années précédentes. Comme la Chine est le premier émetteur mondial et que la combustion du charbon représente plus de 80% de ses émissions, on voit que ce n'est pas une question mineure. Le problème est évidemment que mieux contrôler demande des moyens et risque de faire paraître certains pays sous un jour peu favorable. Les pays en développement, qui sont a priori les plus concernés par une sous-évaluation des émissions, y sont a priori peu favorables. Cependant, il me semble qu'il y a des chances d'amélioration sur ces points très techniques.

Ce qui a peu de chances de se réaliser sur ce point est plutôt un comptage plus sain des émissions dues à la «biomasse», essentiellement sur le bois. Les politiques favorisant la production d'énergie renouvelable sont des politiques qui encouragent l'utilisation du bois. À petite échelle, l'utilisation du bois est sans doute neutre sur le plan des émissions de CO₂. À grande échelle, c'est nettement plus douteux: cela implique de couper des arbres et donc un fort risque de contribuer à la déforestation. Cette dernière n'est pas incluse dans les statistiques énergétiques et donc pas incluse dans les classements généralement publiés. De plus, le pays qui brûle le bois n'ajoute rien à ses propres émissions: elles sont en fait ajoutées à celui d'où provient le bois. On voit qu'il y a une différence significative avec les combustibles fossiles où c'est toujours le consommateur qui se voit imputer les émissions. Le minimum serait d'exiger que les pays qui brûlent du bois importé justifient des plantations effectuées, via leurs propres actions, dans les pays exportateurs.

L'argent

Une des promesses faites aux pays pauvres est de les aider à hauteur de 100 milliards de dollars US par an. Un fonds a été créé pour recevoir les dons, principalement des états. Actuellement, les contributions atteignent royalement 10 milliards de dollars. Évidemment, cela ne veut pas dire que l'objectif ne sera pas atteint. En effet, il faut comprendre qu'il ne s'agit pas là uniquement de dons: l'aide au développement française inscrite en lois de finances est de l'ordre de 3G€, faire un don de 1G€ par est donc une réorientation importante de la politique d'aide aux pays pauvres. Le comptage effectué par l'OCDE pointe vers aussi vers les prêts bilatéraux, les prêts des banques de développement ainsi que vers les aides à l'export. En comptant tout ça, on arrive déjà à environ 60G$. Les banques de développement ayant promis de faire plus dernièrement, on devrait arriver au chiffre symbolique.

Pour conclure, inutile d'attendre ce qui serait un accord de long terme sur la question climatique à Paris. Cela supposerait de s'accorder sur une masse d'émissions pour le reste du 21ᵉ siècle ou alors sur un prix du carbone mondial, une méthode pour s'assurer de l'application des dispositions du traité. Cet objectif est totalement hors d'atteinte puisque les états sont logiquement jaloux de leur souveraineté. Il n'y aura donc pas de contrainte, ni réelle, ni écrite sur le papier en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. Par contre, il y a maintenant un grand nombre d'engagements nationaux et sans doute, au moins sur le papier, un mécanisme ne permettant que des objectifs plus ambitieux par pays pour les négociations qui suivront celles de Paris. Le freinage progressif des émissions peut potentiellement s'engager à partir de là. De l'autre côté, on peut espérer qu'il y aura sans doute quelques ajustements bienvenus sur la comptabilité, ce qui permet de dégager la voie pour des accords réellement plus contraignants. Les problèmes financiers sont plus ou moins résolus, ce qui devrait permettre aux pays les plus pauvres de signer.