Il n'est pas très courant de voir pousser une logique philosophique à son terme, et c'est pourquoi il me semble intéressant de lire le billet d'Audrey Garric, journaliste au Monde, a publié sur son blog à propos de l'éradication des moustiques. Chacun sait que ces dernières années, le moustique tigre a agrandi son aire de répartition et a amené avec lui les maladies qui l'accompagnent, la dengue, le chikungunya et le zika. Cette dernière maladie est actuellement l'objet d'une attention particulière car de nombreux cas sont apparus au Brésil — avec comme conséquence de nombreux cas de microcéphalie. Une des voies de lutte contre ces maladies est de chercher à développer des vaccins — qui deviennent potentiellement rentables maintenant que ces maladies touchent nettement plus de monde et que la clientèle est plus solvable. Une autre est aussi de lutter contre le vecteur de la maladie: le moustique. Le paludisme, véhiculé par les anophèles, soulève des questions très similaires et on peut soit chercher un remède contre le parasite responsable, soit lutter contre le vecteur.

Le post donne la parole a des entomologistes qui disent carrément qu'on peut se passer des espèces de moustiques qui véhiculent des maladies, parce qu'ils seront soit remplacés par d'autres espèces de moustiques moins dangereuses pour l'homme, soit remplacés par d'autres types d'insectes. Mais en fin de billet on voit apparaître la raison pour laquelle la question n'est pas évacuée comme impossible: il y a de nouvelles techniques pour essayer de diminuer les populations de moustiques. 3 méthodes sont apparues:

  1. Infecter les anophèles avec une bactérie qui rend impossible la transmission du paludisme.
  2. L'utilisation de moustiques transgéniques mâles dont la descendance meurt au stade larvaire, fabriqués grâce à une technique qui a le vent en poupe.
  3. Utiliser des moustiques transgéniques pour rendre impossible la transmission du paludisme, gêne qui se répand grâce à une variante de la même technique.

La deuxième technique a de très bon taux de succès puisque des tests ont montré une chute de 80% de la population de moustiques tigre. Vu la voie d'action du procédé — par lâcher de moustiques mâles qui iront s'accoupler avec des femelles —, il est peu probable qu'une résistance se développe à court terme contrairement aux insecticides. Ce type de technique a d'ailleurs déjà été utilisé avec succès dans la cas de la lucilie bouchère.

La réponse finalement apportée par Audrey Garric est à mon sens résumée dans la dernière phrase du billet: peut-on supprimer des espèces entières, aussi meurtrières soient-elles, quand les humains eux-mêmes constituent un danger pour la nature dans son ensemble ?. Elle paraît donc essentiellement négative; finalement l'homme n'aurait pas le droit d'éradiquer les moustiques vecteurs de maladies parce qu'il est lui même corrompu et fondamentalement mauvais, car il passe son temps à rompre l'équilibre naturel des choses. L'impression qui se dégage est que l'espèce humaine — enfin, pour l'instant, la partie qui vit sous les tropiques — doit accepter la malédiction que sont les maladies véhiculées par les moustiques un peu comme un châtiment pour les destructions qu'il provoque par son activité. Souvent, la biodiversité est présentée par ses défenseurs comme un but en soi, n'ayant pas besoin d'autre justification, ce qui peut amener à se poser la question de savoir si la défense de la biodiversité s'étend aussi à des organismes clairement nuisibles tels que le virus de variole. La réponse suggérée dans le billet s'approche très près d'une telle affirmation.

Qu'on puisse préférer des espèces nuisibles au bien-être de l'homme me dépasse. Surtout dans le cas où, comme ici, il n'y aura sans doute aucune conséquence notable de la disparition de ces espèces de moustiques dangereuses pour l'homme autre qu'un plus grand bien-être pour ce dernier. Les personnes interrogées sont claires sur ce point: les moustiques dangereux seront remplacés par des insectes remplissant des niches écologiques équivalentes. De plus, aujourd'hui, les maladies véhiculées par les moustiques sont absentes de France métropolitaine, ce qui rend confortable de se poser des questions de la sorte. Pendant ce temps-là, on estime qu'il y a 200 millions de malades, et 600 000 morts par an, du paludisme. Pendant ce temps-là, deux théories du complot se sont développées sur le virus zika: la première incriminait les moustiques transgéniques, l'autre sur un produit de traitement de l'eau visant à tuer les larves de moustique. Dans les 2 cas, on incrimine une solution potentielle contre ces maladies en utilisant des arguments dans la droite ligne de ceux des militants écologistes: dénigrer les OGMs et les insecticides. Remettre le bien-être des hommes au centre des préoccupations serait donc sans doute une meilleure idée, à mon avis.