Le Royaume-Uni a voté pour sortir de l'Union Européenne. Comme cela était prévisible, la campagne a été marquée par des thèmes xénophobes et une certaine violence dans les propos, au point qu'un déséquilibré se soit cru autorisé à assassiner une député partisane de l'Union Européenne. Ce scrutin britannique ne fait que confirmer une tendance où les fondements même de l'Union sont menacés par la désaffection et l'opposition grandissante des citoyens des différents pays qui la compose.

Que la sortie de l'Union l'ait emporté n'est pas totalement une surprise. Le parti conservateur est devenu de plus en plus eurosceptique à partir du départ de Margaret Thatcher, qui a peut-être lancé le mouvement en demandant le fameux rabais britannique. Toujours est-il qu'en 2009, le parti conservateur avait dérivé suffisamment loin de ces confrères continentaux de droite et avait créé son propre groupe au Parlement Européen. À lui seul, ce geste montrait bien que le courant eurosceptique avait un poids prépondérant au sein des Tories. Et de fait, tous les leaders conservateurs ont dû faire des concessions aux eurosceptiques ne serait-ce que pour s'installer et se maintenir à la tête du parti: c'est ainsi que David Cameron promit d'organiser un référendum sur la sortie de l'UE en 2013 s'il était encore Premier Ministre après les élections de 2015. À sa droite, un parti, l'UKIP s'est constitué pratiquement sur ce seul thème; c'est ce parti qui a remporté le plus de voix, et le plus de sièges, aux élections européennes de 2014. À sa gauche, les Travaillistes ont porté à leur tête Jeremy Corbyn, de l'aile la plus à gauche et qu'on peut décrire au maximum comme moyennement enthousiasmé par l'Union.

L'Union Européenne est basée sur 3 principes: le libre-échange, la liberté de circulation et des règles communes. Les 3 sont d'ailleurs liés: le libre-échange demande des règles communes pour être étendu au maximum et éviter les accusations de dumping, et une fois le libre-échange très étendu, il est difficile d'expliquer que les individus doivent être confinés à l'intérieur de leurs frontières, etc. Les partisans de la sortie étaient clairement opposés à au moins un des 3 principes, voire aux 3 à la fois. De ce fait, il est à peu près inévitable que la campagne ait des relents xénophobes: les xénophobes sont en désaccord avec les 3 et la xénophobie est la manière la plus directe pour exprimer tout désaccord avec ces principes, fût-il partiel. attac_breaking_point.jpg C'est ainsi que les campagnes contre l'UE sont populistes et émaillées de mensonges énormes. La raison pour laquelle ces campagnes marchent est que les électeurs sont de moins en moins favorables aux 3 principes fondateurs de l'UE. Le discours des dirigeants politiques ne fait que refléter cette évolution. Dans le cas britannique, les partisans du non étaient massivement contre les règles communes — c'est la base de l'euroscepticisme des Tories —, la liberté de circulation — voir le poster ci-dessus — et, même si peu de partisans officiels de la sortie l'ont dit ouvertement, la carte électorale montre que ce sont les régions les plus touchées par la désindustrialisation qui ont voté pour sortir, ce qui veut dire que les électeurs voulant la sortie n'étaient sans doute pas si favorables au libre-échange que ça.

Tout ceci ne devrait pas surprendre. Déjà, lors du référendum de 2005 en France et aux Pays-Bas, on a retrouvé ce mélange de mensonges éhontés — les posters d'ATTAC en sont un bon exemple — et de duplicité faisant croire qu'un accord résolument meilleur est à portée de main. Les suites des différents référendums ne font que renforcer le mécontentement des électeurs. D'une part, parce qu'ils ne regardent pas la faiblesse de ce que proposent réellement les opposants: Fabius proposait en fait de discuter d'une partie du traité déjà en place en rejetant celles qu'il approuvait. D'autre part, parce que les gouvernements ont toujours choisi d'éviter l'abîme malgré les votes, comme en Grèce en 2015, donnant l'impression d'une trahison aux électeurs. Le dernier référendum en date avant le Brexit, en Hollande, n'augurait déjà rien de bon sur ce plan. Ainsi, la légitimité du projet européen s'effrite peu à peu, alors qu'elle n'a jamais été bien grande et que les États ont toujours conservé l'essentiel de la légitimité pour prendre des décisions.

Face à cela, les partisans de l'Union sont confrontés à la réalité de la gestion quotidienne, toujours compliquée et peu télégénique, tant la plupart des compétences déléguées à Bruxelles sont techniques. Comme il y a aussi une opposition très répandue aux principe de base du projet européen, aucun projet nouveau d'envergure ne peut raisonnablement être proposé. Les projets proposés servent d'abord à colmater les brèches créées par diverses crises: on conçoit qu'ils ne soulèvent pas l'enthousiasme. La confiance entre pays fait aussi défaut, il faut dire que certains pays ne respectent ouvertement pas leurs engagements, comme la France sur la discipline budgétaire: beaucoup de pays, et particulièrement la France, semblent dire d'accord à plus de règles communes, à condition qu'elles aillent dans mon sens. C'est pourquoi je pense que les discours sur la refondation de l'UE sont illusoires. Quant aux appels à plus de démocratie, ils se trompent de cible: l'UE manque de légitimité; le «plus de démocratie» risque surtout de se traduire par des redites du dernier référendum hollandais. Au fond, tant que les 3 principes de l'Union seront en recul dans l'opinion et que les opposants pourront exploiter la crédulité de tous, l'Union Européenne continuera à se déliter.