Sarkozy l'opportuniste vire climato-sceptique
Par proteos le 16 septembre 2016, 19:20 - Politique - Lien permanent
Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République aspirant à le redevenir, s'est apparemment fendu de déclarations clairement climato-sceptiques lors d'une réunion publique. Il a déclaré: Cela fait 4 milliards d’années que le climat change. Le Sahara est devenu un désert, ce n’est pas à cause de l’industrie. Il faut être arrogant comme l’Homme pour penser que c’est nous qui avons changé le climat…
. Pour ma part, je pense que ces déclarations confirme l'opportunisme de Sarkozy en matière d'environnement, qui ne s'embarrasse pas des faits scientifiques. Ces déclarations donnent aussi à voir que le courant climato-sceptique en France est plus fort qu'il n'y paraît au premier abord, puisque Sarkozy a jugé utile de tenir des propos aussi ineptes.
L'ineptie des propos ne fait aucun doute, dans tous les domaines. Ce n'est pas parce que le climat a changé dans le passé sans l'intervention des humains que ce n'est pas le cas aujourd'hui. Il existe aujourd'hui de nombreux éléments qui montrent que le réchauffement actuel est d'abord et avant tout dû aux activités humaines — utilisation de combustibles fossiles, fabrication de ciment, déforestation, élevage de ruminants —, au point que j'y avait modestement consacré un billet. D'autre part, Sarkozy laisse entendre que l'Homme n'aurait pas le pouvoir de transformer l'environnement, ce qui est tout aussi faux. Les exemples s'étendent jusque dans l'Antiquité, où par exemple, les défrichements romains ont largement façonné les paysages de Provence. Aujourd'hui, à cause de l'ampleur mondiale des activités humaines, il n'est pas étonnant qu'elles puissent avoir des conséquences sur l'équilibre du monde entier.
Ces déclarations relèvent d'un opportunisme certain. En effet, lors de son mandat présidentiel, Nicolas Sarkozy avait commencé par lancer le «Grenelle de l'Environnement», grand barouf où il s'agissait de discuter environnement, bien sûr, mais aussi et surtout des préoccupations des associations écologistes. En mars 2010, deux ans après la fin du grand barouf, il déclarait au Salon de l'Agriculture qu'il voulait dire un mot de toutes ces questions d'environnement. Parce que là aussi, ça commence à bien faire.
Entretemps, à la COP15 à Copenhague, il avait déclaré Les scientifiques nous ont dit ce qu'il fallait faire, ils nous ont dit que nous étions la dernière génération à pouvoir le faire. (...) Qui osera dire que les deux degrés d'augmentation de la température ne passent pas par la réduction de 50 % des émissions dont 80 % pour nous les pays riches, parce que nous avons une responsabilité historique ?
. En passant, un des faits marquants du Grenelle de l'Environnement avait été la pantalonnade du comité de préfiguration sur les OGMs, où l'avis des scientifiques avait été proprement piétiné, ce qui avait donné lieu ensuite à diverses annulations d'arrêtés sur le MON810. En fait, le seul point commun que j'aie trouvé entre ces déclarations et ces décisions est l'opportunité politique. Au début du mandat, il s'agissait d'ouverture et de continuer dans une lignée où les écologistes avaient le vent en poupe y compris à droite; en 2010, de plaire aux agriculteurs. Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy est en campagne pour tenter d'être encore une fois le candidat de son parti aux élections présidentielles.
Plusieurs conclusions peuvent être tirées de cet épisode. D'abord, si l'ancien Président juge opportun de faire de pareilles déclarations, c'est qu'il doit toujours exister un courant climato-sceptique dans l'opinion, même s'il ne s'exprime pas souvent publiquement. Ensuite, sur nombre de questions, cela montre que Nicolas Sarkozy a peu d'égards pour les faits démontrés. Pour quelqu'un qui professe que le premier des défis de ces cinq prochaines années est celui de la vérité, c'est assez étrange, même si de nos jours ce genre de déclaration est en fait le prélude à un déluge de n'importe quoi émotionnel. Enfin, cela montre qu'un nouveau mandat de Nicolas Sarkozy risque d'être une répétition du premier en matière de comportement.
Évidemment, Nicolas Sarkozy profite d'un contexte où la vérité en politique n'a presque plus de valeur, comme peuvent le démontrer les succès de Donald Trump, du Brexit, ou plus éloigné, du référendum sur la constitution européenne. Il ne faut pas se tromper, ces épisodes ne sont pas passés inaperçus des professionnels de la politique. Ils en ont tiré la conclusion immédiate que ça ne servait pas à rien de pointer les faits, et qu'il valait mieux surfer sur une vague émotionnelle. Mais cela devrait inciter les gens qui tiennent un peu à ce qu'il se dise de temps en temps des choses exactes dans le débat public à écarter l'ancien Président de la candidature.
Commentaires
La question de la vérité dans le discours médiatique, et de la difficulté à utiliser des arguments chiffrés, fait l'objet de réflexions depuis plusieurs années au sein de la presse.
Cet été, plusieurs journalistes et éditorialistes britanniques et américains ont publié des articles où ils parlaient de « Post-Truth era », « d'ère de la post-vérité », dans laquelle la vérité n'a plus aucune importance dans les discours publics. Ils y tentaient de comprendre et de proposer des explications à ce phénomène (on peut citer notamment des articles de Katherine Viner et de Jonathan Freedland dans The Guardian, de Daniel Drezner dans The Washington Post, de Chris Cillizza dans The Independent, de Jeet Heer dans The New Republic, de James Kirchick dans le Los Angeles Times...). A noter que ces articles ont été suffisamment nombreux pour qu'un article soit créé dans le Wikipedia anglais (article Post-truth politics). La semaine dernière, France Culture a aussi dédié une de ses émissions à ce sujet (podcast http://www.franceculture.fr/emissio... ). Émission dont je recommande l'écoute.
En France, des journalistes ont lancé, il y a plusieurs années, des rubriques spécialisées dans le fact-checking (par exemple, la rubrique Décodeurs du Monde ou Désintox dans Libération). On trouve des rubriques similaires dans des quotidiens de langue anglaise. Tous ces journalistes « fact-checkers » parlent aujourd'hui de leur impuissance à limiter le nombre de mensonges factuels proférés dans l'espace public, malgré leurs efforts constants pour rétablir la vérité des faits. Et certains baissent même les bras face à l'augmentation qu'ils perçoivent du nombre de mensonges populistes.
Ce que je retiens de tous ces articles et émissions radio, ce sont les conclusions suivantes :
Bref, le constat est assez sombre, car on ne voit pas trop ce qui pourrait améliorer les choses, à part une bien meilleure situation économique, qui assécherait le vivier de populistes, ou un changement radical des pratiques de la presse grand public. Mais une bien meilleure situation économique n'est pas exactement ce qui se dessine pour les années et les quelques décennies à venir. Quand aux pratiques de la presse, pour l'instant, on ne voit pas non plus venir grand chose, à part quelques tentatives esseulées ; et même en supposant qu'un mouvement de fond ait commencé à apparaître au sein de la presse, c'est de toute façon un processus qui ne peut se faire que sur le long terme, et pas en quelques mois ou quelques années.
L'incrimination du web dans les tendances actuelles me semble assez générale mais très nettement insuffisante… En fait, il est assez simple de trouver ce qui ressemble à des falsifications dans ce qui est décrit comme le summum de la qualité, les enquêtes longues. Elles sont en fait bien souvent sensationnalistes de façon à gagner leur financement.
Les rubriques de fact-chacking, c'est très mais des fois, les tenanciers sont eux-mêmes biaisés … comme un cas récent où les "décodeurs" du Monde ont entendu démonter un calcul de coin de table de taux d'imposition. Et quand ils détectent une falsification par d'autres journalistes, elle n'est pas vraiment dénoncée comme telle, comme le cas Cash Investigation sur les pesticides l'a montré. «L'erreur» sur le rapport de l'EFSA aurait dû à elle seule mener à disqualifier l'émission.
Il y a en effet beaucoup de raisons d'être pessimiste, d'une part parce que la tendance des médias n'est pas au renforcement de la diffusion de la vérité, d'autre part parce que le public s'enfonce aussi de plus en plus dans le tribalisme.
Sinon concernant le Sahara, je ne suis depuis des années, pas convaincu du tout que l'homme soit innocent. Sur la période récente, on voit que le défrichement, de mauvaises pratiques agricoles, la surexploitation des ressources hydriques, ont un impact notable sur l'extension des zones arides de la région (sans besoin de quoi que ce soit de plus sophistiqué). Et à une époque proche de cette transformation, on a déjà les traces de l'impact humain majeur sur toutes les populations de gibier de grande taille, la chasse provoquant l'extinction de nombreuses espèces, ce à quoi la population réagit en migrant pour continuer à les chasser sur d'autres territoires. A terme, l'épuisement des ressources conduira à la transition vers l'agriculture et l'élevage, au prix d'une nette diminution de l'espérance de vie et de l'état sanitaire (la cohabitation avec les animaux ayant des conséquences très néfastes sur le plan épidémique). Donc pour en revenir au Sahara, cette transformation correspond justement à l'époque où les populations humaines s'y installent et finissent par le traverser pour se réfugier plus loin suite aux changements. Coïncidence qui n'est pas une preuve en soit, mais mériterait d'instruire le dossier plus en détail.