François Fillon et son épouse Pénélope sont au cœur d'une polémique car le vainqueur de la primaire a rémunéré sa femme comme assistante parlementaire pendant de longues années, alors même qu'elle n'était pas connue pour ses activités politiques. Cette affaire a aussi le mérite de jeter la lumière sur des travers indéniables de la politique en France.

La rémunération des politiques

Le système de rémunération des politiques est incompréhensible pour le commun des mortels, et même pour ceux qui s'intéressent en dilettante à ces question, il est difficile d'appréhender les montants en jeu. C'est largement dû à l'organisation même de la rémunération. Pour les députés, on a donc le système suivant:

  1. Une indemnité de base et une indemnité de résidence qui totalisent 5700€/mois bruts et qui sont imposables
  2. Une indemnité de fonction de 1400€/mois bruts, augmentée pour ceux qui ont une fonction spéciale, non imposable
  3. Divers systèmes sociaux sont financés par des retenues sur le salaire (environ 1400€/mois): les députés ne sont affiliés à aucun des systèmes communs en France, ce qui est source d'un soupçon de privilège.
  4. Une indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) d'environ 5800€/mois bruts, non imposable.
  5. Des voyages gratuits en train (ou en avion dans les circonscriptions les plus éloignées)
  6. Une enveloppe destinée à rémunérer des collaborateurs pour environ 9600€ bruts par mois

Le système de l'IRFM n'a pas d'équivalent dans le privé, où tous les frais doivent être justifiés d'une part par des factures ou des tickets de caisse et d'autre part par une réelle utilité pour l'entreprise. S'octroyer des faux frais est un des moyens les plus sûrs de s'attirer l'attention du fisc et les comptables y font attention car leur responsabilité peut être engagée. Tous les dirigeants d'entreprise y sont à un moment ou à un autre sensibilisés. Pour ceux qui n'ont jamais l'occasion de pouvoir se faire rembourser leurs frais et les autres qui doivent se justifier, le système de règlement de frais au forfait ressemble à un privilège. Ce système viendrait des pratiques de la haute fonction publique, où certaines fonctions bénéficient de primes non imposables. Le tout se combine au cumul des mandats largement pratiqué jusque récemment: dans le cas d'un député-maire, les fonctions de la permanence électorale pouvaient être remplies par la mairie, l'IRFM constituerait alors juste un complément de revenus.

Le fait qu'on puisse employer son conjoint et les autres membres de sa famille prête foncièrement le flanc aux accusations de favoritisme et de népotisme. Même si on peut rencontrer son conjoint au travail, ce n'est le cas que pour 10% des Français. Or, il semble que la proportion de parlementaires qui emploient une personne de leur famille est plus importante. Le soupçon est renforcé par la difficulté de mesurer le travail effectué tant par le député lui-même que par ses collaborateurs: le fait qu'un député soit réélu ne veut pas dire pour autant qu'il ait beaucoup travaillé, en tout cas à l'Assemblée; l'inverse peut être tout aussi vrai. Ça peut aussi renvoyer à une adéquation idéologique entre le député et les électeurs de la circonscription. Dès lors, un élément supplémentaire a dû s'ajouter: Pénélope Fillon n'était semble-t-il pas connue pour son implication dans le travail de son mari. Les interviews données dans le passé ont dû par exemple laisser un souvenir diffus.

Enfin, les services de l'Assemblée ne sont pas à la hauteur sur ce point: ne créer ni adresse mail, ni badge, c'est vraiment laisser la porte ouverte aux accusations d'emploi de complaisance.

Bien sûr pour remédier au moins en partie à cela il faudrait mettre de l'ordre dans le mode de rémunération et interdire l'emploi de proches. Mais cela supposerait essentiellement de réduire drastiquement le salaire réel des députés au prix d'une augmentation considérable du contrôle: la quasi-totalité du salaire devrait être imposable, les frais payés uniquement sur des justifications en rapport avec le mandat. Inutile d'espérer un débat serein sur le sujet, ce qui se passerait serait une redite de ce qu'on a vu quand Sarkozy a voulu mettre de l'ordre dans les rémunérations du Président et des ministres: la question est restée suffisamment marquante pour que 5 ans après, une des premières actions de Hollande a été de baisser ces mêmes rémunérations. Ici comme dans d'autres domaines, l'opacité contribue à faire marcher le système … est-on par exemple si sûr que la complexité du système fiscale ne rende pas acceptable le haut niveau d'imposition?

Les sponsors

Il est de notoriété publique que certaines des personnes les plus riches du pays «sponsorisent» l'activité politique, soit en finançant des partis, soit directement leur poulain. On en a déjà eu l'illustration avec les affaires autour de Liliane Bettancourt: apparemment des sommes importantes étaient versées en faveurs de partis politiques, en l'occurrence, l'UMP (ex-RPR) semblait la plus concernée. Aujourd'hui, il semble que la campagne d'Emmanuel Macron soit aussi en partie financée par des gens fortunés: on se demande autrement comment il a pu monter son parti entre le printemps dernier et l'automne! Il se trouve que l'affaire concerne aussi le salaire reçu par Pénélope Fillon (5000€ bruts pendant 20 mois) pour une contribution qui semble bien maigre: 2 articles dans une revue dont la caractéristique première semble être une danseuse pour un riche industriel.

Aux États-Unis, de telles pratiques sont institutionnalisées, soit par des associations de financement annexes, soit par l'organisation d'évènements comme des repas, où on peut côtoyer son idole politique contre une somme sans rapport avec le coût réel de l'évènement. En France, c'est nettement plus mal vu. Cela pose aussi en France des questions sur les contreparties, car les grandes fortunes gèrent souvent des entreprises bénéficiant de contrats publics. Mais cela n'empêche pas non plus le financement par proximité idéologique: sur certaines questions — comme les OGMs — on voit fleurir les accusations de conflits d'intérêts, alors que ce qui semble déterminer l'action des intervenants dans le débat public est bien l'ensemble des croyances de chacun.

Il n'y a aucune solution en vue pour ce type de problèmes. En effet, la réforme du financement politique du milieu des années 90 donne une grande prééminence aux partis installés en leur donnant l'essentiel des finances autorisées. Pour créer quelque chose en dehors ou acquérir une certaine indépendance, il faut ruser — micropartis … — ou trouver un sponsor.

Les hommes de paille

La politique française paraît aussi parsemée d'homme de paille, c'est-à-dire de personnes semblant ne faire que ce qu'on leur dit de faire. Il est difficile d'expliquer autrement le versement de la quasi-totalité du crédit collaborateur à Pénélope Fillon par le suppléant de ce dernier. Il ne semble pas avoir été effrayé par le montant du salaire, à des niveaux qu'on ne rencontre en France qu'à des postes avec pas mal de responsabilités. Dans un autre registre, on a pu constater que la gestion de l'ex-région Poitou-Charente s'était caractérisée par un laissez-aller certain. Le responsable officiel était le président de la région, un certain Jean-François Macaire. Dans les comptes-rendus dans la presse, il est fort peu apparu, sauf pour dire qu'il n'avait pas vu grand chose … mais par contre, Ségolène Royal est largement intervenue. Bref, il semble que la région était toujours gérée de fait par Ségolène Royal … même si le président officiel de la région devait assumer les responsabilités pénales!

Que ce genre de choses soient possibles provoque chez moi un certain trouble. D'abord, ça semble montrer l'existence de groupies prêts à prendre de gros risques juridiques. Ensuite, ça remet fondamentalement en cause les règles de non cumul des mandats: si c'est pour échanger des gens qui assument publiquement contre des ectoplasmes qui servent de conduit au grand manitou local, il n'est pas sûr que la démocratie y gagne. Une nouvelle fois, il n'y a pas de solution puisque le soutien d'une figure connue est une aide notable pour être choisi par le parti et se faire élire!