Le 18 décembre dernier, la Cour des Comptes a publié un rapport sur la situation des retraites complémentaires des salariés du privé, gérées par deux associations siamoises, l'AGIRC et l'ARRCO. L'AGIRC gère la retraite complémentaire des cadres, l'ARRCO celle des autres employés; elles sont gérées par les syndicats de salariés et les organisations patronales. Le système français veut que la retraite de base ne tienne compte que du salaire jusqu'au plafond de la sécurité sociale, la pension versée à ce titre ne peut représenter plus de la moitié de ce plafond. Les retraites complémentaires apportent un complément de revenu et sont indispensables pour atteindre l'objectif d'un taux de remplacement de 66%. Pour les cadres, dont le salaire dépasse généralement le plafond de la sécurité sociale, la pension versée par l'AGIRC représente couramment 50% de la pension totale. Ces deux régimes sont actuellement en déficit. La situation financière est particulièrement difficile pour l'AGIRC dont les réserves seront épuisées d'ici à fin 2017 si rien ne change, comme cela a été annoncé dans la presse à l'été 2014.
Les origines des difficultés actuelles
Les difficultés actuelles des régimes complémentaires trouvent d'abord leur origine dans les situations économique et démographique. Il est bien connu qu'il y a de plus en plus de retraités par rapport aux actifs. Par ailleurs, la croissance de la masse salariale a été de seulement 0.2% par an en termes réels depuis 2009, parallèlement à une croissance économique presque nulle depuis 2012. Malgré les ajustements depuis 2010, le déficit actuel est pire que celui qui était prévu en 2010 si on ne faisait rien.
La différence entre les prévisions et la réalité s'explique d'abord par les prévisions systématiquement trop optimistes du gouvernement. Si on pouvait comprendre qu'en 2010, année où la croissance était de 2%, on prévoit une croissance tendancielle de 1.5% par an et une inflation d'environ 2% par an, c'est nettement plus difficile à comprendre en 2013, où la possibilité d'une stagnation économique à long terme et d'une inflation durablement faible étaient plus que des hypothèses. Malheureusement, on l'a encore constaté en 2013, les prévisions du COR sont toujours basées à court terme sur les prévisions économiques du gouvernement ce qui oblige à revenir en permanence sur les ajustements précédents, car ils sont toujours insuffisants.
C'est ainsi que les gestionnaires des retraites complémentaires ont pris des mesures de gel des retraites complémentaires, dont les bénéfices ont été largement amoindris par une inflation quasi nulle, et d'augmentation des impôts (0.25 point). Il s'attendaient aussi à pouvoir demander une plus grande durée de cotisation suite à la réforme de 2013, mais leur espoir a été déçu parce que la réforme de 2013 a prévu de boucher le déficit immédiat essentiellement par des augmentations d'impôts (p27). Cette réforme a été aussi largement sous-dimensionnée, au point d'ailleurs, qu'un gel des retraites de base, non prévu à l'origine, a été mis en place au printemps 2014.
Mais il y a aussi des actes du gouvernement qui minent la santé financière des retraites complémentaires, et plus particulièrement de l'AGIRC. Comme la plafond de la sécurité sociale est réévalué en fonction du salaire moyen et qu'il y a de plus en plus de cadres, les ressources possibles de l'AGIRC sont peu à peu préemptées par le régime de base. En effet, au dessus du plafond les cotisations à l'AGIRC remplacent en totalité les cotisations au régime général et elles y sont nettement plus élevées. L'ARRCO est peu concernée, puisque 94% des cotisations des non-cadres sont prélevées en dessous du plafond de la sécurité sociale (p46). Au total, si le plafond de la sécurité sociale avait été réévalué selon le salaire médian et non moyen depuis les années 1970, les retraites complémentaires toucheraient 2G€ de plus par an en cotisations (p49). D'autre part, en dessous du plafond, le quinquennat Hollande a préempté la plupart des hausses possibles: en arrivant au pouvoir en 2012, il a décrété une augmentation des cotisations de 0.5 point pour financer ses dispositions sur les «carrières longues» puis, en 2013, une augmentation progressive de 0.6 point.
Le cumul des mesures prises sous le quinquennat Hollande pour les retraites de base et retranscrites telles quelles pour les retraites complémentaires conduisent d'ailleurs à un déficit supplémentaire chaque année au moins jusqu'en 2030 (p26). Un certain nombre de charges nouvelles ont été créées comme l'élargissement de l'éligibilité aux «carrières longues» et le compte pénibilité. Si pour le régime général de base un surcroît d'impôt les finance, rien n'a été prévu pour les retraites complémentaires: la hausse des cotisations décidées en 2013 couvre à peine le coût de l'élargissement du dispositif «carrières longues»! Pire encore, la loi de 2013 prévoyait dans son étude d'impact un amélioration de 2G€/an à l'horizon 2030 pour les régimes complémentaires. Mais cela ignorait toutes les mesures qui emportaient un coût pour ces régimes! En fait, selon les organismes de retraite complémentaire, le bénéfice est, en 2030, limité à 570M€ annuels (p103-104). On mesure là l'impéritie et l'amateurisme dont le gouvernement Hollande fait preuve sur la question des retraites.
C'est ainsi que le déficit global des retraites complémentaires est attendu à environ 5G€ en 2014 et que les réserves accumulées pendant la première décennie de ce siècle (60G€ au total) vont être épuisées dès la fin 2017 pour l'AGIRC et en 2023 pour l'ARRCO. Malgré une bonne gestion avant la crise, louée par la Cour, les régimes complémentaires sont dans une mauvaise situation financière.
Les remèdes
Comme d'habitude sur les retraites, il n'y a guère que 3 paramètres sur lesquels on peut jouer: le niveau des pensions, le taux de cotisation et l'âge auquel on passe d'actif à retraité. La mesure la moins douloureuse est le report progressif de l'âge de la retraite: personne ne perd de revenu immédiatement, cela permet aussi de faire rentrer plus d'argent par l'ensemble des autres impôts. Malheureusement, le terme rapproché de l'échéance pour l'AGIRC rend indispensable l'usage des deux autres paramètres. Dans le passé, les utiliser ne signifiait pas une baisse du montant nominal perçu, grâce à l'inflation et à la croissance économique. De plus, le déficit est tel qu'il faudrait baisser les pensions de l'AGIRC d'environ 10% ou augmenter les cotisations de 2 points voire plus. On voit que l'ajustement s'annonce douloureux.
La Cour donne deux exemples et un tableau détaillant l'impact de chacune des mesures à l'horizon 2030. Elle se montre aussi sceptique sur les chances de l'AGIRC à parvenir à sortir seule de l'ornière sans adossement à l'ARRCO. La Cour appelle aussi de façon à peine voilée à mettre fin de facto au système de la «retraite à 60 ans», en enjoignant les gestionnaires à reporter l'âge de la retraite pour bénéficier d'une retraite complémentaire sans abattement sans attendre que le gouvernement daigne prendre des mesures (p40 et 45).
Personnellement, je pense que la majeure partie de l'ajustement à court terme devrait être assumée par les pensions versées. Du fait d'une faible inflation, l'impact sur le pouvoir d'achat des retraités des mesures de gel des pensions a été très limité et ils ont été protégés des effets de la crise. En face, même les cadres ont fait face à des gels de salaires et à l’augmentation des impôts. Une baisse très notable des pensions complémentaires des cadres à court terme est devenue indispensable. À plus long terme, l'ajustement doit se faire via l'allongement de la durée du travail, particulièrement pour les cadres, dont l'espérance de vie est notablement supérieure à celle des autres salariés. Une augmentation de la durée du travail supérieure à celle prônée par la Cour dans son premier scénario me semble nécessaire: il faudrait sans doute augmenter progressivement l'âge de la retraite de 3 ans pour les cadres, peu importe d'ailleurs que le régime général de base suive ou pas.
Ce rapport me semble aussi être un réquisitoire contre la réforme de 2013 et l'impéritie du gouvernement actuel. Il était clair tout au long de l'année 2013 que l'ajustement programmé était sous-dimensionné et ne tenait aucun compte des régimes autres que le régime général de base. Rien n'a été fait pour le régime des fonctionnaires qui pèse de plus en plus sur les finances publiques. Les régimes complémentaires ont été totalement ignorés et les marges de manœuvre financières largement préemptées pour le régime de base. Le gouvernement s'est refusé à allonger immédiatement la durée de cotisation nécessaire à une retraite à taux plein: on peut subodorer qu'il préfère que ce soient d'autres que lui qui portent le chapeau de la fin effective et dans tous les cas — y compris pour les carrières longues — de la «retraite à 60 ans».
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