Mot-clé - nucléaire

Fil des billets - Fil des commentaires

1 décembre 2011

La déplorable politique énergétique de François Hollande

Au risque de lasser les quelques lecteurs qui se risqueraient encore en ces lieux, il va de nouveau être question du nucléaire et de l'exécrable accord entre le PS et les Verts.

Et d'abord, il faut bien dire qu'on s'était un peu trompé: les Verts veulent bien le pouvoir et pas seulement imposer leurs idées, si on en croit un article relatant une partie des péripéties entourant la construction de cet accord. Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé désirent bien des places de parlementaires et si la chance leur sourit des postes ministériels. Mais il semble bien que la tactique des écolos ait été la bonne, exiger à la fois des circonscriptions et des concessions politiques donne de bons résultats. Quant au PS, sa porosité aux idées autrefois réservées aux écologistes est maintenant démontrée.

Face à l'orage qu'a déclenché la signature de l'accord, tant à l'intérieur de son parti qu'à l'extérieur, les partisans de François Hollande ont donc essayé d'expliquer tant bien que mal la logique qui présidera à sa politique énergétique. François Brottes, chargé de l'énergie dans la campagne du candidat socialiste, a donné une interview au Monde, puis François Hollande a publié une tribune dans ce même journal.

Dans son interview, François Brottes attaque le gouvernement lorsqu'il doit répondre à l'accusation de fragiliser Areva. Il prétend ensuite que des chantiers de démolition sont des gisements d'emplois considérables et qu'abaisser la part du nucléaire dans la production d'électricité renforcera les compétences en la matière, que les renouvelables vont créer tout un tas d'emplois, que la R&D dans le stockage de l'énergie aussi, alors que cette dernière n'est pas forcément incompatible avec le maintien de la part du nucléaire. Il attaque de nouveau le gouvernement quand on lui demande si sa politique ne va pas augmenter le prix de l'électricité, avant de faire une distinction spécieuse et arbitraire entre consommation d'électricité essentielle et accessoire. Sur la question des rejets de dioxyde de carbone du fait du recours accru aux centrales thermiques à flamme, il répond qu'on le fait déjà — là n'est pas vraiment la question — et qu'il faut diminuer la consommation d'électricité — en brûlant des combustibles fossiles? — et stocker l'électricité provenant de l'éolien et du solaire — la remarque sur la R&D montrant qu'on ne sait pas faire. Je ne suis pas spécialement rassuré par cette interview, mais elle me confirme dans mon opinion des positions socialistes sur le sujet.

Dans sa tribune, François Hollande affirme au départ qu'il faut sortir du tout pétrole pour les transports, pétrole qu'on remplacera par ... ah non, ce n'est pas dit. Pour l'électricité, il s'agit donc de sortir du fameux tout nucléaire. Bref, il s'agit de diversifier les sources d'énergie, ce qui laisse pas d'étonner puisqu'il vient d'affirmer que le nucléaire n'est pas la seule source d'énergie ... puisque c'est du tout pétrole qu'il faut sortir quand il s'agit des transports. On le constate sur ce graphe, extrait du Bilan énergétique 2010 (p33), les sources d'énergies en France sont déjà diverses: Conso d'énergie en France en 2010

Mais foin de tout ceci, ce modèle doit désormais se moderniser et s'adapter, c'est-à-dire que la part du nucléaire doit baisser à 50% dans la production d'électricité. François Hollande reconnaît au nucléaire des avantages, sans les détailler. Cependant, si sa part doit diminuer, c'est que ce mode de production a des défauts qui sont apparemment limités à une question de coûts. L'industrie nucléaire sera donc priée de se taire, en exploitant les centrales qu'on ne fermera pas et en démantelant les autres.

Hollande propose donc d'augmenter la part des énergies renouvelables. Celles-ci ont pour caractéristique d'être plus chères que le nucléaire, ce qui paraît contradictoire avec l'argument de coûts développé auparavant. Mais voilà, les énergies renouvelables permettent de dire qu'on a créé des emplois sympas et ontologiquement bons. Qu'elles puissent en détruire ailleurs n'est pas un problème, on va s'organiser pour que ça ne se voie pas. Car Areva doit apparemment devenir le fournisseur principal (unique?) de tous ces matériels. Autant pour la concurrence dans ce domaine et les compétences accumulées dans le nucléaire.

Quant au problème de l'augmentation du prix de l'électricité, Hollande commence par affirmer qu'à cause de la cherté des nouveaux réacteurs nucléaires, il doit augmenter de toute façon. Il oublie donc de préciser que le prix augmentera encore plus avec sa politique. Il avance aussi un remède miracle pour protéger les consommateurs. L'industrie sera préservée, comme cela se passe dans tous les pays ayant adopté une politique de développement des renouvelables, laissant les particuliers porter seuls les coûts. Hollande va encore plus loin dans ce domaine: le gouvernement va donc définir ce qui est est essentiel et ce qui est juste du confort. On sera donc sans doute prié d'accepter des inspections pour constater qu'on vit bien selon les préceptes de modération en vigueur. À moins que ce ne soit une tarification progressive en fonction de la consommation, ce qui va donc aussi inciter les gens à remplacer l'électricité par des combustibles fossiles où aucune tarification de ce type n'est envisagée.

Hollande nous dit aussi vouloir améliorer l'efficacité énergétique par la diminution des pertes en ligne. Qui ne représentent que 7% de la consommation d'électricité française et dont 2% seulement ont lieu dans les lignes haute tension (Statistiques 2010 de RTE, p15). On voit donc mal comment gagner quoique ce soit dans ce domaine. Un autre moyen d'amélioration serait le stockage de l'électricité. Cela ne peut surprendre: stocker de l'énergie n'améliore pas en soi l'efficacité de son usage, au contraire d'ailleurs, on en dépense toujours en la stockant pour la réutiliser ensuite.

C'est alors qu'on se rappelle que ces énergies renouvelables nouvelles sont éminemment variables, ce qui n'est pas pour rien dans leur abandon pour le charbon au 19e siècle. Tous les mois, on peut constater sur le site de RTE, avec des compte-rendus mensuels, que l'éolien est extrêmement variable, avec une puissance délivrée passant de 1% de la capacité à 70% en quelques dizaines d'heures, avec de longues périodes sans production digne de ce nom. Quant au solaire photovoltaïque, nul n'est besoin d'être sorcier pour s'apercevoir que sa production est pratiquement inexistante lorsqu'on en aurait besoin en France: en début de nuit l'hiver. Face à cette intermittence, l'idée est de stocker l'électricité en surplus. Mais on s'aperçoit que les ordres de grandeurs sont vraiment et absolument délirants avec les technologies actuelles. Il faut aussi noter au passage qu'à l'heure actuelle, l'hydro-électricité sert au suivi de la demande et donc que son potentiel de stockage pour les renouvelables politiquement correctes — solaire et éolien — est encore plus limité.

Comme il n'existe pas de système de stockage d'électricité un tant soit peu crédible, que va-t-il se passer? On va construire des centrales thermiques, notamment au gaz, qui ont la caractéristique de pouvoir réagir rapidement à la demande, d'avoir des coûts relativement proportionnels à leur utilisation et ... d'émettre du CO₂. C'est ainsi que, dans les pays à forte production éolienne, comme le Danemark ou l'Espagne, c'est le thermique qui prend le relais lorsque le vent ne souffle plus, comme on peut le voir en bas de cette page. Comme la moyenne de la production éolienne vaut en gros un tiers de la production maximale, une éolienne est surtout un moyen de baisser d'un tiers les émission d'une centrale thermique à flamme. Selon les propres mots d'un industriel du gaz, ce sont en fait des centrales au gaz. Avec certes moins de CO₂ émis, mais dans des proportions qui n'ont rien à voir avec la réduction nécessaire des émissions, une division par 4. Comme la production française d'électricité est essentiellement assurée par le nucléaire, une avancée trop importante de ces renouvelables va se traduire par une augmentation des rejets de CO₂, alors que l'objectif proclamé était l'inverse. On peut aussi se référer à ce qui se passe en France depuis qu'on encourage ce type d'énergie. p17 des indispensables Statistiques 2010 de RTE, un graphe montre l'évolution annuelle de la production française. On y constate que la production de 2010 et de 2005 sont quasiment égales. La composante thermique à flamme est quasiment inchangée, la production hydroélectrique est en hausse, probablement grâce à une meilleure pluviométrie, la production de renouvelables — essentiellement de l'éolien — est en hausse, le nucléaire est en baisse. Force est donc de constater que l'éolien a surtout remplacer du nucléaire, et n'a aidé en aucune manière à la baisse des émissions de CO₂. Si le parc électrique français voit ses émissions se réduire avec cette politique, ce sera grâce à l'éviction du charbon en faveur du gaz.

Hollande termine en déclarant que ce débat mérite mieux que l'aveuglement et le mensonge. Sans doute parle-t-il en connaisseur, lui qui ment éhontément en ne disant pas que sa politique conduit à la construction de centrales thermiques à combustibles fossiles et à l'augmentation des émissions de CO₂ — et sans doute de méthane — alors que le but proclamé est inverse? Lui qui parle d'aveuglement, alors qu'on peut déjà subodorer que la politique menée est en train d'échouer et qu'il ne parle que de la renforcer?

20 novembre 2011

De l'accord entre le PS et les Verts

Ainsi, après s'être bien tapé du poing sur la poitrine, les Verts et le PS ont fini par s'entendre et signer un accord. Le plus important dans cet accord, c'est ce qui ne figure pas dans le document: la promesse que les Verts seront seuls en lice dans 60 circonscriptions, ce qui devrait leur rapporter 15 députés en cas de défaite de François Hollande aux présidentielles et 30 en cas de victoire. Cette négociation a donné lieu à un spectacle d'un nouveau genre, où les Verts ont intimé l'ordre au PS de rejoindre sa ligne, entre autres sur le nucléaire, pour accepter qu'on leur donne des circonscriptions. Ces distrayantes gesticulations se sont terminées un peu comme elles ont commencé, par un geste envers les militants verts, sous la forme d'une bouderie d'Éva Joly. Il faut dire que lors des primaires, où Éva Joly était le fer de lance des écolos traditionnels contre un Nicolas Hulot plus éloigné des préoccupations principales de la base, le nucléaire et les OGMs, 10% des votants se sont prononcés pour deux candidats dont la principale caractéristiques était soit de trouver Éva Joly trop gentille, soit d'être un militant anti-nucléaire fervent. Et au fond, qu'Éva Joly renonce ou pas à la campagne présidentielle n'a pas grande importance, l'impact politique des Verts se décidera surtout en fonction du résultat des législatives. Si le PS doit compter sur le soutien des Verts pour obtenir la majorité absolue, on entendra de nouveau bruyamment parler de l'EPR de Flamanville et de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Cependant, il serait imprudent de tenir le texte de l'accord pour quantité négligeable. Ce genre d'accord programmatique donne à voir les points de convergences de ces deux partis, une certaine façon de penser et de procéder. Ce qui frappe au premier abord, c'est que les auteur-e-s de ce texte maîtrise-nt à la perfection cette langue rénovée, citoyenne et durable dans laquelle s'expriment désormais les revendications de gauche. Elle ne comprend pas seulement des expressions dont la défense du contraire est impossible, ce qui signe l'absence totale de substance — qui voudrait d'un développement éphémère ou d'un déclin durable? Cette technique est aussi utilisée à droite, il faut donc plus pour se distinguer. À gauche, on utilise donc un champ lexical différent dont, certainement, l'étude a déjà été faite, ainsi qu'un signe de ponctuation, le tiret, pour se soustraire aux lois d'airain de la grammaire française. On peut aussi subodorer que le texte n'a pas été relu. C'est ainsi que, page 9, on apprend que moins d'un salarié âgé de 59 ans sur dix a un emploi. Au début du texte, on trouve aussi une curiosité: il faut dominer la finance. Je n'ai trouvé nulle part ailleurs plus pur aveu de la relation sado-masochiste des politiques avec la finance, activité honteuse mais qui permet de financer les programmes.

Les revendications écologistes ont trouvé leur chemin jusque dans ce texte. Cela s'explique sans doute par la proximité avec les idées qui ont cours au PS. Mais on n'arrive pas à se détacher de l'idée que non seulement, le texte n'a pas été relu, mais aussi que, sur ces sujets, l'ignorance est totale au PS ou qu'alors on se moque totalement de ce qui y figure. Il est écrit dans le texte que la promotion d'une agriculture familiale autonome et vivrière dans les pays en développement (sera) une revendication de la France dans les discussions multilatérales. Le PS, ardent défenseur du progrès social, prône donc le maintien à leur place de tous ces paysans dans les pays les plus pauvres du monde. L'agriculture de subsistance qui est portée ici au firmament est l'activité par excellence des peuples qui vivent dans la misère la plus abjecte. La révolution industrielle a signé la fin de cette agriculture dans les pays développés, amenant une période prospérité sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Si les pays tropicaux, parmi lesquels se trouvent les pays les plus pauvres, sont le lieu aujourd'hui de cultures dites commerciales comme le coton, le cacao, le café, les mangues, les ananas, c'est parce que les conditions climatiques y rendent ces cultures plus profitables qu'ailleurs, c'est un avantage comparatif, ce qui permet le commerce, l'autre cause majeure de la prospérité du monde moderne.

Dans ce texte, il y a bien sûr toute une partie consacrée au nucléaire (p11 sq). Officiellement, il s'agit de parler de transition énergétique, mais à part l'introduction et deux paragraphes à la fin de la partie, il n'est question, de près ou de loin que de diminuer production d'électricité nucléaire. Ce seul fait est en lui-même intéressant: alors qu'il s'agit de lutter contre le dérèglement climatique et l’épuisement des ressources naturelles, il est principalement question de se passer d'un mode de production d'énergie qui ne rejette pas de dioxyde de carbone et dont les perspectives, avec la Génération IV et les réacteurs à neutrons rapides, permettent de régler, en France, avec le stock d'uranium appauvri existant, les problèmes de production d'électricité pour au moins 1000 ans. Pourtant, sur le sujet du nucléaire, il est difficile de penser qu'on n'y connaisse rien au PS. Christian Bataille s'occupe souvent du nucléaire au sein de l'office parlementaire des choix scientifiques et techniques. Cela dit, le nucléaire n'est pas le sujet de prédilection du PS: dans tous les documents du programme, il n'en est question qu'une fois, cela prend un paragraphe sur un document de 30 pages. Tout porte donc à croire que la plupart de ce qui est écrit a été dicté par les écologistes; il est incroyable de constater à quel point leur tactique de négociation a réussi, le PS leur a concédé dans un document programmatique l'arrêt progressif du nucléaire, leur revendication majeure, tout en leur donnant des circonscriptions!

Cette partie sur le nucléaire nous donne à lire un extrait du programme des Verts, programme utopique dont la réalisation demande l'entrée dans une société totalitaire. Comme il faut bien signer avec le PS, ces mesures sont adoucies, mais n'en restent pas moins sévères, et portées à la punition et aux préjugés. Qu'on en juge:

  • Mobiliser tous les leviers (réglementation, fiscalité, formation) visant notamment à réduire la consommation d’électricité. Traduction: l'électricité est trop bon marché en France, on va donc la taxer. Pour ceux qui ont du mal à comprendre, on va leur interdire d'en utiliser plus et leur parler avec des mots simples en articulant. J'ai déjà discuté auparavant de la distribution des taxes en question: seuls les particuliers seront touchés.
  • Une tarification progressive de l’électricité et du gaz permettra le droit effectif de tous aux services énergétiques de base, tout en luttant contre les gaspillages. Comme augmenter les prix de l'énergie des particuliers est contradictoire avec la capacité de vivre dans une société moderne, notamment pour les pauvres, on va demander une feuille d'imposition pour facturer l'énergie. C'est inédit: jusqu'ici, seuls les plus pauvres bénéficient d'un tarif social. On remarque par ailleurs un préjugé: il semble que les pauvres ne gaspillent pas. Au vu des gens qui circulent en vieilles automobiles ou de l'isolation des logements les moins chers, on peut en douter.
  • Nous traiterons efficacement de la question des « pertes d’énergie en ligne », notamment en rapprochant la production de la consommation. En 2010, les pertes ont représenté, en France, 37TWh sur une consommation totale de 513TWh, soit 7% du total. Sur le réseau de RTE, qui regroupe les lignes à haute tension, sans nul doute celles qui sont visées ici, les pertes ont été de 11TWh soit 2% de la consommation totale. (Source: Statistiques 2010 de RTE, p15). On voit mal comment gagner quoi que ce soit de véritablement important de cette façon.
  • Arrêt immédiat de Fessenheim. Si le PS compte finir un réacteur de 1.6GW pour 2016 à Flamanville, il en ferme 2 totalisant 1.8GW immédiatement, alors que les Allemands viennent de retirer 8GW, sans rien prévoir en remplacement et qu'il y a un risque de coupure en France en 2016 à cause de la fermeture probable de centrales au charbon! (cf Bilan équilibre demande 2011 de RTE). Est-ce une décision raisonnable? On voit par ailleurs qu'un échange s'est sans doute fait: fermer Fessenheim tout de suite contre une acceptation (provisoire) de l'EPR.
  • Un plan d’évolution du parc nucléaire existant prévoyant la réduction d’un tiers de la puissance nucléaire installée par la fermeture progressive de 24 réacteurs (...). Le projet d’EPR de Penly (...) sera abandonné. (...) Aucun nouveau projet de réacteur ne sera initié. (...) Un acte II de la politique énergétique sera organisé d'ici la fin de la mandature pour faire l’examen de la situation et des conditions de la poursuite de la réduction de la part du nucléaire. On retrouve ici un plan consistant grosso modo à fermer les réacteurs après 40 ans de service, à ne pas construire de réacteurs de remplacement, et à continuer la même politique après 2025. C'est donc bien un plan de sortie du nucléaire quoique puissent en dire François Hollande et ses subordonnés.
  • La création d’une filière industrielle française d’excellence concernant le démantèlement des installations nucléaires. On retrouve là l'idée des Verts que la démolition des centrales peut constituer une activité d'importance. Cela semble bien difficile, EDF prévoyant que le démantèlement des REP lui coûte environ 20% du prix de construction. Le chantier de démolition de Chooz A serait en ligne avec les coûts prévus, d'après ce qu'a déclaré EDF lors d'une audition publique à l'Assemblée Nationale.
  • Il y a bien sûr le fameaux paragraphe sur le MOX. Comme dit par un retraité du CEA dans le Point, il a sans doute été écrit par des non-spécialistes, mais son intention est claire: entraver le maximum d'activités nucléaires pour aller vers la fin de la filière. Comment expliquer sinon qu'on parle de reconversion du site de stockage des déchets finaux?
  • Nous accélèrerons la recherche sur le stockage de l’électricité. Ce qui signifie en clair que le système proposé par les Verts ne fonctionne pas. La grande variabilité des énergies renouvelables politiquement correctes — éolien et solaire photovoltaïque — impose soit de construire des centrales thermiques consommant des combustibles fossiles, soit de disposer de moyens énormes de stockage de l'électricité. On peut certes augmenter l'usage des barrages, mais ce n'est pas suffisant — et contradictoire avec l'objectif de réduire les pertes en ligne — il faut trouver d'autres moyens. Or il s'avère que les ordres de grandeurs nécessaires à la construction de tels stockages sont délirants, par exemple pour un système d'accumulateurs au plomb. En abandonnant le nucléaire, on lâche la proie pour l'ombre et c'est écrit dans l'accord!
  • La recherche publique (notamment l’activité du CEAEA) sera réorientée prioritairement vers l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, leur intégration dans le réseau et les moyens de stockage, ainsi que vers la maîtrise du risque nucléaire (sûreté, déchets, démantèlement). Traduction: il ne faudrait pas que le CEA ait du succès avec la Génération IV, des fois que les gens la confondrait avec la véritable énergie renouvelable. Bref, le CEA ne fera plus de recherches dans le domaine des applications industrielles du nucléaire, à l'image de ce qui se passe en Allemagne.
  • Quant aux réseaux de transport, leur évolution vers des réseaux plus intelligents sera encouragée sous tous ses aspects pour améliorer les services délivrés, maîtriser les coûts, intégrer une part croissante d’ENR et optimiser l’équilibre offre-demande aux différentes échelles. On se demande bien ce que cela peut vouloir dire. Mis à part bien sûr que la production locale ne peut suffire à tout instant dans le cas d'énergies intermittentes. Il faudra donc augmenter les capacités de transport du réseau — nouvelle contradiction avec la réduction des pertes en ligne — ou rationner.

Il est bien difficile de faire plus idéologique. Et de toute évidence, les négociateurs du PS ont tout gobé, sans doute parce qu'il n'y connaissaient pas grand chose et d'autre part parce qu'ils étaient aussi sans doute proches des idées écologistes. Autant dire qu'un tel étalage de dogmatisme et d'incompétence ne m'incitera pas à aller voter pour François Hollande.

22 octobre 2011

Les gesticulations d'Éva Joly, le nucléaire et le PS

Dans le Monde daté du 18 octobre dernier, Éva Joly, candidate des Verts, donnait une interview, titrée «La gauche serait folle de ne pas sortir du nucléaire». Contrairement à ce qu'indique le titre, elle y intervenait principalement pour redire ce qui fait sa spécificité dans le paysage de cette présidentielle, cet attachement visiblement viscéral à la vertu. Mais ce qui a donc retenu l'attention des journalistes, c'est le début où elle nous dit que la gauche serait folle de ne pas annoncer la sortie du nucléaire et où figure cette question où elle paraît répondre en lançant un ultimatum au PS:

Un accord doit être signé entre vos deux formations en novembre. Quels sont les points sur lesquels vous ne transigerez pas?

Il faudra présenter un calendrier de sortie du nucléaire, l'abandon de certains grands travaux devenus absurdes comme l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique. Il faudra aussi de profondes réformes, comme l'introduction de la proportionnelle. Je ne serai pas ministre dans un gouvernement qui n'inscrit pas ces réformes tout en haut de son programme, et aucun membre d'EELV ne le sera non plus.

La demande de législatives à la proportionnelle est en partie satisfaite par la proposition 29 du programme du PS que, bien sûr, François Hollande a promis de respecter à la lettre. Il semble aussi qu'un aéroport de plus ne puisse suffire à faire capoter un accord de gouvernement. C'est donc bien la question du nucléaire qu'il s'agit encore de pousser, les socialistes se refusant encore à prononcer la fin du nucléaire en France. Cette impudence a été vue comme un diktat par divers responsables socialistes et comme une provocation contre-productive par une méchante langue. Malheureusement, il manque quelque chose pour que cette vision des choses soit entièrement justifiée.

Tout d'abord, Les Verts vont entrer en négociation avec le PS pour une répartition des circonscriptions pour les législatives de 2012 ainsi que sur un éventuel programme de gouvernement. Il faut bien que cette fois-ci, on conçoit mal l'intérêt pour le PS d'un quelconque accord avec qui que ce soit. La droite et son champion, Nicolas Sarkozy, sont usés par le pouvoir et les erreurs politiques de ce dernier. Même si l'élection n'est pas jouée, on voit mal comment Nicolas Sarkozy pourrait convaincre ceux qui ont fini par être excédés par ses mesures visant les internautes, sa monomanie de poursuivre sans relâche les immigrés, sa pusillanimité en matière économique. François Hollande va aborder l'élection en position de favori, sans être empêtré dans une réputation — assez méritée — d'incompétence qui a fortement nuit à Ségolène Royal. À la suite de cette victoire présidentielle prévisible, le PS devrait logiquement remporter une large victoire aux législatives. Et même si le PS s'avisait de passer des accords généreux, des militants autochtones se rebelleraient en portant à la députation leur favori local, attiré par la forte probabilité de gagner. Un accord de répartition législative est ainsi d'un intérêt tout relatif dans la situation présente. On peut cependant parier qu'il y en aura un, car un tel accord fait partie de la mythologie du PS, parti qui se veut grand prince dans un régime où tout est conçu pour diriger seul.

Quant à signer un accord de gouvernement, cela ne vaut que si chacun peut y retrouver un peu de ses revendications favorites. Il semble donc que les Verts ne puissent se passer à l'orée d'une négociation pareille d'une démonstration de pureté idéologique. Ainsi se place très bien la demande d'abandon de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, serpent de mer éternel de la région nantaise. On peut aussi y placer la revendication séculaire et à la base du mouvement écologiste, la fin du nucléaire. Les Verts ont une dépendance particulière à ces revendications. Malgré le coup de génie qui a consisté à prendre comme héraut une représentante de la rigueur scandinave, endroit où tous les conflits sont censés se régler par le droit et le dialogue, il est apparent que les Verts ont une organisation qui les rapproche des irrédentistes corses, celle de la vitrine politique. On peut s'immiscer sans titre sur des propriétés privées, y compris pour les saccager, et se faire élire pour le compte de ce mouvement. Abandonner les revendications de base amènerait à la fin du support de la partie activiste qui ne tient pas vraiment à se présenter aux élections, mais à voir ses revendications, aussi extrêmes soient-elles, réalisées. Et participer à un gouvernement, où leur présence ne sera sans doute pas nécessaire, peut s'avérer très dommageable pour la suite, car les Verts risquent d'être forcés d'accepter des mesures dont ils ne veulent pas, sans avoir leur mot à dire, vu qu'ils ne seront pas nécessaires à l'obtention de la majorité absolue.

D'ailleurs, ces revendications sont-elles si démesurées? François Hollande propose de ramener la production d'électricité nucléaire à 50% du total d'ici 2025. Actuellement, selon les statistiques de RTE, l'électricité nucléaire compte pour 74% de la production d'électricité française de 550TWh. Avec 63GW de capacité, le facteur de charge, le rapport de la production effective à la production maximale possible, est d'environ 74%. La domination du nucléaire oblige en effet à adapter sa production en fonction de la saison, les centrales ne peuvent pas tourner à pleine capacité en permanence. Si la puissance disponible venant du nucléaire venait à baisser, ce facteur devrait remonter vers les 90%, le facteur de charge atteint aux USA par exemple. Les socialistes, même si ce n'est pas précisé, entendent certainement procéder en faisant baisser la puissance nucléaire disponible, non en augmentant la production totale d'électricité, c'est pourquoi on supposera cette dernière constante dans le futur. Le parc nucléaire français se compose de réacteurs de 900MW pour presque la moitié de la puissance installée, le reste étant constitué de réacteurs de 1300MW sauf pour les 4 derniers qui sont des réacteurs de 1500MW. Il semble probable que les centrales aient une durée de vie minimale de 40 ans pour des raisons de coût, mais qu'on ne les utilise pas au-delà pour des raisons de sécurité, au moins pour les réacteurs de 900MW dont la conception est la plus ancienne. On peut trouver sur wikipedia la liste des réacteurs français avec leur date de connexion au réseau, ce qui peut donc donner lieu à divers calculs, dont on peut tirer le graphe suivant. Part du nucléaire dans la production d'électricité française On constate que si le facteur de charge reste d'environ 75%, l'objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire est atteint en 2023. Si le facteur de charge croît jusqu'à 85%, ce sera au cours de l'année 2024. Au 1er janvier 2025, dans ce dernier cas, la part du nucléaire sera de 46%. Pour arriver à 50%, il manque 2 EPRs de 1600MW. Ça tombe bien: un est en construction à Flamanville, un autre est en projet à Penly. Pour résumer, le projet socialiste se résume à faire un effort similaire à l'Allemagne où le nucléaire représentait l'année dernière 28% de la production d'électricité en laissant se fermer toutes les vieilles centrales au bout de 40 ans et à ne construire que les réacteurs nucléaires qui sont déjà prévus. Même le plan préparé par negawatt, dont j'ai dit tout le bien que j'en pensais, finit par se heurter à la durée de vie de 40 ans. Si le plan du PS n'est pas un plan de sortie du nucléaire, qu'est-ce donc? Il lui manque certes le nom, ce que veut lui ajouter Éva Joly.

Bref, loin d'être le diktat dénoncé, les déclarations d'Éva Joly relèvent plutôt de la gesticulation de quelqu'un qui veut se différencier et montrer sa pureté idéologique. Il n'y a sans doute pas trop à craindre à avoir pour le futur accord de gouvernement et, si Hollande doit faire des Verts le PCF du premier quart du 21e siècle, ce sera après en avoir repris les idées principales à son compte. Il serait aussi fort aimable au PS de préciser ses perspectives sur la production d'électricité, avec les moyens de remplacement du nucléaire et ce qu'il compte faire après 2025.

8 octobre 2011

Escroquerie renouvelable

Les opposants à l'énergie nucléaire ont un problème: si on ferme les centrales nucléaires, par quoi les remplacer? On pourrait bêtement penser les remplacer par ce qui existait avant que la décision ne soit prise dans les années 70 de baser la production d'électricité sur la fission de l'uranium: les énergies fossiles, notamment le charbon et le gaz naturel. Ces technologies ont toutefois un gros défaut: elles produisent comme déchet du gaz carbonique, gaz à effet de serre bien connu. Or il se murmure que trop d'émissions amènerait à un réchauffement incontrôlé et important de la planète qui s'accompagnerait d'évènements imprévisibles mais presque certainement néfastes. Il est donc important de proposer des moyens de remplacer les centrales nucléaires par des énergies ne produisant pas de gaz à effet de serre.

C'est pourquoi il est important pour ces opposants de disposer de scénarios intégrant à la fois fin des combustibles fossiles et fermeture des centrales nucléaires. Ces scénarios sont aussi utiles pour ceux qui sont favorables à la continuation de la production d'électricité par l'utilisation de la fission: si ces scénarios ne sont pas crédibles, le nucléaire en sort conforté; s'ils le sont, on pourrait toujours s'en servir comme d'une base pour un scénario différent où le nucléaire pourrait apporter, par exemple, un coût moindre. En France, l'association négaWatt a présenté un scénario actualisé. Tout d'abord, il faut remarquer que ce scénario s'appuie avant tout sur une baisse drastique de la consommation d'énergie. Ce n'est pas étonnant, une part prépondérante de l'énergie finale consommée en France est utilisée dans le secteur des transports — utilisation de voitures, camions, ... — et dans le secteur du chauffage — notamment au gaz naturel. Si on veut sortir du nucléaire ou à tout le moins ne pas avoir à construire de nombreuses centrales, il faut bien faire des efforts en matière de consommation pour se passer de combustibles fossiles.

Cependant, si on se tourne du côté de la production d'électricité, on peut remarquer quelques menus problèmes. D'abord, si on regarde le dossier de synthèse, on voit (p22) un graphe décrivant la provenance de l'énergie consommée en France en 2010. On constate que le charbon n'est pas utilisé pour la production d'électricité, mais seulement dans la sidérurgie et le chauffage, ce qui est en totale contradiction avec ce qu'on trouve dans les documents de RTE, l'entreprise qui s'occupe du réseau de transport d'électricité. Dans le bilan prévisionnel publié cet été, on lit (p83) qu'il y a eu 19TWh d'électricité produite à partir du charbon en 2010. On peut aussi regarder le bilan énergétique publié par le ministère de l'énergie: p21 on voit que la France a importé 11.8 Mtep de charbon et produit 0.1Mtep (p17). Ce qui nous donne 138TWh, 54 de plus que sur le diagramme de negaWatt. Si on fait l'hypothèse que la production d'électricité à partir de charbon a été oubliée, cela nous donne un rendement des centrales au charbon de 35%, ce qui paraît raisonnable. Il semble donc bien que la consommation de charbon pour la production d'électricité ait été oubliée, ce qui ne fait pas très sérieux, s'agissant de la situation de départ.

Sur le diagramme de la p23 du dossier de synthèse, on voit que l'éolien produirait 194TWh soit presque la moitié de la production électrique dans leur scénario. Si on lit la présentation sur les sources d'énergie, les énergies produites et les puissances installées par types d'installations nous sont données. À partir de là, on peut calculer le facteur de charge, c'est-à-dire le rapport de la production réelle à la production théoriquement possible sur une année. Ce qui donne le tableau suivant:


Situation Puissance installée (GW ) Production (TWh) Facteur de charge
Terrestre 48 97 23%
Côtière 8.5 26 35%
Maritime 21 71 38.5%

Malheureusement, les facteurs de charge sont quelque peu ambitieux. Actuellement, le facteur de charge moyen des installations éoliennes est de 23%. Comme on peut supposer que ce sont les meilleurs sites qui sont équipés en premier, le facteur de charge ne peut que décroître à mesure que de nouvelles éoliennes sont installées. Ce qui veut dire que le taux de charge pour les éoliennes terrestres est forcément surévalué. Avec le nombre de sites équipés que cela suppose, le taux de charge sera sans doute plus bas de 2 ou 3 points en réalité. Quant aux taux de charge des éoliennes marines, il semble extrêmement surestimé. L'annuaire statique anglais sur les énergies renouvelables nous donne en effet les taux de charge pour les éoliennes terrestres et marines séparément (tableau p30). En moyenne, le taux de charge des éoliennes marines est en moyenne 4 points au dessus des terrestres, et non 12. Certes, plus on s'éloigne des côtes et plus le taux de charge doit augmenter, mais les 35% et plus ne sont pas accessibles — surtout en moyenne avec des installations de cette ampleur — dans les eaux françaises. Avec ce qui est proposé, la production éolienne est surévaluée avec un ordre de grandeur de 30TWh, soit 15%. Avant d'aborder la question de la variabilité, la production d'électricité paraît clairement surestimée, alors même que le scénario prévoit une baisse drastique de la consommation pour être compatible avec la production. En clair, le plan combine des économies d'énergies impossibles à réaliser et une production insuffisante.

Le scénario de negaWatt prévoit une solution pour la variabilité des énergies renouvelables: ils proposent de fabriquer de l'hydrogène par électrolyse puis de le stabiliser en le transformant en méthane à partir de gaz carbonique (p19 du rapport, p20 de la présentation sur les sources d'énergies). Cependant, ce méthane ne sert pas à produire d'électricité directement. Ce n'est donc pas une solution à la variabilité de l'offre d'électricité, puisque, si les crêtes sont gérées de cette façon, les trous sont toujours à gérer. Pour gérer ces trous, ils proposent d'utiliser plus les stations de pompage — remonter de l'eau dans les barrages: avec le même nombre de stations, ils triplent quasiment le courant produit de cette façon. La production d'hydroélectricité augmente ainsi de 10TWh par rapport à 2010. Par ailleurs, il ne reste que 2.5TWh de centrales thermiques pures (sans cogénération). Au total, il ne reste de purement disponible à la demande que moins de 5% de la production d'électricité; à l'heure actuelle, on en est à 90% voire plus, dont plus de 10% de thermique fossile qui, avec les barrages de retenue, sont les moyens qui font véritablement face aux pointes de consommation — et non aux chutes de production involontaires! Si on ajoute la cogénération dans le scénario négaWatt, on arrive à presque 12% de l'énergie produite. Seulement voilà: la cogénération est censée produire aussi de l'eau chaude, dont on n'a pas forcément besoin lorsque le vent s'arrête ou que la couverture nuageuse est importante. Ce projet prévoit ainsi 21TWh de «micro-cogénération», autrement dit des gens qui produiront de l'électricité avec leur chaudière à gaz. Imagine-t-on que les gens utiliseront leur chaudière pour servir de groupe électrogène lorsqu'ils auront besoin de courant mais pas d'eau chaude ni de chauffage? Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est certainement pas une solution efficace, comme l'a montré autrefois Carnot: les chaudières des habitations ont des températures de source chaude nettement plus basses que les CCGTs.

Mais même ainsi, on n'arrive donc que péniblement à la production disponible à la demande et rapidement comparable à l'actuelle, alors que l'éolien et le solaire sont très imprévisibles, comme le montrent les aperçus de la production en France ou encore les données sur les centrales solaires. Actuellement, pour pallier cet inconvénient, les pays utilisant beaucoup l'énergie éolienne compensent l'absence de vent à l'aide de centrales thermiques au charbon ou au gaz, comme on peut le voir sur cette page, en bas. Ce qui fait que, grosso modo, à chaque fois qu'une éolienne est installée, il faut disposer d'une production thermique disponible supplémentaire équivalente en puissance. Pour couronner le tout, le scénario s'appuie énormément sur le solaire; or l'éclairage est une forte composante de la demande de pointe et il est évident que la demande d'éclairage est directement liée à l'absence de luminosité procurée par le soleil. Autant dire que la façon d'assurer l'équilibre offre-demande à tout instant, essentiel dans un système électrique, est très nébuleuse et paraît extrêmement peu crédible.

Pour conclure, negaWatt surestime la production d'électricité et sans doute aussi les économies d'énergies qui sont raisonnablement réalisables. La production d'électricité est confiée en majeure partie à des sources variables, les moyens de production à la demande disparaissent quasiment pour laisser la place à de la production subie. Il ne reste plus dans le système que ce qui est actuellement prévu pour gérer les pointes de consommation, alors qu'aujourd'hui les centrales produisent principalement à la demande. Prétendre qu'on tient là une alternative crédible aux plans actuels et une possibilité de se passer d'électricité nucléaire, c'est une pure escroquerie. Mais on peut gager que ce scénario servira lors de la prochaine campagne présidentielle et que ceux qui s'en prévaudront ne seront jamais ou presque contredits.

7 septembre 2011

La logique victime du nuage de Tchernobyl

L'actualité nous donne avec le non-lieu prononcé par la Cour d'Appel de Paris d'étudier les effets des retombées du nuage de Tchernobyl sur la presse et le sens logique des journalistes. La Cour a donc au moins estimé qu'il n'y avait pas assez de preuves contre le Pr Pellerin, seul mis en examen dans cette affaire pour tromperie aggravée car il dirigeait le SCPRI lors de la catastrophe de Tchernobyl. En fait, en faisant quelques recherches, on voit mal comment il aurait pu vouloir tromper qui que ce soit. Cela n'empêche pas divers articles de presse de reprendre en chœur l'argumentation de ses détracteurs selon lesquels on est là en présence d'un complot.

D'abord, il faut rappeler que contrairement à une légende tenace, ni le gouvernement français, ni le SCPRI, ni le Pr Pellerin n'ont affirmé que le nuage de Tchernobyl s'était arrêté à la frontière. Ce mythe est démonté consciencieusement sur cette page où les évènements sont décrits pas à pas. S'il semble saugrenu qu'un organisme publiant jour après jour des cartes montrant le survol du territoire français par le nuage radioactif puisse vouloir cacher quoi que ce soit, cela n'a pas gêné certaines personnes. Il faut dire qu'en plus de publier les mesures de rayonnement, le SCPRI les reliait au consensus scientifique de l'époque, à savoir que les risques pour la santé étaient infinitésimaux. Ce consensus a depuis été confirmé par les faits, puisqu'on a bien été incapable de détecter une quelconque influence du nuage de Tchernobyl sur la santé. Les habitudes ont la vie dure, puisque, cette année, le CRIIRAD a tenté de faire croire que l'IRSN — successeur du SCPRI — avait caché le survol du territoire français par les rejets dus à l'accident de la centrale de Fukushima, alors même que les relevés sont tous disponibles en ligne. Cependant, les références à un quelconque mensonge du Pr Pellerin ne se sont plus produites que mezzo voce, la condamnation de Noël Mamère pour diffamation n'y étant sans doute pas étrangère.

Partant du fait que les informations communiquées par le SCPRI étaient exactes et reflétaient le consensus scientifique de l'époque, il est normal que toute poursuite pour tromperie ou coups et blessures ne mène à rien. Une action a tout de même été tentée par une association de malades de la thyroïde qui allègue notamment de l'augmentation du nombre de cancers de la thyroïde. Une petite recherche sur le sujet des cancers de la thyroïde livre des documents intéressants.

  • Un livret décrivant les cancers de la thyroïde édité par la Ligue contre le cancer nous informe qu'il y a peu de chances que l'augmentation du nombre de cancers soit lié au nuage de Tchernobyl (p18).

Le nombre des cancers de la thyroïde découverts chaque année en France est d’environ 4 000. Ce nombre augmente régulièrement depuis 1970. Cette augmentation, observée dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis, est liée essentiellement à l’amélioration des pratiques médicales qui permet le dépistage de petites tumeurs. (...) En France, la contamination a été beaucoup plus faible, la dose d’irradiation à la thyroïde des enfants ayant très rarement dépassé une dizaine de mGy, aucun effet sanitaire (n')est attribué (au nuage de Tchernobyl).

  • Un article dans une revue médicale nous apprend que l'augmentation du nombre de cancers est liée à l'amélioration de la technique et qu'en prime on n'est même pas sûr que cette amélioration de la technique ait de réels bénéfices (p2)

L’augmentation de l’incidence des cancers de la thyroïde observée depuis plusieurs décennies est liée à une augmentation du diagnostic des petits cancers papillaires, permise par l’amélioration des pratiques. D’un point de vue médical, ces petits cancers de la thyroïde ont un excellent pronostic, et les bénéfices de leur détection précoce ne sont pas démontrés.

En effet, l’augmentation de l’ensemble des cancers thyroïdiens vient pour une grande part de l’augmentation des cancers de petites tailles (micros cancers papillaires) et de stade précoce, qui n’évoluent pas toujours vers une expression clinique. (...) Les études d’évaluation quantitatives de risque sanitaire, associées à la surveillance des évolutions temporelles et des répartitions spatiale du cancer de la thyroïde, ont permis d’exclure un impact important des retombées de Tchernobyl en France.

Pour dire les choses simplement, non seulement il n'y a eu aucune tromperie, mais en plus le consensus scientifique de l'époque a été confirmé par les études, ce qui fait que les plaignants ne peuvent même pas se prévaloir des effets du nuage de Tchernobyl. La lecture des documents laisse même à penser que l'amélioration des techniques de détection n'a servi à rien du point de vue de la santé publique!

Passons maintenant à ce qu'en dit la presse. Le Monde se contente d'un court article dont on peut retirer que le Pr Pellerin s'en est tiré grâce à ses puissants appuis malgré une augmentation significative des affections thyroïdiennes. Libération nous gratifie d'un article recopié d'une dépêche AFP donnant une large place à la parole des plaignants qui font appel au mensonge d'état. Mais c'est dans le Figaro qu'on trouve une perle où le sommet est atteint:

Monique Séné, présidente du Groupement des scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire (GSIEN) au moment de l'accident, partage cette analyse. «Le docteur Fauconnier a bien mis en évidence les conséquences du nuage sur la santé des bergers corses, explique-t-elle. Mais il est quasiment impossible, si longtemps après les faits, de faire la part des choses entre un cancer lié à l'influence du nuage ou un cancer venant d'ailleurs.»

Pour résumer, des conséquences sur la santé ont été mises en évidence: l'inexistence de l'effet du nuage. C'est pour cet effet d'ampleur colossale qu'il faut condamner le Pr Pellerin.

Dans aucun article, je n'ai trouvé de référence même courte au fait que l'augmentation des cancers de la thyroïde était due à l'amélioration de la technique, alors qu'on peut sans peine trouver cette information sur le web. La presse laisse donc le champ libre au post hoc ergo propter hoc et reproduit même une déclaration qui réussit l'exploit de se contredire en 2 phrases. D'une certaine façon, si le nuage de Tchernobyl a eu des retombées néfastes en France, la recherche documentaire et le respect de la logique par la presse figurent sans nul doute parmi les victimes.

13 juillet 2011

Retour vers le futur

Ulrich Beck publie dans le Monde une autre tribune anti-nucléaire, intitulée Enfin l'ère postnucléaire. Il s'agit pour lui de répondre à des critiques venant non seulement à des industriels honnis, mais aussi à des écologistes grand teint comme George Monbiot. Il est vrai que ces voix discordantes sont gênantes: à partir de rapports officiels, ils osent affirmer que l'énergie nucléaire est l'énergie la moins dangereuse et qu'elle est aussi la seule qui permette de réduire drastiquement les émissions de gaz carbonique. Ils osent aussi dire que ceux qui se répandent sur les risques prétendûment extrêmes du nucléaire sont de dangereux menteurs.

L'irrationalité d'un principe de précaution dévoyé

Une réponse s'imposait donc. Et la seule réponse alors est celle de Beck: puisqu'on ne peut plus dire que cette funeste énergie n'est pas la plus dangereuse selon les mesures usuelles, c'est donc qu'il faut changer de mesures. Plus précisément, la nature du risque nucléaire est différente des risques usuels. L'accident nucléaire a ainsi des conséquences à long terme, il ne suffit pas de venir éteindre l'incendie. Les conséquences sont aussi extrêmement graves, ce qu'on peut subodorer lorsqu'on lit :

Nous savons combien de temps persiste le rayonnement radioactif, quelles lésions le césium et l'iode infligent aux hommes et à l'environnement, et combien de générations auront à souffrir si jamais le pire arrivait.

Le lecteur attentif aura reconnu l'invocation au principe de précaution, qui s'applique comme chacun sait lorsque des conséquences graves et irréversibles sont possibles. La sagesse populaire nous enseigne alors qu'on doit alors agir selon le pire scénario envisagé et par suite de nous abstenir d'user de cette technique venue tout droit des enfers. Cette prétendue sagesse est totalement irrationnelle. Le pire scénario ne relève que de l'imagination de celui qui l'écrit et non d'une analyse des évènements tels qu'ils peuvent se produire et encore moins de ceux qui se sont déjà produits. C'est ainsi que la fusion du combustible nucléaire s'est déjà produite en divers endroits.

  • En 1952, à Chalk River un réacteur subit une fuite dans son circuit de refroidissement. Il s'ensuit la fusion de son combustible. Une équipe de nettoyeurs. Bilan: 0 mort, un président des États-Unis toujours vivant 60 ans après les faits. 2 ans plus tard, le réacteur redémarrait.
  • En 1957, sur le complexe de Windscale, depuis rebaptisé Sellafield, un réacteur graphite-gaz subit un incendie de son modérateur, le graphite et une fusion partielle de son combustible. Bilan: 0 mort une fois de plus, aucun blessé.
  • En 1978, fusion du réacteur n°2 à la centrale de 3-Mile Island. L'enceinte de confinement et la cuve du réacteur résistent à l'explosion d'hydrogène. Conséquences: 0 mort, 0 blessé.
  • En 1986, explosion du réacteur n°4 de Tchernobyl. L'absence d'une enceinte de confinement a permis la dispersion massive de matériaux radioactifs. Le bilan direct est d'une trentaine de morts, 134 irradiations aigües. De nombreux cancers de la thyroïde ont été détectés (environ 6000) après cela, conduisant à la mort d'environ 60 personnes. Plus généralement, l'UNSCEAR estime qu'il y aura 4000 morts étalés sur plusieurs décennies.
  • En 2011, à la suite d'un séisme de magnitude 9 et d'un tsunami de 15m de haut, les 3 premiers réacteurs de la centrale de Fukushima connaissent une fusion du cœur du réacteur. À l'heure actuelle, aucun mort à déplorer du fait des radiations, les morts sont dus aux effets directs du séisme et du tsunami.

Force est donc de constater que ces incidents sont restés rares et de plus généralement sans conséquences mortelles directes. On s'attend cependant à 4000 morts du fait de Tchernobyl sur plusieurs décennies, soit autant qu'à Bhopal en quelques heures. Même si Ulrich Beck récuse que le décompte des morts soit une bonne façon d'apprécier le risque, force est de constater que le scénario du pire n'est pas le plus probable, et qu'il l'est de moins en moins du fait des mesures de sécurité adoptées. Un point où l'auteur a raison, c'est que les catastrophes nucléaires obligent à évacuer la population. Il est vrai que les catastrophes chimiques ou les ruptures de barrages ne laissent guère cette opportunité du fait de la vitesse des évènements. Mais cette évacuation est entièrement une construction sociale, par exemple, les conséquences des bombes d'Hiroshima et de Nagasaki ont montré qu'une exposition à un flash de 100mSv conduisait à une hausse de 1% des cancers à long terme. De fait, les conséquences en termes de santé sont faibles, des études ont même trouvé qu'il y avait moins de cancers qu'attendus (voir par exemple le rapport 2008 de l'UNSCEAR, tableau D19 p149) parmi les gens vivant dans la zone d'exclusion de Tchernobyl!

Mais ce refus de la comparaison en nombre de morts amène à cette remarque: finalement toutes les morts ne sont pas égales. Entre le mineur chinois tué par le coup de grisou, le monteur de panneaux solaires tombant d'un toit et le mort du fait des radiations échappées d'un réacteur hors de contrôle, la perception n'est pas la même. Pour résumer, le premier n'avait qu'à vivre dans un pays riche, lui permettant de ne pas exercer cette profession, le deuxième a une mort honorable peut-être due à la fatalité, c'est en quelque sorte une nécessité de l'ère postnucléaire, le dernier est un martyr.

Le renoncement à la modernité

Ulrich Beck enchaîne ensuite avec un autre grave problème des anti-nucléaires: le coût. En effet, l'électricité nucléaire a le mauvais goût, en plus d'être très sûre, d'être bon marché. Il importe donc de la rendre plus chère. La question de l'assurance lui donne l'opportunité d'affirmer que ce coût est sous-estimé. En effet, le montant de dommages que l'exploitant d'une centrale nucléaire peut être amené à payer est toujours plafonné, l'excédent étant assumé par l'état. Il est toutefois à noter que pour le montant à assumer — certes faible — la souscription d'une assurance est obligatoire. Cela fait dire à l'auteur que l'énergie nucléaire a été la première industrie socialiste d'Etat, le terme socialiste renvoyant aussi à un côté dictatorial. Ce n'est pas tant que ce soit faux qui pose problème, les banques ayant précédé de quelques décennies l'industrie nucléaire. Le problème, c'est que depuis la 2e moitié du 20e siècle ce type de garanties socialisantes se sont multipliées. Ainsi en est-il de l'assurance maladie, où chacun peut faire prendre en charge les risques qu'il prend par la collectivité, sans finalement avoir à renoncer aux bénéfices, tel qu'une dose de plaisir, que cette prise de risque peut amener. Plus proche encore du cas de l'industrie nucléaire, il y a le cas des catastrophes naturelles. L'état indemnise sans barguigner des gens qui se sont installés en connaissance de cause ou alors par bêtise pure dans des zones dangereuses. Ils bénéficient alors de leur situation jusqu'à la catastrophe, le pécule mis à leur disposition ensuite leur permet d'aller vivre ailleurs. Il est donc clair que l'état joue aujourd'hui couramment le rôle d'assureur en dernier recours, lorsqu'aucun acteur privé ne veut s'y risquer ou encore pour se débarrasser des questions de sélection adverse. Le nucléaire fait partie du premier cas: finalement, il n'y a pas eu assez d'accidents nucléaires pour avoir une idée des dégâts à rembourser et des conditions dans lesquels ils se produisent. Le problème n'est pas le nombre de morts ou la durée des dégâts, en cela aussi les mines de charbon sont compétitives. Il existe une raison objective à cette évolution de l'état en assureur de dernier recours: la possibilité de taxer s'est fortement accrue depuis le début du 20e siècle, de même que l'appareil statistique, lui donnant des moyens financiers incomparables et la possibilité de contrôler le risque. Ce que prétend Beck, c'est que cet état des choses est anti-démocratique, alors même que ce système a été développé au sein même des démocraties. Au final, ce sont bien les citoyens et leurs représentants qui décident des risques qu'ils veulent assumer. L'Allemagne tourne le dos au nucléaire, préférant assumer les risques propres aux énergies renouvelables; cela ne veut pas dire qu'ailleurs, le choix ne peut être différent.

Ulrich Beck compare alors l'état actuel de l'industrie de l'énergie renouvelable à celui de l'exploitation du charbon à la fin du 18e siècle. Mais une fois de plus, il n'est que de remarquer qu'avant d'exploiter les ressources fossiles, l'homme ne pouvait qu'utiliser ces ressources dites renouvelables. De ces techniques, aujourd'hui, une seule reste très utilisée, celle du moulin à eau. Les autres ont disparu, pour diverses raisons. L'énergie solaire est évidemment limitée par l'alternance du jour et de la nuit et la présence imprévisible et inévitable de nuages, y compris en plein désert, le vent ne souffle pas vraiment quand on en a besoin et est de toute façon trop diffus, la biomasse devient non renouvelable passé un certain degré d'exploitation et s'accompagnait d'une pollution importante. La véritable révolution dans l'exploitation du charbon, c'est qu'enfin, pour des dizaines d'années, l'homme a pu disposer d'une énergie concentrée, utilisable où et quand il le souhaitait. Le nucléaire permet de poursuivre dans cette voie: la concentration en énergie est nettement supérieure, les réserves permettent d'envisager une vie confortable une fois les réserves de carbone fossiles épuisées ou à l'exploitation limitée pour éviter le réchauffement climatique. Le prix à payer, c'est celui que nous impose la modernité: en quittant le monde paysan, chacun est devenu plus spécialisé et n'est plus capable que d'assurer une petite partie de ses besoins, chacun se repose sur la présence des autres pour vivre. C'est aussi concomitant au mode de vie citadin adopté de par le monde.

Contrairement à ce que Beck affirme l'énergie solaire n'est pas plus démocratique que le nucléaire: avant que de pouvoir produire, l'aventurier du panneau doit justement s'en fournir un, en payant bien sûr uen somme à une grande industrie, celle du semiconducteur. C'est ainsi qu'on estime que l'énergie solaire est 10 fois plus chère que l'énergie nucléaire. L'acheteur de panneau solaire ne pourrait l'ignorer s'il ne vivait au dépens des autres après avoir installé un deuxième compteur électrique lui permettant de revendre l'électricité qu'il produit bien plus cher que celle qu'il achète. Pour cela d'ailleurs, il faut bien trouver des gogos qui sont, bien sûr, ceux à qui font défaut ou les moyens financiers ou la place disponible, à savoir les pauvres et les citadins. Mais en affirmant que l'utilisateur de panneaux solaires était nettement plus indépendant et libre que l'assujetti à l'électricité nucléaire, Beck nous donne à voir une étrange vision du futur. Car continuer à survivre alors que le lien aux autres est coupé, cela s'appelle l'autarcie et l'histoire a démontré que c'était là le meilleur moyen de retourner à la misère.

Pour conclure, on peut constater que des fondements du monde moderne, la primauté de la raison, la fin de l'autarcie, l'expansion de l'état et des fonctions communes, tout doit être abandonné. On doit se retourner vers une simple perception des risques, l'autoproduction et l'indépendance individualiste. Vraiment, si c'est cela le futur qu'on nous promet avec les énergies renouvelables, il est grand temps de se réveiller et de construire plus encore de réacteurs nucléaires!

6 juin 2011

Arguments fissiles

Puisque la rubrique «tribunes» du journal français dit de référence continue d'être alimentées par les militants anti-nucléaires, on se doit de publier un nouveau billet consacré encore une fois au nucléaire civil, ou plutôt aux arguments déployés par ses opposants. Le Monde a ainsi fêté dignement les 25 ans de Tchernobyl en publiant leur vision eschatologique du bilan de la catastrophe — qui a reçu ailleurs une volée de bois vert bien méritée — à la suite de l'article écrit par leur chroniqueur écologique maison dont wikipedia nous fait obligeamment remarquer qu'il se dit lui-même partisan de la décroissance, ce qui peut expliquer pourquoi certains ont pu trouver cet article biaisé. Il publia ensuite une tribune sur le thème de l'indéfendable nucléaire dont on a dit ici tout le bien qu'on en pensait puis enfin, plus classiquement, l'appel à un référendum en France sur le sujet des principales personnalités écologistes du moment. Le 31 mai, Stéphane Lhomme, ancien porte-parole de Sortir du nucléaire, apporte sa pierre à l'édifice avec une tribune titrée Sortir du nucléaire à un rythme "raisonnable" est… déraisonnable !.

Comme d'habitude, on y trouve des arguments peu convaincants. L'auteur écrit que les emplois dans l'industrie du nucléaire sont de mauvaise qualité et que les travailleurs y sont forcément irradiés. Actuellement, la réglementation française veut que les travailleurs du nucléaire ne reçoivent pas plus de 20mSv/an. Le seuil communément admis du seuil de dommage se situe à 100mSv/an; au Kérala, en Inde, on estime qu'une région où habitent 100k personnes, la dose reçue est d'en moyenne 15mSv/an (cf Annexe B du rapport de l'UNSCEAR en 2000, Table 11, p39) sans qu'on constate des effets délétères. La qualité des emplois dans le nucléaire ne semble pas pire que dans d'autres secteurs et s'ils sont peu nombreux, les salaires sont certainement plus élevés que le salaire moyen français. De plus, le fait qu'il y ait beaucoup d'emplois dans la production d'énergie ne veut pas dire qu'il y ait plus d'emplois en tout dans un pays: les espoirs fondés sur les énergies renouvelables seront inévitablement déçus. Par contre, cela permettra sans nul doute au personnel politique de se montrer en train distribuer des emplois grâce à leur pouvoir. La raison de cet échec prévisible est simple: tout le monde reconnaît que ces énergies sont forts chères.

Le prix de l'électricité est justement un des autres arguments de l'auteur. Pour la première fois, une source nous est donnée, Eurostat, ainsi que, via un lien vers le site anti-nucléaire de l'auteur, un graphique extrait d'une étude. Un premier regard sur le graphique montre que la France n'est pas si mal placée puisque l'électricité y coûtait 25% de moins que la moyenne européenne, ce qui contredit déjà la pensée de l'auteur.

Un détour par le site d'eurostat montre qu'il s'agit d'une étude semestrielle, dont la dernière mouture étudie les prix du 1er semestre 2010, même si les chiffres du 2e sont déjà disponibles en consultant la base de données. On voit ci-dessous le graphique actualisé: prix_particuliers2010S1.jpg

La France a amélioré sa position, puisqu'il n'y a plus que 7 pays meilleur marché contre 12 en 2007. Ce changement a 2 causes. La première est sans nulle doute les évolutions des cours des matières premières et des politiques locales. La deuxième est qu'il y a eu un changement de méthodologie. Cependant l'identité des pays meilleur marchés que la France n'a pas beaucoup changé. On s'aperçoit qu'il s'agit dans l'ordre de la Bulgarie, de l'Estonie, la Roumanie, la Lettonie, la Croatie, la Lituanie et enfin la Grèce. Tous sauf un sont d'anciens pays du bloc de l'est où le niveau de vie et donc les salaires sont plus bas qu'en France, ce qui a inévitablement un effet sur le prix final de l'électricité puisqu'il faut bien payer les dépanneurs, ceux qui relèvent les compteurs, etc. Fatalement, cela se voit sur le graphe (p6) où est donné le prix en parité de pouvoir d'achat: la France s'y place 2e devancée de peu par la Finlande.

Un autre point mérite aussi l'attention: parmi ces pays peu chers, la Bulgarie et la Roumanie ont des réacteurs nucléaires sur leur sol et comptent en construire d'autres. Les triplés baltes ont un projet de centrale nucléaire pour remplacer celle d'Ignalina. La Croatie possède 50% de la centrale de Krško, située en Slovénie. Seule la Grèce a renoncé à l'électricité nucléaire.

Sur la première page, juste au-dessous du graphe donnant les prix offerts aux particuliers, figure le graphe des prix industriels. prix_industriels2010S1.jpg Miraculeusement des pays forts chers deviennent bon marché. On peut citer la Suède et le Danemark. On voit là une différence de nature politique: certains pays découragent l'utilisation d'électricité par les particuliers, ou bien préfèrent favoriser l'industrie de façon à retenir cette dernière sur leur territoire.

On peut aussi remarquer que les pays les plus chers pour les particuliers ont un niveau de taxes très important. Ainsi au Danemark, elles dépassent 50% du total. Le graphe montre d'ailleurs une forte taxe d'accise (taxe hors TVA), point partagé avec l'Allemagne et le Portugal. On ne peut que subodorer la cause de cette taxe: les énergies renouvelables. Ces énergies, au premier rang desquelles figurent l'éolien et le solaire, sont — répétons-le — fort chères. Pour encourager la construction d'éoliennes et de panneaux solaires, plutôt que d'augmenter tel quel le prix de l'électricité, le gouvernement crée une taxe. En France, il s'agit de la CSPE. C'est un mécanisme très intéressant pour les états entendant développer ces énergies: il n'y a pas d'effet d'aubaine pour les centrales existantes. Mais surtout par ce biais, on épargne à l'industrie une hausse des coûts qu'on laisse donc entièrement à la charge des particuliers. En cela, on peut profiter d'une dissymétrie entre eux: si ses produits deviennent trop chers, une entreprise mourra et ne paiera plus rien; les particuliers sont bien obligés d'habiter quelque part, de préférence près de leur lieu de travail, on peut donc les matraquer librement. On voit là une conséquence inattendue des énergies fantastiques que sont les renouvelables: les citoyens qui n'ont pas la chance de devenir producteurs sont les victimes d'un choix d'énergie puisqu'ils en supportent la charge intégrale.

C'est alors qu'on peut faire une remarque sur les pays les plus chers. Il s'agit du Danemark, de l'Allemagne, de la Belgique, de la Norvège, de l'Italie, de l'Autriche, de Chypre et de la Suède. La Norvège n'a pas de projets particuliers, elle produit la quasi-totalité de son électricité par des barrages, la situation à Chypre est inconnue. Tous les autres, par contre, ont annoncé leur volonté de ne pas utiliser le nucléaire civil. C'est ainsi qu'on peut voir que de l'argumentation de Stéphane Lhomme, il ne reste pas grand'chose. D'une part, l'électricité est effectivement bon marché en France. D'autre part, tous ceux qui annoncent leur sortie du nucléaire ont des coût facturés aux particuliers très élevés de sorte que l'abandon du nucléaire aggravera cette situation mais de façon relativement supportable, et ce d'autant plus que les industries seront protégées de l'augmentation des prix par une taxation punitive des particuliers. On conçoit donc quel serait le désastre en France si jamais le nucléaire civil devait être abandonné: les prix seraient au minimum multipliés par 2 voire nettement plus pour rejoindre les prix allemands, pendant qu'on essaierait tant bien que mal de préserver l'industrie du destin promis au vulgaire.

30 mai 2011

Fin du protocole de Kyoto

Aujourd'hui, l'Agence Internationale de l’Énergie (AIE) a publié une dépêche à propos du volume d'émissions de gaz à effets de serre provenant de la demande en énergie de l'humanité. Le titre en rend bien compte: les perspectives sont sinistres. En effet, pour éviter des changements trop importants et imprévisibles du fait du réchauffement climatique, l'objectif d'une augmentation de 2°C de la température moyenne mondiale par rapport à 1990 a été retenu, par exemple à Cancun (point 4.). Or pour arriver à limiter l'augmentation des températures à ce niveau, il faut stabiliser la concentration de gaz à effet de serre à l'équivalent d'une concentration en CO2 de 450ppm, comme le montre cette abaque du GIEC. En retour, cela a des conséquences sur les émissions annuelles. Le scénario de l'AIE pour arriver à maintenir la concentration en deçà des 450ppm prévoit ainsi que les émissions industrielles soient limitées à 31Gt d'équivalent CO2 entre 2015 et 2020 et qu'elles décroissent ensuite. Ce n'est pas le seul scénario possible, mais la vitesse d'élimination du CO2 par la nature oblige à une baisse plus rapide ensuite au cas où les émissions seraient durablement plus élevées que les 31Gt. Scénario 450 de l'AIE L'AIE estime qu'en 2010, 30.6Gt équivalent CO2 ont été émises. En d'autres termes, il faut que dès l'année prochaine les émissions n'augmentent plus, ou alors que cette augmentation soit très limitée pour atteindre 32 Gt en 2020! Soit seulement 5% d'augmentation en 8 ans. Pour dire les choses clairement, il s'agit d'un doux rêve. On s'achemine plutôt vers le scénario de base qui voit les émissions s'accroître d'environ 15% d'ici à 2020, et encore celui-ci apparaît comme bien en deçà de la réalité. Ce scénario représente peu ou prou les engagements pris lors des sommets de Copenhague ou de Cancun dont on estime qu'il vont entraîner une hausse de la température moyenne entre 2.6 et 4°C, l'AIE prévoyant explicitement une stabilisation à 650ppm d'équivalent CO2 soit une augmentation de température de 3.5°C.

Les causes premières de cette augmentation sont connues: il s'agit de la croissance des pays en développement comme la Chine ou l'Inde. Leur enrichissement leur permet d'acheter plus de biens de consommation impliquant une consommation de combustibles fossiles comme les automobiles. L'augmentation de la demande en électricité y est satisfaite par la construction de centrales au charbon. Ces tendances sont naturelles, l'enrichissement provoquant une demande légitime de confort, les centrales au charbon sont aussi les plus faciles et les moins chères à construire. Même si l'intérêt de ces pays pour des moyens de production d’électricité sans émission de CO2 est important, cela ne suffit certainement pas à contrebalancer la vitesse de leur croissance. De l'autre côté, on ne peut que constater que les objectifs du protocole de Kyoto n'ont été atteint que grâce à la chute du communisme. La lecture de la publication 2010 de l'AIE sur les émissions de gaz à effet de serre est édifiante (p13). Tous les pays d'Europe de l'Ouest ont manqué leur cible en 2008, laissant peu d'espoir pour 2012. Les écarts sont certes parfois faibles, de l'ordre de 5%, mais parfois très élevés comme pour l'Espagne qui a augmenté ses émissions de plus de 50% contre une augmentation cible de +15% seulement! La totalité du respect du protocole vient donc de l'autre partie de l'Europe qui a ratifié le traité, l'ancien bloc communiste dont la baisse des émissions s'explique avant tout par l'arrêt d'énormément d'usines et la modernisation de celles qui sont restées en service. Ces gains «faciles» sont aujourd'hui épuisés, ce qui rend essentiel l'atteinte des objectifs par les pays qui firent partie du bloc de l'Ouest dans le futur!

Pendant ce temps-là, les pays occidentaux continuent sur une pente politique qui conduit à la perpétuation du statu quo. Les États-Unis refusent de faire quoique ce soit d'ambitieux sur ce plan du fait d'une défiance envers la science, d'autant plus forte qu'elle va à l'encontre d'un mode de vie. Les pays d'Europe occidentale se détournent de l'électricité nucléaire pour des peurs principalement infondées contre cette énergie, alors que c'est certainement un des moyens les plus économiques de réduire les émissions. Suite à l'accident de Fukushima, l'Italie a gelé ses projets, un référendum y est prévu ce mois de juin; la Suisse a annoncé la fin du nucléaire sur son sol; l'Allemagne vient de confirmer peu ou prou les objectifs affirmés par le gouvernement Schröder en 1998. D'autres pays avaient annoncé au cours du temps leur abandon de cette technologie, comme l'Autriche, la Suède, l'Espagne ou encore la Belgique. Cet abandon est problématique car certaines technologies réduisant les émissions de gaz à effet de serre n'ont de sens que si la production d'électricité n'en émet pas. Ainsi, quel peut bien être l'intérêt des voitures électriques si elles sont alimentées par des centrales au lignite? On met souvent en avant les énergies dites renouvelables, mais comme l'a dit un intervenant devant une association de pétroliers du Colorado: ce sont en fait des centrales au gaz!

On ne peut donc que partager le pessimisme de l'AIE. Une augmentation de la température moyenne du globe de 3.5°C paraît presqu'inévitable, c'est même devenu un scénario optimiste. Les gens de ma génération verront donc sans nul doute de grands changements climatiques s'opérer durant les 50 prochaines années. On peut s'attendre à des catastrophes climatiques importantes, il faut rappeler à ce propos que les catastrophes naturelles sont les événements parmi les plus meurtriers sur terre. Le séisme du 11 mars au Japon a fait 15000 morts et 8500 disparus; la rupture du barrage de Banqiao et ses 171k morts ont été provoqués par un typhon.

1 mai 2011

2 poids, 2 mesures

Le journal Le Monde a publié une tribune titrée Le nucléaire civil impliquerait des risques très accrus en temps de guerre. La thèse de l'auteur, Pierre Jacquiot, est ainsi claire: il est presqu'impossible de défendre un pays en guerre s'il dispose de centrales nucléaires. Le seul problème, c'est que cette thèse n'est pas nouvelle — on peut par exemple en trouver trace sur ce répertoire des idées reçues sur le nucléaire — et qu'elle n'est pas défendue avec des arguments rigoureux. Si on suit ces arguments, le nucléaire civil doit passer des épreuves dont les autres sources d'énergie sont dispensées.

Dès l'entame, l'auteur assène sans rire que

la surprise qu'a occasionnée la concomitance de deux événements jusqu'ici pensés séparément (tremblement de terre et inondation) montre que la réalité a une nouvelle fois dépassé l'imagination des ingénieurs et experts chargés de la prévention des risques.

Il est vrai que le phénomène du raz de marée suivant un tremblement de terre est inconnu au Japon, à un point tel que le mot pour le désigner, le tsunami, vient de la langue de ce pays. C'est donc tout à fait par hasard que, pour la centrale de Fukushima Daini, le niveau du sol autour des bâtiments des réacteurs est de 12m au-dessus du niveau de la mer, alors que pour la centrale de Fukushima Daiichi, il est de 10m pour les réacteurs 1 à 4 et 12m pour les réacteurs 5&6, comme on peut le voir p29 de cette présentation de TEPCO, l'exploitant de la centrale. Loin d'avoir dépassé l'imagination des experts, le débat portait plutôt sur l'importance possible du phénomène comme l'ont montré par exemple la lecture d'un des câbles dévoilés par wikileaks.

Au paragraphe suivant, il sous-entend que les risques dus aux guerres ont été lourdement sous-estimés par les experts et le personnel politique lors de la construction de centrales nucléaires. On peut, dès l'abord, légitimement en douter. Les travaux de la très décriée centrale de Fessenheim débutèrent en 1970; le programme électro-nucléaire français prit son essor au cours des années 70 et fut poursuivi dans la décennie suivante. En ces temps reculés, la France entretenait des relations inamicales avec un état défunt, l'Union Soviétique. Du fait de la présence des forces armées de cet état et de ses vassaux à 500km de la frontière, la conscription était en vigueur; la perspective d'une invasion de leur part était alors jugée comme une menace crédible. À l'époque, l'URSS était dirigée par Léonid Brejnev dont c'est peu dire qu'il ne se distingua pas par son pacifisme.

L'auteur appuie sa démonstration sur ce qui, selon lui, arriverait en cas de guerre. Il faudrait cependant que ce soit une guerre menée, au moins en partie, sur le territoire national, ce qui ne s'est plus produit depuis 1945 pour la France. Pour l'auteur, la période passée est exceptionnelle et on ferait bien de prendre en compte un risque élevé dans le futur. On se demande bien toutefois quel pourrait bien être cet état qui aurait la capacité et la volonté de venir faire la guerre sur notre territoire. Sans même parler de l'arsenal nucléaire français, il semble que nos proches voisins soient en paix durable avec nous: l'Union Européenne est un projet intrinsèquement pacifique et il est plus question d'états voulant la rejoindre que voulant la quitter. Pour ce qui est de nos voisins au sud de la Méditerranée, ils ne nous sont point hostiles au point de venir nous faire la guerre chez nous et, en tout état de cause, n'en ont pas la capacité opérationnelle et ne l'auront sans doute pas pour les décennies à venir.

Mais foin de tout ceci, si un pays ayant des centrales nucléaire était en guerre, son opposant ne manquerait alors pas de s'en prendre à ces centrales pour couper l'approvisionnement en énergie, susciter des mouvements de population et polluer définitivement le pays. Les pays disposant de sources d'énergie diversifiées seraient immunisés contre une telle stratégie. Que cette stratégie soit fondée ou non n'est pas vraiment le problème, il vient plutôt du fait qu'à aucun moment, il n'est question de la sensibilité des sources alternatives d'électricité ou d'autres industries essentielles à une stratégie équivalente.

Ainsi, la France possède 19 centrales nucléaires, mais seulement 12 raffineries encore en service dont 4 près de Fos-sur-Mer. Si la centralisation de la production d'électricité rend sensible à une offensive sur les centres de production, force est de constater que c'est aussi vrai pour d'autres formes d'énergie. Le pétrole est aujourd'hui indispensable pour mener une guerre, les moyens de raffinage sont aussi des cibles de choix. Au surplus, l'auteur envisage une guerre provoquée par la rareté du pétrole, il serait alors facile de procéder à un blocus tout aussi dommageable. Les raffineries sont aussi situées dans les principaux ports gaziers de France, ce qui n'est pas sans poser de problèmes pour la production d'électricité à partir de gaz. Quant à la capacité meurtrière en cas d'avarie, les sites pétroliers, en plus d'être dangereux en eux-mêmes, sont souvent liés à des usines chimiques à proximité, comme dans le Couloir de la chimie près de Lyon. La pollution qui en résulterait ne durerait certes pas 30 ans, mais les pertes en vies humaines et les dégâts n'en seraient pas moindres pour autant.

La France possède aussi de nombreux barrages, notamment grâce à son relief relativement accidenté. Selon RTE, la puissance installée en France est de 25GW, soit en gros l'équivalent de 25 réacteurs nucléaires, dispersés sur le territoire. En montagne, il s'agit de barrages avec réservoir. En cas d'attaque, ces barrages peuvent céder et noyer les vallées en aval sur plusieurs voire plusieurs dizaines de km. Une rupture de barrage peut aussi entraîner la rupture d'autres barrages situés en aval entraînant une catastrophe nettement plus importante. La vulnérabilité des barrages n'est pas à sous-estimer: des ruptures se sont produites en temps de paix pour des défauts de conception — comme à Malpasset — ou suite à des évènements exceptionnels — comme le barrage de Banqiao, en Chine. La rupture de ce dernier causa 171 000 morts selon le gouvernement chinois, c'est sans doute la catastrophe d'origine industrielle ayant fait le plus de victimes à ce jour.

Restent alors les énergies dites renouvelables comme le solaire ou l'éolien. La faible puissance d'une installation isolée rend obligatoire la construction d'un grand nombre d'unités, rendant en effet une attaque sur une d'entre elles moins efficace. Mais outre qu'elles sont bien incapables de fournir l'électricité dont nous avons besoin même à long terme à cause non seulement de leur faible puissance mais aussi de leur variabilité, l'approvisionnement en électricité n'est pas sécurisé pour autant. Un attaquant peut aussi s'en prendre au réseau de distribution. La variabilité des sources comme le vent rend ce dernier particulièrement stratégique pour répartir l'énergie sur l'ensemble du territoire. Couper le réseau peut s'avérer tout aussi efficace que s'attaquer aux moyens de production, même s'il est plus facile à réparer que ces derniers. Cela présente aussi l'avantage pour l'assaillant de ne pas subir l'opprobre accompagnant la mort massive de civils.

Loin donc de faire preuve de plus d'imagination que les politiques ou les experts dont on sent bien qu'il est fait peu de cas de leur prétendue compétence, l'auteur établit un scénario sans se risquer à le comparer à d'autres. En matière d'évaluation du risque, on a certainement fait mieux: il s'agit non seulement de savoir si un risque existe, mais aussi quelle est sa probabilité de survenir ainsi que de savoir si les autres moyens de production sont ou non vulnérables à ce même risque. Il se garde donc bien de faire une quelconque comparaison, le nucléaire doit passer des tests que d'autres modes de production seraient peut-être bien en peine de subir. Il s'agit plutôt pour l'auteur de nous faire part de son sentiment: le nucléaire est ontologiquement dangereux. On comprend donc l'urgence qu'il y a à organiser un débat basé principalement sur l'émotion puisque l'expertise technique y serait discréditée; la réponse qui en sortirait ne saurait être contraire aux pensées de l'auteur qu'à cause de la corruption générale régnant en cette vallée de larmes.

26 mars 2011

Futur nucléaire

La fin piteuse de la centrale de Fukushima à la suite du tsunami du 11 mars 2011 porte un rude coup à l'industrie nucléaire, c'est un évènement inédit depuis 25 ans et la catastrophe de Tchernobyl. Le jour même du séisme, les militants de Sortir du Nucléaire et de Greenpeace ont été parmi les premiers à régir sur les problèmes de la centrale pour pousser leurs idées connues de longue date: il faut sortir du nucléaire. Ils furent suivis de près par les responsables des Verts, dont on sait qu'un des fondements de l'idéologie est l'opposition au nucléaire. Cela dit, si on pouvait penser au lendemain que l'industrie nucléaire serait durement frappée, ce n'est finalement pas si sûr.

Le bilan de santé du nucléaire

Cette opposition ne paraît pas franchement basé sur les enseignements qu'on peut tirer de l'histoire de l'exploitation de l'énergie nucléaire. Les derniers morts du fait d'un accident dans une installation nucléaire datent de 1999 à Tokai-mura au Japon. D'autres accidents notables ont eu lieu auparavant. Un réacteur de la centrale de 3-Mile Island en Pennsylvanie subit en 1979 une fusion de son combustible, les conséquences furent limitées à la mise hors service de ce réacteur. 2 accidents ont donné lieu à des zones d'exclusion humaines, en URSS. Un accident s'est produit à l'est de l'Oural en 1957. L'autre est la catastrophe de Tchernobyl.

Le bilan de la catastrophe de Tchernobyl est intéressant. Du fait de son importance, des études nombreuses ont été lancées. L'UNSCEAR, organisme de l'ONU chargé d'étudier les effet des radiations, s'est chargé d'en rassembler un grand nombre. Ses conclusions sont plutôt rassurantes pour un tel désastre. Si on en croit le bilan des pertes directes, il y aurait 5 morts non liés aux radiations. Selon le rapport de l'UNSCEAR, on a diagnostiqué un syndrome d'irradiation aiguë chez 134 personnes. 28 en sont mortes dans les 4 premiers mois. En 2006, 19 de plus étaient mortes, pour diverses raisons, parmi lesquelles on trouve 2 cirrhoses, un «trauma» ainsi qu'un arrêt cardiaque à l'âge de 87 ans. Les morts directement dues à l'accident sont donc relativement peu nombreuses. Les conséquences à long terme sur la santé sont par contre nettement plus importantes, puisqu'on estime qu'environ 6000 cas de cancers de la thyroïde sont dus à l'accident. Il est par contre presqu'impossible de déterminer les autres conséquences, du fait de leur faiblesse par rapport à leur apparition naturelle. En effet, comme les habitant des zones les plus touchées furent évacués, les doses totales furent relativement faibles. De plus, l'espérance de vie est de seulement 65 ans pour les hommes en Biélorussie, ce qui limite forcément la survenue de cancers dont on pense qu'ils surviennent après un délai de 20 ans et plus. On attendait aussi des cas de leucémie, dont l'incubation est plus courte que pour les autres cancers, ils n'ont pas été détectés parmi la population. Plus généralement, on a évacué quelques 250k personnes, ruinant sans nul doute leur vie.

On peut comparer Tchernobyl à une autre catastrophe industrielle, celle de Bhopal. La ville de Bhopal comptait presque 900k habitants en 1984, environ 560k auraient été touchés par le nuage de gaz toxique qui s'est dégagé de l'usine de l'Union Carbide. Un bilan officiel fait état de 3787 morts, pour lesquels une indemnité a été versée. On estime aussi que 100k personnes ont eu des séquelles à long terme. Il semble ainsi que Bhopal est une catastrophe aux conséquences nettement plus graves que celles de Tchernobyl. Et pourtant, abandonner les pesticides n'a jamais été à l'ordre du jour.

La catastrophe de Fukushima semble aussi s'inscrire dans une tendance qui veut que les accidents nucléaires soient impressionnants, mais moins graves que ce à quoi on pourrait s'attendre. Malgré son ampleur, personne ne semble menacé de mort à brève échéance; les dommages sont essentiellement matériels, la centrale étant inutilisable. On pourrait dire que c'est la première catastrophe d'ampleur mondiale ayant fait zéro mort.

Et si on regarde quel est le nombre de morts dans les différentes filières de production d'électricité, de la mine aux rejets de la centrale, on se rend compte que le nucléaire est l'énergie la moins létale. Cela s'explique par le faible volume de matière à extraire, les mesures de sécurité dans l'industrie nucléaire, du faible nombre d'accidents et du volume extrêmement faible des rejets nocifs. Le charbon, lui, provoque nombre de morts à la fois dans les mines et du fait des rejets dans l'atmosphère.

L'eschatologie anti-nucléaire

Rien de ces arguments n'a jamais convaincu les opposants. Il faut dire que dès l'origine, l'objectif est de lutter contre l'arme nucléaire. L'énergie nucléaire y est associée comme une invention dangereuse, et tout y passe, pèle-mêle.

  • L'argument de l'énergie nucléaire qui serait proche de la bombe atomique est déjà remarquable. C'est en quelque sorte l'analogue du raisonnement d'Alfred Nobel qui fonda les prix qui portent son nom pour expier son invention de la dynamite et son utilisation lors des conflits armés. Évidemment, nul n'a jamais pensé s'en passer pour cette raison, on utilise même des explosifs dans des buts civils indispensables, comme la démolition d'immeubles, qui sont pourtant très proches d'une utilisation militaire. En poussant un peu plus loin, on peut se demander pourquoi on autorise toujours les couteaux à la vente, alors qu'il s'agit sans doute de l'arme de guerre la plus utilisée au cours des âges ainsi que de l'instrument le plus utilisé dans les meurtres.
  • L'argument de la bombe n'impressionnant sans doute plus personne en cette époque d'individualistes blasés, il faut donc passer à la vitesse supérieure et dire que cela tue tous les jours. Évidemment, comme on l'a vu plus haut, ce n'est pas le cas, mais l'argument fonctionne. Les effets de la radioactivité à faibles doses sont imperceptibles, les décès sont à venir dans un futur lointain, les causes de ces décès sont similaires à celles du grand âge, ce qui inverse en fait la charge de la preuve. Au lieu de devoir prouver que c'est la radioactivité qui tue des gens à grande distance, on doit prouver que des décès sont imputables à d'autres causes. Que des gens meurent avant de subir les effets de la radioactivité n'arrête pas les militants, après tout, on est bien incapable de montrer alors qu'ils ont tort.
  • On y ajoute pour faire bonne mesure, que nous sommes maudits jusqu'à la fin des temps. Les déchets nous hanteront, ainsi que nos descendants sur des milliers d'années. Sauf qu'évidemment, les rassembler dans un trou est une solution rationnelle à l'échelle de l'histoire. Ce qu'on met dans un trou relativement étanche y restera au moins pour quelques milliers d'années sans que personne n'y touche, on peut difficilement penser faire mieux en l'absence de surgénérateurs. Et ce d'autant plus que les énergies concurrentes émettent des déchets qui ont des effets durables, sur plus de 100 ans! Et on est bien en peine d'aller récupérer ces déchets, qu'on aimerait bien mettre dans un trou.

Ces arguments n'ont rien de vraiment logique, mais ils reposent sur un ressort bien connu, les préoccupations quant à la fin du monde. L'homme provoquerait avec son invention, l'énergie nucléaire, la fin d'un monde prospère qui déboucherait sur un ensemble de malheurs incurables. C'est un récit classique dans un cadre religieux. Le militantisme écologiste peut ainsi être rapproché du prosélytisme religieux, ce qu'a confirmé brillamment Nathalie Kosciusko-Morizet dans une récente interview au magazine La Vie. Tout cela montre qu'il sera difficile de raisonner la plupart des gens, leurs croyances écrasant tous les raisonnements qu'on leur expose.

L'attrait du confort

Si la peur de la fin du monde est un énorme handicap, d'autant plus que ce n'est pas une peur qu'on peut aisément raisonner, il est certainement un remède souverain, la demande de confort. Sans électricité, pas de confort moderne. Cela ira sans doute en se renforçant, les énergies fossiles tendant à la fois à se raréfier et à être plus demandées à cause de l'émergence de nouveaux pays.

Aujourd'hui ce sont d'ailleurs des pays avec des besoins en énergie importants qui construisent des réacteurs nucléaires. On trouve ainsi au premier rang la Chine, dont le développement demande de plus en plus de centrales électriques. Les centrales au charbon sont certainement les plus construites, mais le nucléaire ne gêne guère en Chine. Après tout entre mourir hypothétiquement irradié ou nettement plus sûrement à cause des poussières de charbon ou du manque général de confort, le choix est sans doute vite fait.

Et de fait, la lecture du mode d'emploi de la sortie du nucléaire aimablement fourni par Sortir du Nucléaire permet de se rendre compte des conséquences. Les données de RTE indiquent que la France consomme environ 490TWh d'électricité par an. Pour sortir du nucléaire, il faudrait ne plus en consommer que 390, soit une baisse d'environ 20%. Au vu de l'évolution passée, c'est un objectif héroïque. Une lecture cursive du bréviaire écologiste permet de s'en rendre compte encore mieux. Les recettes sont simples, il s'agit de payer les gens pour s'acheter tout le nécessaire du parfait écolo, financé par l'état au moyen de vastes primes à la casse, des ampoules aux frigos. L'argent de l'état est, comme on le sait, se crée par génération spontanée. Tout le monde deviendra producteur d'énergie, sans émettre plus de gaz à effet de serre, les pertes dans le réseau baisseront même si on doit multiplier les lignes pour permettre d'alimenter les régions à court de vent. Mais comme cela ne suffit sans doute pas, les pays voisins devront se débrouiller sans nos exportations, les mécréants devront se passer de chauffage électrique, même dans les immeubles non alimentés au gaz, et on menace les industriels de rationnement. On construira des éoliennes mais, surtout, on utilisera des centrales thermiques, la seule alternative crédible. Évidemment, tout ceci pointe dans une seule direction: des dépenses d'investissements délirantes pour un résultat minime, une augmentation des prix de l'énergie, un flicage ou un rationnement généralisé et, surtout, une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, à l'heure où on ne parle que de les réduire.

L'autre élément du choix est qu'en remplacement du nucléaire, seules les énergies fossiles sont crédibles. En plus de libérer des gaz à effet de serre, leur exploitation n'est pas sans poser des problèmes qui leur sont particuliers. Brûler du charbon libère des poussières nuisibles à la santé, les morts sont nombreux dans les mines. Les gisements de pétrole sont bien souvent situés dans des pays dictatoriaux qui n'hésitent pas à faire valoir leur pouvoir, comme on l'a vu avec les 2 chocs pétroliers. Ces dictateurs peuvent aussi plus facilement se maintenir grâce aux revenus du pétrole. Le gaz naturel est plus agréable grâce à la mise en exploitation du gaz de schiste, mais les opposants au nucléaire sont aussi les premiers opposants à la mise en exploitation éventuelle des ces gisements. Il est ainsi peu probable que cette technique se développe en Europe. L'uranium n'est pas tellement plus courant en Europe, mais il présente l'avantage de se trouver en grande quantité dans le sous-sol de démocraties stables, comme le Canada ou l'Australie. De plus, la faible quantité de matériau nécessaire au fonctionnement d'une centrale permet de le stocker. C'est en grande partie la raison qui a poussé la France à abandonner le charbon — dont les gisements nationaux s'épuisaient — pour le nucléaire à la suite des chocs pétroliers.

Ces arguments ne convaincront pas ceux qui sont déjà convaincus. Ainsi, il est très probable que la fin de la centrale de Fukushima renforce la volonté de sortie du nucléaire de l'Allemagne. Des pays développés peuvent se permettre au moins à moyen terme de se payer des systèmes reposant sur des énergies fossiles. Mais d'un autre côté, les pays en développement pour qui les centrales nucléaires sont un moyen de produire de l'électricité à un prix très compétitif construiront des centrales nucléaire. Les pays comme la France pour lesquels une sortie du nucléaire coûterait énormément resteront sans doute très nucléarisés. Le cas de ceux qui hésitent sera peut-être décidé en défaveur du nucléaire dans un certain nombre de cas, mais l'industrie nucléaire sera sans nul doute importante dans des pays développés qui n'ont pas vraiment le choix.

page 2 de 2 -