L'impôt de solidarité sur la fortune est un impôt portant sur le capital détenu par les ménages. La taxation est progressive avec un barème découpé en 6 tranches de patrimoine, les taux s'échelonnent de 0.55 à 1.8%. Il rapporte environ 4G€ et, si on en retranche le coût du bouclier fiscal, seulement 3.3G€ soit moins de 0.2% du PIB, ce qui en fait un impôt financièrement mineur. Cet aspect est encore renforcé par le fait que son recouvrement coûte cher, environ 2% de ce qu'il rapporte. Il a par contre une importance symbolique, en ce qu'il sépare la population en deux catégories, les aristocrates d'un côté, les manants de l'autre.

Les maux de l'ISF

Outre le fait qu'il coûte relativement cher à recouvrer, l'ISF a d'autres caractéristiques qui le rendent difficilement accepté par les redevables. La première est justement de séparer la population en 2 catégories. Indéniablement, les assujettis à l'ISF sont riches puisqu'en 2004, seuls 10% des ménages avaient un patrimoine supérieur à 500k€, alors que le seuil de l'ISF est de 790k€. La plupart des gens se voyant comme normaux, ils voient en fait d'un mauvais œil qu'on les désigne comme riches, sans doute de peur d'être raccourcis. Ainsi, du grand succès de Lionel Jospin lorsqu'il annonça supprimer les allocations familiales pour les 10% les plus riches, à Jean-François Copé qui voit la classe moyenne s'étendre jusqu'à ceux qui gagnent plus de 4000€ nets par mois en passant par François Hollande qui n'aime pas les riches, le discours public révèle ce biais de normalité de façon anecdotique, mais relativement récurrente.

La deuxième est que le patrimoine est en fait peu observable par le gouvernement. En dehors de la déclaration qu'il demande aux redevables potentiels, l'administration fiscale ne peut pas bénéficier d'une double vérification comme pour la plupart des revenus, en dehors des actifs cotés sur des marchés financiers. Or il s'avère que l'impossibilité de frauder explique une bonne part de l'augmentation de la taxation dans les pays riches. De fait, la facilité d'une sous-déclaration doit certainement être irrésistible, d'autant que les contribuables peuvent anticiper que les autres vont faire de même, rendant leur actes acceptables. De nouveau, on bénéficie en l'occurrence d'un superbe exemple. Lors de la campagne présidentielle, Ségolène Royal a révélé l'étendue de son patrimoine, déclaré en commun avec son compagnon d'alors, François Hollande. Il s'est avéré, suite à une enquête du Canard Enchaîné que les demeures étaient souvent sous-évaluées. Ainsi, leur appartement à Boulogne-Billancourt était déclaré pour moins que sa valeur d'achat alors que les prix de l'immobilier étaient d'ores et déjà au-dessus du pic de 1990. Et, summum de la sous-évaluation, une villa à Mougins était déclarée pour 270k€, alors que le terrain seul était évalué à plus de 295k€ et que des villas voisines étaient proposées à la vente pour plus de 1M€! Quoique ce ne soient que des éléments anecdotiques, il semble qu'une sous-évaluation des patrimoines certaine existe. Le problème est que, suivant la composition du patrimoine ou le caractère du déclarant, elle n'est pas toujours du même ordre. Ainsi, en plus des actifs cotés, les biens achetés récemment — ou venant de faire l'objet d'une succession — sont les plus difficiles à sous-évaluer. Cela génère sans nul doute un sentiment de taxation «à la tête du client».

Le troisième est l'importance des taux. Au delà de 16.7M€, le taux marginal est de 1.8% de la valeur. On peut déjà remarquer que c'est plus que les taux à court terme — le taux de la BCE est à 1%. Une obligation d'état à 10 ans rapporte 3.3% environ, ce qui fait qu'en cumulant le prélèvement libératoire — 31.2% des revenus l'année prochaine — et l'ISF, le rendement n'est plus que de 0.5% par an, soit un taux d'imposition de presque 85%. Pour obtenir un taux d'imposition de 50%, le rendement doit dépasser 9.5%, pour une imposition aux 2/3 — le taux marginal pour des revenus du travail élevés —, 5%. Évidemment, pour les premières tranches, c'est plus raisonnable, le taux de 0.55% donne respectivement 3% et 1.5%. Reste qu'à une époque où les rendements faciaux sont faibles, les taux sont élevés, voire punitifs pour les dernières tranches. En exagérant à peine, on pourrait dire que ceux qui cherchent les 15% de rendement pour leurs investissements dans des sociétés sont les contribuables se situant dans la dernière tranche de l'ISF. L'autre conséquence est que masquer son patrimoine devient une pratique rapidement rentable. Ce d'autant plus qu'outre la sous-évaluation, il existe quantité de solutions pour diminuer le patrimoine fiscal, à commencer par l'exonération pour biens professionnels: à partir d'un certain patrimoine, on peut décrire sans rire la gestion de celui-ci comme son activité principale et monter une société idoine.

Où trouver l'argent?

Comme noté plus haut, l'ISF est un impôt mineur par son rendement. N'importe quel excédent budgétaire permettrait de le supprimer. Cette situation ne s'est toutefois plus produite depuis plus de 30 ans, l'état actuel des finances publiques est un déficit important (environ 7.7% du PIB) couplée à une dette imposante (plus de 80% du PIB). Il faut donc trouver des ressources de remplacement.

  • Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir supprimer l'ISF et le remplacer par un impôt sur les revenus du capital. Le plus simple serait alors d'utiliser un impôt proportionnel comme la CSG. Un avantage est que le coût de recouvrement est alors nettement plus faible que celui de l'ISF. En se basant sur les revenus du FRR, on peut inférer qu'un prélèvement de 1% rapporte environ 1.15G€. Pour remplacer l'ISF, il faudrait donc lever un impôt égal à environ 2.9%. Un problème est qu'alors le taux de prélèvement forfaitaire atteindrait 34.1%, plus que le taux de l'impôt sur les sociétés ce qui augure peut-être de schémas d'esquive. Si on veut se limiter à ce niveau, l'impôt supplémentaire serait de 2.1%, le rapport de 2.4G€. Le défaut principal est que les détenteurs de petits patrimoines paieraient à la place de ceux qui ont en un gros.
  • Comme les biens immobiliers utilisés par leur propriétaire n'engendrent pas de flux financiers mais évitent une dépense, ils ne seraient pas taxés. Il n'y a ainsi pas vraiment de raison d'oublier ces heureux propriétaires. Pour ce faire, on pourrait augmenter les taxes foncières. Elles rapportent 26.5G€ (source rapport au conseil des prélèvements obligatoires). Certes, les augmenter frapperait aussi les logements loués, mais ce défaut de justice est compensé par une certaine efficacité puisqu'il est toujours possible de trouver un propriétaire à un immeuble. Augmenter les taxes foncières de 5% rapporterait donc 1G€ de quoi compléter d'autres mesures. Le gros défaut des taxes foncières est que la valeur des immeuble pour les taxes foncières n'a qu'un lointain rapport avec leur valeur réelle, ce qui maintient l'impression de taxation injuste. On pourrait compenser ce fait en ajustant la valeur des immeubles grâce à l'évolution des prix de l'immobilier et en se donnant pour valeur de départ la valeur d'achat. Avec la base des notaires ou même les droits de mutation, l'état dispose ainsi d'une source de données fiable sur la valeur de marché des immeubles. Ce serait aussi certainement l'occasion de commencer la rénovation de la fiscalité locale, dont les bases n'ont pas été révisées depuis les années 70.
  • Revenir sur les mesures successorales de la loi TEPA rapporterait 1.2G€ selon le rapport au conseil des prélèvements obligatoires mentionné plus haut. Cela ne rentre pas dans le cadre de la taxation des revenus du patrimoine, mais l'imposition des successions est sans doute la façon la plus efficace économiquement de taxer le stock de patrimoine et ce d'autant plus qu'il est difficile à ce moment-là de masquer certains biens, souvent ceux qui ont le plus de valeur, pour préserver la paix des ménages et assurer une répartition équitable des biens du défunt. Le fait est aussi qu'il meurt de nos jours que peu de gens, ce qui permet de contrôler plus efficacement les grosses déclarations et d'éviter ainsi les évaluations fantaisistes. Les successions sont d'ailleurs souvent à l'origine des histoires faisant la joie du public et ayant l'ISF comme personnage principal. L'équilibre en termes de type de population qui paie l'impôt serait sans doute ici préservé: ce sont certainement ceux qui paient l'ISF qui engendrent en mourant les successions les plus importantes.
  • Tant qu'à taxer les revenus, pourquoi se limiter aux revenus du capital? C'est pourquoi on peut penser augmenter aussi le taux de l'impôt sur le revenu. Instaurer une tranche à 45% à peu près là où se trouvait le plafonnement de l'abattement de 20% permettrait de lever 1G€ (et aussi de relever le taux du prélèvement obligatoire). Il est certainement difficile de faire pleurer sur les gens qui ont de hauts revenus, ce qui en fait des victimes très attirantes. Ce sont par ailleurs souvent les mêmes qu'on veut atteindre par l'ISF. Cela dit, il ne s'agit plus d'une taxation du patrimoine.

Trouver de l'argent pour remplacer les sommes perdues avec la suppression de l'ISF semble donc relativement faisable, si tant est qu'on veuille réellement supprimer l'ISF et accepter des compromis entre le symbolique et l'équitable d'un côté et l'efficace de l'autre.

Le mythe de la réforme fiscale sans perdant

Le sénateur Philippe Marini, rapporteur du budget au sénat, a donné une interview à un journaliste du Monde. Il y déclare sa préférence pour une suppression de l'ISF accompagnée de la création d'une tranche supplémentaire d'impôt sur le revenu, et il y déclare aussi:

La contrepartie à payer du côté des revenus de l’épargne ne doit pas être telle que la classe moyenne ait l’impression d’une opération de dupes. Une part proportionnée de l’effort doit être reportée sur les détenteurs de revenus et de fortunes qui sont réellement de niveau international. Si la résidence principale est exonérée au titre l’impôt sur le patrimoine par exemple la classe moyenne sera gagnante.

D'une certaine façon, cette déclaration est typique des problèmes que posent toute réforme fiscale quand on ne veut pas perdre de recettes: on cherche à ce qu'il n'y ait pas de perdants, ce qui fait qu'en fait, on voit mal ce qui changera véritablement, sauf à trouver une ressource qui n'est pas dans le seul champ de l'impôt à changer et qui présente l'agréable caractéristique de ne pas pouvoir trop protester. Le sénateur Marini veut ainsi tout et son contraire.

  • Il déclare dans un rapport sénatorial que les tranches supérieures ont des taux potentiellement confiscatoires. La conclusion logique est donc que les fortunes de niveau international paient moins d'ISF.
  • Il déclare dans cette interview que les classes moyennes et moyennes supérieures ne doivent pas payer plus mais plutôt moins et il propose en conséquence de supprimer la première tranche de cet impôt.
  • Que cet impôt au caractère immobilier marqué doit voir disparaître la contribution des résidences principales, pourtant un élément de revenu réel. C'est aussi un élément facilement taxable, les immeubles ne pouvant par définition quitter le territoire.
  • Que la réforme ne doit pas coûter à l'état

En bref, personne ne doit payer plus, mais cela ne doit rien coûter!

Il est évident que dans le contexte actuel, tout changement dans la loi fiscale implique qu'il y ait des perdants. Sans cela, soit l'état y perd, soit il n'y a pas en fait de changement. Si ce sont toujours ceux qui payaient qui paient encore, l'opération de dupes est aussi rapidement démasquée que lorsque ce sont d'autres qui prennent le relais.
Une réforme de l'ISF est aussi plus largement un choix entre efficacité et justice. Lever de l'argent est le premier but des impôts, mais maximiser leur rendement n'est pas forcément juste, surtout si on veut aussi minimiser les efforts pour les lever. Parmi les impôts les plus importants en France figurent la TVA et la CSG, des impôts qui ne s'embarrassent pas spécialement de considérations de justice sociale mais qui l'incroyable avantage d'être difficiles à frauder. En cela, le sénateur Marini me semble commettre une erreur et se contredire. Remarquer que l'impôt est punitif revient à une critique d'efficacité, les gens se mettant à développer des comportements d'évitement. Si on veut plus d'efficacité, il faut taxer plus largement, à des taux plus faibles et donc la classe moyenne doit payer plus. L'impôt foncier — notamment sur la résidence principale — doit être augmenté si on veut plus d'efficacité: il faut bien habiter quelque part...

Conclusions

Pour conclure, l'ISF est un impôt qui est symbolique mais dont l'inefficacité est criante. Le moyen le plus simple de l'éviter semble encore être de minimiser outrageusement son patrimoine ou de le disposer de façon judicieuse. Les contribuables y sont fortement incités, notamment pour les plus riches d'entre eux, du fait des taux marginaux très élevés par rapport aux rendement faciaux actuels. Du fait de sa faible importance, le remplacer semble faisable, même si on se limite aux impôts sur le capital, l'impôt sur les successions pouvant apporter un certain secours. Toutefois se limiter aux revenus réels (par opposition au revenu fictif que procure une résidence principale) paraît un peu juste pour le remplacer sans perte.
L'objectif des parlementaires de la majorité semble être de supprimer l'imposition au titre de la résidence principale, alors même que c'est à la fois un élément de revenu et quelque chose d'aisément taxable. L'objectif avoué de Nicolas Sarkozy est de taxer les seuls revenus. Dans ce cadre, on voit mal comment une suppression de l'ISF peut s'effectuer sans perte pour l'état. À moins que, comme pour bon nombre de changements effectués durant ce quinquennat, la suppression ne soit que de façade et que l'essentiel de cet impôt persiste sous un autre nom ou, encore pire, de multiples petits impôts.