Le 3 mars dernier, le gouvernement a fait connaître les premiers résultats de la réflexion engagée sur l'ISF. Nicolas Sarkozy avait annoncé l'an dernier son intention de supprimer le bouclier fiscal tout en réformant l'ISF et qu'il était préférable de taxer les revenus du capital plutôt que la détention du capital en elle-même. On s'est déjà risqué ici à diverses spéculations sur le sujet.

Depuis l'année dernière, des contraintes supplémentaires sont apparues. Il ne fallait pas toucher à l'allègement des droits de succession décidée en 2007, ceux qui ne paient pas l'ISF aujourd'hui ne doivent pas contribuer à combler le déficit créé par sa suppression, les impôts sur l'immobilier ne doivent pas changer. Sur ce dernier point de l'immobilier, on a largement entendu l'argument selon lequel il était anormal que la hausse de l'immobilier ait entraîné une forte hausse du nombre de redevables. Être taxé parce qu'on s'est enrichi en regardant la valeur de son logement semble injuste, alors qu'être taxé parce qu'on s'est enrichi à la suite de son travail ou à l'aide de placement financiers paraît nettement plus acceptable. Il est vrai que ces deux dernières catégories sont quelque peu dépeuplées ces derniers temps, ceux qui en font partie devenant par là même suspects.

Les 2 pistes du gouvernement peuvent se résumer en l'alternative suivante: soit un réaménagement du barème de l'ISF, soit un changement de logique vers la taxation des plus-values latentes. Dans les deux cas, le gouvernement prévoit de garder une déclaration de la valeur du patrimoine, comme pour l'ISF actuel. De même, l'imposition ne commencerait que pour des patrimoines déclarés de plus de 1.3M€, contre 800k€ en 2011, ce qui correspond à la suppression de la première tranche de l'ISF.

Le réaménagement du barème

Dans cette hypothèse, il n'y aurait plus que 2 taux de 0.25% et 0.5%. Les taux s'appliqueraient sur la valeur globale du patrimoine, à partir du premier euro, le premier taux jusqu'à 3M€, le deuxième au delà (voir par exemple ici). C'est très surprenant, car cela provoquerait un effet de seuil tout à fait notable, puisqu'à 1.3M€, l'impôt à régler serait déjà de 3250€ et il y aurait un saut de 7500€ à 3M€. L'incitation à ne déclarer qu'un patrimoine de 1.29M€ ou 2.99M€ serait donc puissante, l'imposition supplémentaire représente le revenu d'un peu moins de 100k€ d'OAT à 10 ans aux taux actuels pour le seuil à 1.3M€ et environ le revenu de 200k€ d'OAT pour le seuil à 3M€. Ces sommes sont loin d'être négligeables en proportion des patrimoines.

graphe du taux moyen d'imposition isf

Le graphe ci-dessus compare les taux moyens d'impositions à l'ISF entre le système actuel et le système réaménagé tel que présenté. On s'aperçoit que tous les assujettis y gagnent, sauf ceux qui sont en bas de l'échelle. Non seulement, à 1.3M€, il y aurait un effet de seuil, mais en plus, ces contribuables seraient désavantagés par rapport à la situation actuelle. Le point neutre se situe vers 1.4M€. À partir de ce point se situent les gagnants. Comme le taux supérieur est plus de 3 fois plus bas que taux marginal maximal actuel, les gains sont très importants pour les très gros patrimoines.

On peut essayer d'évaluer combien cet impôt rapporte. Le rapport au conseil des prélèvements obligatoires donne deux éléments qui permettent cela: le patrimoine moyen dans chaque tranche et l'impôt moyen par tranche. Ces quelques essais pointent vers un rendement de 1.8 à 2.1G€. Sachant que l'ISF net du bouclier fiscal rapporte environ 3.2G€, cela créerait un trou de plus de 1G€, soit entre un tiers et la moitié des recettes jusqu'ici. Comme le gouvernement a annoncé que la réforme devrait être neutre pour les finances publiques, il faut trouver des ressources supplémentaires. Pour l'instant, elles sont assez mystérieuses, mais l'imposition de placements jusqu'ici épargnés par la fiscalité classique, comme l'assurance vie semblent de bons candidats au gouvernement pour fournir au moins une partie des sommes manquantes.

Pour ceux qui détiendraient moins de 3M€, il a aussi été annoncé qu'ils n'auraient plus besoin que de marquer le montant global de leur patrimoine. Aujourd'hui, il faut détailler les différents éléments. Ne déclarer qu'un montant global rend les contrôles par l'administration fiscale plus difficiles. À moins que ladite administration ne prévoie d'organiser son propre système de connaissance et d'évaluation des patrimoines pour contrer la fraude. Si les méthodes actuelles perdurent, comme celles permettant à Ségolène Royal de déclarer une villa pour moins que le prix du terrain, on peut s'attendre à des déclarations qui n'ont pas grand'chose à voir avec la réalité.

La taxation des plus-values latentes

Dans cette hypothèse, c'est la variation du patrimoine qui serait taxée. Les hausses seraient taxées immédiatement au taux de 19%, les baisses donneraient un à-valoir sur les 10 années suivantes. C'est une dissymétrie classique en la matière qui permet de taxer les perdants et d'éviter l'embarras bien connu du chèque du trésor public à envoyer au riche contribuable. Le dernier épisode en date est celui du bouclier fiscal qu'il s'agit de supprimer, mais il y en eut d'autres dans un passé maintenant lointain comme celui de Jacques Chaban-Delmas.

Si on fait fi dans un premier temps des difficultés pratiques que peut poser un tel système d'imposition, une remarque est qu'égaliser les revenus d'un tel impôt avec l'ancien mode de calcul impose de faire une hypothèse de rendement moyen du capital. Toujours d'après le rapport au conseil des prélèvements obligatoires, le capital déclaré au titre de l'ISF sauf pour la première tranche s'élève à 707G€. Un impôt qui rapporterait 3.2G€ supposerait un rendement de 2.4% environ. Cependant, ce nouvel impôt viendra en déduction des autres impôts sur les plus-values. Cela complique beaucoup l'évaluation du revenu net puisqu'il faut alors prendre en compte ces autres impôts. À titre d'exemple, le rapport au conseil des prélèvements obligatoires mentionne que le prélèvement libératoire — 19% cette année — rapporte 1.1G€. Si on doit défalquer ce montant du montant du nouvel impôt, le rendement moyen devient environ 3.2%, ce qui est toujours raisonnable. On ne peut cependant pas vraiment conclure: en d'autres termes, le gouvernement peut annoncer des chiffres dont on dira pudiquement qu'ils ne sont pas tout à fait vrais sans peur d'être contredit, vue la difficulté de l'évaluation.

Cette déduction du nouvel impôt de l'impôt dû sur les plus-values donne par contre un aperçu de ce qui sera véritablement taxé. Il est peu probable qu'on puisse imputer ce nouvel impôt sur les taxes comme la CSG et les impôts assimilés. On la négligera donc dans ce qui suit, étant entendu qu'elle s'applique au premier euro sur tous les revenus.

  • L'assurance-vie: à partir d'une détention de 8 ans, l'assurance-vie bénéficie d'un système avantageux. Les gains sont taxés au taux de 7.5% à partir de 4600€ de plus-values par an. Sachant qu'un rachat comporte un part de capital — par exemple, si le contrat est en plus-value de 10% du capital investi, chaque retrait contient seulement 1/11 de plus-value — cela permet à la plupart d'effectuer des retraits en franchise d'impôt.
  • Le PEA où, à partir de 5 ans, on ne paye plus d'impôt. Il ira de même pour les plus-values sur les titres détenus depuis plus de 8 ans censée s'appliquer en 2014. Ce serait une façon élégante d'abroger cette disposition qui risque de bientôt de poser quelques problèmes.
  • Les dividendes et autres revenus d'obligations. Cet aspect est très intéressant puisqu'il incite à constituer des tirelires et à diminuer les dividendes pour préférer les gains en capital. De même, les obligations 0-coupon seront préférables aux habituelles obligations donnant un revenu régulier. C'est en contradiction totale avec la théorie classique de la gestion financière qui ne voit pas vraiment de différence entre ces 2 modes de rémunération, ce qui est d'ailleurs logique.
  • Le livret A, les PELs, bref toute l'épargne «d'état».
  • Et surtout plus généralement, l'épargne de ceux qui ont un gros patrimoine. Elle est surtout constituée pour la plupart des mortels par les revenus du travail non consommés. Si vous êtes déjà riches et que vous épargnez dans ce système, votre effort devient nettement moins efficace: pour chaque euro épargné, vous devez payer immédiatement 19 centimes à l'état. Évidemment, le gouvernement s'interdisait de transférer l’impôt de ceux qui ont accumulé de la fortune vers ceux qui tentent de s’en constituer une par leur travail. Inversement, toutes les dépenses sont en quelque sorte subventionnées à hauteur de 19%, ce qui est une première.

On ne peut que noter qu'un effet de seuil existe aussi pour cet impôt, il est très tentant de ne jamais dépasser le seuil fatidique de 1.3M€. Posséder un patrimoine financier important à forte volatilité, comme des actions, peut forcer des décaissements importants du fait des bonnes années. Une forte volatilité de cet impôt est à prévoir, même si ce n'est pas d'une grande importance du fait de la faiblesse des rendements de l'ISF.
Une autre curiosité est que François Baroin a exclu de cette assiette les titres de PME non cotées. Il est vrai que leur évaluation est difficile et que cela a un aspect incitatif pour l'investissement dans des sociétés en développement. C'est aussi une occasion en or d'échapper à toute imposition au titre de cet impôt. Rien de tel en effet que de créer des sociétés non cotées et donc difficiles à évaluer pour masquer son patrimoine et son évolution.

La chasse aux recettes de substitution

Quelque soit l'hypothèse retenue, le gouvernement évalue le manque à gagner à environ 1G€. Il recherche donc des recettes de substitution, et apparemment, l'assurance-vie est en première ligne. Il semble donc que, plus généralement, l'état va tenter d'élargir la base taxable au titre des revenus du capital en créant une exception aux dérogations diverses qui existent pour ceux qui ont un patrimoine imposable à l'ISF. Ainsi, au lieu de profiter de cette réforme pour simplement élargir la base taxable — ce qui ne sera pas fait les seuils de patrimoine devant être déterminés selon les règles actuelles — le gouvernement va remplacer des complication comme le plafonnement de l'ISF par d'autres complications.

Le gouvernement évoque aussi dans la même logique des idées qui ont déjà été retoquées il y a longtemps. Par exemple, le gouvernement veut réinstituer la herse fiscale, qui consistait à taxer les gens qui s'expatriaient. Cette tactique géniale a été retoquée par la cour de justice européenne car c'était évidemment contraire à la liberté de circulation. C'est en quelque sorte retour vers le futur, ce qui montre qu'il y a un problème pour trouver de véritables ressources pérennes et aussi qu'il y a bien des idées qui ne meurent jamais.

Conclusions

Comme il était à prévoir, le gouvernement s'est retrouvé coincé par le désir de faire en sorte que personne d'autre que ceux qui payent l'ISF ne fasse les frais de la réforme. Ce faisant, il se condamne à redistribuer l'effort auprès des mêmes personnes. C'est ainsi qu'on conservera une déclaration de patrimoine et qu'au final, les conséquences en termes d'attirance de l'expatriation ou la dissimulation du patrimoine seront peut-être toujours aussi fortes, quoique s'effectuant sous des formes différentes. Telles que présentées actuellement, les solutions du gouvernement ont entraîné un certain scepticisme voire pour ceux qui sont directement menacés, un franche opposition. D'une part, la taxation de plus-values latentes paraît impraticable, d'autre part, les effets de seuils du barème réaménagé ne suscite pas l'enthousiasme, les dispositifs de transition coûtant fort cher vu que l'actuelle deuxième tranche est la plus lucrative. Il manque toujours des recettes pour accomplir l'objectif de neutralité pour les finances publiques, recettes qui sont à l'heure actuelle bien mystérieuses.

Seule une suppression totale de l'ISF — et donc de sa déclaration annuelle de patrimoine — peut sans doute mettre un terme aux récriminations sur cet impôt. Mais cela n'est possible que si on est prêt à se passer de recettes, ce qui n'est possible que si le budget de l'état est approximativement équilibré, ou prêt à taxer d'autres personnes que celles qui sont actuellement imposées. L'analyse du gouvernement est à raison qu'il est impossible symboliquement de transférer la charge vers d'autres. Restera donc un coup de maître: après 4 ans de masochisme avec le bouclier fiscal, le président Sarkozy a annoncé une suppression impossible qui lui sera certainement reprochée par les adversaires et les partisans de l'ISF; les gens sans opinion seront consternés par l'impréparation après 4 ans de controverse.