Quelques conclusions sur le principe de précaution et son dévoiement
Par proteos le 9 novembre 2011, 20:41 - Politique - Lien permanent
Épisode précédent: TP principe de précaution: les OGMs
Après quelques billets sur le principe de précaution et son dévoiement, je vais essayer d'exposer quelques conclusions que je tire de son application pratique au vu d'évènements plus ou moins récents et de la littérature théorique telle que je la comprends.
Premièrement, le principe de précaution paraît plus être une évolution qu'une révolution. Il s'agit finalement d'anticiper les dommages les plus graves de façon à adopter des mesures correctives pour les éviter ou de surveiller ce qu'on pressent comme dangereux. Si la littérature sur le principe de précaution semble accorder au domaine de la protection de l'environnement la paternité du concept, les juridictions, notamment internationales, fondent leurs jugements sur des concepts venant du domaine de la santé publique. Il semble que les conséquences pratiques de cette différences soient négligeables. Les mêmes outils sont convoqués: évaluation des risques, attention portée aux différentes hypothèses ayant cours et pourvues d'un minimum de fondements scientifiques, essai d'amoindrir autant qu'il est raisonnement possible les effets néfastes tout en gardant les avantages.
Deuxièmement, le principe de précaution requiert une certaine bonne foi de la part des parties prenantes. Comme le domaine où doit s’appliquer le principe ne fait pas l'objet d'un consensus, il est tentant de créer et de promouvoir des hypothèses pour asseoir une idéologie ou une technique particulière, particulièrement lorsque le sujet atteint l'opinion publique. Pour que le débat sur le sujet garde un fond de rationalité, il vaut mieux ne pas créer des scénarios d'apocalypse pour le plaisir, ne pas demander des choses impossibles comme de prouver qu'il n'y aura jamais de dommage dans aucune situation inventée pour les besoins de la cause et ne pas chercher à éliminer les tenants des autres hypothèses sur des arguments ad hominem. À partir du moment où on considère que le principe de précaution s'applique, par hypothèse, l'incertitude domine au moins une partie du sujet, il doit être aussi peu crédible de promettre l'apocalypse que des miracles, aussi peu rationnel de demander à ce que le sujet soit immédiatement éclairci en voulant la preuve de l'absence de dommage qu'en ne regardant que les avantages. Il faut bien dire que cette demande de bonne foi restera un vœu pieux car exploiter les failles du principe de précaution repose en fait sur des biais cognitifs humains. L'homme est assez peu doué pour évaluer les situations où des dommages importants mais avec une faible probabilité, le plupart des gens n'ont certainement pas le temps de compiler les arguments des uns et des autres et se contentent donc de juger en termes de crédibilité ce qui leur est dit sur ce genre de sujet.
Troisièmement, si le sujet devient important pour l'opinion publique, la bataille principale devient celle de la crédibilité. Au fond, l'expertise scientifique et technique revêt parfois un aspect accessoire. La priorité des décideurs politiques semble se concentrer à certains moments sur la meilleure façon d'être sûr d'éviter les prétoires ou de continuer une carrière politique. C'est ainsi que Bernard Kouchner met fin à la campagne de vaccination contre l'hépatite B. Sur le sujet des OGMs, la bataille de la crédibilité a été perdue, malgré l'adoption du principe de précaution dans ce domaine il y a 40 ans, après une accumulation de données scientifiques — le député Jean-Yves Le Déaut dit avoir visité son premier essai en plein champ en 1987 —, et des efforts de transparence. En face d'une bataille de crédibilité perdue, faire des efforts de transparence et insister sur les résultats scientifiques ont une efficacité comparable à celle d'un pistolet à eau face à une kalachnikov.
Quatrièmement, il est particulièrement tentant d'abuser du principe de précaution pour la mesure majeure qu'il permet: l'interdiction. Quoiqu'en veuillent les textes qui prévoient des mesures temporaires et proportionnées, il n'est rien de plus durable qu'une mesure temporaire dont on ne fixe pas la date d'expiration et une fois qu'on a fait accroire à l'apocalypse, il ne reste pas grand chose d'autre à faire que d'interdire. Cette propension à l'interdiction est combattue par les juridictions internationales qui mettent des garde-fous contre l'arbitraire. Mais le temps que l'affaire soit jugé un temps important s'écoule, installant un peu plus encore les certitudes dans le domaine et permettant de rendre le jugement ineffectif, sans compter les réactions dilatoires des gouvernements. Le différend sur le bœuf aux hormones s'est soldé par des indemnités versées annuellement par l'UE plutôt que de changer la législation ou de trouver un accord. L'activation de la clause de sauvegarde pour le MON810 par le gouvernement français en 2008 vient de voir revenir les réponses de la CJUE aux questions préjudicielles. Cette propension à l'interdiction pose des problèmes du point de vue d'un idéal de gouvernement démocratique et rationnel. Si la démocratie est un mode de gouvernement supérieur aux autres, ce n'est pas seulement par un mode de sélection des dirigeants, mais aussi par la garantie de droits à chacun, parmi lesquels figure le fait pour l'état de ne pouvoir imposer des actes aux citoyens sans justification rationnelle. Or ces interdictions ont souvent pour base une obligation d'ordre idéologique, comme le refus de l'agriculture industrielle et le contrôle précis par l'homme des espèces vivantes qu'il utilise pour son bon plaisir dans le cas des OGMs.
Cinquièmement, le principe de précaution s'est révélé incapable de déclencher des décisions positives dans des domaines où cela s'avère nécessaire. Le domaine le plus frappant à ce sujet est le réchauffement climatique. Au cours des années 90, les pays occidentaux et les anciens pays du bloc communiste ont décidé de limiter les émissions de gaz à effet de serre. L'objectif global de ceux qui ont ratifié le protocole de Kyoto sera sans doute respecté fin 2012, mais uniquement grâce à l'effondrement de l'industrie soviétique et à la mise aux normes occidentales de ce qu'il en reste. Il a été impossible de faire ratifier le traité par les USA, les émissions des pays alors émergents ont explosé alors qu'ils n'étaient tenus à rien par le traité. Il s'avère impossible aujourd'hui d'arriver à un accord similaire alors que la certitude du réchauffement causé par ces émissions ne s'est que renforcée. Il est vrai que le principe de précaution ne dit rien quant aux problèmes qui se posent en fait: il s'agit de construire une réponse coordonnée au niveau mondial. Mais que dire de décisions de sortie du nucléaire comme celle prise par la coalition rouge-verte en Allemagne, peu après la signature du protocole de Kyoto?
Pour finir, l'action gouvernementale depuis 2007 est tout simplement désastreuse. Le maïs MON810 a été interdit sans raison valable mis à part la victoire des écologistes sur le plan de la crédibilité, remportée aussi à l'aide d'une campagne de vandalisme. Nathalie Kosciusko-Morizet et Jean-Louis Borloo ont consciencieusement piétiné l'expertise scientifique dans ce domaine. La législature a adopté une loi qui a fait entrer dans un organe consultatif les associations écologistes, alors que leur comportement laissait présager qu'aucun argument rationnel ne pourrait jamais les convaincre du bienfondé des plantes génétiquement modifiées, ce qui signe leur mauvaise foi, rendant le comité économique, éthique et social du haut comité aux biotechnologies complètement inopérant. Si le principe de précaution n'a comme application que de fournir aux décideurs politiques la meilleure voie pour éviter les prétoires ou de leur permettre de prendre des décisions arbitraires prenant leur source dans une idéologie visant entre autres à imposer un certain modèle de société, quelques questions se posent quant à l'opportunité de son usage. Il est aussi patent que le principe de précaution a causé des dommages graves et irréversibles à la rationalité du débat public en France.
Commentaires
" d'une campagne de vandalisme "
UNE campagne?
J'en vois au moins 2 :
1. les attaques systématiques contre les expérimentations de plantes GM?
2. les attaques systématiques contre la réputation des chercheurs qui affirment que la culture de plantes GM est acceptable?
C'est comme pour le nucléaire : une fois que la légitimité de tout organe scientifique ou de toute personne qui ne tient pas pour acquis que "plante GM = diable" ou "nucléaire = Armageddon", il ne reste plus que les CRImachinchose (pour la France) et les assoc habituelles (Amis de la Terre, etc.).
Mais à trop vouloir pousser la stratégie de disqualification et la propagande-panzer, il y a des retours de flammes à prévoir. Il suffit de butiner sur les lieux de discussion du Web pour constater que la couverture du Nouvel Obs ("Les OGM sont des poisons" : pourquoi pas "un OGM"?) a fortement déplu à certaines personnes opposées à la culture de plantes GM : "Un OGM est un poison" aurait été moins inepte.
Et puis les rats difformes dans une publi, c'était aussi le truc de trop : toute publi un peu dérangeante va être suivie d'un certain nombre de critiques plus ou moins étayées et plus ou moins de bonne foi, et tout le monde ne va pas forcément consacrer du temps à démêler cela, surtout si ça a l'air de questions statistiques, mathématiques, scientifiques, etc. passablement compliquée. Mais les 3 photos (3 = 4 - 1) choquantes de la publi de GES, c'est autre chose (d'autant qu'il en manque une si on veut illustrer 4 régimes alimentaires). Et ça n'importe qui peut le comprendre, sans faire des calculs d'intervalles de confiance ou de simulation numérique avec des rats virtuels : tout le monde peut être dérangé par cela. La com' panzer est allée trop loin.
Pour ma part, je ne fais pas de séparation entre les différentes tactiques utilisés par les écolos contre les OGMs. Il y a plus une gradation: campagnes de conviction des citoyens, actions de décrédibilisation des opposants, dont la forme la plus dure est constituées d'attaques ad hominem, et enfin vandalisme consistant à détruire des champs ou des serres.
"rendant le comité économique, éthique et social du haut comité"
Un "comité économique, éthique et social", pour quoi faire?
Pourquoi avoir créé des comités éthiques? (OGM, bio-, etc.)
J'ai besoin d'experts pas trop bidons pour l'évaluation la littérature scientifique; j'ai besoin d'experts pour tenter de savoir ce que dit le Droit d'un sujet (il y a tellement de lois, de codes... que je doute que ce soit plus facile de comprendre les lois humaines que les lois de la Nature).
En revanche, je ne suis pas sûr d'avoir besoin d'experts d'un comité éthique. Je pense que le Comité éthique est déjà constitué, c'est le peuple français.