Épisode précédent: De la crédibilité

Après une revue de divers moyens de dévoyer le principe de précaution, présenter un exemple est de bonne pratique pédagogique pour montrer comment ces moyens s'agencent admirablement pour mener à des décisions dépourvues de tout fondement rationnel. Un autre intérêt est aussi de présenter un exemple concernant ce qui est souvent donné comme domaine de prédilection du principe de précaution: l'environnement. Pour ce faire quoi de mieux que les organismes génétiquement modifiés, ou, plus exactement, les plantes génétiquement modifiées, qu'on désignera toutefois sans vergogne par l'acronyme d'OGM?

La première question qu'on peut se poser est de savoir si les OGMs relèvent bien du principe de précaution. La réponse en la matière est assez complexe, étant donné que les OGMs présentent des caractéristiques très différentes les uns des autres. Leurs propriétés sont variables, elles vont de la modification du contenu utilisable de la plante à la résistance aux herbicides en passant par la modification des couleurs. Les plantes modifiées sont aussi très différentes, il existe des espèces sauvages ou pas dans la zone de culture, etc. Les traits qui sont insérés dans le génome des plantes sont aussi plus ou moins connus, ainsi le maïs MON810 a été approuvé la première fois en 1995 aux USA. Cela veut dire qu'une analyse au cas par cas est requise. Mais, au moins pour les traits nouveaux, vu que toutes sortes de choses paraissent possibles, une étude préalable semble s'imposer pour connaître l'étendue des éventuels effets indésirables. Cependant de telles études n'ont pas été nécessaires lors de divers croisements, de l'irradiation des semences ou de l'utilisation de produits chimiques pour favoriser les mutations. Les conséquences néfastes de cette absence d'études ont été inexistantes. On peut donc reconnaître une certaine pertinence au principe de précaution dans ce cadre, même si cela relève aussi d'un préjugé envers une technologie particulière.

Et de fait, le domaine de la recherche en génétique a depuis longtemps adopté ce principe, comme illustré par la conférence d'Asilomar, dont on peut trouver trouver les conclusions sur le web. Cette conférence avait été convoquée suite aux inquiétudes suscitées au sein même de la communauté scientifique par les possibilités offertes par la modification à volonté du génome de certains organismes. Elle conclut à l'instauration de mesures de confinement, proportionnées au danger potentiel que suscite la modification qui fait l'objet d'expérience.

Même s'il existe désormais de très nombreux OGMs, l'opposition, notamment le fait des écologistes, concerne tous types d'OGMs quelques soient les plantes et les traits utilisés. Cette opposition est surprenante, l'homme ayant lui-même construit sans aide du génie génétique des monstres qu'il utilise depuis fort longtemps dans l'agriculture. Le blé est un hexaploïde (6 exemplaires de chaque chromosome par cellule) créé à partir d'une plante sauvage diploïde. Le colza est quant à lui un hybride sélectionné par l'homme. Plus récemment, depuis l'après-guerre, l'homme utilise des substances chimiques ou l'irradiation pour accélérer l'évolution des plantes.

L'argumentaire utilisé illustre très bien comment on peut exploiter le principe de précaution en utilisant les stratagèmes dont on a déjà parlé.

L'innocuité impossible

Pour les opposants aux OGMs, un des problèmes majeurs est qu'il est impossible de prouver l'innocuité des OGMs, aucun ne trouvant jamais grâce à leurs yeux. Ainsi en est-il du maïs MON810. Mais impossible de réaliser des essais en plein champ, par exemple, pour avancer sur les éventuels problèmes de dissémination. Le saccage d'une serre en 1999 par des vandales, parmi lesquels se trouvait José Bové, montre aussi que les essais confinés en serre ne sont pas mieux venus. Un autre axe d'attaque est la dangerosité supposée des OGMs. Il s'agit alors de démontrer la toxicité, pour les mammifères, de ces plantes, comme le tentent par exemple M. Séralini et le CRIIGEN.

De façon plus générale, le but est de se saisir de toutes les études qui puissent paraître défavorables aux OGMs, les défendre le plus longtemps possible et d'ignorer toutes celles qui sont favorables. C'est particulièrement patent avec le fameux avis du comité de préfiguration du Haut Conseil aux Biotechnologies: le sénateur qui devait rendre compte de l'avis donné a fait état de «doutes sérieux» — s'asseyant au passage sur la lettre dudit avis au point de faire démissionner la plupart des scientifiques du comité — alors que cet avis contenait aussi au moins un élément positif concernant la santé publique. Quant à la gravité du reste, elle n'est jamais explicitée. Ce n'est donc pas une surprise que cet avis — et celui ayant servi à la justification de la clause de sauvegarde — aient pu être fortement contesté. Les études de Séralini sont, quant à elles, basées sur une réanalyse de résultats obtenus par d'autres, de façon erronée et ne présentant pas d'effets croissants avec la dose (explication plus détaillée ici).

Qu'il soit très difficile de prouver que le MON810 soit réellement dangereux pour la santé ou l'environnement n'est pas une surprise. Ces maïs sont basés sur une propriété d'une bactérie, Bacillus thurigiensis, qui produit une protéine toxique pour les chenilles de papillon, mais anodine pour la plupart du reste du règne animal. Il s'agit de faire produire la partie active de la protéine par la plante. C'est une méthode efficace de lutte contre la pyrale du maïs, au point que la bactérie est utilisée en agriculture biologique. D'autre part, les demandes de recul supplémentaire vieillissent fort mal, cela fait maintenant plus de 15 ans que le MON810 est cultivé, sans que des effets délétères graves aient été constatés. Ce temps a aussi permis d'évaluer cette plante, quelques 28000 publications diverses ont été recensées sur les OGMs en général dont 5000 sur les plantes résistantes aux insectes. Les effets positifs sont aussi bien apparus, comme par exemple, la baisse de l'usage de pesticides et des empoisonnements dus à leur usage sans précautions ou encore l'augmentation des rendements.

Pour dire les choses simplement, on a là un cas d'école d'une demande de dommage zéro: alors que des bénéfices étaient envisagés, ils ont été ignorés; les dommages potentiels largement surestimés et pas comparés à la situation existante, l'usage de pesticides dans le cas des plantes Bt.

Le scénario du pire

Les inquiétudes soulevées par les opposants aux OGMs ne suffisent pas en elles-même, il faut, pour que des mesures soient prises, que des dommages graves et irréversibles soient en vue. L'angle d'attaque de la toxicité donne accès naturellement à cette catégorie, d'où son utilisation. Cependant pour ce qui est de l'environnement, les problèmes de dissémination ne donnent pas directement sur une atteinte grave. Dans ce cas, les opposants construisent un scénario, similaire à celui de l'œuvre de Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne. Finalement, la crainte exprimée est celle de voir l'invention issue du génie génétique, une sorte d'être artificiel, échapper définitivement à leurs créateurs et répandre le chaos sur la terre. La crainte serait que des traits d'OGMs se répandent dans la nature, pour des résultats très néfastes, mais souvent sans beaucoup d'explication.

En procédant ainsi, ils répandent un scénario d'apocalypse, que les promoteurs d'OGMs ne peuvent contrecarrer. Il est impossible d'appeler de nos jours à combattre la famine par une augmentation des rendements, tellement il est devenu évident que ces dernières ont des causes politiques avant tout. En étant les seuls à pouvoir proposer de façon crédible un scénario exceptionnellement néfaste, les opposants font en sorte que le débat soit de limiter les éventuels effets néfastes des OGMs et non pas de mettre en balance les avantages et les inconvénients, en focalisant l'attention sur ce seul scénario. Or il s'avère que ce scénario est loin d'être certain. En laissant de côté les avantages des OGMs, le fait que le pollen se répande ne crée pas de danger en soi. Pour reprendre l'exemple du maïs, il s'agit d'une plante qui a été importée d'Amérique et ne compte aucune plante proche en Europe. Les risques de répandre les transgènes semblent donc minces. Le plus probable est que ce soit l'homme qui répande le plus le transgène, en cultivant ces plantes qui lui sont totalement inféodées. Même dopées de cette façon, elles sont incapables de survivre et de se reproduire longtemps sans le secours et l'intervention de l'homme. Par contre, à travers l'histoire, l'homme s'est montré très doué pour répandre des espèces de végétaux (maïs, pomme de terre, haricots, canne à sucre, ...) ou d'animaux (vache, cochon, chat, ...), sans que cela lui nuise tant que cela, mais plutôt améliore ainsi ses conditions de vie.

On peut aussi constater que les comparaisons sont artificielles. La situation de référence qui est mise en avant par les opposants est bien souvent une agriculture qui n'est pas industrielle, sans insecticides ni herbicides. Or la situation actuelle n'est pas celle-ci, sauf peut-être dans les pays les plus pauvres. L'agriculture repose aujourd'hui en grande partie sur la chimie, ou alors sur l'exploitation à grande échelle de produits qui, s'il sont naturels, peuvent aussi être tout à fait dangereux. En procédant de la sorte, on brouille les comparaisons entre avantages et inconvénients.

On a là un exemple de construction de scénario du pire qui dirige entièrement la réflexion, alors même qu'on peut vite s'apercevoir qu'il ne repose pas sur des enchaînement de cause à effet solides et qu'il prend en compte une situation de départ irréaliste.

La crédibilité

Pour combattre les études qui ne manquent pas d'être faites pour essayer de trancher la controverse, il est d'une importance capitale d'agir sur la crédibilité des intervenants potentiels, ou plus clairement de déterminer qui sera écouté par les décideurs politiques en définitive.

En matière d'OGMs, la décrédibilisation des scientifiques va bon train, presque tout y est rassemblé. Ainsi en 1997, le gouvernement Juppé décide de ne pas autoriser à la culture le premier maïs Bt qui aurait pu l'être, alors que la commission de génie biomoléculaire avait rendu un avis favorable, ce qui entraîne la démission de celui qui la dirigeait, Axel Kahn. En 2008, le comité ad hoc mis en place à la suite du Grenelle de l'environnement a vu ses conclusions déformées au point d'entraîner 12 démissions sur les 15 membres de sa partie scientifique. Il faut dire que ce comité avait aussi une mission politique, peu importait en fait le contenu de son rapport. On ne peut pas dire que les politiques aient renforcé la crédibilité des scientifiques qu'ils ont appelés pour les conseiller, puisque de fait, ils ont souvent fait le contraire. Or, ces conseils reflétaient l'opinion générale du moment parmi la communauté scientifique et on ne peut que constater que les faits leur donnent raison dans le cas du maïs Bt.

Quant à la justice, elle a reconnu que des vandales — qui se nomment eux-mêmes faucheurs volontaires — ayant détruit un champ d'OGMs étaient dans un état de nécessité et par suite, ne les condamnait pas. De ce fait, le juge tenait pour crédible la thèse des vandales, selon laquelle les OGMs étaient dangereux. On peut aussi s'apercevoir que les peines sont relativement légères en la matière, rien qui ne puisse dissuader les vandales dont la motivation est politique, quoique puisse en dire l'INRA.

Les opposants ont aussi œuvré à décrédibiliser ceux qui n'étaient pas sur la même position qu'eux. Être financé, même partiellement, par des industriels ou même plus simplement fréquenter des gens issus de l'industrie dans des associations ou des forums est devenu un motif de disqualification. Comme mentionné dans une lettre ouverte à l'INRA, Dis-moi quel est ton partenariat et je te dirai quelle recherche tu fais. Au final, cette campagne a si bien réussi que dans le témoignage d'un scientifique allemand, il dit ne plus être cru par la population lorsqu'il dit n'avoir trouvé aucun élément défavorable aux OGMs et être soupçonné d'être payé par des firmes commerciales, dont les résultats sont par essence irrecevables. Dans ce témoignage, on peut aussi constater les effets du vandalisme des champs et essais d'OGMs, la peur qui s'est installée ne pouvoir mener ses recherches jusqu'au bout et le sentiment que le champ d'études dans lequel il s'était engagé au début des années 2000, l'analyse de la sécurité biologique des OGMs, s'avérait finalement nettement moins attirant à cause des obstacles entravant la recherche.

Le prolongement naturel de cela est de contester les instances d'évaluation, comme l'agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), pour la proximité alléguée des membres du comité scientifique avec les firmes produisant des OGMs mais sans chercher à montrer des erreurs dans le raisonnement suivi. La proposition qui transparaît est claire, il s'agit de remplacer ces individus par des personnes plus respectables car supposément indépendantes. Cette revendication d'indépendance et de neutralité est avancée de façon très sérieuse par les opposants, ainsi le CRIIGEN se dit-il apolitique et non-militant et reste assez mystérieux sur ses sources de financement, même si on devine en lisant la liste de ceux à qui des avis ont été donnés qu'Auchan et Carrefour, obscures PME n'ayant rien à voir avec l'agro-alimentaire, ne comptent pas pour rien dans le financement de cet organisme. L'état français a choisi de leur donner partiellement raison. Le Haut Comité aux Biotechnologies, chargé de rendre des avis sur ces thèmes, est séparé en 2 parties dont une, le comité économique, éthique et social comprend des association écologistes, notoirement opposées aux OGMs. On se demande ce qui a pu présider à la décision de les intégrer à un tel comité alors que leurs positions publiques laissaient deviner que les avis qu'ils donneraient seraient toujours négatifs et que leur militantisme permanent énerverait quelque peu leurs collègues. Et c'est bien ce qui s'est passé: au détour d'un compte rendu de l'office parlementaire des choix scientifiques et techniques, même si on reste entre gens de bonne compagnie, on lit que c'est un comité qui ne mène à rien: quelques 25 ans après les premiers essais en plein champ, on n'a pas avancé d'un pouce sur cette question; comme on s'efforce de n'y pas voter, il est impossible au gouvernement de savoir ce qui fait consensus ou ce qui pose réellement problème, ce qui donc revient à ne rien lui dire; qu'y donner son accord ne préjuge en rien des actes par la suite, comme avec les vignes de l'INRA. Mais la réaction la plus marquante est sans doute celle de Jeanne Grosclaude, directrice de recherche de l'INRA à la retraite et membre de la CFDT. Elle s'y montre scandalisée par l'attitude des associations écologistes, comparées aux patrons voyous sur la question des destruction des essais.

Épilogue

Finalement, la question se pose de savoir pourquoi contester une technique qui ne présente pas de danger extraordinaire sur le plan du principe de précaution, comme dans le cas du maïs Bt? En lisant la recommandation sur le maïs MON810, on s'aperçoit que les association écologistes en veulent surtout à la culture intensive du maïs. Ainsi dans l'explication de vote commune aux Amis de la Terre, Greenpeace, etc, on lit que la monoculture du maïs est la source du problème.

La raison apparaît ainsi clairement: il s'agit surtout de s'opposer à la société actuelle qui repose en grande part sur la capacité de l'agriculture industrielle à nourrir de très nombreuses personnes avec le travail d'un petit nombre. Comme il s'agit d'une évolution provoquée par la technique et les forces de l'économie, raisons qui ne suffisent pas à interdire ces pratiques, il faut trouver une autre raison qui permet l'interdiction, ce qu'offrent le principe de précaution et les allégations de dangers pour la santé.

Sur ce sujet, on peut aussi lire Le principe de précaution et la controverse OGM d'Olivier Godard qui donne de nombreux détails (en 60 pages), sur le principe de précaution en général et sur les péripéties liées au maïs MON810 en particulier.

edit 13/10/2012: correction des fautes d'orthographe les plus criantes, ajout du lien vers le compte-rendu de l'OPECST.

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