Le vocable de réseau intelligent recouvre l'adjonction d'une couche de télécoms sur le réseau électrique. Les éléments du réseau deviennent alors capables de donner en temps réel des informations sur leur état et leur consommation.

On voit tout de suite quels sont les avantages pour les gestionnaires de réseau: on sait exactement qui produit quoi, qui consomme quoi, où sont les problèmes récurrents ou exceptionnels. Le premier avantage est de supprimer la tournée des compteurs et de facturer toujours le bon montant à chaque facture, c'est une réduction des coûts et un gain de productivité. Cela permet aussi de gérer la production au plus juste. Celle-ci est toujours égale à la consommation mais un ajustement se fait sur la fréquence: un surplus ou un manque peuvent être absorbés s'il sont faibles. Mais comme la marge est très faible, avoir des renseignements exacts, surtout dans un contexte où la production peut venir de beaucoup d'endroits avec la généralisation des panneaux solaires grâce à de généreuses subventions.

Un autre argument avancé par les promoteurs auprès des particuliers à propos du nouveau compteur est qu'il favorise la maîtrise de la consommation. Cependant, il semble peu probable que le compteur seul y fasse grand chose. Certains seront peut-être effrayés par l'affichage de leur consommation, mais il est peu probable qu'on regarde son compteur en même temps que la télévision. Il est nettement plus facile de maîtriser sa consommation en s'informant avant d'acheter un équipement électrique sur sa consommation.

Parmi les auditions menées par l'OPECST, un représentant d'ERDF s'est étendu sur le programme de déploiement du nouveau compteur et pour expliquer comment la maîtrise de la consommation allait fonctionner (tome 2 p178):

Pour les clients résidentiels, il est ainsi possible d’agir, par exemple, sur les chauffe-eau, les radiateurs ou la climatisation, les appareils électroménagers, ces actions relevant soit de l’initiative du client pour réduire sa consommation, soit de son fournisseur dans le cadre de son contrat ou encore pilotées par le gestionnaire de réseau.

La maîtrise de la consommation prend un tour tout particulier, puisque le gestionnaire de réseau pourrait décider de ce qu'il est possible de consommer à la place du client. En d'autres termes, le client serait au service du producteur, alors que notre confort dépend en grande part de la possibilité de consommer de l'énergie lorsqu'on en a envie. Évidemment, cette liberté n'est pas complète, les producteurs veulent réduire la pointe, c'est la raison d'être des abonnements heures pleines/heures creuses. C'est ainsi que la plupart des logements tout-électriques ont un ballon d'eau chaude dont le chauffage entre en service commandé par une horloge. C'est la différence majeure avec ce qui est suggéré par le représentant d'ERDF: l'alternance entre heures pleines et heures creuses est entièrement prévisible, et en plus elle s'applique principalement à des consommations qu'on peut reporter sans grande perte de confort.

Une autre forme de ces abonnements est l'EJP, qui ressemble beaucoup à au procédé mentionné ci-dessus, où l'utilisation d'appareils électriques est fortement découragé par un tarif punitif lors des jours d'effacement. L'employé d'ERDF explique même quelque chose de pire où certains équipement se lanceraient à des moments défavorables pour le client, qui ne sera pas forcément ravi de voir que le fournisseur d'électricité n'autorise sa machine à laver à fonctionner qu'entre 3 et 4h du matin, ou même l'oblige à reporter la lessive à la semaine suivante. De même, penser utiliser les batteries des automobiles ne suscitera sans doute pas l'enthousiasme de leurs propriétaires, grande sera la tentation d'oublier de brancher son automobile sur le secteur lorsque la batterie sera pleine. Sous le vocable de maîtrise de la consommation, les réseaux intelligents seront là l'occasion de renverser la relation de client à fournisseur: la novlangue fait là une apparition remarquée.

Comme tous les appareils communicants, les compteurs ont aussi attiré l'attention de hackers. Ils ont donc trouvé qu'on pouvait faire dire n'importe quoi à son compteur. Mais ils ont aussi remarqué qu'on pouvait déterminer les habitudes de consommation de chacun en utilisant les données du compteur, ce qui n'est pas très étonnant quand on sait que l'analyse de la consommation électrique peut même servir à retrouver des clef cryptographiques privées. Ne doutons que de telles capacités seront mises à profit par des politiques prônant, par exemple, la tarification progressive de l'électricité, façon de faire payer ceux qui ne respecteraient pas les prescriptions gouvernementales.

L'office n'attend d'ailleurs pas plus que l'employé d'ERDF des miracles quant à la maîtrise de la consommation. Le rapport indique ainsi que (tome 1 p61) si la souplesse accrue des réseaux se traduira sans doute par un gain d’optimisation des ressources de compensation de l’intermittence, elle ne permettra pas d’en faire l’économie. L'office semble ainsi voir dans les réseaux intelligents, plus un moyen de suivre la production des moyens décentralisés que de suivre avec précision la consommation. Pour ERDF, le bénéfice principal sera surtout le relevé automatique des compteurs. Cela dit, le potentiel du compteur communicant est nettement supérieur à cela avec parfois des implications pas vraiment rassurantes.