Le rapport de l'OPECST consacre une place importante à l'inévitable question de la maîtrise de la consommation d'électricité (Tome 1, p33 sq). Leur développement sur le sujet met en avant la nécessité d'augmenter l'efficacité énergétique et ... la raison pour laquelle l'amélioration de celle-ci n'est jamais suffisante. Cette partie ne contient pas vraiment d'idées nouvelles pour contenir la progression naturelle de la consommation d'énergie. Elle revient sur les diverses évolutions dans le domaine du logement, ce qui donne l'occasion d'un règlement de comptes avec l'administration édictant les normes de construction. Je ne m'attacherai pas à savoir si les reproches de l'office sont justifiés ou si la règlementation sera efficace, mais plutôt à montrer que prévoir une stabilité de la consommation d'électricité n'est pas réaliste.

L'office commence par refuser une stratégie délibérée d’énergie chère pour contraindre à une meilleure maîtrise de la consommation (Tome 1, p34), préférant procéder par le biais de la normalisation. Le fait est que cette normalisation ne s'applique qu'aux équipements ou bâtiments neufs. Pour ce qui est des bâtiments existants, tout dépend de la rentabilité de l'investissement. Dans ce cas, rien n'est plus faux que l'affirmation que l'énergie qu'on ne consomme pas est la moins chère: tout investissement pour diminuer la consommation d'énergie doit être repayé par les économies et le gain de confort dans un laps de temps raisonnable — mettons moins de 10 ans.

Cela dit, la demande en électricité dépend assez faiblement de son prix, car pour bon nombre d'usages, il est impossible d'effectuer une substitution. Cette substitution peut même être indésirable lorsqu'elle s'effectue vers les combustibles fossiles en venant d'une production d'électricité ne rejetant que très peu de CO₂ comme en France. Maintenir un prix relativement peu élevé de l'électricité est une bonne stratégie dans ce cas, même si cela entraîne une consommation supérieure.

Avec le progrès technique et l'élévation du niveau de vie, il est très difficile de contenir la hausse de la consommation d'électricité. À peu près tous les nouveaux objets inventés désormais fonctionnent à l'électricité, ce qui fait que la hausse de la consommation de biens a pour résultat une hausse de la consommation d'électricité. Le progrès technique permet des gains d'efficacité impressionnants via des changements de technologies, mais cela a souvent l'effet global inverse: la consommation d'électricité augmente, car l'usage augmente nettement plus.

Pour prendre un exemple, depuis les années 90, à peu près tous les écrans ont été remplacés. Les tubes cathodiques (CRT) ont laissé la place aux écrans à cristaux liquides (LCD), principalement. Les LCDs, sans être extrêmement efficaces — la dalle transmet moins de 10% de la lumière du backlight —, représentent un progrès en termes d'efficacité énergétique par rapport aux CRTs. Lorsque les 2 technologies étaient encore en compétition, on constatait qu'à diagonale égale, un LCD consommait 2 fois moins qu'un CRT. Cependant, les LCDs sont nettement plus lumineux que les CRTs: pour les moniteurs de bureau, on est passé d'environ 100cd/m² à 250 et pour les téléviseurs de salon d'environ 200 à 550. Comme les dimensions et le poids sont nettement réduits pour les LCDs, les tailles d'écran ont beaucoup augmenté: les TVs vendues atteignent souvent les 40 pouces de diagonale contre une vingtaine auparavant, ce qui représente une multiplication par 4 de la surface ce qui fait plus qu'annihiler les gains d'efficacité. Le nombre d'écrans a aussi fortement augmenté avec la généralisation des ordinateurs. Bref, bien loin de provoquer une baisse de la consommation électrique, l'introduction des LCDs a créé de nouveaux usages, ce qui s'est sans nul doute traduit par une hausse conséquente de la consommation électrique — et aussi de la pointe du soir.

C'est ainsi que le rapport note (Tome 1 p40) que tous les gains d’efficacité énergétique réalisés sur l’électroménager et l’éclairage depuis 1995 auraient été annulés par l’augmentation de la consommation des TIC ; rien que la consommation électrique de l’audiovisuel a augmenté de plus de 78 % en dix ans. Le bilan électrique 2011 de RTE porte les traces de cela, on y voit une hausse inexorable de la consommation par les particuliers, artisans et autres PME, tandis que la consommation des grandes industries baisse, principalement sous l'effet de la crise économique. Pour contrer cela, la piste avancée par le rapport est celle des politiques qui n'y peuvent rien, l'appel à la modification des programmes scolaires (p41): Il serait indispensable d’introduire dans les cursus scolaires un apprentissage sur le rôle de l’énergie et de l’électricité dans notre sociéte.

Il est aussi clair que la plupart des moyens qui permettent de se passer de combustibles fossiles ne sont utilisables que via l'électricité. Il est difficile de penser utiliser la force du vent autrement que par ce biais. De même, si on doit recourir à des carburants synthétiques ou stocker l'électricité de façon nettement plus extensive, la production d'électricité ne pourra qu'augmenter, et ce dans des proportions importantes.

Pour conclure, on voit là qu'il n'est pas raisonnable de prévoir que la consommation d'électricité restera stable à moyen ou même long terme. Si cela donne un cadre agréable de réflexion en laissant des point de repères fixes, il faut bien comprendre qu'une mise à l'échelle est indispensable. Ce n'est pas tant que les efforts d'économies d'énergie soient inefficaces: devant l'ampleur des investissements à réaliser, vouloir freiner la hausse est nécessaire. Mais les désirs de continuer à élever notre niveau de vie, de profiter des nouvelles technologies et de nous passer de combustibles fossiles pointent en fait tous dans la même direction: une hausse importante de la consommation — et donc de la production — d'électricité.