Pour clôturer le série sur le scénario envisagé par l'OPECST à long et très long terme, un dernier billet sur la motivation de la baisse de la part du nucléaire semble s'imposer. L'office, qui fait du développement de technologies de stockage un impératif de la validité de son scénario, n'est pas précisément animé par des d'anti-nucléaires patentés. Par exemple, Christian Bataille a donné son nom à une loi sur la gestion des déchets de l'industrie du nucléaire, ses interventions publiques montrent qu'il est favorable au développement de cette industrie.

La justification avancée est que la population peut se liguer rapidement contre l'énergie nucléaire:

La vitesse avec laquelle la population, en réaction à l’accident de Fukushima, s’est coalisée, par l’entremise des autorités locales, contre le redémarrage de tout réacteur arrêté, conduisant à une extinction accélérée du parc nucléaire, jusqu’à une interruption complète probable de toute production nucléaire à l’horizon de l’été 2012, montre le risque de s’en remettre pour une part trop importante à cette source d’électricité. (...) L’exemple japonais invite à ne « pas mettre tous ses œufs dans le même panier ».

Ce brusque retournement peut alors mettre en péril un équilibre patiemment construit, amener, comme au Japon, à des coupures ou à des réductions drastiques de la consommation, à engager des dépenses de combustibles fossiles supplémentaires ainsi que des investissements dans de nouveaux moyens de production d'électricité énormes mais non anticipés. Bref, cette préoccupation est légitime, puisqu'en démocratie, tenir compte de l'avis des citoyens est une nécessité.

Le réponse à cette préoccupation est par contre étonnante. Le constat que l'électricité nucléaire est le seul moyen aujourd'hui connu qui produise de l'énergie à la demande en quantité suffisante pour un pays comme la France amène l'office à maintenir peu ou prou le parc nucléaire. Seul vient le faire diminuer les inévitables énergies renouvelables à la mode, éolien en tête, qu'il compte au final faire seconder par des systèmes de stockage. Ce n'est qu'après 50 ans que le parc amorcerait une décrue grâce à la baisse des coûts et la généralisation de ces systèmes de stockage. Mais à cette époque, après 2050, il semble que l'opportunité de recourir rapidement à la seule source mobilisable rapidement, les combustibles fossiles, sera pratiquement interdite, les stocks ayant fortement diminué ou leur usage fortement découragé. Si donc le public devait réclamer à cor et à cri le remplacement de l'énergie nucléaire, quelles seraient les options?

De façon plus cynique, on ne peut que remarquer que, quand le nucléaire représente la majeure partie de la production, on ne peut s'en passer sauf à renoncer à utiliser l'électricité. Au contraire, quand il ne représente que 25 ou 30%, il est possible de faire appel aux moyens de pointe en permanence pour combler une bonne part de la production manquante, à condition bien sûr d'avoir assez de combustible.

L'argumentation révèle aussi une faillite du débat public en France. Il n'y a en effet pas tant de «paniers» d'énergie où mettre ses œufs. À cause des besoins de nourriture, la biomasse ne peut que représenter qu'une fraction des besoins en énergie d'un pays comme la France. L'éolien et le solaire photovoltaïque sont des sources intermittentes et obligent donc à des investissements extraordinaires dans le stockage si on veut s'appuyer uniquement sur eux. Les combustibles fossiles sont une solution qui fonctionne, et d'ailleurs, difficilement remplaçable dans les transports. Mais si on veut éviter de rejeter du CO₂, il faut diminuer leur consommation, les stocks sont aussi limités. Le nucléaire quant à lui est une solution, y compris à long terme avec les réacteurs à neutrons rapides, mais n'est pas économiquement adapté aux productions de pointe. De fait, il semble que si on veut garder un coût raisonnable de l'énergie, l'alternative se résume à: combustibles fossiles ou nucléaire? Où est la diversification possible?

La perception du danger du nucléaire parmi la population est aussi largement exagérée, surtout quand on la compare au premier concurrent dans la production d'électricité: le charbon. Ce n'est pas tant que le nucléaire ne connaisse pas d'accident. Mais tous les moyens de production d'énergie emportent leur lot de dangers, ainsi par exemple du couvreur qui installe des panneaux solaires. Mais le nucléaire permet de produire de grandes quantités d'énergie, nécessite de peu de matériaux et permet aussi de fuir lorsque les choses tournent mal. Le charbon, quant à lui, entraîne, de la mine aux fumées émises, des conséquences importantes sur la santé. Et c'est ainsi qu'on s'est amèrement plaint ailleurs que le charbon ne fasse pas l'objet de plus d'attentions.

L'utilisation du nucléaire s'accompagne d'une image de transgression. Le rapport de l'OPECST illustre aussi cela: en Allemagne, l'exploitation du lignite engloutit des villages et modifie profondément le paysage. Dans son compte rendu de visite en Allemagne, Christian Bataille qualifie les techniques de réaménagement de l'environnement de très professionnelles (Tome 2 p42), comme si, finalement, il y avait une sorte de fatalité dans l'exploitation du lignite en Allemagne et que la seule chose qu'on puisse y faire, c'est de réparer de façon professionnelle, contrairement au nucléaire où tous les dommages sont inacceptables même s'ils sont avant tout matériels. Lorsque des accidents se produisent dans l'exploitation des combustibles fossiles, personne n'en demande la mise à l'arrêt définitive. Cet aspect transgressif du nucléaire est largement le fonds de commerce du mouvement écologiste. Mais si jusqu'à la fin des années 70, le mouvement écologiste était largement noyé par la demande de plus de confort et une certaine confiance dans le progrès technique pour assouvir cette demande et ainsi améliorer la condition humaine, depuis, le rapport de forces s'est largement inversé. Les écologistes sont ainsi parvenus à obtenir l'interdiction de fait des OGMs en France. Sur cette question comme celle du nucléaire, les politiques, ou au moins ceux qui ont une présence médiatique, ne se sont pas bousculés pour défendre ces techniques.

Et c'est ainsi que l'office se voit mis face à un dilemme: la population est favorable à des moyens de production qui ne rempliraient en rien ses besoins, est hostile à des technologies qui agissent de façon très peu visible, est gagnée par une idéologie hostile au progrès technique, il ne veut pas non plus favoriser le réchauffement climatique. Dans ce cadre, il est impossible ou presque de recommander que la part du nucléaire reste à un haut niveau ou même que le parc se développe. Mais alors la seule alternative consiste à plaider pour un ensemble de technologies intermittentes dont on stocke le produit, au prix d'investissements et de coûts d'exploitations qui s'avèreront sans nul doute délirants. Ces moyens de stockage ressembleront aussi à ces bonnes vieilles techniques dont tout le monde peut se faire une idée, l'hydraulique et la chimie. Et si jamais un accident arrive, on pourra réaménager de façon très professionnelle.