Les promesses tenues du Monde sur les OGMs
Par proteos le 29 avril 2012, 16:24 - À table! - Lien permanent
Le Monde a publié jeudi dernier un article sur les affres supposés du coton Bt en Inde, intitulé Les promesses non tenues du coton OGM en Inde
. Comme le titre le laisse penser, le fond de l'article est essentiellement négatif envers le coton Bt, en ce qu'il est un OGM.
Les mauvais rendements
On nous dit d'abord que la hausse des rendements est moins élevée que prévue
. Évidemment, on ne nous dit pas quelle était la prévision, mais on nous entretient d'une baisse des rendements cette année dans l'état d'Andhra Pradesh. L'article mentionne quand même que depuis l'introduction, en 2002, du coton génétiquement modifié en Inde, les récoltes ont doublé
, chose qui n'a sans doute jamais été mentionnée dans un article du Monde auparavant.
Et effectivement, on peut constater grâce aux statistiques rassemblées par l'état indien que les rendements ont fortement augmenté depuis le début des années 2000, et que cette hausse s'est produite brutalement à partir de 2003. On constate que les rendements ont augmenté de 60 à 80% par rapport à ce qui existait jusqu'alors.
On constate aussi que la saison 2011-2012 est celle qui a les plus mauvais résultats depuis la saison 2005-2006, avec à peine 60% de rendement en plus par rapport à 2003. Il est vrai aussi qu'il est impossible d'attribuer toute la hausse des rendements au trait OGM Bt: si on regarde la progression du coton Bt en Inde, telle que donnée (p4) par l'association industrielle idoine, on s'aperçoit que l'explosion des rendements démarre avant que le coton Bt ait une présence significative. Autrement dit, le trait Bt n'est pas le seul contributeur à l'augmentation des rendements. Par contre, le trait Bt a un autre intérêt: on a besoin de moins d'insecticides puisqu'une partie des insectes ravageurs — en l'occurrence certaines chenilles — sont combattus par le biais de la modification génétique. Le document de l'ISAAA nous dit que la consommation d'insecticides contre ces ravageurs a baissé de 59% en valeur entre 1998 et 2009 (p9). On voit là qu'il y a un choix économique fait par les agriculteurs: l'intérêt de la semence Bt ne dépend pas seulement d'un surcroît de rendement, mais aussi d'une économie de pesticides et de temps passé à les épandre.
La rédaction de l'article du Monde est aussi clairement malhonnête: elle prend un seul état indien en exemple pour étendre la conclusion au pays entier. Comme on peut le constater sur le graphique des rendements, la chute n'a certainement pas été de cette ampleur dans d'autres états. Par ailleurs, il laisse lourdement entendre que les explications de Bayer sont fausses, alors qu'elles sont corroborées par d'autres spécialistes, par exemple, du Département de l'Agriculture US (p2). Pour le journaliste, la pluviométrie ne joue sans doute aucun rôle dans le rendement des production agricoles. Ce document contredit aussi l'affirmation selon laquelle la hausse des rendements serait due aux progrès de l'irrigation, puisqu'il dit que 75% du coton en Inde n'est pas irrigué.
La menace des «bactéries»
Le journaliste nous apprend ensuite que des bactéries menacent la production dans le nord de l'Inde. Le spécialiste intervenant ensuite nous informe qu'il s'agit en fait d'un virus, celui de la frisolée. On nous dit que le coton transgénique y serait plus sensible. En fait, il semble que la réalité soit quelque peu différente. L'institut de recherche indien sur le coton a publié un article sur cette question. Il s'avère qu'en fait, le virus en question se propage grâce à un vecteur et que la maladie paraît bien corrélée à la présence de cet insecte (p3). Ce papier nous dit aussi que ce virus s'est déjà répandu parmi les cultures de coton, au milieu des années 90. La réponse à l'apparition de cette maladie a été le développement d'hybrides. Ces hybrides, auxquels le trait Bt a sans doute été ajouté par la suite, ont vu leur efficacité contre la maladie diminuer à cause de mutations du virus. Le fait que ces hybrides soient transgéniques ou pas n'a donc pas d'importance; d'ailleurs, le trait Bt n'a jamais été promu comme une solution aux maladies virales des plantes, mais comme un moyen de lutter contre certains insectes — des papillons — seulement. Les anti-OGMs font souvent toute une montagne de la simple possibilité que le trait Bt puisse porter atteinte à d'autres insectes. En quelque sorte, il faudrait que le trait Bt combatte toutes sortes de menaces pour les plantes qui en sont dotées, tout en restant strictement dans les limites de l'action qui lui a été confiée par ses concepteurs, la luttre contre certaines chenilles bien déterminées.
Les affres de l'agriculture moderne
Le journaliste fait aussi montre de son ignorance des pratiques agricoles: l'arrivée d'hybrides s'accompagne de la nécessité d'employer engrais, pesticides et plus d'eau pour qu'ils atteignent leur plein potentiel. C'était déjà le cas pour la Révolution Verte, qui, il est vrai, n'a guère que 60 ans d'âge. On retrouve donc là la contestation habituelle de l'agriculture industrielle par les anti-OGMs. Cette contestation comprend aussi celle de sa transformation en activité capitalistique: les hybrides nécessitent souvent des achats réguliers de semences, la culture nécessite d'engager des frais en intrants plus importants, montants qui ne peuvent être recouvrés qu'après la récolte en un court laps de temps. C'est pourtant une réalité qui n'est qu'amplifiée par le besoin d'intrants et de semences mais qui existe aussi pour l'agriculture vivrière: l'agriculteur a besoin là aussi de maintenir un stock de graines et d'intrants s'il veut obtenir les meilleurs résultats. Dans le cas du coton indien, cela sert aussi à rappeler la légende urbaine selon laquelle les OGMs provoqueraient des suicides par la suite d'une déchéance économique — alors même que les rendements et les prix du coton augmentent! Peu importe que cette légende ait été démontée depuis longtemps ailleurs qu'en France, personne ne semble s'en soucier au Monde.
L'article mentionne la supposée disparition des semences locales. Or, un tour rapide sur le site d'une compagnie indienne de semences montre qu'en fait la plupart de la production de semences est effectuée par des firmes locales, sous licence de Monsanto. On y trouve aussi l'habituel appel à un moratoire sur les OGMs, revendication habituelle des activistes anti-OGMs. On a donc furieusement l'impression de lire un tract anti-OGM. Une petite recherche montre aussi qu'un article au contenu similaire a été publié dans The Hindu, voilà un mois. Sauf que cet article mentionne qu'il s'agit de la publication d'un rapport d'une association anti-OGMs et que les paysans ont gagné avec les semences Bt, notamment grâce aux économies de pesticides. Le Monde ne se comporte donc qu'en porte-voix des anti-OGMs, comme à l'habitude. En quelque sorte, le Monde tient toujours toutes ses promesses, lui.
Commentaires
Excellent billet. Je suppose que cela vous a pris beaucoup plus de temps de faire ce vrai travail journalistique, avec recoupement des information qu'il n'en a fallu au pseudo journaliste du Monde pour faire son copié collé militant!
Comme j'ai été un peu étonné de voir le directeur du CICR en pourfendeur du coton Bt j'ai recherché le document original. Vous vous doutez qu'on n'est pas déçu, ses propos sont présentés de façon clairement malhonnête. Rien que dans la courte citation faite il y a non seulement l'ânerie que vous relevez mais en plus on a traduit "straight varieties" par "variétés non transgéniques" alors que l'auteur opposait hybrides et non hybrides.
Le Dr Kranthi revient aussi sur les intox relayées par des anti ogm, bien sûr rien de cela n'est repris. Son article est soumis à un tri sélectif très sévère....
Le texte en question: http://www.cotton247.com/news/cg/?s...
Sinon, le journaliste devrait semer des cailloux. Il s'appercevrait qu'avec un rendement nul, il n'y a pas besoin d'eau, d'engrais ni d'aucun intrant! Je crois que je viens d'inventer l'agriculture écologiquement idéale, non?.
C'est bien de remettre en place ces journalistes qui n'ont aucune déontologie et qui ne respectent plus la charte du journalisme (ils ne s'en rendent même plus compte eux-mêmes).
Pour être un peu puriste, il faudrait arrêter de parler du coton Bt. Il s'agit en effet d'une mauvaise traduction de l'anglais "cotton".
En français, on doit dire : cotonnier. Ainsi seul le cotonnier est transgénique. Le coton ne l'est nullement. Cela entraîne une dérive car l'un des produits du cotonnier : le coton devient lui aussi transgénique (voire GM) alors qu'il ne l'est nullement.
Par ailleurs sur les rendements : argument qui revient sans cesse dans la bouche des antis (les promesses ne sont pas au RV, il n'y a pas d'augmentation de Rdt ...etc etc);
Il faudrait bien qu'un jour, les antis comprennent qu'aucune PGM n'a été réalisée à ce jour pour augmenter les rendements. Par exemple, un cotonnier Bt a le même rendement qu'un cotonnier non-GM les années de non attaque par l'insecte vis à vis duquel il résiste. Ce cotonnier garde le même rendement en cas d'attaque de l'insecte contre lequel il est résistant alors que ce ne sera pas le cas de la variété non-GM et non résistante à cet insecte.
Il ne s'agit donc pas d'une notion de perte ou gain de rendement, mais de conservation de rendement en conditions défavorables... c'est nettement différent.
gattaca,
oui, il y a des abus de langage dans ce billet. Comme vous vous en doutez, je ne suis pas spécialiste de ce domaine. Par ailleurs, le langage courant nous est en l'occurrence fourni par les militants anti-OGM.
Barca,
ne soyons pas excessifs avec le journaliste: il suffit de voir ce que donnaient les rendements jusque dans les années 90 pour s'apercevoir ce que donnerait une agriculture sans intrants pour le coton.
Ma boutade finale n'était peut être pas très claire. C'est juste une autre façon de dire, en caricaturant, qu'il ne faut pas s'étonner d'avoir besoin de plus d'eau et d'engrais lorsque ce qu'on plante n'est pas dévoré avant d'avoir pu pousser.
Pour les intrants dans les années 90, il ne faut pas oublier que cela correspondait à une consommation de pesticides très élevée. Un record en 1990 (en volume) selon ce document: http://www.icac.org/seep/documents/...
Bonjour,
Je me suis fendu de quelques commentaires sur cet article sur le blog que nous payons généreusement à Mme Marie-Monique Robin grâce à la fraction de nos impôts qui va à Arte :
http://robin.blog.arte.tv/2012/05/1...
Il y a des compléments à l'analyse donnée ci-dessus.
La saga va sans nul doute s'y poursuivre.
J'ajouterai un point ici :
« Le gouvernement de l'Etat de l'Andhra Pradesh a ainsi annoncé qu'en 2011 la récolte sur près des deux tiers de ses surfaces cultivées avait été inférieure de moitié à celle de l'année précédente. »
On trouvera des statistiques par État à :
http://cotcorp.gov.in/state-operati...
D'une part, il apparaît que le rendement moyen All-India n'a pas bougé entre 2009-10 et 2011-12 (estimé pour ce dernier) ; votre graphique semble plus pessimiste. D'autre part, il est vrai que le rendement moyen a considérablement baissé en Andra Pradesh entre 2009-10 (599 kg/ha) et 2010-11 (505 kg/ha), ce qui va dans le sens de la thèse de pertes considérables sur une surface importante. Il suffit cependant de parcourir un peu le tableau pour s'apercevoir que ce phénomène de variation n'est pas unique. Mais visiblement, le bobo de service à New Delhi ne sait pas ce que sont les aléas climatiques.
La règle est simple pour ces gens : si ça augmente, c'est pas grâce au transgénique ; si ça baisse, c'est la faute au transgénique.
Comme vous avez vu, je donne le lien vers les statistiques de la Cotton Corp. of India. C'est la page à laquelle on accède directement depuis Google. Visiblement, ces statistiques ne sont pas en accord avec celles qui donnent le décompte par état. C'est assez mystérieux. Évidemment, il y a des variations relativement importantes d'une années sur l'autre, ce n'est pas très étonnant dans un pays où il y a en fait peu d'irrigation et où les pluies sont très saisonnières et peuvent varier fortement d'une année à l'autre.
Je ne sais pas si le journaliste est anti-OGM, en tous cas, l'article l'est. Mais le journaliste peut aussi répondre à une commande ou faire un article dans la ligne de ce qui a déjà été écrit, parce que ça fait vraisemblable. Force est de constater que c'est la ligne éditoriale du Monde.
Pour ce qui est de la réplique, en fait, la meilleure a été donnée par Marcel Kuntz sur son blog, avec l'article qu'il signale. On y voit que le revenu des agriculteurs a augmenté et leur consommation de pesticides chuté. Si on veut savoir si oui ou non le Bt sert à quelque chose, la première chose à faire serait peut-être de regarder la situation globale. Après tout, loin d'être des crétins décervelés, les agriculteurs indiens répondent aux signaux économiques et de confort. Et en semant à 90% du coton Bt, ils votent très clairement dans un sens.
C'est là qu'on voit que les anti-OGM sont dans un délire complotiste: si le Bt ne servait à rien, les agriculteurs ne l'auraient pas adopté et des firmes capitalistes avides de profits auraient servi cette demande.
J'aime beaucoup "les activistes", "bobo" "délire complotiste" "journalistes qui n'ont aucune déontologie et qui ne respectent plus la charte du journalisme" "pseudojournaliste" "âneries"...
A l'inverse, on ne voit pas ce type d'expression dans le journal "Le Monde"
Pourquoi tant de débat en ce qui concerne les PGM ? C'est probablement que quelque chose n'est pas clair non ? Si cela était évident, la question ne se poserait pas.
C'est assez étonnant, en lisant l'article et les commentaires cela m'a fait penser à un certain parti politique français qui utilise les mêmes mots ou expressions envers les français qui ne sont pas d'accord avec eux. Même rhétorique.
La plupart des termes que vous mentionnez se trouvent dans les commentaires, qui ici comme sur le site du Monde sont plus relâchés que l'article en lui-même. De plus, le terme "activiste", le seul qui se trouve dans l'article, est synonyme de "militant" qui n'a rien d'une insulte. Étant l'auteur du "délire complotiste", je persiste et je signe: les militants anti-OGMs veulent nous faire croire à un complot, venant souvent de Monsanto (ils ont été rachetés, mais bref). Or celui-ci n'existe pas, il n'y a jamais eu de preuve qu'il existe! En l'occurrence, il n'y a pas de complot visant à faire disparaître les anciennes semences de cotonnier. Ceux qui l'affirment sont totalement à côté de la plaque.
Pourquoi tant de débat à propos des PGMs dites-vous? Mais ce débat n'existe plus que dans la sphère politique. Depuis quelques temps déjà, il a été montré que ce qui est en vente aujourd'hui ne présente pas de danger particulier, tout simplement parce que les modifications génétiques sont des outils, et qu'en plus l'homme a passé son temps à susciter des mutations et conserver celles qui l'arrange depuis que l'agriculture existe. Tout ceci est connu maintenant, avec le dernier rapport des National Academies of Science US, ou de l'ensemble des Académies des Sciences européennes. Même José Bové a reconnu après une annulation d'un arrêté interdisant la culture du MON810 qu'il n'existe aucune raison scientifique (ou technique) d'interdire sa culture.
S'il n'existe plus donc que dans la sphère politique, c'est donc que c'est un débat purement politique. Et pour le coup, on peut bien affirmer qu'il est mené par des activistes, en utilisant une image qu'ils ont réussi à construire des OGMs et qui est totalement fausse. Personnellement, je trouve leurs techniques et leur réussite fascinantes. Ils ont prouvé qu'il n'existe aucune certitude que les vérités scientifiques se diffusent parmi la population. Ils adorent utiliser les insinuations, notamment sur les «conflits d'intérêts», devenus synonymes de corruption. C'est pourquoi j'apprécie à leur juste valeur les 2 dernières phrases de votre commentaire: vous me dites «il n'y a pas de fumée sans feu» et que je suis un suppôt du FN, à moins que ce ne soit de la France Insoumise!