Chacun a sans doute déjà entendu dire que le chauffage électrique était un scandale et qu'il a été un succès en France grâce à une alliance inattendue entre technocrates partisans du nucléaire et pubards de génie. Une réponse à leurs arguments a déjà été formulée, mais elle est basée sur de vieilles données.

Les opposants au chauffage électrique avancent principalement 3 arguments contre le chauffage électrique: qu'il est inefficace sur le plan énergétique, qu'il émet plus de CO₂ que les autres formes de chauffage et enfin qu'il met en danger la sécurité d'approvisionnement en électricité en créant des pics de consommation très importants. Si ce dernier argument est vrai, le deuxième est faux et le premier n'a en fait pas vraiment d'importance.

Le faux-semblant du gaspillage dû à l'électricité

Pour arriver à dire que le chauffage électrique gaspille de l'énergie, les opposants prennent en compte le processus de fabrication de l'électricité. En effet, avant de nous vendre des produits énergétiques finis qui servent aux particuliers, les industriels partent de matières brutes et perdent une partie du contenu énergétique utilisable dans cette transformation. La plupart des centrales électriques sont des machines thermiques, ce qui fait que leur rendement est sévèrement limité par le second principe de la thermodynamique. Ce rendement change aussi suivant les technologies utilisées et l'âge de la centrale. C'est ainsi que les centrales nucléaires françaises ont un rendement d'un tiers, alors que les centrales à gaz dernier cri peuvent atteindre les 60%.

Pour compter l'énergie techniquement récupérable au départ dans la matière première, on parle d'énergie primaire; pour compter l'énergie effectivement livrée aux clients finals, on parle d'énergie finale. L'énergie finale ne dit pas forcément quelle est la forme la plus utile d'énergie, elle signale juste qu'on est arrivé en bout de chaîne commerciale et que quelqu'un a donc payé pour cette énergie. L'énergie primaire, elle, ne convoie pas du tout le même concept, elle sert surtout à savoir qu'elles sont les matières premières utilisées. Les contempteurs du chauffage électrique comptent bien sûr en énergie primaire quand ils affirment qu'il est inefficace.

Or, la comptabilité en énergie primaire ne dit rien de la difficulté à mettre cette énergie à notre service, ni des autres inconvénients qui s'y rattachent, qui sont les vraies questions qui se posent à une société humaine. En effet, l'énergie est abondante dans l'univers et sur terre — on entend d'ailleurs souvent les contempteurs du chauffage électrique déclarer qu'il faudrait couvrir de panneaux solaires une petite partie de la surface terrestre pour assouvir l'ensemble des besoins de l'humanité —, le problème est de pouvoir en disposer quand et où nous en avons besoin. Cette difficulté à en disposer est généralement traduite dans le prix de vente de l'énergie finale, qui regroupe les salaires et les rentes qu'il a fallu verser pour se la procurer. Parfois, quand il existe une taxe sur la pollution, le prix rend compte de certains inconvénients. Dans le cas de l'électricité, on peut constater que son prix est environ 2 fois plus élevé que celui du gaz, par exemple. Et que c'était pire dans le passé. prix_energies.jpg

Si le chauffage électrique a rencontré un certain succès ces 30 dernières années, c'est donc qu'il permettait de consommer … moins. Le prix supérieur de l'électricité est partiellement compensé par une consommation facturée moindre, état de fait acté par les différentes normes de constructions de bâtiments qui se sont succédées depuis le choc pétrolier et qui obligent les logements chauffés à l'électricité nouvellement construits à consommer moins d'énergie finale que leurs homologues utilisant des combustibles fossiles. De plus, le chauffage par simples radiateurs coûtait peu en investissements de départ, compensé par une isolation renforcée.

Et le CO₂?

Un autre reproche des contempteurs du chauffage électrique est qu'il rejette plus de CO₂ que les autres formes de chauffage. La logique est la suivante: certes, le nucléaire est une production décarbonée, mais il produit tout le temps, ce n'est donc pas lui qui fournit l'électricité du chauffage, nécessaire uniquement en hiver, mais les centrales à combustible fossile. Comme le rendement n'est pas de 100%, le chauffage électrique ne peut qu'émettre plus de CO₂ qu'un chauffage au gaz, par exemple. En prime, alors que le charbon n'est plus utilisé pour chauffer des habitations, des centrales au charbon sont toujours en service en France. Or, les centrales au charbon émettent quasiment 1kg par kWh d'électricité produite contre environ 200g par kWh de gaz facturé.

Cependant, comme le montrent les graphes suivants extraits du bilan de RTE de décembre 2012, les centrales à combustibles fossiles ne sont pas les seules à voir leur production augmenter en hiver. prod_mensuelles_par_secteur.jpg Comme on peut le constater les centrales à combustible fossile produisent très peu lors de la belle saison, leur production augmente d'environ 4 à 5TWh lors des mois d'hiver normaux par rapport à cet étiage bas et les mois d'une rigueur exceptionnelle, comme le mois de février 2012, voient une production augmentée de 7TWh. Mais dans le même temps, la production nucléaire augmente de 10TWh entre l'hiver et l'été et la production hydraulique voit aussi sa production augmenter d'environ 1 à 2 TWh. On constate donc que l'augmentation de la production des moyens décarbonés est donc 2 fois supérieure à celles des centrales à combustible fossile. Comme il peut rester un doute à cause de la forte variabilité des émissions de CO₂ suivant les moyens appelés, il est intéressant de faire un calcul plus détaillé.

Il se trouve qu'en 2005, une étude de l'ADEME a estimé le contenu carbone de chaque kWh électrique suivant l'usage qui en était fait. Elle donne la valeur moyenne de 180g/kWh pour le chauffage électrique. Les émissions de CO₂ associées au kWh moyen étant stables depuis une dizaine d'année autour de 60g/kWh, l'expansion du chauffage électrique ne paraît pas non plus avoir d'effet néfaste et son contenu carbone est sans doute lui aussi resté stable depuis 2005. Les documents qui servent à calculer le bilan carbone estiment les émissions du gaz à environ 200g/kWh et celles du fioul à 300g/kWh. On voit donc qu'en France, utiliser un kWh d'électricité ou de gaz provoquent l'émission d'à peu près la même quantité de CO₂. Mais comme on l'a rappelé plus tôt, les logements chauffés à l'électricité sont plus économes.

On peut même quantifier cela. Pour commencer, l'électricité chauffe un gros tiers des logements actuellement contre un peu moins de la moitié pour le gaz et 15% pour le fioul, ses principaux concurrents. En passant, le graphique suivant (tiré de ce document, p28) montre, en sus de l'essor du chauffage central, que les 40 dernières années n'ont pas seulement été un âge d'or pour le chauffage électrique mais aussi pour le chauffage au gaz. Ce dernier partage certaines caractéristiques communes avec le chauffage électrique: pas de mauvaises odeurs et pollution fortement diminuée, distribution sans effort par un réseau d'adduction. repartition_mode_chauffage.jpg Par ailleurs, un tableau pioché dans cet autre document de l'ADEME (p45) permet de connaître la répartition de l'énergie consommée pour se chauffer, en dehors du bois. On voit que le chauffage électrique consomme seulement 18% de l'énergie consacrée au chauffage alors qu'il représente 35% des logements. chauffage_energie.jpg Du côté des émissions de CO₂, la performance du fioul est très médiocre, alors que la performance des réseaux de chauffage urbain est à remarquer. Il faut dire qu'ils sont souvent alimentés par l'incinération des ordures, du bois ou encore la géothermie. On voit aussi que le chauffage électrique n'est certainement pas une horreur de ce point de vue. emission_CO2_chauffage.jpg

Mais ce n'est pas tout. Le chauffage des locaux n'est pas le seul usage où on a besoin de produire de la chaleur. À part la cuisine qui représente une faible partie de la consommation énergétique des ménages, il y a la production d'eau chaude. Elle aussi a beaucoup augmenté depuis les années 70s; il paraît aujourd'hui incongru de ne pas pouvoir prendre une douche tous les jours chez soi. Dans ce domaine, l'électricité a acquis une position encore plus forte que pour le chauffage, comme on peut le voir ci-dessous (source Bilan Carbone, Tome Énergie §2.6.2.4, p53): ECS_PdM.jpg Une nouvelle fois, en termes de consommation d'énergie finale, il semble que le chauffage à l’électricité soit plus économe. ECS_EFinale.jpg Et la note de l'ADEME attribue une émission de CO₂ de 40g/kWh à la production d'eau chaude sanitaire par l'électricité: il faut dire que cette consommation a lieu le plus souvent en heures creuses tout au long de l'année, là où le nucléaire est archi-dominant dans la production d'électricité française. En conséquence, les émissions de CO₂ sont très basses. On peut aussi noter l'excellente performance des réseaux de chaleur. ECS_CO2.jpg

Enfin, on peut voir la répartition des émissions de CO₂ pour ces usages thermiques. On constate que l'électricité et les réseaux de chaleur ne compte que pour 15%, les combustibles fossiles utilisés directement pour 85%. C'est dû à la fois au prix de l'électricité qui force à l'économiser plus que le gaz, au rendement de 100% du chauffage électrique — une fois passé le compteur, il n'y a pas de pertes pour un usage en chaleur — alors que le chauffage au gaz est toujours handicapé par la présence de chaudières peu efficaces (veilleuses…) dans une bonne partie du parc de logements. Emissions_thermiques_logements.jpg

Conclusion

On peut constater que le chauffage électrique n'a rien eu d'hérétique jusqu'ici en France. L'argumentation se basant sur un prétendu gaspillage dû au passage par l'électricité passent allègrement sur le fait qu'une chute d'eau ou une bise bien fraîche n'ont jamais réchauffé personne et que tout le monde n'a pas la chance d'avoir un réacteur nucléaire à la maison.

Les performances en termes d'émissions de gaz à effet de serre sont tout à fait honorables par rapport à ce qui se faisait à la même époque dans les logements chauffés autrement. Bien sûr, à la suite du durcissement des normes de construction, les logements chauffés au gaz nouvellement construits sont meilleurs de ce point de vue que les logements chauffés à l'électricité construits dans les années 70. Dans le deuxième épisode, je regarderai quelles sont les perspectives.