Il y a un peu plus d'un mois, la commission installée par le gouvernement pour lui présenter des solutions pour rééquilibrer les comptes des caisses de retraites a rendu son rapport, connu pour faire court sous le nom de la présidente de la commission, Yannick Moreau. Le rapport est découpé en 3 parties, la première sur les réformes précédentes, la seconde sur la situation présente des caisses de retraites et leur avenir si on ne fait rien, la troisième faisant des propositions pour essayer de rétablir l'équilibre financier à court et long terme. Si les 2 premières parties peuvent être considérées comme un résumé de l'histoire récente et des rapports du COR, la troisième est originale et probablement appelée à inspirer en partie les décisions du gouvernement sur la question. C'est surtout à cette dernière que je vais m'intéresser ici.

Combler le trou d'ici 2020

Le rapport comporte un tableau résumant les perspectives financières des régimes de retraite (p49). Elles sont sinistres: des déficits annuels compris entre 15 et 20G€ sont prévus d'ici 2020, si rien n'est fait. Les déficits les plus importants sont prévus pour la fonction publique d'état (7G€/an en 2020) et les retraites complémentaires du privé (8.3G€/an avant la réforme de cette année). Le régime général aura un déficit qui se réduira grâce à des excédent du fonds solidarité vieillesse qui finance les minima. En prenant en compte les régimes «alignés», on arrive à un déficit de 4.8G€ avant prise en compte de la conjoncture de cette année. En effet, les prévisions du COR se basaient sur les prévisions du gouvernement de l'automne 2012… La commission estime qu'il faut escompter un déficit de 2G€ supplémentaire et se fixe l'objectif de trouver 7G€ annuels d'ici 2020 (p86). Les régimes complémentaires, quant à eux, ont pris des mesures permettant de combler un peu plus de la moitié du déficit annuel prévu en 2020 avec des hypothèses de croissance qui ne seront pas réalisées. La commission ne propose pas grand chose à leur sujet, ni d'ailleurs, au sujet des retraites alignées sur le régime de la fonction publique. En d'autres termes, les propositions du rapport Moreau ne concernent qu'un (petit) tiers du déficit prévu en 2020. La réforme qui s'annonce sera donc probablement incomplète; les mesures au sujet de la fonction publique qui sont envisagées restent donc mystérieuses; on entendra sans doute de nouveau parler des retraites complémentaires d'ici 2017.

Comment répartir la douloureuse? Le rapport propose 2 répartitions: un tiers pour les retraités, 2 tiers pour les actifs — ou moitié pour les retraités, moitié pour les actifs. La première répartition est justifiée par le poids démographique relatif, la deuxième par la contribution des actifs qui a constitué l'essentiel de la réponse jusqu'ici et par un marasme économique certain dont les conséquences pèsent d'abord sur les actifs. Le rapport remarque (p100) que les retraites complémentaires ont plus sollicité les retraités que les actifs du moment … mais le rapport n'élabore pas de scénario suivant cette voie.

Côté retraités, il s'agit donc de faire baisser les pensions nettes d'impôts une fois prise en compte l'inflation. Il y a donc des hausses d'impôts qui sont proposées, comme l'amoindrissement du traitement privilégié des retraités vis-à-vis de la CSG, de faire peser l'impôt sur le revenu sur les avantages «familiaux» ou encore de limiter les effets de l'abattement de 10% au titre de l'IRPP. On remarque que c'est l'alignement de la CSG qui rapporterait le plus avec 2G€/an de recettes. L'autre levier est de jouer sur l'indexation des retraites. Elles sont actuellement indexées sur les prix, l'idée est donc de les revaloriser de l'inflation diminuée de 1.2 point pendant 3 ans, au moins pour celles ne relevant pas des minima. Apport en fin de période: 2.8G€/an.

Côté actifs, le rendement des mesures autres que les hausses d'impôts est médiocre. En effet, ces économies ne se font sentir que progressivement, au fur et à mesure que les actifs deviennent des retraités. C'est ainsi qu'augmenter la durée de cotisation de 1.25 année ne rapporterait que 600M€ en 2020, une sous-indexation similaire à celle des retraités 800M€. Le rapport propose ouvertement de fortes hausses d'impôts, via le relèvement de la partie déplafonnée des cotisations retraites de 0.1 point par an. Selon les scénarios proposés, le rendement serait compris entre 3 et 4.2G€/an. Pour comparer, le CICE, instauré par ce gouvernement, est censé représenter 20G€ à partir de 2014. Entre 15 et 20% de cette mesure seraient donc stérilisés en 2017… Cela dit, il faut bien admettre que l'autre mesure à rendement assez rapide, le recul de l'âge légal, a été choisi par le gouvernement Sarkozy pour la dernière réforme. Il ne reste donc guère, comme mesures de trésorerie immédiate, que le relèvement des impôts ou la baisse des pensions.

À la lecture du rapport, on s'aperçoit que la commission favoriserait les mesures de durées de cotisation, malgré leur faible rendement, à cause de leurs effets à long terme et car ce type de mesure est comprise et admise comme un levier naturel (p95). Elle favorise aussi une désindexation des retraites, on lit qu'il s'agit de la seule mesure lisible et aisée de mise en œuvre permettant de limiter l'évolution des dépenses des régimes (p93). Mais tout cela ne suffit pas et on s'achemine ainsi vers une hausse des impôts, que ce soit via l'alignement de la CSG des retraités sur celle des actifs — souhaitable par ailleurs — ou via l'augmentation des taux de cotisation pour les salariés. Un problème connexe qui se posera, sans doute dans un futur proche, est le comblement du déficit de l'assurance maladie, le levier des impôts ayant déjà été actionné un certain nombre de fois ces dernières années.

À plus long terme

À plus long terme, les choses sont relativement claires, la commission écrit dans le rapport les mesures de durée constituent la réponse la plus pertinente pour adapter le système de retraites au progrès social que constitue l'allongement de l'espérance de vie (p105). La commission étudie des scénarios où la durée de cotisation augmenterait à partir de 2020 — on a vu qu'on pourrait commencer avant — pour aller jusqu'à 44 ans suivant divers rythmes. Le scénario où il y a le plus d'économies est bien sûr celui où l'évolution est la plus rapide (1 trimestre par an); ce scénario semble servir de base pour évaluer les autres mesures. Dans ce cas, l'incidence budgétaire totale pour la CNAV serait positive de 8.5G€ annuels, en comptant tant les surplus de cotisations payées par ceux qui restent en activité que les retraites à payer en moins (p108). S'il était acté un tel rythme d'augmentation serait nettement supérieur à celui prévu par la réforme Fillon de 2003 qui rapporte moitié moins. Comme je l'ai déjà signalé, cette augmentation de la durée de cotisation me paraît souhaitable puisque c'est à la fois la mesure la moins douloureuse et celle qui permet non seulement de renflouer les caisses de retraites, mais aussi les autres caisses publiques, comme celles de l'État ou de l'assurance maladie, via un surcroît d'activité.

La commission s'attarde aussi sur les modalités d'indexation des retraites. Quoique pouvant être assez obscur, ce paramètre technique est d'une importance fondamentale. Le rapport contient un exemple édifiant: si les salaires progressent de 1.5% en sus de l'inflation, un calcul de retraite se basant sur les 25 dernières années donne une différence de 16% entre un calcul se basant sur une réévaluation suivant l'inflation et une réévaluation suivant les salaires. Actuellement, la pension moyenne vaut 88% du salaire moyen: autant dire que sans le changement d'indexation la pension moyenne serait sans doute supérieure au salaire moyen aujourd'hui — ce changement s'est produit dans les faits à la fin des années 80 avant d'être rendu automatique par la réforme Balladur en 1993. Dans le langage de la commission cela donne: le maintien de la parité des niveaux de vie entre ménages actifs et ménages retraités a été préservé, au lieu de se déformer en faveur des seconds (p115). La lecture des simulations du COR montre aussi que c'est en fait toute la différence entre les scénarios de forte croissance et les scénarios de marasme économique. L'indexation suivant l'inflation fait diminuer le ratio pension/salaire plus rapidement en cas de forte croissance, ce qui permet dans les cas les optimistes de dégager des excédents. Même si la commission s'attarde aussi sur le cas d'une hypothétique forte croissance, on peut dire qu'en fait, l'indexation sur les prix n'a pas assez bien fonctionné pour permettre d'éviter d'avoir à passer par la case des réformes successives.

La commission propose ainsi un moyen de rendre l'équilibre des régimes moins dépendant de la croissance économique de manière à obtenir le ratio pension/salaire souhaité. La proposition est que les retraites, ainsi que les bases servant à les calculer, ne soient réévaluées suivant les salaires moins 1.5%. Un tableau p117 montre toutefois qu'il ne faut pas en attendre de miracles si elle est utilisée seule. Dans le scénario C', le solde ne serait amélioré que de 0.3 point de PIB. Cependant, combiné aux mesures d'allongement de la durée du travail, le déficit serait significativement réduit par rapport aux simulations du COR. Avec ce nouveau mode d'indexation, les gouvernements se faciliteraient donc un peu la vie. Un bémol toutefois: cette indexation ne serait pas automatique, ce qui laissera au gouvernement la possibilité de déséquilibrer le système à long terme. Cette méthode est faite pour permettre de geler — voire baisser — automatiquement les pensions en cas de crise économique, les caisses de retraites souffriraient d'un gouvernement continuant à revaloriser pour préserver le pouvoir d'achat.

Le rapport comprend aussi une mesure plus originale. Il s'agit d'une combinaison entre âge et durée pour permettre de prendre sa retraite: ce qui compterait ce serait désormais la somme de l'âge de la personne et de la durée cotisée. On pourrait ainsi partir — à terme — sans décote si la somme des deux vaut 106 (p141). La commission mentionne toutefois que malgré un allongement de la durée de cotisation plus rapide encore que dans le cas du «simple» allongement de la durée de cotisation, la situation financière serait moins bonne. Le rapport n'explique pas pourquoi, mais je pense qu'on peut le deviner. Contrairement au scénarios d'allongement de la durée de cotisation, où on suppose grosso modo que tout le monde reste au travail plus longtemps pour éliminer la décote, dans un système «âge + durée», certains peuvent partir en allongeant moins leur durée de cotisation que d'autres. Pour dire les choses simplement, dans un système «âge + durée», les années d'études comptent pour une demi-année de travail salarié. La conséquence est que les cadres n'auraient pas besoin d'atteindre les 44 annuités ou l'âge butoir de 67 ans (ou plus si un changement intervient). Prenons 2 exemples:

  • Dans un cas, quelqu'un commence à travailler à 16 ans. Il travaille ensuite continûment. Il pourra partir à la retraite à 61 ans, après 45 ans de travail.
  • Dans un autre cas, le travail commence une fois les études terminées à 23 ans, après un bac +5. Il pourra toucher une retraite sans décote à 64 ans et demi, soit 41 ans et demi de cotisations.

Ces simples exemples montrent que ce système est plus injuste encore que le système actuel, puisque l'allongement de la durée de cotisation s'appliquerait à plein à ceux qui commencent à travailler jeunes, qui sont aussi les plus mal payés et qui ont l'espérance de vie la plus courte. Par contre, les cadres seraient largement épargnés. Si on veut vraiment un système plus juste et plus compréhensible, autant prendre la durée de cotisation comme seul critère quitte à augmenter rapidement l'âge légal éliminant la décote pour le fixer entre 70 et 75 ans pour lui donner le seul statut de filet de sécurité. On l'aura compris, je suis franchement hostile à un système «âge+durée»!

Quelques conclusions

La lecture de ce rapport montre qu'une grande part du rétablissement des comptes de la CNAV se fera par des hausses d'impôts. Qu'on envisage toujours sérieusement de faire porter les coûts principalement aux actifs après une crise économique d'une ampleur majeure me semble inquiétant pour les choix qui devront aussi être faits sur l'assurance maladie. Par contre, à plus long terme, la commission propose clairement que ce soit l'allongement de la durée de cotisation qui domine, ce qui permet en fait de ne faire payer personne au sens propre, tout en permettant d'augmenter toutes les recettes fiscales. Si le gouvernement souhaite faire une réforme allant au-delà de 2020, il devrait donc acter un passage plus ou moins rapide aux 44 années de cotisations. Le parti socialiste devrait donc manger son chapeau après s'être opposé pendant plus de 20 ans à cette mesure évidente. Le gouvernement pourrait éviter ça en évitant de se prononcer sur le futur.

Par contre, l'idée d'un système «âge+durée» me semble clairement dangereuse, d'une part à cause des problèmes de financement, d'autre part parce qu'il perpétue voire fait empirer l'injustice principale du système actuel qui est que ceux qui ont commencé jeunes doivent travailler plus longtemps avant de toucher une retraite à taux plein.