La Cour des Comptes revient dans son rapport sur les objectifs qu'ont fixé les différents gouvernements qui se sont succédé en termes de production d'énergies renouvelables. Ces objectifs ont été formalisés suite au niveau européen avec la politique dite des «3x20» où l'un des termes est de produire 20% de l'énergie consommée en Europe via des moyens renouvelables. La Cour, dans sa conclusion du chapitre 1 (p38), nous dit que ces objectifs sont volontaristes et particulièrement ambitieux, une façon polie de dire qu'ils sont impossibles à atteindre.

La Cour rappelle (p26) le précédent pari pris au comptoir du café du commerce avant de prendre les engagements de la politique des 3x20. Il s'agissait, en 2001, de produire 21% de l'électricité avec des renouvelables à horizon 2010. La base de comparaison était alors 1997, où l'hydroélectricité produisait 15% du total. Le résultat a été qu'au final, en 2010, la production d'électricité de sources renouvelables a atteint … 15% du total — sans correction des effets climatiques — ce qui intègre les effets des premières mesures prises pour tenir l'engagement actuel. Un deuxième round d'engagements plus solennels a été lancé en 2004, pour aboutir aux engagements actuels formalisés en 2009. Ces engagements visent toutes les formes d'énergies et plus seulement la seule électricité. Il s'agit pour la France de produire 23% de l'énergie finale à partir de sources renouvelables.

La Cour remarque que la France est parmi les pays de l'UE le plus ambitieux puisque la proportion d'énergie renouvelable doit augmenter de 12.7 points de pourcentage par rapport à 2005, année prise comme référence. Avec cette façon de mesurer, c'est le 4e objectif le plus ambitieux, après le Royaume-Uni — qui part de presque rien… —, le Danemark et l'Irlande (p31). Cet effort est supérieur à celui promis par la vertueuse Allemagne, où le soutien politique apparaît nettement plus fort. On peut se demander ce qui a mené à une telle décision…

L'objectif global est détaillé par grandes filières: chaleur — un tiers de l'énergie consommée devait venir de renouvelables —, électricité — 27% —, transport — 10%. Les choses se corsent à partir de là:

  • La Cour signalait dans son rapport sur les biocarburants (p43 et p47-48) que la proportion de biocarburants intégrables à l'essence était limité par une directive européenne. Celle-ci fixe un plafond de biocarburants intégrables inférieur aux demandes de la loi française et les distributeurs d'essence doivent donc de ce fait payer une taxe. En 2011, la proportion atteinte était de 6.7% d'EnR dans les transports. En l'absence de modification des normes européennes sur les carburants, il paraît impossible de réaliser l'objectif, même si certains biocarburants comptent double.
  • La France produit à l'heure actuelle environ 80% de son électricité à l'aide du nucléaire. On voit donc que l'objectif correspond à une production où il n'y aurait plus que le nucléaire et les énergies renouvelables. Comme il s'agit essentiellement de s'appuyer sur des moyens de production intermittents pour combler la différence entre la production hydraulique et l'objectif, ça ne paraît pas crédible, même en fermant la centrale de Fessenheim. On pourrait aussi penser augmenter la production totale d'électricité, mais le détail des objectifs montre que ce n'est pas l'option qui a été choisie. Par ailleurs, depuis 2008 et la crise, la consommation d'électricité stagne en France, ce qui est un facteur limitant.
  • La production de chaleur n'est pas normalisée en fonction des conditions climatiques. C'est ainsi qu'on pourrait réaliser les objectifs par filière et manquer l'objectif global, seul officiellement contraignant, de ce fait. Ce n'est pas qu'une considération académique: le bois — alias «biomasse solide» — est censé remplir presque 50% de l'objectif total. La variation de chaleur produite par ce biais est de l'ordre de 10% entre 2011 et 2012.

Même si les objectifs sont libellés en pourcentage de l'énergie finale produite, des objectifs en termes nominaux ont été édictés. La Cour présente l'état des lieux en 2011 en regard des objectifs pour 2020 dans un tableau, reproduit ci-dessous. CComptes_enr_objectifs.jpg On constate que, notamment pour les gros contributeurs attendus que sont l'éolien et le bois pour la chaleur, il y a un grand écart entre ce qui a été réalisé et l'objectif. Même en 2012, année froide, le bois de chauffage reste en deçà de la trajectoire prévue, ce qui n'est pas de bon augure. De plus, l'ADEME dans son scénario, qu'on ne peut pas vraiment soupçonner de sous-estimer les gisements d'énergies renouvelables, estime que le gisement «biomasse solide» accessible en 2030 est de 18Mtep: on voit donc que l'essentiel de l'effort devrait porter dans les quelques années qui viennent. Pour l'éolien l'objectif implique peu ou prou la construction de 30GW d'éoliennes. La tendance actuelle laisse penser qu'il n'y en aura pas la moitié. D'autres filières sont signalées dans le rapport comme très en retard, comme la géothermie électrique, et la différence entre les objectifs nominaux et les réalisations ne sont sans doute pas pour rien au laisser aller que la Cour note dans certaines filières, notamment la production d'électricité à partir de biomasse. Certaines filières ne sont pas trop mal placées par rapport aux objectifs comme le solaire photovoltaïque et le biogaz — qui sont même au delà. Mais ces filières ne peuvent pas de façon réaliste combler le manque que laisseront les gros contributeurs.

La trajectoire prévue au départ voulait aussi qu'environ les deux tiers de l'effort soient produits entre 2012 et 2020. Pour les plus gros contributeurs prévus à cet effort, la biomasse pour la chaleur et l'éolien, on n'en prend a priori pas le chemin. Certains des objectifs sont devenus aussi nettement plus controversés. C'est ainsi le cas des biocarburants, de la production d’électricité à partir de biomasse — qui reste malgré tout le seul moyen pilotable avec des perspectives d'augmentation de la puissance installée. D'autres se font étriller dans le rapport pour leurs coûts, notamment la géothermie électrique, solaires photovoltaïque et thermique.

L'impression qui se dégage est que ces engagements n'ont pas fait l'objet d'une réflexion très poussée avant d'être pris. Il semble que certains décideurs aient décrété que l'intendance suivrait. Malheureusement, en la matière, il existe quelques contraintes comme la physique, l'inertie créée par la base installée, la capacité financière de l'état ou celle des citoyens. Ces derniers peuvent aussi ne pas faire exactement ce qui est attendu d'eux. On ne peut que constater que ces objectifs sont en partie à l'origine des gaspillages d'argent public dénoncés par la Cour dans son rapport: les objectifs ont été détaillés par filières et incluent des filières particulièrement onéreuses comme le solaire photovoltaïque. Par ailleurs, même pour des filières dont l'intérêt est évident — bois pour le chauffage, pompes à chaleur —, les difficultés sont bien présentes, ce qui montre que les énergies renouvelables ne gagneront que progressivement des parts de marché.