23 décembre 2017

Médiation

Le mercredi 13 décembre, la fameuse médiation sur le sujet du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes a rendu son rapport au Premier Ministre. Le gouvernement a promis une décision d'ici la fin du mois de janvier. Suite à la publication du rapport, les 3 personnes nommées pour mener cette consultation ont donné une interview conjointe à Ouest-France et au Monde. Ouest-France, évidemment très concerné par le projet, en a tiré 3 articles: une partie de l'interview sous forme de questions-réponses, le reste de l'interview sous la forme d'un compte-rendu ainsi qu'un making of relatant les conditions de ladite interview. Le Monde publie quant à lui l'interview sous la forme de questions-réponses.

Évidemment, l'impartialité des personnes mandatées a été mise en cause dès le départ, d'aucuns soupçonnant qu'il s'agissait là d'une commande visant à essayer de trouver un moyen d'éviter de réaliser l'aéroport, malgré le résultat d'une consultation populaire favorable et de l'approbation du projet par la majeure partie des élus de la région. Les auteurs du rapport font état de cette difficulté en relatant avoir fait face à un procès stalinien face à certains interlocuteurs, tout en se vantant d'avoir interrogé de nombreuses personnes. Je regrette tout de même qu'aucun zadiste n'ait été interrogé. Après tout si l'aéroport ne se fait pas, c'est uniquement du fait de leur présence qui empêche le démarrage des travaux. Ce manque montre, s'il en était besoin, l'inanité du terme de «médiation» attaché à cette mission: il ne s'est jamais agi de trouver un éventuel accord entre 2 parties opposées, mais plutôt d'essayer de trouver un moyen de ne pas réaliser l'aéroport.

La question s'est concentrée avant la remise du rapport sur la question de l'ordre public. Par exemple, Benjamin Griveaux, porte parole du gouvernement a déclaré le 3 décembre qu'il ne pouvait y avoir de zone de non droit en France et que la ZAD ne pouvait perdurer. Contrairement à ce qu'elles pouvaient laisser penser, ces fortes déclarations n'excluent bien sûr pas du tout qu'on ne fasse pas du tout la même chose selon que l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes soit abandonné ou réalisé. En effet, les lectures du rapport et de l'interview — que ce soit dans Le Monde ou dans Ouest-France — montrent bien que les plans sont diamétralement opposés suivant l'option retenue.
Commençons par ce que dit le rapport dans le cas d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes (§5.1.4, p50):

La bonne mise en œuvre des mesures décrites ci-dessus au titre des procédures doit être accompagnée, ou (pour la première) précédée d’autres actions conduites par la puissance publique, qui conditionnent le succès de la démarche :

- Le retour à l’ordre public sur le territoire concédé, et la sécurisation du chantier

Il s’agit d’une condition préalable impérative de succès de cette option. La mission n’a pas qualité pour définir les moyens nécessaires à mettre en œuvre. Elle note néanmoins que l’intervention des forces de l’ordre sur le territoire concédé est une opération complexe qui nécessite une connaissance fine d’un territoire vaste, fragmenté avec de multiples lieux de « squat », ainsi que de ses occupants soudés par la durée et l’intensité de la lutte malgré l’hétérogénéité de leurs situations et des divergences partielles d’intérêts. Enfin, la présence sur site d’un noyau d’individus ultra violents aptes à mobiliser rapidement des forces de résistance supplémentaires accroit les risques d’affrontements violents sur la zone et dans les villes de Nantes et de Rennes. Les contacts de la mission avec les responsables de l’ordre public la conduisent à souligner que les moyens de sécurité publique à mobiliser seront importants, pendant une durée qui ne se limite pas à une opération ponctuelle : la sécurité du chantier devra être assurée pendant tout son déroulement. Au-delà de toute considération, évidemment partagée par la mission, sur le caractère inacceptable de l’existence de zones de non-droit sur le territoire national, la complexité de la situation présente et des risques humains encourus devrait conduire à éviter toute critique simpliste à l’égard des décisions prises ou à prendre par les pouvoirs publics en la matière, quelles qu’elles soient.

Si jamais l'abandon du projet était actée, par contre (§5.2.4, p57):

- Le retour à des conditions de vie conformes au droit, et à l’existence d’une activité agricole pérenne, dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes

La réalisation d’un réaménagement de Nantes-Atlantique ne pourrait s’accompagner du maintien d’une zone de non-droit sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Par ailleurs, la réorganisation de l’activité agricole tenant compte de cette décision et de la propriété d’une partie importante des terres agricoles par l’État, nécessite un projet global de territoire et une réallocation des terres à exploiter tenant compte des besoins réels des agriculteurs souhaitant maintenir une activité agricole pérenne sur ce secteur. La qualité environnementale du bocage maintenu depuis cinquante ans, les relations nouées localement avec les associations naturalistes, et l’appui de l’INRA, sollicité par la mission, pourraient en faire un terrain d’expérimentation de pratiques agro-environnementales rénovées, sous le pilotage des acteurs locaux.

Cette double opération de retour à l’ordre public et de réorganisation de l’activité agricole nécessite un projet particulier, construit avec l’État (en sa double qualité de responsable de l’ordre public et de propriétaire d’une partie des terrains), les agriculteurs locaux et leurs responsables professionnels. Il s’agit d’un projet spécifique, à fort enjeu, à intégrer dans le contrat de territoire évoqué plus loin.

La réallocation des terres nécessite un dispositif spécial, décrit dans l’annexe comparative (§ 8.3). Ce programme nécessite la participation de tous les organismes ou institutions concernés : la mission propose qu’il soit coordonné par un chargé de mission de haut niveau, très bon connaisseur du monde agricole et habitué aux négociations qui y sont menées, placé pour au moins trois ans auprès du préfet ou de la préfète de Loire-Atlantique.

Dans son principe général, cette opération relative à l’activité agricole autour de Notre- Dame-des-Landes devra s’intégrer dans le contrat de territoire visé au § 5.3 ci-après. Ses modalités particulières pour le programme de réallocation des terres du périmètre concédé lui donnent toutefois, dans l’option d’abandon du projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes, un caractère très novateur justifiant une mise en œuvre particulièrement attentive.

Même le plus inattentif des lecteurs comprend que dans le cas de l'abandon du projet, aucune évacuation ne serait entreprise. En fait, les occupants illégaux seraient punis de leurs actions par l'attribution des terrains qu'ils occupent. C'est confirmé par ce qu'en disent les rapporteurs dans les interviews: ils rechignent à parler d'évacuation. Les individus violents mentionnés comme le principal problème dans le cas de la réalisation du nouvel aéroport? S'il ne se fait pas, ils partiraient d'eux-mêmes ou alors seraient chassés par les pacifistes qui abandonneraient pour l'occasion leurs habits de Gandhi. La magie de pouvoir changer les règles fait qu'on peut changer instantanément un occupant illégal en légitime propriétaire foncier … Après tout, quoi de plus efficace pour mettre fin à une zone de non-droit que de rendre légal ce qui s'y passe?

Que les élus locaux soutiennent pour la plupart de longue date le projet et qu'une consultation populaire l'ait approuvé est vaguement évoqué dans le rapport, mais fait bien sûr l'objet de questions dans l'interview. Les réponses laissent à voir comment ce petit problème serait traité. Les élus locaux seraient mis face au fait accompli que l'État n'utilisera pas la force publique pour permettre le démarrage des travaux et seraient alors contraints d'accepter de financer la solution dont ils ne voulaient pas. Quant au résultat de la consultation populaire, il serait ignoré au motif que les citoyens n'auraient pas été informés de toutes les options possibles. Que cet argument puisse être utilisé au sujet de toutes les élections n'a pas l'air de déranger les rapporteurs.

Bien sûr, les rapporteurs ne peuvent cacher que la capitulation face aux activistes serait de mauvaise augure pour d'autres projets d'infrastructures. Cependant, il est clair que c'est l'option qu'ils préfèrent malgré toutes leurs dénégations. Les rapporteurs essaient aussi de noyer le poisson dans le rapport en dissertant sur la prétendue absence d'un large débat et du manque d'étude des alternatives. Les procédures actuelles tendent justement à favoriser les opposants puisqu'on leur donne largement la parole et qu'ils ont nombre de moyens légaux d'empêcher le projet. Allonger encore les palabres ne fait en fait que favoriser les occasions pour les activistes de s'installer sur place pour empêcher physiquement le projet … ce que le rapport mentionne à juste titre comme quelque chose à ne pas laisser faire. Finalement, il faut y revenir: si les travaux n'ont pas commencé, c'est uniquement à cause de la ZAD et l'apathie des pouvoirs publics qui ne sont pas intervenus avant 2012 pour expulser les squatters.

Même si les choses ne sont pas totalement jouées, l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes est clairement à l'ordre du jour. Si cela se produisait, il est difficile de voir comment cela ne favoriserait pas le cynisme à l'égard des procédures démocratiques habituelles. Les 2 façons de décider dans une démocratie sont la décision par les élus ou la consultation directe des citoyens. Les 2 ont été essayées et ont donné le même résultat, favorable au nouvel aéroport. Le blocage actuel vient de militants qui arrivent à avoir une grande visibilité médiatique nationale et à bloquer physiquement le projet. Les hommes politiques se plaignent souvent que les mécontents se contentent de gueuler fort, et ne cherchent pas à convaincre pour obtenir des décisions, mais plutôt à y arriver via diverses formes de manifestations ou de chantages. Le cas de Notre-Dame-des-Landes ainsi que celui du glyphosate montrent pourtant que ces moyens ont une redoutable efficacité. Pourquoi se priver?

30 septembre 2013

Il n'y a que les imbéciles…

… qui ne changent pas d'avis. C'est ce qu'est en train de nous démontrer le gouvernement à propos de l'ouverture dominicale — ou l'absence d'icelle — des commerces de bricolage, ainsi que pour faire bonne mesure, de l'ouverture nocturne de magasins dans des rues touristiques.

Ce jour, Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, a déclaré:

Il y a des salariés qui ont envie de travailler dimanche, des gens qui ont envie de faire leurs courses le dimanche

Cependant, il y a longtemps, très longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine, c'est à dire en France sous le mandat de Nicolas Sarkozy, une loi avait été votée pour permettre à divers commerces d'ouvrir s'ils avaient la chance de se trouver dans une aire géographique particulière (un PUCE), dont la délimitation était, pour faire court, laissée à l'appréciation du maire. Il se trouve que l'opposition d'alors avait exprimé un vif désaccord avec ce projet. Pour preuve, un député de l'Indre-et-Loire, Touraine Marisol avait en ces temps reculés clamé avec éloquence son refus d'une telle dérogation:

À cet égard, l’argument selon lequel le travail le dimanche serait fondé sur le volontariat est une véritable supercherie.

et même:

Par ailleurs, dans certains pays, comme la Chine, on peut faire ses courses sept jours sur sept et presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Est-ce là ce que vous nous proposez ? On peut légitimement se poser la question car, après tout, on pourrait exiger, au nom du développement économique, que les commerces ouvrent tard le soir.

En 4 ans, Madame Touraine paraît donc avoir changé d'avis. Malheureusement, les extraits de son intervention sur France 5 n'en donnent pas les raisons, si elle les a données.

Se pose ici un problème classique en politique: dans l'opposition, tout est simple, on peut se contenter d'être contre tout ce que veut le gouvernement en place. Arrivé au gouvernement, bien sûr, rien n'est simple, d'autant que le temps passé dans l'opposition est l'occasion de moult déclarations imprudentes. Il reste que le citoyen aimerait de temps en temps un peu de sincérité dans les opinions exprimées par leurs représentants et que leurs votes soient le résultat d'un minimum de raisonnement. À défaut, on aimerait à tout le moins connaître les raisons des changements de direction et savoir pourquoi ce qui paraissait mauvais hier devient bon aujourd'hui.

Ce genre de comportement ne fait que renforcer la méfiance, voire le dégoût, que peuvent éprouver les citoyens envers leurs représentants. À titre personnel, je m'étais abstenu lors du dernier scrutin présidentiel en partie parce qu'il m'était bien difficile de croire un mot de ce que disait François Hollande. Un peu moins de postures dans le discours public permettrait aussi de cerner les véritables points de désaccord aussi bien que les points qui font consensus. Et lorsque consensus il y a, on pourrait espérer que les partis de gouvernement travaillent au moins à ce que ce consensus débouche sur quelques mesures assumées comme telles. Il semble toutefois que la nécessité de se montrer guerroyant contre le camp d'en face l'emporte toujours sur l'éventualité de faire quelque chose d'utile pour la société.

15 juin 2012

Le diesel cause-t-il 42000 morts en France chaque année?

Nota bene: ce billet connait une suite depuis mars 2013.

Depuis quelques temps circule l'idée selon laquelle le diesel ferait 42000 morts par an en France. On en retrouve la trace par exemple dans cet article de l'Express ou cet autre du Parisien. Tout cela accompagne la publication d'une nouvelle monographie du CIRC confirmant le caractère cancérogène des gaz d'échappements des moteurs diesel: ils provoquent des cancers du poumon.

En fait, la véritable estimation semble être que ce sont les émissions de particules fines — de moins de 10µm — dans leur ensemble qui sont à l'origine des 42000 morts. C'est ce qu'on comprend à la lecture de cet article du Figaro. L'indispensable site du CITEPA fournit des données sur les émissions de particules, ventilées par secteurs responsables. On trouve dans le rapport de 2012 ce graphe: Émissions de particules de moins de 2.5µm en France On s'aperçoit que les transports routiers ne sont responsables que de 19% des émissions de particules, derrière par exemple le chauffage des bâtiments — à cause du fioul et du bois — avec 39%. On peut en déduire que le diesel ne peut être impliqué que pour environ 8000 morts, soit 5 fois moins que ce donne à penser la presse.

L'autre question est de savoir si l'estimation de 42000 morts pour l'ensemble des émissions de particules fines est crédible. On peut commencer par consulter le site de l'OMS qui nous offre une superbe carte de la mortalité due à la pollution de l'air extérieur. On y voit que l'estimation est de 7500 morts pour l'année 2008, réparti entre un quart de cancers du poumon et le reste sur les autres maladies non infectieuses. Les particules fines constituant un sous-ensemble de la pollution atmosphérique, le nombre de morts causé par les particules devrait logiquement être inférieur. On peut aussi constater qu'en France, on constate 550k décès par an environ: 42k morts, c'est presque 8% du total, c'est-à-dire une cause particulièrement importante. Pour comparer, on estime souvent que le tabagisme provoque 60k morts chaque année, avec cette fois-ci des cancers bien identifiés, puisqu'on estime qu'environ 80% des décès par cancer du poumon y sont liés. Comme dit dans la brochure de l'Institut National du Cancer et comme on peut le vérifier dans la base du CépiDc, il y a environ 30k décès des suites du cancer du poumon en France, ce qui laisse 6000 cancers du poumon causés par autre chose, ce qui est compatible avec l'estimation de l'OMS citée plus haut.

Ces considérations sur le cancer du poumon rendent déjà peu crédible le chiffre de 42k morts à cause des particules. Même en comptant que tous les cancers du poumon qu'on ne peut pas attribuer au tabac soient dus aux particules, cela laisse plus de 85% des décès à trouver dans d'autres maladies. Les conséquences de l'exposition aux particules doivent pourtant être similaire à l'amiante par exemple: des petites particules qui s'enfoncent profondément dans les bronches et y restent. Les cancers devraient représenter une part relativement importante des décès. On peut aussi additionner les décès des catégories qui semblent se rapporter au problème des particules. Si on additionne les décès dus aux maladies cardiovasculaires, aux maladies respiratoires et aux cancers des voies respiratoires, on obtient environ 200k décès: les particules représenteraient 20% de ces décès, alors même que d'autres causes comme le tabac, l'alcool ou encore les régimes alimentaires (cholestérol) sont des causes connues et très répandues de ces maladies. Bref, il semble peu probable qu'il y ait vraiment 42k morts.

Reste donc à se tourner vers la source de l'information. Apparemment, le ministère de l'Écologie donne ce chiffre comme résultant de la pollution aux particules de moins de 2.5µm ainsi que sa source. Cette donnée trouverait donc sa source dans un rapport d'un programme européen chargé entre autres d'établir des seuils en vue de l'élaboration des règles européennes. On trouve effectivement ce nombre dans un tableau excel, il résulte donc d'un modèle mathématique, c'est la donnée des morts prématurées chez les plus de 30 ans, pour l'année 2000. On note que cette donnée est plus grande que le total des admissions dans les hôpitaux, ce qui me semble surprenant. Depuis les émissions ont baissé, donc même en admettant ce chiffrage, le nombre de morts est environ 1/3 plus bas aujourd'hui. Par ailleurs, si on regarde dans le document de référence de l'OMS sur le sujet de la pollution atmosphérique, les ordres de grandeurs sont de l'ordre de 1% de morts en plus pour une augmentation de la concentration moyenne de particules de 10µg/m³ (p257). L'ordre de grandeur de la concentration moyenne en particules à Paris est de 20µg/m³ d'après Airparif. On peut supposer que l'agglomération parisienne est fortement touchée par le phénomène vue la densité de population. Ce qui amène à penser que la pollution aux particules est la cause de moins de 1% des morts en France: en gros, il y aurait un 0 en trop dans le chiffre de l'étude mandatée par la Commission européenne ... qui s'est donc retrouvé dans les média ces derniers jours.

Pour conclure, non, le diesel ne cause pas 42000 morts par an en France. Il est en fait plus probable que toute la pollution aux particules provoque moins de 5000 morts par an. Le diesel en représente en gros 20%, soit mettons 1000 morts par an. Et si on veut vraiment réduire les effets de la pollution aux particules, le mieux serait sans doute de faire la chasse au chauffage au fioul ... et au bois!

18 mars 2012

Gêneur

C'est à la suite, fort à propos, d'un tweet qu'on découvre une affaire d'importance rapportée par Sud-Ouest et la République des Pyrénées. Un prévenu se voyait menacé de 6 mois de prison et 9000€ d'amende — sanction que le législateur a, depuis, dans sa grande sagesse, porté à 1 an de prison et 15000€. L'objet du délit était d'avoir recueilli des espèces d'oiseaux en grand danger en France, à savoir deux merles blessés et deux œufs de pinsons qu'il a fait couver. Il avait gardé ces volatiles dans ses volières, où des pandores les avaient découverts. Car le prévenu n'était pas n'importe qui: il anime un club d’ornithologie et remporté divers prix pour son élevage de rossignols du Japon, il devait sans doute être connu dans la région pour sa passion des oiseaux. Relaxé en première instance, il était convoqué en appel, l'administration, conformément à la tradition, ne laisse pas courir impunément de tels individus. À l'action publique s'est jointe l'action civile de la Ligue de protection des oiseaux qui réclame 1500€ de dommages et intérêts à l'impudent.

Ce qu'on reproche à l'amoureux des oiseaux, ce n'est pas d'avoir maltraité des animaux ou mis en danger des espèces menacées. Au contraire, ce qu'on lui reproche, c'est d'avoir empiété sur un monopole d'état. En France, il est en effet interdit de détenir sans autorisation expresse de l'état des animaux reconnus comme sauvages, c'est-à-dire ne figurant pas sur la liste limitative des animaux domestiques et encore faut-il que ces derniers ne trouvent pas leur origine dans la nature «sauvage» comme dans le cas des pinsons. L'atavisme administratif conduit donc l'état à poursuivre sans relâche tous les contrevenants à la règle qu'il a lui même édictée, la justifiant de manière circulaire.

Le cas des demandes de ligue de protection des oiseaux est tout aussi intéressant. Rien ne l'empêchait de rester l'arme au pied, surtout que la section locale lui avait dans le passé confié des oiseaux. On peut encore constater que la tactique des écologistes a encore porté ses fruits: petit à petit se construit un cadre légal et moral où les associations de la «société civile» sont reconnues comme les seuls défenseurs de la nature sauvage, sans égards aux conséquences sur les êtres humains. Leur idéologie les conduit à séparer les comportements en deux catégories, où le bien se distingue facilement du mal. Sont bons des actes qui se rapprochent d'un passé mythique, l'agriculture biologique, l'électricité éolienne et solaire, la coexistence séparée avec les animaux sauvages, avec de bons samaritains seuls autorisés à réparer les empiètements du vulgaire. Pour répandre une telle idéologie, il faut bien disposer d'une chaire qui vous donne le pouvoir de promulguer des édits moraux.

C'est donc ainsi qu'avec le concours de l'état s'est construit un monopole sur la bonté et la bienfaisance, qu'il faut bien désormais défendre chèrement. En faisant payer 1500€ deux merles et deux pinsons vivants, la LPO évalue ainsi ces animaux au prix de l'or, ce qui est incompréhensible si on n'y intègre pas la valeur de ce monopole sur la bonté. Il faut bien ça pour chasser les gêneurs les plus ennuyeux, ces manants qui croient pourvoir bien faire par eux-mêmes.

2 mars 2011

Guépard sans Tancrède

Nicolas Sarkozy a péniblement ânonné un discours défilant sur un prompteur dimanche soir. Une platitude certaine frappe le lecteur, pour preuve, le Président déclare notamment:

Ainsi les fonctions régaliennes de l'État se trouveront-elles préparées à affronter les événements à venir dont nul ne peut prévoir le déroulement.

Mes chers compatriotes, c'est mon devoir de prendre les décisions qui s'imposent quand les circonstances l'exigent.

On attend impatiemment un discours annonçant l'impréparation du gouvernement face aux évènements prévus et des décisions données comme hors de propos.

Mais au delà de la platitude du discours, l'élément majeur de ce discours, c'est que le Président de la République insiste surtout sur ce qui pourrait mal tourner, afflux d'immigrants, terroristes surgissant d'une quelconque guerre civile ou encore rechute dans la dictature. Il exhorte à ne pas avoir peur de la nouvelle situation, mais on voit mal a priori quelle peur pourrait inspirer la fin de dictatures, sauf à en détailler comme il le fait donc des conséquences après tout peu probables: l'histoire récente contient que peu d'exemples de pays retombant dans la dictature. Le Président insiste ainsi sur la nécessité de la stabilité des choses, telles que vues de ce côté-ci de la Méditerranée. Mais comme le déclara jadis un visionnaire:

Ceux qui se disent adeptes de la realpolitik ne sont pas si réalistes que cela. Ils cantonnent l'action diplomatique à un effort pour ne rien changer à la réalité du monde. La stabilité est leur mot d'ordre. L'immobilisme leur obsession.

Le discours du président se résume en grande part à la fameuse maxime du roman de Giuseppe Tomasi, prince de Lampedusa, pour que tout reste tel que c'est, il faut que tout change. Cela dit, il n'est pas Tancrède et ne peut le dire aussi clairement. Il ne dispose malheureusement pas non plus de Tancrède dans son entourage, et pour changer son gouvernement, il appelle des hommes d'expérience, autrement dit, de vieux rogatons. La diplomatie française doit ainsi prendre un nouveau départ avec celui qui l'a dirigée de 1993 à 1995, peu après la fin du communisme. À l'époque aussi, la diplomatie française devait prendre un nouveau départ, s'étant signalée par un fait d'armes démontrant sa capacité visionnaire et son sens de l'histoire: l'opposition quasi-publique de François Mitterrand à la réunification allemande.

Cependant, tous les espoirs sont permis. Les dictatures représentent au fur et à mesure des diverses révolutions de moins en moins des gouvernements avec lesquels nous devons traiter. Un jour peut-être, lorsque toutes les dictatures notables auront disparu, la diplomatie et le gouvernement français se sentiront obligés de défendre la liberté d'expression et de condamner les régimes tirant sur des manifestants. Ce sera, au moins, compatible avec la fameuse stabilité.