L'OPECST termine son rapport sur l'avenir sur la filière nucléaire par l'énonciation de 3 scénarios, dont un seul est véritablement décrit en détail (Tome 1 p65 sq). Ce scénario s'appuie massivement sur des énergies renouvelables et des systèmes de stockage de l'électricité, il prévoit une décroissance de l'importance du parc nucléaire, surtout dans la deuxième partie de ce siècle. C'est aussi un scénario qui permet de ne pas augmenter a priori les émissions de CO₂ causées par la production d'électricité et de les éliminer d'ici la fin du siècle. Cependant, il souffre de quelques défauts qui font douter de son réalisme.

Le scénario est principalement décrit par la part d'électricité produite via le nucléaire. Il s'agit plus vraisemblablement de la part de la consommation finale, la présence significative des systèmes de stockage fait que la production totale sera forcément plus élevée qu'aujourd'hui: à la production «primaire» viendra s'ajouter une production «secondaire». À la fin du rapport figure aussi un graphe de la puissance installée de réacteurs nucléaires, le texte comprenant un scénario de remplacement des différentes générations de réacteurs. Puissance nucléaire installée selon l'OPECST

L'OPECST prévoit donc que le nucléaire représentera 50% de la production pour 50GW installés en 2050 et 30% de la production pour 30GW installés en 2100. On peut donc évaluer les productions à ces époques, en faisant l'hypothèse que le facteur de charge reste identique à celui d'aujourd'hui, environ 75%. On trouve une production de 660TWh en 2050 et en 2100 contre en gros 550TWh aujourd'hui, ce qui représente une hausse de 0.5%/an entre aujourd'hui et 2050 et une stabilité ensuite. L'OPECST prévoit donc que la production d'électricité sera quasiment stable ces 40 prochaines années et totalement stable après 2050. Comme l'office prend la peine de donner la puissance installée et la trajectoire de remplacement du parc actuel, ce n'est pas juste pour raisonner à production constante. On l'a déjà dit, l'hypothèse de la production et de la consommation stables d'électricité n'est pas raisonnable. La conséquence directe de la stabilité de la production est que l'électricité ne jouera aucun rôle ou presque dans la réduction de la consommation des combustibles fossiles en France. Adieu donc les rêves de grands parcs de voitures électriques, tout devra se faire via des économies de consommation des combustibles fossiles. Ce qui risque, vu qu'il faut les diviser par 4, d'être techniquement impossible et extrêmement impopulaire, car nécessairement accompagné de taxes substantielles.

Le scénario de l'office est entièrement fondé sur la disponibilité des systèmes de stockage, c'en est même une condition de sa validité. L'office fait cependant des hypothèses très optimistes sur l'efficacité du stockage. Il déclare (p67): Avec un taux de charge moyen de 20%, une capacité éolienne de 50GW s’appuyant sur un système de stockage d’énergie pourra alors se substituer à une production de 10 GW en base. Sachant que les centrales — nucléaires — qui tournent en base ont un taux de charge de 75%, cela veut dire que le système combiné éolien + stockage a une efficacité équivalente. L'expérience qu'on a d'ores et déjà de l'éolien montre que le stockage devra subvenir à la consommation finale à hauteur des 2/3. Ce qui veut dire que l'efficacité du cycle de stockage devra être supérieure à 70%: aujourd'hui seul le pompage remplit cette condition et il ne faut pas attendre des miracles de son développement. Ce qui fait que la capacité éolienne à installer est sous-estimée de façon assez large.

Cette stratégie ne fait pas grand chose non plus pour éliminer les émissions de CO₂ causées par la production d'électricité. Pour cela, l'office semble miser sur la biomasse ... qui sera sans doute aussi sollicitée par ailleurs pour remplacer les combustibles fossiles puisque l'électricité ne jouera pas ce rôle. Comme le développement de la biomasse est tout aussi limité, on risque donc de continuer à utiliser des combustibles fossiles pour la pointe, alors que justement, le stockage avait la possibilité de les éliminer.

L'office espère aussi que les subventions aux énergies renouvelables cesseront après 2020. On est en droit d'en douter pour au moins deux raisons. La première, c'est qu'actuellement, ce sont sans doute les meilleurs sites qui sont en train d'être équipés. Les autres sites présentent sans doute un rendement financier inférieur, ce qui sera toujours le cas après 2020. Il y aura alors de fortes chances que le prix des renouvelables sur ces sites soit toujours supérieur aux coûts des autres sources, amenant à devoir prolonger les subventions bien au delà de 2020. C'est ainsi qu'aujourd'hui, à 130€/MWh garantis sur 20 ans, il ne s'est toujours présenté personne pour construire des champs d'éoliennes en mer. L'appel d'offres gouvernemental semble accepter des offres allant au moins jusqu'à 170€/MWh, pour une fin d'installation en 2020. Il est peu probable que ce type d'installations ait rejoint dans 10 ans ne serait-ce que le prix de l'éolien terrestre actuel. La deuxième raison, c'est qu'à cause de leur intermittence voire — pour le solaire photovoltaïque — de leur corrélation inverse à la demande, ces énergies rendent un service inférieur aux sources commandables actuelles. Cela se traduit par la nécessité du stockage. Et si, justement, il doit y avoir des installations de stockage capables d'absorber les surplus des énergies renouvelables, cela voudra dire qu'il y a une situation de surproduction impliquant des prix plus bas que la moyenne. Lors des périodes de forte production, il y a de bonnes chances que les prix de l'électricité soient très bas voire nuls comme mentionné dans l'étude de Pöyry, ce qui grèvera la rentabilité des énergies renouvelables.

De l'autre côté, le scénario de l'office s'efforce de ne pas profiter à plein du potentiel de l'énergie nucléaire. L'EPR de Flamanville paraît ainsi devoir rester un exemplaire unique pendant 15 ans, de façon à bien perdre de l'expérience dans la construction de centrales nucléaires, une cause probable de l'allongement des délais et de l'explosion des coûts. Mais de façon moins anecdotique, l'office ne voit le premier réacteur commercial à neutrons rapides — Gen IV sur le graphe — ouvrir qu'à partir de 2060 et la puissance installée plafonner à 30GW, donnant, avec les stocks actuels d'uranium, 10 000 ans de production possible avec cette filière. Comme l'office propose de continuer à utiliser le nucléaire actuel pendant pratiquement autant de temps qu'il a été utilisé en France, ces stocks ne peuvent qu'augmenter. Le caractère constant de la production d'électricité nucléaire favoriserait aussi l'apparition du stockage, en diminuant la capacité nécessaire des usines et donc les coûts d'investissement.

Pour le dire clairement, l'office semble faire de grands efforts pour trouver un moyen de diminuer la part du nucléaire dans la production d'électricité. Il ignore pour cela les effets sur les autres secteurs de consommation d'énergie qui sont les principaux émetteurs de CO₂ en France. Le discours public insiste beaucoup sur la réduction nécessaire de ces émissions, même si on peut se demander si ce n'est pas pour amuser la galerie. Le scénario prévoit aussi implicitement des investissements supérieurs à ce qu'il pourraient être avec le nucléaire et fait des hypothèses très optimistes sur les coûts, les subventions futures et l'efficacité des systèmes de stockage. Cependant, il prend en compte le temps de développement des différentes technologies et une partie de la contrainte posée par les émissions de CO₂ et la raréfaction des ressources fossiles. C'est ce qui fait que malgré ses défauts, c'est sans doute, jusqu'à présent, le meilleur travail provenant du monde politique sur la question. On peut donc prédire que les politiques énergétiques continueront à se distinguer par leur inefficacité.