Hier soir, après avoir chacun de leur côté s'être posés en rassembleurs, les deux candidats présents au second tour de l'élection présidentielle se sont livrés à un débat au ton vindicatif. Parmi les sujets discutés figurait l'inévitable sujet du nucléaire civil.

J'ai déjà évoqué ici à plusieurs reprises l'accord entre les Verts et le PS ainsi que la politique énergétique du candidat Hollande pour en dire tout le mal que j'en pense. Durant le débat François Hollande a confirmé ce qu'on pouvait penser de sa volonté de baisser la contribution du nucléaire à 50% de la production d'électricité: il s'agit d'un plan de fermeture des centrales à 40 ans. Il a aussi, par ses propos désignant Fessenheim comme situé en zone sismique, repris en presque totalité l'argumentation des écologistes, ce qui conduit en fait à légitimer leur position: il faut sortir du nucléaire.

En effet, rien n'impose de fermer les centrales nucléaires au bout de 40 ans. Les Américains ont prolongé la vie de 70 de leurs 104 réacteurs à 60 ans. EDF a des plans similaires, ils sont de notoriété publique: on en trouve par exemple de nombreuses traces dans le rapport de la Cour des Comptes sur le nucléaire. La Cour passe d'ailleurs très près de recommander l'allongement de la durée de vie des centrales, remarquant que plus l'exploitation perdure, moins les coûts par MWh sont élevés (p284). Elle remarque aussi que l'absence de décision conduira à la prolongation des centrales et que le prolongement des centrale va entraîner un plan d'investissement important, mais nettement moins qu'un renouvèlement, quelque soit la technologie choisie. D'ailleurs, si les centrales devaient toutes fermer à 40 ans, l'intérêt d'investir pour prolonger la durée de vie des centrales diminue: les investissements devraient se rentabiliser sur une durée nettement plus courte. Il n'y a en fait quasiment qu'un seul élément irremplaçable: la cuve du réacteur dont on ne connaît pas la durée vie maximale.

Contrairement à ce qu'affirme François Hollande, il y a d'autres centrales situées dans une zone sismique comparable à Fessenheim. Fessenheim est situé dans le nord du département du Haut-Rhin. Comme on peut le voir sur la carte officielle du risque sismique, cette zone est en risque «modéré», comme l'ensemble de la vallée du Rhône. Et dans la vallée du Rhône, il y a moult sites nucléaires: les centrales de Bugey, St Alban, Cruas, Tricastin, le site de Marcoule. La centrale du Bugey est aussi la deuxième centrale la plus vieille en France, on voit donc quelle sera la cible suivante des écologistes. En écartant les zones sismiques avec un risque modéré, François Hollande empêche la construction de centrales dans une zone à la fois parmi les plus peuplées et aussi parmi les plus industrialisées donc parmi les plus grosses consommatrices. Cela va donc grandement simplifier le transport de l'électricité. On imagine aussi sans peine avec quelle bienveillance François Hollande verra l'industrie chimique, très présente aussi dans la vallée du Rhône, donc menacée par les séismes.

Se rejoignant sur ce point, les 2 candidats ont chanté les louanges des énergies renouvelables. Cependant, celles-ci ne peuvent pas remplacer le nucléaire: ce qu'on peut encore construire, ce sont des éoliennes et des centrales solaires. Non seulement, ces sources d'électricité sont parfois hors de prix, mais elle ne garantissent en fait aucune production ou presque: on peut voir grâce aux données d'exploitation, que ce soit au niveau français ou européen, la garantie est de moins de 5%. Comme dit dans une analyse statistique, publiée sur un site tenu par un Danois et riche de données, la production éolienne agrégée ne peut être considérée comme une source fiable d'électricité.

Les candidats font aussi profession de diminuer les consommations de combustibles fossiles et de ne pas exploiter le gaz de schiste et autres hydrocarbures non-conventionnelles. Comme ceux-ci sont en fait la seule alternative au nucléaire à moyen terme et sans doute à long terme, on aboutit à une impossibilité pratique. Sarkozy s'en sort grâce à son soutien au nucléaire, mais ce dernier requiert de fonctionner la plupart du temps pour être rentable. Hollande, lui, s'est placé dans un corner dont on voit mal comment il pourra se sortir. Cela dit, il se dit favorable à un TIPP flottante, ce qui favorise donc implicitement la consommation de pétrole, le type de combustible fossile le précieux car liquide et le premier qui viendra à manquer, mais pour une taxation de la consommation d'électricité croissante en fonction de la consommation, première mondiale, qui frappera donc la principale source d'énergie décarbonée en France.

On arguera qu'il lui suffira de se renier comme tant d'autres. Mais en reprenant pour lui-même des arguments simples — et faux — produits de longue date par les écologistes, il a légitimé leur discours. En le faisant avec force lors du débat télévisé d'avant le second tour, il a donné à cette position une certaine solennité. La situation de Mitterrand en 1981 était très différente: il allait hériter de nombreux chantiers de centrales nucléaires en cours, ce qui résolvait le problème de la production d'électricité en France; les diverses crises des changes ont de toute façon rapidement dissuadé de se reposer sur des importations coûteuses de combustibles fossiles. Cette prise position est donc sans doute l'exemple le plus frappant du déni qui remplit le discours politique français: en déformant la réalité, les dirigeants politiques se placent dans un corner dont il est impossible de sortir sans se renier, et placent donc le pays dans une impasse dont il sera extrêmement difficile de sortir.