Ainsi, après s'être bien tapé du poing sur la poitrine, les Verts et le PS ont fini par s'entendre et signer un accord. Le plus important dans cet accord, c'est ce qui ne figure pas dans le document: la promesse que les Verts seront seuls en lice dans 60 circonscriptions, ce qui devrait leur rapporter 15 députés en cas de défaite de François Hollande aux présidentielles et 30 en cas de victoire. Cette négociation a donné lieu à un spectacle d'un nouveau genre, où les Verts ont intimé l'ordre au PS de rejoindre sa ligne, entre autres sur le nucléaire, pour accepter qu'on leur donne des circonscriptions. Ces distrayantes gesticulations se sont terminées un peu comme elles ont commencé, par un geste envers les militants verts, sous la forme d'une bouderie d'Éva Joly. Il faut dire que lors des primaires, où Éva Joly était le fer de lance des écolos traditionnels contre un Nicolas Hulot plus éloigné des préoccupations principales de la base, le nucléaire et les OGMs, 10% des votants se sont prononcés pour deux candidats dont la principale caractéristiques était soit de trouver Éva Joly trop gentille, soit d'être un militant anti-nucléaire fervent. Et au fond, qu'Éva Joly renonce ou pas à la campagne présidentielle n'a pas grande importance, l'impact politique des Verts se décidera surtout en fonction du résultat des législatives. Si le PS doit compter sur le soutien des Verts pour obtenir la majorité absolue, on entendra de nouveau bruyamment parler de l'EPR de Flamanville et de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Cependant, il serait imprudent de tenir le texte de l'accord pour quantité négligeable. Ce genre d'accord programmatique donne à voir les points de convergences de ces deux partis, une certaine façon de penser et de procéder. Ce qui frappe au premier abord, c'est que les auteur-e-s de ce texte maîtrise-nt à la perfection cette langue rénovée, citoyenne et durable dans laquelle s'expriment désormais les revendications de gauche. Elle ne comprend pas seulement des expressions dont la défense du contraire est impossible, ce qui signe l'absence totale de substance — qui voudrait d'un développement éphémère ou d'un déclin durable? Cette technique est aussi utilisée à droite, il faut donc plus pour se distinguer. À gauche, on utilise donc un champ lexical différent dont, certainement, l'étude a déjà été faite, ainsi qu'un signe de ponctuation, le tiret, pour se soustraire aux lois d'airain de la grammaire française. On peut aussi subodorer que le texte n'a pas été relu. C'est ainsi que, page 9, on apprend que moins d'un salarié âgé de 59 ans sur dix a un emploi. Au début du texte, on trouve aussi une curiosité: il faut dominer la finance. Je n'ai trouvé nulle part ailleurs plus pur aveu de la relation sado-masochiste des politiques avec la finance, activité honteuse mais qui permet de financer les programmes.

Les revendications écologistes ont trouvé leur chemin jusque dans ce texte. Cela s'explique sans doute par la proximité avec les idées qui ont cours au PS. Mais on n'arrive pas à se détacher de l'idée que non seulement, le texte n'a pas été relu, mais aussi que, sur ces sujets, l'ignorance est totale au PS ou qu'alors on se moque totalement de ce qui y figure. Il est écrit dans le texte que la promotion d'une agriculture familiale autonome et vivrière dans les pays en développement (sera) une revendication de la France dans les discussions multilatérales. Le PS, ardent défenseur du progrès social, prône donc le maintien à leur place de tous ces paysans dans les pays les plus pauvres du monde. L'agriculture de subsistance qui est portée ici au firmament est l'activité par excellence des peuples qui vivent dans la misère la plus abjecte. La révolution industrielle a signé la fin de cette agriculture dans les pays développés, amenant une période prospérité sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Si les pays tropicaux, parmi lesquels se trouvent les pays les plus pauvres, sont le lieu aujourd'hui de cultures dites commerciales comme le coton, le cacao, le café, les mangues, les ananas, c'est parce que les conditions climatiques y rendent ces cultures plus profitables qu'ailleurs, c'est un avantage comparatif, ce qui permet le commerce, l'autre cause majeure de la prospérité du monde moderne.

Dans ce texte, il y a bien sûr toute une partie consacrée au nucléaire (p11 sq). Officiellement, il s'agit de parler de transition énergétique, mais à part l'introduction et deux paragraphes à la fin de la partie, il n'est question, de près ou de loin que de diminuer production d'électricité nucléaire. Ce seul fait est en lui-même intéressant: alors qu'il s'agit de lutter contre le dérèglement climatique et l’épuisement des ressources naturelles, il est principalement question de se passer d'un mode de production d'énergie qui ne rejette pas de dioxyde de carbone et dont les perspectives, avec la Génération IV et les réacteurs à neutrons rapides, permettent de régler, en France, avec le stock d'uranium appauvri existant, les problèmes de production d'électricité pour au moins 1000 ans. Pourtant, sur le sujet du nucléaire, il est difficile de penser qu'on n'y connaisse rien au PS. Christian Bataille s'occupe souvent du nucléaire au sein de l'office parlementaire des choix scientifiques et techniques. Cela dit, le nucléaire n'est pas le sujet de prédilection du PS: dans tous les documents du programme, il n'en est question qu'une fois, cela prend un paragraphe sur un document de 30 pages. Tout porte donc à croire que la plupart de ce qui est écrit a été dicté par les écologistes; il est incroyable de constater à quel point leur tactique de négociation a réussi, le PS leur a concédé dans un document programmatique l'arrêt progressif du nucléaire, leur revendication majeure, tout en leur donnant des circonscriptions!

Cette partie sur le nucléaire nous donne à lire un extrait du programme des Verts, programme utopique dont la réalisation demande l'entrée dans une société totalitaire. Comme il faut bien signer avec le PS, ces mesures sont adoucies, mais n'en restent pas moins sévères, et portées à la punition et aux préjugés. Qu'on en juge:

  • Mobiliser tous les leviers (réglementation, fiscalité, formation) visant notamment à réduire la consommation d’électricité. Traduction: l'électricité est trop bon marché en France, on va donc la taxer. Pour ceux qui ont du mal à comprendre, on va leur interdire d'en utiliser plus et leur parler avec des mots simples en articulant. J'ai déjà discuté auparavant de la distribution des taxes en question: seuls les particuliers seront touchés.
  • Une tarification progressive de l’électricité et du gaz permettra le droit effectif de tous aux services énergétiques de base, tout en luttant contre les gaspillages. Comme augmenter les prix de l'énergie des particuliers est contradictoire avec la capacité de vivre dans une société moderne, notamment pour les pauvres, on va demander une feuille d'imposition pour facturer l'énergie. C'est inédit: jusqu'ici, seuls les plus pauvres bénéficient d'un tarif social. On remarque par ailleurs un préjugé: il semble que les pauvres ne gaspillent pas. Au vu des gens qui circulent en vieilles automobiles ou de l'isolation des logements les moins chers, on peut en douter.
  • Nous traiterons efficacement de la question des « pertes d’énergie en ligne », notamment en rapprochant la production de la consommation. En 2010, les pertes ont représenté, en France, 37TWh sur une consommation totale de 513TWh, soit 7% du total. Sur le réseau de RTE, qui regroupe les lignes à haute tension, sans nul doute celles qui sont visées ici, les pertes ont été de 11TWh soit 2% de la consommation totale. (Source: Statistiques 2010 de RTE, p15). On voit mal comment gagner quoi que ce soit de véritablement important de cette façon.
  • Arrêt immédiat de Fessenheim. Si le PS compte finir un réacteur de 1.6GW pour 2016 à Flamanville, il en ferme 2 totalisant 1.8GW immédiatement, alors que les Allemands viennent de retirer 8GW, sans rien prévoir en remplacement et qu'il y a un risque de coupure en France en 2016 à cause de la fermeture probable de centrales au charbon! (cf Bilan équilibre demande 2011 de RTE). Est-ce une décision raisonnable? On voit par ailleurs qu'un échange s'est sans doute fait: fermer Fessenheim tout de suite contre une acceptation (provisoire) de l'EPR.
  • Un plan d’évolution du parc nucléaire existant prévoyant la réduction d’un tiers de la puissance nucléaire installée par la fermeture progressive de 24 réacteurs (...). Le projet d’EPR de Penly (...) sera abandonné. (...) Aucun nouveau projet de réacteur ne sera initié. (...) Un acte II de la politique énergétique sera organisé d'ici la fin de la mandature pour faire l’examen de la situation et des conditions de la poursuite de la réduction de la part du nucléaire. On retrouve ici un plan consistant grosso modo à fermer les réacteurs après 40 ans de service, à ne pas construire de réacteurs de remplacement, et à continuer la même politique après 2025. C'est donc bien un plan de sortie du nucléaire quoique puissent en dire François Hollande et ses subordonnés.
  • La création d’une filière industrielle française d’excellence concernant le démantèlement des installations nucléaires. On retrouve là l'idée des Verts que la démolition des centrales peut constituer une activité d'importance. Cela semble bien difficile, EDF prévoyant que le démantèlement des REP lui coûte environ 20% du prix de construction. Le chantier de démolition de Chooz A serait en ligne avec les coûts prévus, d'après ce qu'a déclaré EDF lors d'une audition publique à l'Assemblée Nationale.
  • Il y a bien sûr le fameaux paragraphe sur le MOX. Comme dit par un retraité du CEA dans le Point, il a sans doute été écrit par des non-spécialistes, mais son intention est claire: entraver le maximum d'activités nucléaires pour aller vers la fin de la filière. Comment expliquer sinon qu'on parle de reconversion du site de stockage des déchets finaux?
  • Nous accélèrerons la recherche sur le stockage de l’électricité. Ce qui signifie en clair que le système proposé par les Verts ne fonctionne pas. La grande variabilité des énergies renouvelables politiquement correctes — éolien et solaire photovoltaïque — impose soit de construire des centrales thermiques consommant des combustibles fossiles, soit de disposer de moyens énormes de stockage de l'électricité. On peut certes augmenter l'usage des barrages, mais ce n'est pas suffisant — et contradictoire avec l'objectif de réduire les pertes en ligne — il faut trouver d'autres moyens. Or il s'avère que les ordres de grandeurs nécessaires à la construction de tels stockages sont délirants, par exemple pour un système d'accumulateurs au plomb. En abandonnant le nucléaire, on lâche la proie pour l'ombre et c'est écrit dans l'accord!
  • La recherche publique (notamment l’activité du CEAEA) sera réorientée prioritairement vers l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, leur intégration dans le réseau et les moyens de stockage, ainsi que vers la maîtrise du risque nucléaire (sûreté, déchets, démantèlement). Traduction: il ne faudrait pas que le CEA ait du succès avec la Génération IV, des fois que les gens la confondrait avec la véritable énergie renouvelable. Bref, le CEA ne fera plus de recherches dans le domaine des applications industrielles du nucléaire, à l'image de ce qui se passe en Allemagne.
  • Quant aux réseaux de transport, leur évolution vers des réseaux plus intelligents sera encouragée sous tous ses aspects pour améliorer les services délivrés, maîtriser les coûts, intégrer une part croissante d’ENR et optimiser l’équilibre offre-demande aux différentes échelles. On se demande bien ce que cela peut vouloir dire. Mis à part bien sûr que la production locale ne peut suffire à tout instant dans le cas d'énergies intermittentes. Il faudra donc augmenter les capacités de transport du réseau — nouvelle contradiction avec la réduction des pertes en ligne — ou rationner.

Il est bien difficile de faire plus idéologique. Et de toute évidence, les négociateurs du PS ont tout gobé, sans doute parce qu'il n'y connaissaient pas grand chose et d'autre part parce qu'ils étaient aussi sans doute proches des idées écologistes. Autant dire qu'un tel étalage de dogmatisme et d'incompétence ne m'incitera pas à aller voter pour François Hollande.