Dans le Monde daté du 18 octobre dernier, Éva Joly, candidate des Verts, donnait une interview, titrée «La gauche serait folle de ne pas sortir du nucléaire». Contrairement à ce qu'indique le titre, elle y intervenait principalement pour redire ce qui fait sa spécificité dans le paysage de cette présidentielle, cet attachement visiblement viscéral à la vertu. Mais ce qui a donc retenu l'attention des journalistes, c'est le début où elle nous dit que la gauche serait folle de ne pas annoncer la sortie du nucléaire et où figure cette question où elle paraît répondre en lançant un ultimatum au PS:

Un accord doit être signé entre vos deux formations en novembre. Quels sont les points sur lesquels vous ne transigerez pas?

Il faudra présenter un calendrier de sortie du nucléaire, l'abandon de certains grands travaux devenus absurdes comme l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique. Il faudra aussi de profondes réformes, comme l'introduction de la proportionnelle. Je ne serai pas ministre dans un gouvernement qui n'inscrit pas ces réformes tout en haut de son programme, et aucun membre d'EELV ne le sera non plus.

La demande de législatives à la proportionnelle est en partie satisfaite par la proposition 29 du programme du PS que, bien sûr, François Hollande a promis de respecter à la lettre. Il semble aussi qu'un aéroport de plus ne puisse suffire à faire capoter un accord de gouvernement. C'est donc bien la question du nucléaire qu'il s'agit encore de pousser, les socialistes se refusant encore à prononcer la fin du nucléaire en France. Cette impudence a été vue comme un diktat par divers responsables socialistes et comme une provocation contre-productive par une méchante langue. Malheureusement, il manque quelque chose pour que cette vision des choses soit entièrement justifiée.

Tout d'abord, Les Verts vont entrer en négociation avec le PS pour une répartition des circonscriptions pour les législatives de 2012 ainsi que sur un éventuel programme de gouvernement. Il faut bien que cette fois-ci, on conçoit mal l'intérêt pour le PS d'un quelconque accord avec qui que ce soit. La droite et son champion, Nicolas Sarkozy, sont usés par le pouvoir et les erreurs politiques de ce dernier. Même si l'élection n'est pas jouée, on voit mal comment Nicolas Sarkozy pourrait convaincre ceux qui ont fini par être excédés par ses mesures visant les internautes, sa monomanie de poursuivre sans relâche les immigrés, sa pusillanimité en matière économique. François Hollande va aborder l'élection en position de favori, sans être empêtré dans une réputation — assez méritée — d'incompétence qui a fortement nuit à Ségolène Royal. À la suite de cette victoire présidentielle prévisible, le PS devrait logiquement remporter une large victoire aux législatives. Et même si le PS s'avisait de passer des accords généreux, des militants autochtones se rebelleraient en portant à la députation leur favori local, attiré par la forte probabilité de gagner. Un accord de répartition législative est ainsi d'un intérêt tout relatif dans la situation présente. On peut cependant parier qu'il y en aura un, car un tel accord fait partie de la mythologie du PS, parti qui se veut grand prince dans un régime où tout est conçu pour diriger seul.

Quant à signer un accord de gouvernement, cela ne vaut que si chacun peut y retrouver un peu de ses revendications favorites. Il semble donc que les Verts ne puissent se passer à l'orée d'une négociation pareille d'une démonstration de pureté idéologique. Ainsi se place très bien la demande d'abandon de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, serpent de mer éternel de la région nantaise. On peut aussi y placer la revendication séculaire et à la base du mouvement écologiste, la fin du nucléaire. Les Verts ont une dépendance particulière à ces revendications. Malgré le coup de génie qui a consisté à prendre comme héraut une représentante de la rigueur scandinave, endroit où tous les conflits sont censés se régler par le droit et le dialogue, il est apparent que les Verts ont une organisation qui les rapproche des irrédentistes corses, celle de la vitrine politique. On peut s'immiscer sans titre sur des propriétés privées, y compris pour les saccager, et se faire élire pour le compte de ce mouvement. Abandonner les revendications de base amènerait à la fin du support de la partie activiste qui ne tient pas vraiment à se présenter aux élections, mais à voir ses revendications, aussi extrêmes soient-elles, réalisées. Et participer à un gouvernement, où leur présence ne sera sans doute pas nécessaire, peut s'avérer très dommageable pour la suite, car les Verts risquent d'être forcés d'accepter des mesures dont ils ne veulent pas, sans avoir leur mot à dire, vu qu'ils ne seront pas nécessaires à l'obtention de la majorité absolue.

D'ailleurs, ces revendications sont-elles si démesurées? François Hollande propose de ramener la production d'électricité nucléaire à 50% du total d'ici 2025. Actuellement, selon les statistiques de RTE, l'électricité nucléaire compte pour 74% de la production d'électricité française de 550TWh. Avec 63GW de capacité, le facteur de charge, le rapport de la production effective à la production maximale possible, est d'environ 74%. La domination du nucléaire oblige en effet à adapter sa production en fonction de la saison, les centrales ne peuvent pas tourner à pleine capacité en permanence. Si la puissance disponible venant du nucléaire venait à baisser, ce facteur devrait remonter vers les 90%, le facteur de charge atteint aux USA par exemple. Les socialistes, même si ce n'est pas précisé, entendent certainement procéder en faisant baisser la puissance nucléaire disponible, non en augmentant la production totale d'électricité, c'est pourquoi on supposera cette dernière constante dans le futur. Le parc nucléaire français se compose de réacteurs de 900MW pour presque la moitié de la puissance installée, le reste étant constitué de réacteurs de 1300MW sauf pour les 4 derniers qui sont des réacteurs de 1500MW. Il semble probable que les centrales aient une durée de vie minimale de 40 ans pour des raisons de coût, mais qu'on ne les utilise pas au-delà pour des raisons de sécurité, au moins pour les réacteurs de 900MW dont la conception est la plus ancienne. On peut trouver sur wikipedia la liste des réacteurs français avec leur date de connexion au réseau, ce qui peut donc donner lieu à divers calculs, dont on peut tirer le graphe suivant. Part du nucléaire dans la production d'électricité française On constate que si le facteur de charge reste d'environ 75%, l'objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire est atteint en 2023. Si le facteur de charge croît jusqu'à 85%, ce sera au cours de l'année 2024. Au 1er janvier 2025, dans ce dernier cas, la part du nucléaire sera de 46%. Pour arriver à 50%, il manque 2 EPRs de 1600MW. Ça tombe bien: un est en construction à Flamanville, un autre est en projet à Penly. Pour résumer, le projet socialiste se résume à faire un effort similaire à l'Allemagne où le nucléaire représentait l'année dernière 28% de la production d'électricité en laissant se fermer toutes les vieilles centrales au bout de 40 ans et à ne construire que les réacteurs nucléaires qui sont déjà prévus. Même le plan préparé par negawatt, dont j'ai dit tout le bien que j'en pensais, finit par se heurter à la durée de vie de 40 ans. Si le plan du PS n'est pas un plan de sortie du nucléaire, qu'est-ce donc? Il lui manque certes le nom, ce que veut lui ajouter Éva Joly.

Bref, loin d'être le diktat dénoncé, les déclarations d'Éva Joly relèvent plutôt de la gesticulation de quelqu'un qui veut se différencier et montrer sa pureté idéologique. Il n'y a sans doute pas trop à craindre à avoir pour le futur accord de gouvernement et, si Hollande doit faire des Verts le PCF du premier quart du 21e siècle, ce sera après en avoir repris les idées principales à son compte. Il serait aussi fort aimable au PS de préciser ses perspectives sur la production d'électricité, avec les moyens de remplacement du nucléaire et ce qu'il compte faire après 2025.